Comment analyser le vote des femmes à l’aune des élections européennes et législatives de juin et juillet derniers ? Sur quelles préoccupations repose leur vote ? Devons-nous acter la fin du radical right gender gap ? Sept ans après #MeToo, quelle est la perception de l’opinion publique en matière d’égalité femmes-hommes et leur rapport au féminisme ? Amandine Clavaud, co-directrice des études, directrice de l’Observatoire égalité femmes-hommes de la Fondation, et Laurence Rossignol, sénatrice, présidente de l’Assemblée des femmes et ancienne ministre des Droits des femmes, livrent leur analyse des résultats de l’enquête réalisée par Ipsos1Enquête réalisée entre le 26 juillet et le 1er août 2024 par internet auprès d’un échantillon représentatif de 11 024 personnes âgées de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas. que leurs deux organisations ont lancée.
Introduction
Dans la foulée des élections européennes et législatives de juin et juillet derniers, et plus de sept ans après l’irruption du mouvement #MeToo, la Fondation Jean-Jaurès et l’Assemblée des Femmes ont lancé une enquête réalisée par Ipsos, auprès d’un échantillon représentatif de plus de 11 000 personnes âgées de 18 ans et plus, pour analyser et comprendre les préoccupations et attentes de l’opinion publique, en particulier celles des femmes vis-à-vis de la politique, de l’égalité entre les femmes et les hommes, en tant que politique publique, et leur rapport au féminisme.
Quatre enseignements principaux sont à tirer :
- les questions économiques et sociales sont les premières préoccupations des femmes qui attendent des réponses des pouvoirs publics pour remédier aux inégalités professionnelles qu’elles subissent et qui dégradent leurs conditions de vie ;
- l’adhésion au féminisme est désormais majoritaire dans l’opinion, chez les femmes comme chez les hommes. Mais on observe des différences sérieuses, voire préoccupantes, entre générations et entre les femmes et les hommes d’une même génération. L’analyse par tranche d’âge confirme et nous éclaire sur des tendances lourdes que les travaux universitaires commencent à analyser à travers le concept de modern gender gap : une réelle dichotomie semble s’opérer entre les jeunes femmes, plus progressistes, et les jeunes hommes, pour certains plus rétifs voire opposés au féminisme ;
- les droits des femmes constituent un déterminant fort du clivage gauche-droite, réactivant le radical right gender gap dans l’électorat de la droite et de l’extrême droite, et un clivage net entre les pratiquants d’une religion et les personnes sans religion ;
- la prise en charge de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles demeure une demande importante dans l’ensemble de l’opinion publique dont la traduction politique se fait encore attendre et l’incarnation semble manquer, comme le déplore le panel que nous avons interrogé.
Méthodologie Échantillon de 11 024 personnes représentatives de la population française, inscrite sur les listes électorales, âgées de 18 ans et plus. Enquête réalisée entre le 26 juillet et le 1er août 2024 par internet via l’Access panel online d’Ipsos. Méthode des quotas : sexe, âge, profession de la personne interrogée, catégorie d’agglomération, région. |
Le pouvoir d’achat, priorité n°1 pour :
- une femme sur deux (vs pour 46% des hommes interrogés)
- 63% des femmes ouvrières, 56% des salariées du privé
- 57% des femmes de 35 à 49 ans
- 57% des familles monoparentales
Le système de santé, priorité n°2 pour :
- 35% des femmes (vs 29% des hommes interrogés qui le place en 4e position)
- 37% des femmes de 35-59 ans et 38% des femmes de 60 ans et plus
- et 86% des femmes sont pour un renforcement des services de santé dans les petites villes « même si cela peut conduire à une hausse d’impôts » (soit 2 points de plus que les hommes), quels que soient les territoires.
Égalité femmes-hommes, féminisme
- Près de 9 Français sur 10 soutiennent l’égalité femmes-hommes ; 6 Français sur 10 se déclarent féministes
- 91% des femmes se disent favorables à l’égalité femmes-hommes ; 64% se déclarent féministes
- 15% des hommes déclarent ne pas être faveur de l’égalité femmes-hommes ; 42% des hommes interrogés ne se déclarent pas féministes
- 13% des bac+5 pensent qu’on va « trop loin » en matière d’égalité (vs 10% des sondés ayant un niveau d’études inférieur au bac)
Jeunes femmes vs jeunes hommes
- 75% des femmes de 18-24 ans se déclarent féministes ; 79% des femmes de 18-24 ans considèrent qu’on ne va « pas assez loin » dans la lutte contre les inégalités femmes-hommes
- 17% des hommes de moins de 35 ans considèrent qu’il ne faut pas aller plus loin pour promouvoir l’égalité entre femmes et hommes (vs 12% de la moyenne du panel) ; 15% ne se considèrent « pas du tout » féministes (vs 13% de la moyenne des hommes)
Les priorités à poursuivre par les pouvoirs publics et les mouvements féministes
- 89% des femmes considèrent que les pouvoirs publics doivent en faire beaucoup plus pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (vs 84% des hommes)
- 43% du panel considèrent la lutte contre les violences sexistes et sexuelles comme la priorité à poursuivre dans les combats féministes, 37% des femmes mettent la lutte contre les inégalités professionnelles entre femmes et hommes comme seconde priorité (vs 31% des hommes)
La composition de l’électorat et les clivages concernant les droits des femmes
- 31,5% des femmes ont voté pour le Nouveau Front populaire (NFP) (vs 30% des hommes) ; 31,5% pour l’extrême droite aux dernières élections législatives (vs 36,5% des hommes)
- Parmi les 39% des Français qui affirment ne pas être féministes : l’électorat d’extrême droite est prégnant avec 57% d’électeurs et électrices de LR-RN, 51,4% de Reconquête ! et 48,5% du RN
