Critique du programme du Rassemblement national concernant le travail

Que dit le Rassemblement national sur le travail ? Paul Delostal et André Gaiffier, membres de l’Observatoire de l’économie de la Fondation, se penchent sur les propositions du parti d’extrême droite dans ce domaine, qui s’inscrivent dans une orientation libérale (refus des hausses de salaires au profit de primes, fragilisation de la protection sociale, renforcement de sanctions sur les chômeurs). Ces mesures, loin de protéger les salariés, favoriseraient les entreprises et augmenteraient les inégalités. Mais au-delà, les auteurs montrent que le RN reste sur ses fondamentaux historiques avec la préférence nationale comme boussole qui marquerait une rupture d’égalité dans notre contrat social.

Mise à part la mention de la convocation d’une vague conférence sociale sur les conditions de travail et les salaires, le programme du Rassemblement national (RN) est étonnamment très silencieux sur les sujets liés au travail. De même, en 2022, parmi les 15 livrets thématiques, aucun ne portait sur le travail. 

En réalité, les propositions du Rassemblement national s’inscrivent dans la droite ligne des politiques menée par Emmanuel Macron ou Nicolas Sarkozy : refus des hausses de salaires au profit de primes ou de défiscalisation fragilisant le financement de la protection sociale ; alignement sur les politiques de flexibilisation et de renforcement des sanctions sur les chômeurs. L’alliance avec Éric Ciotti devrait confirmer cette ligne.

Plutôt des primes que des hausses de salaire

En matière de salaire, le RN a montré à l’Assemblée nationale qu’il était pleinement aligné sur la politique du gouvernement consistant à privilégier les primes sur les hausses de salaires. Le RN s’est ainsi opposé à la revalorisation du Smic à 1500 euros en pleine crise énergétique1Voir le site de l’Assemblée nationale lors du vote du 20 juillet 2022. tandis qu’il a voté le projet de loi pouvoir d’achat du gouvernement instaurant la prime de partage de la valeur, ancienne prime Macron. Cette politique souffre des mêmes insuffisances que la politique du gouvernement : 

  • les primes ponctuelles se substituent largement à des hausses de salaires pérennes. Or, selon l’Insee2Insee, Prime de partage de la valeur : des versements massifs fin 2022, avec de potentiels effets d’aubaine, mars 2023., au second semestre 2022, les versements de prime de partage de la valeur se seraient substitués à hauteur d’environ 30% à des revalorisations de salaire, soit un manque à gagner moyen de 240 euros pour les salariés. Le caractère facultatif du dispositif ainsi que la défiscalisation et la désocialisation des versements favorisent les effets d’aubaine et incitent les entreprises à recourir à ces primes plutôt qu’à des augmentations de salaire pour rehausser la rémunération de leurs salariés ;
  • cette politique fragilise le financement de la protection sociale : une estimation du Conseil d’analyse économique (CAE)3Maria Guadalupe, Camille Landais et David Sraer, Que faut-il attendre des mécanismes de partage de la valeur ?, Conseil d’analyse économique, juillet 2023. Cette estimation vaut pour les dispositifs facultatifs comme la prime de partage de la valeur (PPV) et ne semble pas prendre en compte les coûts liés à la spécificité du régime fiscal de la PPV pour les salariés dont la rémunération est inférieure à trois Smic. considère que chaque euro distribué à travers la prime de partage pour la valeur (PPV) correspond à une perte de recette de 0,38 centime pour les finances publiques – en raison des exonérations d’impôt sur les sociétés mais aussi des effets de substitution avec les salaires soumis à cotisations sociales.

Aujourd’hui, le RN propose pour soutenir le pouvoir d’achat une baisse de cotisations sociales sur les revalorisations salariales de +10% pour les rémunérations inférieures à trois Smic.

  • Une telle mesure constituerait une perte de recettes massive pour la Sécurité sociale : elle entraînerait un manque à gagner pour la Sécurité sociale de l’ordre de 12 milliards d’euros en  20294Institut Montaigne, Législatives 2024. Exonérer les entreprises des cotisations patronales sur les hausses de 10% des grilles de salaire pour tous les salariés sous 3 Smic.. Au regard de sa grande complexité, ce dispositif ne pourrait être temporaire5Cela impliquerait de traiter différemment sur le plan fiscalo-social la fraction du salaire résultant de la hausse provoquée par le dispositif. et se traduira nécessairement, sauf mise en place de mécanismes de rattrapage particulièrement brutaux, par une baisse de cotisations sociales à moyen terme ; 
  • mal ciblé, ce mécanisme devrait d’abord bénéficier aux salariés relativement mieux rémunérés. En effet, la mesure cible des rémunérations allant jusqu’à trois Smic (5300 euros bruts mensuels) et conduira à de probables effets d’aubaine en octroyant des aides pour des revalorisations qui auraient quand même eu lieu. Les salariés les plus vulnérables, disposant d’un pouvoir de négociation plus faible, bénéficieront moins de cette mesure dont les effets sectoriels risquent d’être très contrastés. 

