Covid-19 en Afrique : Aïd el Fitr, virus et messages présidentiels

À l’occasion de la fin du ramadan, l’Aït el Fitr, les dirigeants des différents pays d’Afrique ont tenu des discours particuliers, dans un contexte de pandémie liée au coronavirus. François Backman décrypte ces prises de parole et rappelle que, malgré la communication bien rodée de certains leaders, nombre d’économies du continent – et des segments entiers de populations – vont payer la crise au prix fort.

Merci à Guy-Arnaud Béhiri, « spécimen rare », et Alexandre Konan Dally pour avoir relu ces lignes.

En Afrique comme dans le monde entier, le ramadan a été vécu sur fond de Covid-19, les pratiques religieuses des fidèles se trouvant plus ou moins bouleversées. L’Aïd El Fitr, Korité en Afrique de l’Ouest, Sallah au Nigéria ou encore Aïd as-Seghir dans la Corne du continent, célèbre la fin de ce mois de jeûne et de prières. Cette année comme lors des précédentes, quasiment tous les présidents africains ont adressé un message à leur population. Bien évidemment, ces adresses varient en fonction de la composition religieuse du pays, des sensibilités – confessionnelles et communicantes – de chaque leader et des rapports de forces politiques existants. Certains se sont contentés d’un service minimum avec les traditionnels mots aimables et empathiques, d’autres – essentiellement anglophones – en ont profité pour adresser de manière souvent appuyée divers messages.

Notons que, cette année, la date de l’Aïd arrivait entre l’Ascension et la journée de l’Afrique du 25 mai. Africa Day qui n’aura récolté que quelques déclarations lénifiantes, sauf exception. Venait la fête de la Pentecôte quelques jours plus tard. En matière de communication, il y avait là une carte à jouer : profiter d’un moment symbolique pour parler et mobiliser contre le virus et ses conséquences, recadrer si besoin, puis donner des perspectives et des portes de sortie. Force est d’admettre que peu de leaders en ont profité…

Notons aussi que du fait des mesures prises pour lutter contre le virus, le ramadan s’annonçait plus coûteux que d’habitude. Sur un plan plus politique, on avait pu constater dans certains pays à majorité musulmane des tensions entre les pouvoirs et les dignitaires religieux concernant notamment la fermeture-réouverture des mosquées. Rappelons également que le principe de laïcité est inscrit dans la Constitution de nombreux États (Cameroun, Guinée, Mali, Sénégal, Tanzanie, Tchad, Togo, etc.).

En route pour un très rapide survol de messages présidentiels assez fortement virus-oriented, de Tunis à Prétoria, de Banjul à Djibouti, en passant par Dakar, Lagos ou Mogadiscio, où le spirituel laisse assez souvent place à des considérations plus temporelles.

Des paroles plus ou moins scénographiées et scénarisées

Si plusieurs présidents se contentent de délivrer leurs messages depuis leur bureau, à l’instar d’Ali Bongo, ou apparaissent masqués, tel Yoweri Museveni, certains leaders se mettent en scène en montrant l’exemple comme le Sénégalais Macky Sall qui, à la mi-mai 2020, a autorisé la réouverture des lieux de culte et marchés en imposant le port du masque. Cette année, point de grande mosquée de Dakar comme à l’accoutumée pour le leader sénégalais puisqu’on le voit prier seul, à la présidence, signe qu’en temps de troubles, le chef est toujours là. C’est quasiment la même chose pour l’Ivoirien Alassane Ouattara priant depuis sa résidence avec masque sur le visage, au milieu de quelques proches respectant scrupuleusement leurs distances.

Autre façon de faire, celle du président nigérien Mahamadou Issoufou qui, en compagnie de son Premier ministre et de diverses personnalités, va se recueillir à la Mosquée des grandes prières de Niamey. Guère de distanciation sociale ou de mesures barrières, d’ailleurs peu appliquées au Niger. Il en va de même à Djibouti où Ismaël Omar Guelleh participe à la grande prière.

