Covid-19 : l’épidémie européanise-t-elle enfin notre débat public ?

L’épidémie de Covid-19 pose d’immenses défis pour l’Union européenne et ses vingt-sept États membres en termes de gestion de crise et de coordination. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, était en direct sur France 2 pour un entretien – une première dans le paysage audiovisuel national, comme le note Théo Verdier, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès qui en appelle à une européanisation du débat public.

Ursula von der Leyen a répondu en direct sur un plateau de France 2 le 16 avril dernier et à une heure de grande écoute aux questions que se posent Français et Européens sur la sortie de crise. L’émission constitue en quelque sorte un événement historique dans le paysage audiovisuel national, où l’Union européenne et ses acteurs politiques ne sont que peu visibles. Et ce, même sur les antennes du service public.

La prise de parole de la présidente de la Commission européenne s’inscrit dans une tendance générale. Depuis l’émergence de l’épidémie sur le Vieux Continent, les responsables politiques des vingt-sept États membres de l’Union européenne (UE) multiplient les prises de parole pan-européennes à travers plusieurs grands médias nationaux, décloisonnant leur expression du seul cadre national.

Nécessité fait loi

Ces interviews transnationales, un exercice jusqu’alors réservé à quelques rares chefs d’État, se multiplient à la faveur de la crise. On peut citer à titre d’exemple la prise de parole de Mario Centeno, le président de l’Eurogroupe, auprès de cinq grands médias européens – dont Le Figaro – pour exposer l’accord des ministres des Finances de la zone euro sur un financement destiné aux États les plus touchés. Une enveloppe évaluée à près de 500 milliards d’euros. Sur un autre registre, on pourrait également signaler les excuses d’Usrula von der Leyen formulées dans une lettre au peuple italien publiée par le quotidien La Repubblica pour avoir trop tardé à soutenir la péninsule.

Ces prises de parole répondent à une nécessité : peser dans le jeu politique du continent. L’épidémie touche l’ensemble des pays membres de l’Union et ses citoyens partagent aujourd’hui une même expérience, celle du confinement. Nos économies, nos régions frontalières, tout comme notre fonctionnement démocratique, sont interconnectés à un niveau tel que l’échelle européenne est devenue une composante essentielle de la réponse à la crise pour les gouvernements nationaux. Et ce, que ce soit pour fermer les frontières extérieures de l’espace Schengen, assurer l’approvisionnement en équipements de protection individuelle, rapatrier les Européens partis à l’étranger ou encore investir massivement dans la relance de notre économie.

Faire converger l’avis de vingt-sept opinions publiques différentes

Face à ce besoin commun, l’Union doit toutefois faire converger l’avis de vingt-sept opinions publiques, s’exprimant au sein de vingt-sept systèmes démocratiques différents. Les intérêts divergents des populations de chaque État membre occasionnent un conflit de volontés lorsque les dirigeants européens ferment la porte des réunions du Conseil européen pour négocier. On l’a vu notamment sur la question des « coronabonds », une potentielle émission de dettes communes aux pays de la zone euro, conçue en vue de mutualiser le coût de la crise. Une solution budgétaire exigée par l’Italie et l’Espagne, qui fait cependant l’objet d’une fin de non-recevoir de la part des dirigeants du nord de l’Europe, néerlandais et allemands plus particulièrement. Pour faire bouger les lignes, convaincre les uns et les autres, on aura ainsi vu le Premier ministre italien Giuseppe Conte s’adresser directement à l’opinion allemande à travers l’hebdomadaire allemand Die Zeit. « Si nous sommes une Union, le temps est venu de le prouver », a-t-il notamment déclaré. Une initiative complémentaire de celle de Pedro Sanchez pour rassembler des alliés en France. Le Premier ministre espagnol avait averti dans une tribune du journal Le Monde : « Même les plus européistes, comme l’Espagne, ont besoin de preuves d’un réel engagement de l’UE ». La même dynamique a poussé Bruno Le Maire à détailler face à un panel de correspondants de médias européens la proposition d’un « fonds de relance » dédié à l’après-épidémie. Une solution de consensus poussée par la France pour faire la synthèse entre l’Europe du nord et du sud sur la mutualisation des dettes liées à l’épidémie.

L’ampleur de cette crise oblige ainsi les décideurs politiques à une prise en compte accrue des enjeux européens dans leur communication. Ce qui constitue un défi majeur pour l’information en France, où les principaux médias font preuve de difficultés importantes à rendre visible la vie politique de l’Union européenne. Une étude de la Fondation Jean-Jaurès et de l’INA rappelait en décembre 2019 que les principaux journaux télévisés et radiophoniques ne consacraient que 3% de leur temps d’antenne aux enjeux communautaires. La question demeure ainsi posée : les rédactions hexagonales parviendront-elles à améliorer leur couverture des questions communautaires pour exposer aux Français la façon dont l’Union combat le virus ?

 

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