- 76% des personnes interrogées se positionnant à gauche et 74% de l’électorat du NFP se déclarent féministes
- Près de la moitié des femmes (45%) considèrent qu’aucun parti politique n’est réellement engagé pour l’égalité femmes-hommes
- 30% des sondés trouvent que la gauche rassemblée défend l’égalité femmes-hommes ; 15% le Rassemblement national
Une répartition genrée des préoccupations : pouvoir d’achat et système de santé chez les femmes, pouvoir d’achat et insécurité chez les hommes
Le pouvoir d’achat : les questions économiques et sociales sont centrales pour les femmes
« Préoccupation née de l’inflation, […] voilà donc deux ans et demi que le pouvoir d’achat est au rang de la hiérarchie des préoccupations des Français2Christelle Craplet, Adelaïde Zulfikarpasic, Entre difficultés à boucler les fins de mois et peur d’un « grand déclassement » : le pouvoir d’achat s’est imposé comme la préoccupation n°1 des Français, Fondation Jean-Jaurès, 25 juin 2024. », comme le rappelaient en juin dernier Christelle Craplet et Adelaïde Zulfikarpasic dans une note de la Fondation Jean-Jaurès, soulignant combien la thématique du pouvoir d’achat s’était imposée dans le débat public. Et c’est sans surprise donc ce que l’enquête révèle dans la continuité des précédentes : le pouvoir d’achat demeure la priorité n°1 pour 48% des Français interrogés.
Toutefois, la hiérarchie des préoccupations citées n’est pas la même selon le genre. Alors que le trio de tête des priorités des hommes est le pouvoir d’achat (46%), l’insécurité (35%) et l’immigration (27%), les femmes mettent en avant le pouvoir d’achat (50%), le système de santé (35%), et enfin l’insécurité (31%). Le pouvoir d’achat est ainsi la priorité n°1 pour une femme sur deux – soit un écart de 4 points par rapport aux hommes interrogés.
Plusieurs indicateurs permettent d’observer une surreprésentation des femmes suivant l’âge, la classe sociale, le lieu d’habitation et le positionnement politique. En effet, cette préoccupation est d’autant plus forte pour 57% des femmes de 35 à 49 ans, 63% des femmes ouvrières, 56% des salariés du privé mais aussi pour une personne sur deux ayant un revenu inférieur à 2000 euros (52%) et vivant dans une commune de moins de 2000 habitants (50%). Le positionnement politique est également éclairant : 54% des électeurs du Rassemblement national identifient le pouvoir d’achat comme l’une de leurs trois priorités.
La prédominance du pouvoir d’achat pour les femmes traduit les réalités économiques et sociales de leur condition et reflète en miroir les inégalités professionnelles et salariales dont elles sont victimes. En effet, en 2022, les femmes touchent en moyenne un revenu inférieur de 23,5% par rapport à celui des hommes dans le secteur privé, les femmes étant plus nombreuses à temps partiel, au chômage ou sans activité3Fanny Godet, Écart de salaire entre femmes et hommes en 2022, Insee, 5 mars 2024.. En 2021, elles représentaient par exemple 59,3% des salariés au Smic d’après la Dares. L’enquête démontre ici qu’à ce sujet, l’attente en matière d’égalité professionnelle décroît quand le niveau de diplôme augmente. Depuis 2017, les actions gouvernementales se sont concentrées sur l’égalité salariale des femmes diplômées qui semblent en tirer des bénéfices. Mais les femmes victimes des faibles rémunérations liées à leur activité attendent toujours que les pouvoirs publics s’occupent d’elles. Ainsi, alors que le 8 novembre sera la date à partir de laquelle les femmes travailleront gratuitement jusqu’à la fin de l’année d’après Les Glorieuses, les écarts salariaux ont des conséquences tangibles sur le niveau et les conditions de vie des femmes. Dans son rapport annuel de l’état de la pauvreté en France en 2023, le Secours catholique-Caritas France parlait d’une « féminisation de la pauvreté ». Les femmes, et notamment celles qui ont des enfants, représentent un quart du public accueilli par l’association.
L’enquête met également en lumière la situation des mères isolées : le pouvoir d’achat est une priorité pour 57% des familles monoparentales. En 2020, l’Insee recensait 25% de familles monoparentales : dans 82% de ces familles, ce sont des femmes qui sont à leur tête4Élisabeth Algava, Kilian Bloch, Isabelle Robert-Bobée, Les familles en 2020 : 25% de familles monoparentales, 21% de familles nombreuses, Insee, 13 septembre 2021.. Ces foyers sont davantage exposés à la pauvreté et la précarité, et notamment à la privation matérielle et sociale, comme le notait dernièrement l’Insee dans une étude sur l’année 2023. Portées par les associations féministes de longue date – des associations centrées sur cette question s’étant constituées ces dernières années, comme la Collective des mères isolées –, les revendications des familles monoparentales, comme celle de la création d’un « statut du parent isolé », commencent à être prises en charge par les assemblées parlementaires et entendues par les pouvoirs publics. En mars 2024, la délégation sénatoriale aux droits des femmes rendait un rapport sur les familles monoparentales assorti de 10 recommandations. Le 8 mars 2024, se tenait la première « Assemblée des familles monoparentales5Alexia Lamblé, « Des citoyens consultés sur une loi en cours de rédaction via une application, une première en France », Libération, 18 avril 2024. » au Palais Bourbon afin que les mères isolées contribuent à l’élaboration d’une proposition de loi transpartisane sur le sujet, portée par Philippe Brun (PS), Sarah Legrain (LFI) et Stéphane Lenormand (Liot) ; une autre proposition de loi visant à réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales était déposée en avril 2024, portée par des députés principalement communistes et notamment ultramarins.