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La poursuite des politiques d’aides massives aux entreprises pour soutenir l’emploi

En matière d’apprentissage, le RN est totalement aligné avec la politique d’aides aux entreprises du gouvernement. Marine Le Pen proposait ainsi en 2022 une aide à l’embauche des apprentis, versée à la fois au salarié et à l’entreprise, pouvant atteindre jusqu’à 8000 euros pour les jeunes de 18 à 30 ans, soit un montant total correspondant au maximum de la crise sanitaire pour un ciblage encore plus large. Or, le retour d’expérience de la politique de soutien au recrutement des apprentis mise en place par la majorité actuelle souligne les limites de cette politique : 

  • un tel dispositif est insoutenable : comme l’a montré Bruno Coquet pour l’OFCE6Bruno Coquet, Apprentissage : un bilan des années folles, OFCE, 14 juin 2023., le mécanisme d’aide à l’embauche pour le recrutement d’un apprenti a conduit à une explosion du coût de cette politique à 20 milliards d’euros en 2022, soit + 230% depuis 2018 ;
  • cette politique engendre des effets d’aubaine massifs : selon l’OFCE7Ibid., sur les 460 000 emplois d’apprentis attribuables à l’aide exceptionnelle mise en place pendant la pandémie de Covid-19, 210 000 se seraient substitués à des emplois qui auraient été créés même en l’absence d’aide ; 
  • ces dispositifs ne bénéficient pas aux jeunes qui en auraient besoin. Les étudiants les plus qualifiés ont été les premiers bénéficiaires du renforcement des aides à l’apprentissage. Le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage pour les diplômés du supérieur a été multiplié par plus de 4,5 entre 2017 et 2022 tandis que les entrées pour un niveau égal ou inférieur au bac ne représentent plus que 37,5% des nouveaux contrats en 2022 contre 63% en 2017, comme le montre un rapport de la Cour des comptes8Cour des comptes, Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l’apprentissage, juillet 2023. ;
  • à n’en pas douter, une partie substantielle de l’aide versée aux apprentis sera captée par l’entreprise qui pourra verser une moindre rémunération : l’effet de substitution au salaire de cette aide publique serait également fort.

La préférence nationale comme seule boussole sur les retraites

Sur les retraites comme ailleurs, le positionnement du RN est versatile. Après avoir promis un retour à 60 ans en 2017, Marine Le Pen défendait lors de la campagne présidentielle de 2022 le refus de tout allongement de l’âge de la retraite. Interrogé, Jordan Bardella se réfugie derrière l’état des finances publiques pour renvoyer à un « second temps » de son éventuel mandat la question de l’abrogation de la réforme menée par le gouvernement d’Élisabeth Borne. Point d’étonnement quant à la volte-face du RN sur les retraites, quand l’on se souvient de la ligne tout aussi opportuniste suivie par LR, mais en sens opposé : après avoir défendu un report de l’âge de la retraite à 65 ans en 2030 lors de la campagne de Valérie Pécresse, le parti d’Éric Ciotti a prôné au cœur du tumulte de la réforme une montée en charge très progressive avec un seuil de 64 ans atteint en 2024 uniquement9« Réforme des retraites : Éric Ciotti est « persuadé que » la proposition de loi du groupe Liot « n’ira pas au bout du processus législatif » », France Info, 9 mai 2023..

