Daniel Leclercq, l’iconique entraîneur de Lens et de Valenciennes, nous a quittés. Les hommages très émouvants qui lui sont rendus par les supporters, en particulier par le Kop lensois de la Marek, les joueurs et les dirigeants dans les différents clubs qu’il a entraînés témoignent du lien très fort qu’il avait su nouer avec les habitants d’une région dont il était devenu non seulement une idole mais un emblème. Porteur d’un football exigeant et généreux, sa réussite charriait avec elle la fierté et les espoirs de tout un territoire.
On se souviendra longtemps de son physique atypique, à la fois imposant et rassurant, de sa carcasse de géant d’un mètre quatre-vingt-cinq, de sa tignasse blonde filasse et de son regard bleu, profond, perçant. Une allure à nulle autre pareille qui lui avait valu son surnom de « druide ».
Doté d’une patte gauche de velours, agile techniquement, le grand Daniel savait conserver le ballon et trouver des transversales improbables. Joueur pondéré, appliqué et exigeant, on lui reprochait de « touiller » dans le rond central et de ne pas mettre de rythme dans un match. Mais pour assurer le succès des Sang et Or, ne fallait-il associer à la fougue étincelante d’un Didier Six la maîtrise avisée d’un Daniel Leclercq ?
Repasser les images de la carrière du capitaine des Sang et Or, c’est tourner les pages de l’album Panini d’un football aujourd’hui disparu. C’est plonger dans le football de la pré-mondialisation, quand l’argent n’avait pas encore étiolé le suspense des compétitions. C’était d’abord le temps des copains et de l’aventure…
C’était le football où David donnait du fil à retorde à Goliath, comme ce 2 novembre 1977. Le Racing, malmené à Rome deux semaines plus tôt (2-0 contre la Lazio), offrait à sa ville la joie d’une victoire 6-0 en Coupe UEFA – le pendant passionnant d’une Ligue Europa devenue bien morne aujourd’hui.
C’était le temps où l’on faisait souvent carrière dans un ou deux clubs. Homme du Nord, né à Trith-Saint-Léger, dans la banlieue de Valenciennes, Daniel Leclercq passera sa carrière de joueur principalement dans le Nord et le Pas-de-Calais. À Lens, il jouera plus de 350 matchs sous le maillot Sang et Or. Son escapade marseillaise à 21 ans n’écorne pas l’image d’Épinal, elle s’apparente à un voyage de jeunesse, une escapade.
Quand il raccroche les crampons dans les années 1980, il enchaîne aussitôt avec une carrière d’entraîneur. Il repassera par les mêmes clubs, écumera la même région – de Bavay à Bavin, de Guesnain à Billy-Berclau, d’Arleux-Fechain au SC Douai, ce club amateur du Douaisis qu’il connaissait si bien. Le grand Daniel n’aura jamais rechigné à mettre son expérience au service du football amateur.
C’est en 1997 qu’il est nommé au poste d’entraîneur du Racing Club de Lens où il succède à Roger Lemerre qui l’a recommandé au président du club, Gervais Martel. Plutôt discret sur le terrain, l’homme fend l’armure une fois sur le banc de touche. D’habitude taciturne, on entend tonner sa voix, celle du combattant, du viking, du passionné, du coléreux voire de l’intransigeant. Loin de l’homme au sourire humble que beaucoup lui connaissait en dehors du stade.
Nombreux se rappellent de ce championnat de France 1998, magnifique prélude à un mois de juillet historique. Pendant neuf mois, c’est la France abandonnée de Lens et de Metz qui domina la France, dans un formidable mano a mano dont les Lensois sortirent vainqueur à l’ultime journée. Les Artésiens et les Lorrains ne seront départagés qu’à la dernière journée, par leur différence de buts – une première dans l’histoire.
Le soir même, l’équipe et le staff lensois se retrouvent à trois heures du matin au stade Félix-Bollaert pour fêter ce titre de champion devant trente mille personnes. Le lendemain, les hommes de Leclercq défilent dans les rues de la ville jusqu’à la mairie, accompagnés par une foule impressionnante, du jamais-vu depuis la Libération, diront les anciens.
Cette année-là, une ville de 35 000 habitants dominait le football hexagonal et pouvait en imposer à Bordeaux, Lyon ou Paris.
Au mois de juin suivant, le stade Bollaert vivra un nouveau moment de liesse exceptionnelle, quand à la 113e minute, Laurent Blanc qualifiera les Bleus d’Aimé Jacquet pour les quarts de finale de la coupe du monde. Pourtant, aujourd’hui encore la ville se souvient davantage de cette nuit de mai, où le Racing de Daniel Leclercq et Gervais Martel créait la sensation en devenant champion de France. Ils récidiveront l’année suivante en empochant la coupe de la Ligue – encore aux dépens de Metz.
Mais l’Hexagone ne leur suffisait pas ! Les Lensois se lancent à la conquête de l’Europe et terminent la même année demi-finaliste de la coupe de l’UEFA. Et Daniel Leclercq sera aux commandes lors de la retentissante victoire des Sang et Or à Wembley contre Arsenal (0-1) le 25 novembre 1998 en Ligue des Champions.
1998, ce fut l’année du football français, et dans ce football, l’année de ceux que l’on oublie, que l’on regarde parfois de haut, ceux de cette France en déshérence, capable pourtant de nous rendre tous si fiers.
Il faut dire que le « druide » était un adepte du football panache. Dans les années 1990, c’était audacieux alors que le jeu devenait plus fermé, plus tactique, plus verrouillé. Partout, il imposait son 4-3-3, quelle que soit la compétition, quel que soit l’adversaire. Il fallait assumer son identité de jeu, l’identité d’une ville amoureuse du football bien plus que des résultats. Une ville tout entière derrière son club, et qui en attendait autant de ses joueurs ou entraîneurs. Daniel Leclercq était fait du même charbon de bois.
Gervais Martel, le président du RC Lens, et Daniel Leclercq ont formé un duo qui a marqué les annales du club. Sous leur houlette, c’est bien plus qu’un club qui a gagné, c’est une région. Un peuple qui enfin pouvait prendre sa revanche, retrouver sa fierté contre un ordre économique qui a vu la fin des mines, la fin d’une société, le début du chômage, des galères et pour beaucoup de la misère. Les exploits du « onze », c’était mieux qu’une échappatoire, un espoir, un salut.
Daniel Leclercq fait partie du patrimoine du RC Lens et du bassin minier. Aujourd’hui c’est toute une région qui salue l’un de ses héros, et tout un sport qui se souvient avec lui d’une époque révolue et, pour certains, plus humaine.