Dans un contexte budgétaire qui fait craindre une dégradation des dispositifs de solidarité et des filets sociaux, à défaut d’un effort majeur pour combler les inégalités salariales de genre, les femmes seront les premières victimes de l’austérité.
Le système de santé, préoccupation n°2 : les problématiques spécifiques des femmes en matière de santé
Le système de santé est la deuxième préoccupation citée par les femmes à 35%, soit 6 points de plus que les hommes (29%), la santé n’arrivant pour eux, en ordre prioritaire, qu’en troisième position. Là encore, l’âge, la catégorie socio-professionnelle et le mode de vie sont éclairants. Cette préoccupation s’accroît avec l’avancée en âge des femmes : pour 36,7% des 35-59 ans et jusqu’à 38% de 60 ans et plus, soit 3 points de plus que la moyenne des femmes interrogées. C’est également le cas chez les retraités qui y sont également plus sensibles (37%) ainsi que les personnes vivant dans des territoires ruraux (36%).
Ces chiffres permettent de mettre en lumière le spectre de problématiques qui touchent les femmes en matière de santé, domaine dans lequel elles ont tout au long de leur vie des besoins spécifiques. Or, les difficultés d’accès aux soins ont des impacts sur leur prise en charge, notamment en ce qui concerne la santé sexuelle et reproductive. Manque de professionnels de santé dans certains territoires, fermeture de maternités en particulier des maternités de proximité, difficultés d’accès à l’IVG dans certains départements6À noter, 18% des IVG sont réalisées dans un autre département que le département de résidence des femmes qui ont recours à l’avortement. Voir Annick Vilain, Jeanne Fresson, Camille Lauden, La hausse des IVG réalisées hors établissement de santé se poursuit en 2023, Drees, 25 septembre 2024., les femmes sont les premières à être confrontées aux manquements de notre système de soins et à subir une rupture dans le continuum de soins en santé sexuelle et reproductive dont elles ont besoin. Ce constat était corroboré dans la note de la Fondation Jean-Jaurès réalisée par Émilie Agnoux et Émilie Nicot sur ce sujet, la santé étant l’une des principales carences relevées par les femmes interrogées vivant en milieu rural, en termes d’accès aux services publics. C’est d’ailleurs ce que montre le Baromètre de l’accès à l’IVG du Planning familial réalisé par l’Ifop : selon 58% des personnes interrogées, les femmes vivant en zone rurale rencontrent plus de difficultés d’accès à l’avortement.
Les chiffres illustrent également la problématique du vieillissement et les sujets qui peuvent en découler (maladie, dépendance, isolement) avec la surreprésentation des femmes plus âgées et des retraités parmi les personnes interrogées. En effet, les femmes ont tout d’abord une espérance de vie plus importante que les hommes (85,7 ans en moyenne d’après l’Insee). Toutefois, les femmes âgées sont davantage exposées à la pauvreté et la précarité : en raison des inégalités salariales mentionnées précédemment, les femmes retraitées touchent en moyenne une retraite de 40% de moins que les hommes, de 28% de moins en tenant compte des pensions de reversion. De ce fait, elles sont plus nombreuses que les hommes à vivre sous le seuil de pauvreté : 10,1% des femmes de plus de 75 ans contre 6,6% des hommes de cette tranche d’âge. Notons d’ailleurs que la réforme des retraites a pour conséquence de pénaliser davantage les femmes qui travailleront plus longtemps que les hommes, comme n’avaient cessé de le dénoncer les syndicats durant la mobilisation contre cette réforme. Alors qu’une loi sur le grand âge a été adoptée en avril dernier, la dimension du genre dans le grand âge demeure un tabou et un impensé, ou du moins un « peu-pensé », les femmes âgées étant invisibilisées en raison des stéréotypes qui pèsent sur elles.
Enfin, l’enquête révèle que les femmes sont ainsi les plus en demande de réponses de la part des pouvoirs publics : 86% d’entre elles en appellent à un renforcement des services de santé dans les petites villes « même si cela peut conduire à une hausse d’impôts » (soit deux points de plus que les hommes), quels que soient les territoires.
Au-delà d’être concernées par leur propre problématique de santé, les femmes y sont particulièrement sensibles parce qu’elles s’occupent de celle des autres. Ce sont elles qui assurent la prise en charge et le soin de leur famille (aînés comme enfants) et de leur entourage, jouant très souvent le rôle d’aidantes, comme le mettent en avant les travaux universitaires sur l’étude du care. Devons-nous rappeler également le pourcentage de femmes exerçant des métiers du soin (aides à domicile, infirmières, sage-femmes, etc.) ? Cette éthique du care pourrait ainsi expliquer les raisons pour lesquelles la santé est au cœur des priorités des femmes.