Au-delà de l’âge de départ à la retraite, le vote des députés RN à l’Assemblée nationale10Voir site de l’Assemblée nationale à ce sujet. lors du débat sur la récente réforme des retraites de 2023 laisse entrevoir un projet xénophobe et non financé : seuls 215 amendements ont été déposés lors de l’examen du PLFSS rectificatif portant cette réforme, et le RN s’est abstenu ou opposé à tous les amendements créant des recettes nouvelles (hausse de la CSG sur les revenus du capital, contribution exceptionnelle sur les dividendes, hausse des cotisations vieillesse sur les hauts revenus, assujettissement de l’intéressement). Sans proposer aucune alternative, les députés ont ignoré ces pistes de rééquilibrage du régime. Leur principale ressource aurait consisté en la quasi-suppression de la prime de réinsertion familiale et sociale des anciens migrants – pourtant aujourd’hui peu coûteuse car octroyée uniquement à des retraités en situation régulière âgés de plus de 65 ans – et en la restriction des allocations familiales et de la prestation d’accueil du jeune enfant aux seuls ménages de nationalité française11Michel Soudais, « Retraites : ce que prône vraiment le Rassemblement national », Politis, 23 février 2023..

Cette préférence nationale pour le travail et la protection sociale est totalement contraire au principe d’égalité devant la loi, à valeur constitutionnelle, qui ne permet de régler des situations différentes par des règles différentes que si cette différence est en lien direct avec la loi. Ainsi, le principe d’égalité devant la loi s’applique de manière uniforme aux étrangers et aux Français en matière de protection sociale, et les prestations sociales ne peuvent être subordonnées à une condition de nationalité, comme l’ont reconnu le Conseil d’État12Conseil d’État, Ville de Paris, bureau d’aide sociale de Paris c/M. Lévis, 30 juin 1989. puis le Conseil constitutionnel13Conseil constitutionnel, Décision n° 89-269 DC, 22 janvier 1990.. Enfin le cœur du projet du RN consiste en une retraite progressive, favorisant nettement les travailleurs ayant à travailler le plus tôt.

Le vernis social du RN craque sur la gestion de l’assurance-chômage

Sur l’assurance-chômage, bien que le parti d’extrême droite affirme dans son programme dévoilé le 24 juin dernier vouloir abroger la réforme prévue pour juillet 2024, ses tiraillements entre nouvelle ligne sociale et héritage libéral du FN rendent son positionnement illisible. Pourtant, son programme et son bilan parlementaire montrent que le RN a systématiquement suivi sa ligne historique et contribué à affaiblir les droits des salariés et des personnes privées d’emploi et le dialogue social. Malgré des déclarations sur la nature « subie » du chômage, Marine Le Pen, tenante d’une ligne « sociale » au sein du parti, n’a consacré aucune ligne au traitement du chômage dans son programme présidentiel. Lors de la réforme de 2022, le groupe RN ne s’est quasiment pas exprimé en commission des affaires sociales sur le texte (deux minutes d’intervention sur huit heures de débat), et c’est bien la ligne historique du FN de dénonciation de « l’assistanat » qui a largement prévalu lorsque c’était le cas. En effet, le RN s’est montré encore plus strict que la majorité et LR sur la fin des allocations-chômage pour les employés refusant un CDI à la fin de leur CDD, arguant que ces refus étaient surtout le fait de personnes diplômées et favorisées cherchant tirer profit d’un système trop généreux14Clément Guillou, « Assurance-chômage : discret, le Rassemblement national défend tout de même sa préférence nationale », Le Monde, 12 octobre 2024..

Les études récentes de la Dares démontrent pourtant le contraire : les situations d’alternance d’épisodes d’emploi et de chômage indemnisé de courte durée sont minoritaires, subies, et les stratégies d’optimisation financière de l’indemnisation demeurent rares15Quels sont les usages des contrats courts ?, Dares, 6 mai 2021.. Les CDI sont généralement refusés pour des raisons de rémunération inférieures au CDD, ou bien en raison du manque d’attractivité du poste ou de l’entreprise, ou enfin du fait de conditions de travail inadéquates pour le salarié (horaires décalés, travail le dimanche). Le RN a également voté en faveur d’un amendement de LR assimilant les abandons de poste à des démissions, fragilisant la situation des salariés16« Réforme de l’assurance-chômage : l’Assemblée nationale vote l’assimilation de l’abandon de poste à une démission », Le Monde avec AFP,  5 octobre 2022.. Enfin, tout à ses obsessions xénophobes, le RN a repris les antiennes du FN sur la réduction des droits au chômage des étrangers hors Union européenne, et l’interdiction de la présence d’étrangers au sein des instances représentatives du personnel, dans le but d’éviter les « ingérences étrangères », dont il est pourtant familier17Clément Guillou, « Assurance-chômage : discret, le Rassemblement national défend tout de même sa préférence nationale », Le Monde, 12 octobre 2024..

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