Covid-19 en Afrique : le temps des tribunes, la bourse et la vie

Dans le contexte de la pandémie du Covid-19, François Backman, membre de l’Observatoire de l’Afrique subsaharienne de la Fondation, analyse la teneur de différentes tribunes et prises de position récentes de responsables politiques et d’intellectuels africains.

« We know how to bring the economy back to life. What we don’t know is how to bring people back to life »
Nana Akufo-Addo, président du Ghana, 28 mars 2020

Depuis quelques semaines, de très nombreuses tribunes sont parues concernant les défis que pose le Covid-19 à l’Afrique. Les lignes qui suivent proposent un très rapide survol d’une vingtaine de ces prises de paroles – collectives ou non, prêchant pour leur paroisse ou ayant une vision plus globale, émanant de membres de la société civile ou d’acteurs institutionnels, focalisées sur les défis immédiats ou pensant déjà la suite –, toutes publiées dans les trois premières semaines d’avril 2020.

De membres de think tanks à divers (ex-)ministres et Premier ministres africains, du président togolais à son hyper-actif homologue sénégalais Macky Sall, du prix Nobel Wole Soyinka à Gauz, talentueux écrivain ivoirien, en passant par Ursula von der Leyen ou Emmanuel Macron, la liste des contributeurs est longue.

On y retrouve les thématiques attendues que l’on peut diviser – et non pas opposer – en trois grands ensembles. Les uns, de par leur position, insistent d’abord sur les aspects économiques et financiers de la crise tandis que d’autres accentuent leurs propos sur des aspects plus terre à terre mais tout aussi importants, voire nettement plus urgents dans certains cas (crise alimentaire et humanitaire). Enfin, quelques contributeurs évoquent la dimension politique de la crise.

La bourse : give them enough hope ?

Les appels au sujet d’un aménagement de la dette africaine n’ont pas manqué. Certains évoquent une « annulation » pure et simple, d’autres un « allégement », « une suspension » ou un « moratoire ». Ici, les mots ont un sens et traduisent des points de vue plus différents qu’on ne pourrait le penser. On notera que les « voyants-dette » étaient déjà au rouge depuis quelques mois pour nombre d’observateurs déplorant l’endettement de nombreux pays africains. Plusieurs présidents ouest-africains (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Sénégal, Togo) étaient d’ailleurs montés au créneau sur ce point, notamment début décembre 2019 à Dakar lors d’une réunion avec la directrice du Fonds monétaire international (FMI) sur le thème « Développement durable et dette soutenable : trouver le juste équilibre ». Notons également que 40% de la dette africaine est détenue par la Chine.

Derrière cela, c’est toute la question de la gouvernance économique des États africains et des choix, plus ou moins volontaires, de leurs élites qui se posent. Le président sénégalais Macky Sall note à ce propos qu’« il est temps (…) de redéfinir l’ordre des priorités » (8 avril), suivi en cela par un collectif d’intellectuels africains qui note qu’« un modèle d’économie de rente, fondé sur l’exportation de matières premières non transformées en attendant des recettes extérieures volatiles est suicidaire » (10 avril).

Certains à l’instar de Tidjane Thiam, dans une tribune rédigée juste avant sa nomination comme l’un des quatre envoyés spéciaux de l’Union africaine pour financer la crise (les « Quatre Fantastiques » comme on les a baptisés), notent également que « les leaders doivent garantir que ces précieuses ressources, une fois mobilisées, seront utilisées à bon escient » (14 avril), avis aux seconds couteaux et autres troisièmes larrons qui seraient tentés de détourner une partie des aides…

Le FMI a déjà œuvré sur l’étalement des dettes de certains pays africains et le G20 fait des déclarations en ce sens. Certains commentateurs quelque peu pressés y voient là une solution quasi-miracle. Rappelons à ces derniers que pour le moment, il n’y a guère d’annulation, on fonctionne essentiellement en mode « report ». Et pour certains, à l’instar de Kako Nubukpo (15 avril), les vieilles recettes ne permettront pas de vraiment régler le problème. D’une certaine façon, ce n’est que reculer pour mieux sauter, semble-t-il déplorer. Le ministre des Finances du Bénin note quant à lui que « L’allégement de la dette ou un moratoire constitue dans ce contexte un appel à l’indulgence des créanciers et n’apporte pas de solutions structurelles aux difficultés des États » (23 avril). Derrière cela, on trouve une fois de plus la thématique de la transparence de la gestion et de la bonne gouvernance.