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Abonnez-vous« Féministe, moi non plus » : la société française et son ambivalence face à l’égalité entre les femmes et les hommes et au féminisme
Un consensus fort de l’opinion publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, mais un moindre consensus envers le féminisme
Près de 9 Français sur 10 soutiennent l’égalité femmes-hommes. Cette aspiration à aller vers plus d’égalité est corroborée par les 6 Français sur 10 qui se déclarent féministes. On assiste à une progression de 10 points dans l’opinion en comparaison de l’enquête qu’Harris Interactive avait menée il y a dix ans pour Grazia. Cette progression est particulièrement notable chez les hommes qui n’étaient que 42% à se dire féministes quand, aujourd’hui, ils sont 58% (soit 16 points de plus). Incontestablement, nous pouvons y voir là un effet du mouvement #MeToo et de la prise de conscience collective de notre société sur les enjeux féministes.
Là encore, sans surprise, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à se dire favorables à l’égalité femmes-hommes (91% vs 85%, soit 6 points de plus). Étant elles-mêmes les premières concernées par les discriminations liées au genre, les femmes constituent un groupe social de fait plus sensible à la prise en considération de cette thématique par les pouvoirs publics, comme l’ensemble des enquêtes de victimation le montre depuis des années. En revanche, à la question « Diriez-vous de vous-même que vous êtes féministe ? »7L’échantillon de près de 11 000 personnes interrogées a été scindé en deux : le premier échantillon représentatif a ainsi répondu à la question « Diriez-vous de vous-même que vous êtes en faveur d’aller plus loin vers l’égalité entre les femmes et les hommes ? », le second à « Diriez-vous de vous-même que vous êtes féministe ? »., la réponse affirmative est moins massive, le pourcentage tombant à 64%. Mais l’écart est encore plus net sur l’appréhension de cet adjectif de la part des hommes : alors que 15% des hommes reconnaissent tout de même ne pas être en faveur de l’égalité femmes-hommes, ils sont encore plus nombreux – à 42% – à rejeter le féminisme. Preuve, s’il en est, du chemin qu’il reste encore à parcourir pour combler l’écart entre l’incantation consensuelle quand on parle d’égalité entre les femmes et les hommes et la réalité du sexisme, des stéréotypes de genre et du conservatisme, révélatrice des privilèges de la domination masculine auxquels certains hommes ne souhaitent manifestement pas renoncer. Entre la théorie et la pratique, il y a donc encore un (immense) pas à franchir…
Ces chiffres nous offrent plusieurs enseignements et questionnements. Tout d’abord, ils continuent de nous poser la question lancinante de la place des hommes dans le combat féministe : où sont-ils ? Quand vont-ils comprendre que lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes concerne tout autant les premières que les seconds ? Le débat que soulève entre autres actuellement le procès de Mazan indique que nous commençons à effleurer le sujet mais que l’introspection individuelle devra se poursuivre à titre collectif8Voir Lola Lafon, « Procès des viols de Mazan : en faire un boucan d’enfer », Libération, 5 septembre 2024 ; Camille Froidevaux-Metterie, « Oui, tous les hommes sont coupables, coupables d’être restés des indifférents ordinaires », Le Monde, 19 septembre 2024..
Cependant, une partie des hommes interrogés demeure réticente, voire opposée, aux revendications défendues par les mouvements féministes. À l’origine exprimé pour désigner une pathologie médicale, le terme « féministe » est d’abord utilisé par Alexandre Dumas fils en 1872. L’intention péjorative est assumée : il s’agit de critiquer et railler les activistes qui militaient pour les droits des femmes. Deux siècles plus tard, le mot « féministe » est encore entaché de ces représentations stéréotypées, particulièrement de la part des franges conservatrices et d’extrême droite qui en dévoient le sens.
Enfin, il nous semble important de noter qu’à rebours des représentations simplistes sur la corrélation entre un niveau de diplôme élevé et un soutien aux revendications égalitaires, c’est chez les bac+5 et plus que l’on trouve le plus grand nombre d’interrogés considérant que « cela va trop loin » – ils sont 13%, alors qu’ils ne sont que 10% chez les sondés ayant un niveau d’études inférieur au bac.
Génération post-#MeToo : le rôle des jeunes femmes ou l’illustration d’un modern gender gap
À l’ère post-#MeToo, qui sont les femmes féministes ? Leur profil montre des variations nettes selon l’âge, la catégorie sociale, le diplôme, et le positionnement politique. Les femmes de moins de 35 ans – 75% des 18-24 ans et 68% des 25-34 ans – sont plus nombreuses à se revendiquer féministes. C’est également le cas des femmes ayant un niveau de diplôme niveau bac+3-4 (72%) et bac+5 et plus (73%) et CSP+ (75% chez les cadres vs chez 60% des ouvrières). Enfin, les électrices qui se positionnent à gauche de l’échiquier politique se déclarent féministes à 81% quand elles sont seulement 56% à droite.
Le facteur générationnel est ici intéressant à analyser. Au même titre que l’inquiétude du changement climatique et les mobilisations qu’il suscite sont une caractéristique générationnelle (29% des moins de 35 ans se déclarent inquiets, +4 points par rapport à la moyenne du panel), on assiste à une appropriation du féminisme et à un engagement dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles plus forts chez les jeunes, ces derniers ayant grandi dans le contexte du renouveau des mouvements féministes depuis les années 2010 et surtout de #MeToo en 2017.
Cet attachement aux questions féministes s’observe nettement chez les jeunes femmes de moins de 35 ans. Quand seulement 6% des personnes interrogées mettent la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les trois premiers sujets qui les préoccupent, c’est le cas pour 16% d’entre elles (soit 10 points de plus que la moyenne du panel, et même 11 points de plus que la moyenne des femmes). Idem pour ce qui est des discriminations : cet item est important pour 18% des femmes de moins de 35 ans, soit 8 points de plus que la moyenne des Français.
Plus nombreuses à se considérer comme féministes, ce sont elles aussi qui sont les plus promptes à souhaiter que les pouvoirs publics aillent plus loin dans la lutte contre les inégalités femmes-hommes et le sexisme : les femmes de 18-24 ans considèrent à 79% qu’on ne va « pas assez loin », soit 10 points de plus que la moyenne des femmes (69%). Même constat parmi les femmes qui considèrent que les pouvoirs publics doivent en faire beaucoup plus dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles – on retrouve plus d’une femme sur deux de 18-24 ans (53%) quand ce pourcentage chute à 37% chez les femmes de plus de 70 ans.
Deux éléments permettent d’expliquer la prépondérance des jeunes femmes à appréhender les enjeux féministes et à en faire une priorité. Les jeunes femmes de moins de 35 ans sont tout d’abord surexposées aux violences sexistes et sexuelles, comme les enquêtes de victimation le révèlent9Voir à cet égard les enquêtes de référence, Enveff et Virage.. On peut aussi y voir un effet #MeToo qui a permis de visibiliser la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles, conduisant à une sensibilisation plus forte de ces questions auprès des jeunes femmes.
Analysée par les sciences humaines et sociales, la propension des jeunes femmes à être plus progressistes que la moyenne, et surtout que les jeunes hommes, s’observe dans les démocraties occidentales. On parle alors de modern gender gap10Olivier Monod, « Genre et élections : les jeunes femmes plus à gauche que les jeunes hommes », Libération, 11 juillet 2024 ; John Burn-Murdoch, « A new global gender divide is emerging », Financial Times, 26 janvier 2024.. L’élection présidentielle aux États-Unis où Joe Biden l’a emporté en 2020 et les élections législatives en Pologne en 2023 où la coalition libérale et de centre-gauche a gagné, renversant le parti d’extrême droite Droit et justice jusqu’ici au pouvoir, attestent de la mobilisation des jeunes femmes notamment pour la défense du droit à l’avortement attaqué dans ces deux pays et combien elles ont, en partie, contribué à la bascule dans ces scrutins.
L’inquiétante percée de la radicalité masculiniste chez les jeunes hommes
À l’opposé du progressisme des jeunes femmes de moins de 35 ans, le positionnement des jeunes hommes de cette tranche d’âge ne peut qu’interroger en raison de leur appréhension dichotomique de l’égalité femmes-hommes.
Certes, ils se montrent davantage sensibles aux thématiques du changement climatique et à la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, comme les jeunes femmes de leur tranche d’âge. Certes, ils le sont davantage que leurs aînés. En effet, on retrouve 14,5% des hommes de moins de 35 ans préoccupés par les discriminations, soit 4,5 points de plus que la moyenne, et 5,5 points de plus que la moyenne des hommes. Idem pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : ils sont 9% à considérer cette thématique importante, soit plus de 3 points de plus que la moyenne du panel et 4 points de plus que la moyenne des hommes.
Toutefois, les jeunes hommes montrent une appropriation de façade des enjeux féministes, pour ne pas dire une résistance voire un rejet pur et simple. Ils se révèlent ainsi comme étant les moins favorables à l’idée d’aller plus loin en matière d’égalité femmes-hommes. Alors que chez les femmes, ce sont les plus jeunes qui sont les plus allantes sur le sujet (92%), la courbe s’inverse chez les hommes : ils ne sont que 83% des moins de 35 ans à vouloir aller dans ce sens, soit 9 points de moins que leurs congénères féminines, et 4 de moins que les hommes de 60 ans et plus. Dit autrement, ils sont parmi les plus défavorables à l’idée d’aller plus loin pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes : plus de 17%, soit 5 points de plus que la moyenne du panel interrogé (12%), et même plus que leurs aînés (2 points de plus que les 35 à 59 ans et 4 points de plus que les 60 ans et plus).
Cette ambivalence est notable quand on observe les réponses à la question « Diriez-vous de vous-même que vous êtes féministe ? » : tout en étant les plus nombreux parmi les hommes interrogés à répondre « Oui, tout à fait » à 15,5% (vs 12% pour l’ensemble des hommes), ils sont également les plus nombreux à répondre « Non, pas du tout » à 15%, soit 2 points de plus que la moyenne des hommes (13%). Cette classe d’âge met en lumière une division nette entre des jeunes hommes alliés de la cause féministe et d’autres rejetant fortement ces combats. À noter que les résultats chez les hommes de 35-49 ans peuvent aussi être source d’inquiétudes au regard des chiffres : ils sont 16% à répondre « Non, pas du tout », soit 3 points de plus que la moyenne des hommes et répondre « Non » en moyenne à 48%, soit 6 points de plus que la moyenne sur l’ensemble des hommes.