La vie : le sac de riz d’abord

Si les conséquences de la crise initiée, voire révélée, par le Covid-19 touchent aux finances, aux économies et aux dettes africaines, on doit d’abord, nous disent certains, agir urgemment pour éviter que la crise ne devienne une crise alimentaire et humanitaire. En effet, derrière les mécanismes macro-économiques, il y a le quotidien des populations. Les plus pauvres, notamment dans l’espace sahélien, risquent fort de devoir faire face à une crise humanitaro-alimentaire d’une amplitude rappelant des années qu’on aimerait oublier. En outre, la crise acridienne qui secoue l’Afrique de l’Est, qui lamine plantations et récoltes, est loin d’être terminée. Et certaines modélisations envisagent l’arrivée des criquets pèlerins en Afrique de l’Ouest pour la mi-2020. Puissent-elles se tromper.

On le comprend aisément, à côte des droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI, des postes de réanimation et du nombre de lits, il y a le sac de riz. « Laisser se développer la compétition des crises est le moyen le plus sûr de n’en résoudre aucune », note Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest-OCDE (16 avril).

Le politique : vox clamantis in deserto

Les critiques relatives au copier-coller de méthodes occidentales pour combattre la maladie affleurent dans certains propos. Ainsi, l’écrivain ivoirien Gauz note assez caustiquement que les dispositions pour lutter contre le Covid-19 ont été prises par de vieux dirigeants africains sur le modèle du vieux continent européen. Vieux dirigeants qui, écrit-il, « ratent une belle occasion de faire preuve d’intelligence » en appliquant des recettes venues d’ailleurs sans de surcroît en communiquer le bien-fondé aux populations (16 avril).

On évoque alors des solutions africaines. Certains tenants de cette ligne en appellent, au nom d’un panafricanisme à la fois sincère et peut-être un peu naïf, à la prise en compte de nouveaux paradigmes. Certes, mais pouvait-on palabrer à n’en plus finir sur des modes de riposte africains pour tenter de juguler les crises ? En avait-on le temps et la volonté dépassant le stade des belles paroles ? Pas sûr… D’ailleurs après lecture de certains textes (mais fort heureusement pas de tous), il suffit de remplacer l’adjectif africain·e·s par européen·ne·s, asiatique·s ou caribéen·ne·s pour avoir une tribune clefs en mains valable quasiment pour tout autre espace géographique…

Plus profondément, certains auteurs rappellent fort justement que l’urgence ne doit pas constituer un mode de gouvernance (13 avril) et qu’en fin de compte la crise n’est pas seulement sanitaire, ni même purement économique, mais qu’elle est et reste(ra) politique. Ainsi Hamidou Anne insiste sur le fait qu’il ne faut pas la dépolitiser et pose la question de l’État, d’un État fort et stratège, éloigné des semblants d’institutions étatiques dont sont encore dotés certains pays africains, et seuls capables d’agir (1er avril). Même écho, trois semaines plus tard, chez Amadou Sadjo Barry qui note que si la crise est uniquement traitée au niveau sanitaro-économique, les choses n’avanceront guère et que quasiment rien ne sera fondamentalement changé pour l’après (21 avril), lointain écho aux déclarations du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian craignant « que le monde d’après ressemble au monde d’avant, mais en pire » ?

Derrière ces quelques tribunes, dont certaines insistent fort justement sur le potentiel dont dispose l’Afrique pour faire face, on entraperçoit les stratégies mises en place par les dirigeants du continent et notamment la manière dont ils les communiquent tant envers leurs populations qu’à destination de l’international. Écrire ou signer une tribune n’est jamais innocent. Ainsi peut-on voir diverses approches émanant des présidents africains. À côté de leaders volontaristes et moteurs sachant quand il le faut jouer collectif (Macky Sall au Sénégal, Paul Kagame au Rwanda), on trouve des isolés (Faure Gnassingbé au Togo) et certains qui montent, semble-t-il, dans le train qui passe (Ibrahim Boubacar Keïta au Mali). Signe là encore de la diversité des leaderships présidentiels en Afrique. Nous y reviendrons.

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