Ces données vont dans le sens du Baromètre annuel sur le sexisme du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qui alertait en janvier 2024 sur la prégnance du sexisme et l’ancrage des stéréotypes genrés chez les jeunes hommes, mais aussi sur les conséquences de l’influence des discours masculinistes sur les réseaux sociaux11Voir à cet égard le rapport d’Equipop et de l’Institut du genre en géopolitique, Contre les discours masculinistes en ligne, 16 octobre 2023.. En effet, pour ne citer qu’un chiffre sur l’importance des clichés virilistes auxquels les jeunes hommes adhèrent : 22% et 25% des jeunes de 18-24 et 25-24 ans considèrent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter en tant qu’homme dans la société. Ainsi, il est urgent de mettre en place les trois séances d’éducation complète à la sexualité prévues par la loi Aubry de 2001. L’ensemble du tissu associatif féministe, porté par un collectif rassemblant entre autres le Planning familial, la Fédération nationale Solidarité femmes ou encore l’Assemblée des femmes réclame son application12Seulement 15% des élèves en bénéficieraient. et a rappelé, dans le cadre du livre blanc Pour une véritable éducation complète à la sexualité, la nécessité de faire ce travail de prévention, de sensibilisation et d’information auprès des jeunes garçons et filles. C’est ainsi que dès le plus jeune âge, nous pourrions lutter contre les stéréotypes, faire ce travail d’apprentissage de l’autre pour plus d’égalité et prévenir ainsi les violences sexistes et sexuelles. La nouvelle secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, Salima Saa, a déclaré récemment vouloir avancer sur le sujet en ouvrant « le sujet de la culture du consentement et avoir une vraie ouverture sur les sujets de santé sexuelle et d’éducation à la vie affective13« Éducation sexuelle à l’école : la secrétaire d’État Salima Saa veut « qu’elle soit vraiment appliquée » », Le Parisien avec l’AFP, 26 septembre 2024. ». La société civile féministe ne manquera pas de continuer à mettre ce dossier à l’agenda politique du nouveau gouvernement.
Les priorités identifiées par l’opinion publique pour bâtir une politique publique consacrée aux droits des femmes
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles et les inégalités professionnelles : une attente forte de la part de l’opinion publique et en particulier des femmes
Que ce soient vis-à-vis des pouvoirs publics ou vis-à-vis des mouvements féministes, l’ensemble du panel interrogé manifeste une attente forte pour lutter contre les violences, et notamment les violences sexistes et sexuelles. 93% des femmes (soit 2 points de plus que les hommes) considèrent qu’il faut en faire beaucoup plus pour lutter contre le harcèlement scolaire ; 91% d’entre elles (soit 2 points de plus que les hommes là aussi) qu’il faut en faire beaucoup plus pour que les femmes se sentent en sécurité dans l’espace public. Et l’écart avec les hommes est encore plus important pour ce qui est de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : 89%, soit 5 points de plus que les hommes. Enfin, la priorité assignée au mouvement féministe, parmi celles proposées au panel, concerne la lutte contre les violences faites aux femmes à 43% aussi bien chez les femmes que les hommes interrogés.
Les questions économiques et sociales viennent ensuite pour former le trio de tête des priorités, et tout particulièrement pour les femmes : la lutte contre les inégalités professionnelles entre femmes et hommes (37% des femmes vs 31% hommes) et l’arrivée de davantage de femmes à des postes de responsabilité majeurs (19% des femmes vs 15% hommes). Les femmes sont aussi plus nombreuses à demander aux pouvoirs publics de prendre en considération le sort des familles monoparentales – à 62%, soit 3 points de plus que les hommes. Au regard de ces différentes priorités identifiées, nous observons que l’égalité professionnelle est plutôt une préoccupation de gauche tandis que la lutte contre les violences est transpartisane.
Cette double priorité – lutte contre les violences sexistes et sexuelles ; lutte contre les inégalités professionnelles – reconfirme, s’il en était besoin, l’urgence à agir dans ces domaines et à mettre en œuvre des actions pour lutter contre les ressorts structurels et systémiques qui enkystent notre société patriarcale. La Fondation des femmes estimait en septembre dernier dans son rapport Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? qu’entre 2,6 et 5,4 milliards d’euros seraient nécessaires pour lutter contre les violences masculines. Dans le contexte des discussions budgétaires autour du projet de loi de finances 2025, espérerons que les droits des femmes dans leur ensemble ne soient pas sacrifiés sur l’autel de l’austérité…
Les droits des femmes : un marqueur du clivage gauche-droite et du clivage entre affiliés à une religion et sans religion
Si l’enquête met en exergue l’érosion progressive du traditionnel radical right gender gap – concept de science politique tendant à expliquer la tendance des femmes à moins voter pour l’extrême droite que les hommes que de nombreuses chercheuses comme Nonna Mayer, Christèle Lagier ou encore Anja Durovic étudient –, elle traduit aussi l’hostilité de l’électorat d’extrême droite envers les questions d’égalité femmes-hommes et le féminisme.
Lors des élections européennes de juin dernier, dans l’électorat à gauche, les femmes ont été un peu plus nombreuses (32,5%) que les hommes (31%). Cependant, leurs suffrages se sont aussi tournés vers l’extrême droite (Rassemblement national et Reconquête ! compris) à 35%. En revanche, on voit ici un différentiel par rapport aux hommes qui ont voté pour le RN et Reconquête ! à 39%, soit 4 points de plus que les femmes. Mais si on penche sur les résultats des dernières élections législatives, on constate que l’électorat féminin se fracture en deux blocs : les forces de gauche font jeu égal avec l’extrême droite, les unes et les autres rassemblant 31,5% de leurs voix. Et l’écart se creuse encore davantage (un point de plus en comparaison avec les élections européennes) au sein de l’électorat d’extrême droite qui récolte 36,5% des voix des hommes contre 31,5% des voix des femmes.
Sans doute pouvons-nous attribuer cela à l’augmentation du taux de participation aux deux tours des législatives qui a battu des records (à 66,7% pour le premier comme pour le second) et au sursaut qui s’est opéré pour ne pas voir l’extrême droite accéder au pouvoir. Incontestablement, la crainte de voir l’extrême droite gouverner et les menaces qu’elle fait peser sur les droits, et notamment ceux des femmes, des LGBTI+ et des minorités, ont contribué à la mobilisation d’un front républicain. Ces résultats seront à observer lors des prochaines échéances électorales pour voir si un radical gender right gap se rétablit ou non.
Toujours est-il que l’enquête rappelle, si tant est qu’il le fallait, combien l’électorat d’extrême droite est en réalité opposé à l’égalité entre les femmes-hommes et demeure hostile au féminisme et aux avancées des droits des femmes14Voir à ce sujet Amandine Clavaud, Droits des femmes : le grand recul, Fondation Jean-Jaurès/L’Aube, 2023 ; Amandine Clavaud, Lucie Daniel, Clara Dereudre, Lola-Lou Zeller, Droits des femmes : combattre le backlash, Fondation Jean-Jaurès/Equipop, 13 février 2023.. C’est cet électorat qui rejette le plus massivement l’égalité entre les femmes et les hommes et le féminisme. Les électeurs et électrices d’extrême droite constituent l’électorat le plus opposé à l’égalité femmes-hommes : 41% de Reconquête !, 22% de la droite souverainiste, 19% des LR-RN ; 16,4% du RN. Et sur le curseur à donner en termes de politiques publiques, ce sont eux aussi qui répondent le plus que nous allons « trop loin » en la matière. On retrouve d’ailleurs là la particularité du vote pour le parti d’Éric Zemmour dont l’électorat essentiellement masculin est l’illustration du traditionnel radical right gender gap comme nous l’avions observé lors de l’élection présidentielle en 202215Louise Jussian, Les questions de genre et de sexisme dans le vote à la présidentielle, Fondation Jean-Jaurès, 8 novembre 2021. : 39% d’entre eux considèrent que nous allons « trop loin » en ce qui concerne la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et contre le sexisme, soit plus du double que la moyenne à 12%. Parmi les 39% des Français qui affirment ne pas être féministes, l’électorat d’extrême droite est prégnant avec 57% d’électeurs et électrices de LR-RN, 51,4% de Reconquête ! et 48,5% du RN qui y ont répondu.
Tandis que l’électorat se définissant comme « très à droite » est deux fois plus nombreux que la moyenne (9,4%) à se déclarer pas du tout féministe (18,4%), à l’autre bout de l’échiquier politique, l’appréhension du féminisme est bien plus importante auprès de l’électorat se positionnant à gauche à 76%, soit 14 points de plus que la moyenne des personnes se déclarant féministes, et à 74% pour l’électorat du NFP. C’est à gauche que nous voyons une volonté d’aller plus loin pour lutter contre les inégalités à plus de 78% pour l’électorat du NFP, soit 16 points de plus que la moyenne. En revanche, c’est au sein de l’électorat d’Ensemble et de LR (33%) ainsi que de celui des divers centre-UDI (43%) que l’on pense qu’on est « au bon niveau » en matière d’égalité femmes-hommes. Ce souhait d’une forme de statu quo pourrait être vu comme le signe du soutien à la politique gouvernementale menée en la matière depuis 2017.
Enfin, alors que 61% de notre panel se caractérise comme féministe, l’adhésion monte à 65% chez les personnes sans religion. En revanche, seuls 55% des protestants, 54% des catholiques pratiquants, 47% des juifs et 46% des musulmans pratiquants se disent féministes. Ces résultats confirment ce que les luttes féministes ont maintes fois révélé : les idéologies religieuses constituent des pôles de résistance à l’égalité, aux droits des femmes et à l’émancipation.
À la recherche d’une traduction et d’une incarnation politique des enjeux féministes…
Nous avons ainsi noté la permanence du clivage gauche-droite quant à l’appréhension de l’égalité femmes-hommes en tant que politique publique et au féminisme en tant que conception politique du monde. Nous avons demandé à l’échantillon d’identifier le parti politique qui défend le mieux l’égalité femmes-hommes et la lutte contre le sexisme. Les résultats témoignent d’une tripartition de l’opinion politique. Près de la moitié des femmes (45%) considèrent qu’aucun parti politique n’est réellement engagé pour l’égalité femmes-hommes, c’est le cas pour 35% des hommes. Ces chiffres illustrent d’une part une absence de prise en compte des revendications féministes dans le corpus programmatique des partis politiques, mais aussi un manque d’incarnation de ces enjeux par les responsables politiques. D’autre part, l’écart de 10 points entre les femmes et les hommes signale une alerte notable de la part des femmes dont les préoccupations ne semblent pas trouver de traduction politique.
Pourtant, si les partis à gauche – La France insoumise, le Parti socialiste et Les Écologistes – sont jugés plus crédibles par l’opinion publique, agrégeant 30%, reste que 15% des personnes interrogées pensent que le Rassemblement national défend l’égalité femmes-hommes et la lutte contre le sexisme. On remarque derrière ce pourcentage des variations suivant la catégorie socio-professionnelle, le niveau de diplôme, le niveau de vie, la catégorie d’agglomération et la religion. Ainsi, il y a une surreprésentation des ouvriers (28%), des employés (18%), des personnes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat (24%), vivant dans des communes isolées (22%), avec moins de 1999 euros de revenus (18%), catholiques (17%).
Cependant, au-delà de ces variables, notons que c’est là aussi qu’il y a les pourcentages les plus élevés de personnes qui ne sont « pas du tout » en faveur de l’égalité femmes-hommes (25%), « pas du tout » féministes (23%) et qui pensent que nous allons « trop loin » dans ce domaine (19%). La dédiabolisation des idées d’extrême droite dans le débat public s’est aussi opérée sur le terrain des droits des femmes car Marine Le Pen avait bien compris que la mue de son parti ne pouvait se faire sans capter les voix des femmes qui manquaient à son père. Les résultats de l’enquête soulignent la dualité qui coexiste aujourd’hui, au sein même de l’électorat d’extrême droite, lorsqu’il est question d’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, le RN fait preuve de duplicité et de duperie à cet égard – en témoignent les votes de ce parti au Parlement européen et à l’Assemblée nationale ou encore les déclarations anti-IVG de certains de leurs parlementaires –, devant composer avec une base électorale attachée à la défense d’un modèle familial traditionnaliste et opposée à la défense des droits des femmes et des LGBTI+, et une nouvelle plus composite et moins conservatrice sur ces sujets.
Conclusion
L’ensemble des résultats de l’enquête démontre que c’est bien la question sociale qui préoccupe les femmes et qui constitue l’un des ressorts principaux de leur vote. Alors que nous assistons à une progressive résorption du radical right gender gap du fait de l’égalitarisation des comportements électoraux sur le temps long, combiné aux effets de la dédiabolisation du Rassemblement national conduisant à la montée du vote des femmes à leur endroit, la mobilisation des dernières élections législatives est-elle le signe d’un retour du radical right gender gap ? Si tel est le cas, il ne pourra réapparaître (entre autres) que si les forces politiques issues du front républicain appuyées par les mouvements féministes s’emparent des questions économiques et sociales en intégrant la dimension du genre dans leurs propositions pour s’adresser ainsi plus directement aux femmes, premières concernées par les problématiques de pouvoir d’achat, qui découlent des inégalités professionnelles, et pour porter ainsi un agenda féministe dans l’ensemble des politiques publiques.
- 1Enquête réalisée entre le 26 juillet et le 1er août 2024 par internet auprès d’un échantillon représentatif de 11 024 personnes âgées de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.
- 2Christelle Craplet, Adelaïde Zulfikarpasic, Entre difficultés à boucler les fins de mois et peur d’un « grand déclassement » : le pouvoir d’achat s’est imposé comme la préoccupation n°1 des Français, Fondation Jean-Jaurès, 25 juin 2024.
- 3Fanny Godet, Écart de salaire entre femmes et hommes en 2022, Insee, 5 mars 2024.
- 4Élisabeth Algava, Kilian Bloch, Isabelle Robert-Bobée, Les familles en 2020 : 25% de familles monoparentales, 21% de familles nombreuses, Insee, 13 septembre 2021.
- 5Alexia Lamblé, « Des citoyens consultés sur une loi en cours de rédaction via une application, une première en France », Libération, 18 avril 2024.
- 6À noter, 18% des IVG sont réalisées dans un autre département que le département de résidence des femmes qui ont recours à l’avortement. Voir Annick Vilain, Jeanne Fresson, Camille Lauden, La hausse des IVG réalisées hors établissement de santé se poursuit en 2023, Drees, 25 septembre 2024.
- 7L’échantillon de près de 11 000 personnes interrogées a été scindé en deux : le premier échantillon représentatif a ainsi répondu à la question « Diriez-vous de vous-même que vous êtes en faveur d’aller plus loin vers l’égalité entre les femmes et les hommes ? », le second à « Diriez-vous de vous-même que vous êtes féministe ? ».
- 8Voir Lola Lafon, « Procès des viols de Mazan : en faire un boucan d’enfer », Libération, 5 septembre 2024 ; Camille Froidevaux-Metterie, « Oui, tous les hommes sont coupables, coupables d’être restés des indifférents ordinaires », Le Monde, 19 septembre 2024.
- 9Voir à cet égard les enquêtes de référence, Enveff et Virage.
- 10Olivier Monod, « Genre et élections : les jeunes femmes plus à gauche que les jeunes hommes », Libération, 11 juillet 2024 ; John Burn-Murdoch, « A new global gender divide is emerging », Financial Times, 26 janvier 2024.
- 11Voir à cet égard le rapport d’Equipop et de l’Institut du genre en géopolitique, Contre les discours masculinistes en ligne, 16 octobre 2023.
- 12Seulement 15% des élèves en bénéficieraient.
- 13« Éducation sexuelle à l’école : la secrétaire d’État Salima Saa veut « qu’elle soit vraiment appliquée » », Le Parisien avec l’AFP, 26 septembre 2024.
- 14Voir à ce sujet Amandine Clavaud, Droits des femmes : le grand recul, Fondation Jean-Jaurès/L’Aube, 2023 ; Amandine Clavaud, Lucie Daniel, Clara Dereudre, Lola-Lou Zeller, Droits des femmes : combattre le backlash, Fondation Jean-Jaurès/Equipop, 13 février 2023.
- 15Louise Jussian, Les questions de genre et de sexisme dans le vote à la présidentielle, Fondation Jean-Jaurès, 8 novembre 2021.