Plus prudent peut-être, le président malien accomplit sa prière en son palais de Koulouba accompagné de son gouvernement et des ambassadeurs des pays musulmans représentés dans le pays. Contraste saisissant entre le faste du palais présidentiel et les rues de Bamako…

Idriss Deby, lui, adresse un rapide message aux Tchadiens et la presse du pays s’intéresse surtout au discours qu’il tient à destination des oulémas qu’il reçoit. Ici, c’est l’image du « boss du Sahel », s’adressant à d’autres chefs, passant ses consignes contre le virus, « dans ce combat dont j’ai pris la tête », qui est valorisée. Encore et toujours le « je » du ruler qu’on pourrait opposer au « nous » du leader sénégalais.

Plus protocolaire et moins axé sur son « je », apparaît le Tunisien Kaïs Saïed, nœud de cravate impeccable, s’adressant à ses compatriotes depuis une salle marbrée de son palais, rappelant la scénographie de White House, debout derrière son pupitre, drapeau à l’arrière. Dernier exemple, plus tech et anglophone cette fois-ci, celui du président ghanéen, qui participe à une cérémonie virtuelle organisée depuis le siège de la télévision nationale.

On le voit, la palette de mise en situation des leaders est assez large.

Propos prophylactiques et considérations post-électorales

Certains dirigeants se contentent du service minimum en postant un très bref message sur les réseaux sociaux (Bénin, Burkina Faso, Rwanda, Somalie, Togo), d’autres profitent de l’occasion pour développer un discours souvent très orienté sur la santé, en mode « respect des consignes ». Même les plus courts, à l’instar du Comorien Azali Assoumani qui rappelle dans ses quelques lignes qu’il faut prier à la maison et en famille. Nombreux sont ceux qui remercient leur communauté musulmane pour les efforts accomplis durant la période, comme le leader libérien George Weah. Dans la pandémie, jouer la carte sanitaire et tenter d’apparaître comme un leader protecteur, voire quasiment prophylactique, est un passage imposé.

Mais, très souvent, les préoccupations politiques ne sont jamais bien loin. Et de nombreux dirigeants évoquent, à mots plus ou moins couverts et de manière plus ou moins subtile, la situation. On met de côté Dieu pour en revenir à des préoccupations plus temporelles, notamment dans les pays venant de connaître des échéances électorales.

Ainsi en Guinée, Alpha Condé, après un référendum constitutionnel controversé, et malmené depuis des mois par une opposition vent debout contre un éventuel troisième mandat, joue à fond la carte de l’union de tous et de la mobilisation contre le virus, en ayant quelques difficultés à être audible semble-t-il. Même chose au Mali, où Ibrahim Boubacar Keïta, sortant d’élections législatives fort discutées, après les évocations d’usage, en appelle à la libération de Soumaïla Cissé, son principal opposant, enlevé depuis près de deux mois par des groupes supposés djihadistes. Dans ce dernier cas, on retrouve l’image d’un leader subissant qui ne peut que mettre en avant ses « supplications » pour « conforter notre pays dans sa marche résolue vers la paix, la sécurité, l’unité et le développement. »

Plus globalement, on a ici deux exemples de présidents quelque peu acculés par la situation, que ce soit au niveau sanitaire, économique et international. Le Mali et la Guinée ne s’étant pas singularisés dans la lutte anti-Covid, ses dirigeants se contentant tout au long de la crise d’une communication banale et de déclarations pas vraiment au niveau des enjeux. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la crise « covidienne », qui aurait pu leur permettre de rebondir et d’enclencher une nouvelle dynamique, ne fait que dégrader encore leur image. Sale temps pour les hôtes de la Sekoutoureya et de Koulouba…

C’est un peu la même chose en Algérie, troisième pays du continent le plus touché après l’Afrique du Sud et l’Égypte, où le président Abdelmadjid Tebboune après les formules d’usage entend mettre les points sur les « i » : « Pour venir à bout de l’épidémie et en finir rapidement avec la situation actuelle, nous devons être durs avec nous-mêmes. C’est pourquoi je réitère mon appel, notamment en direction des jeunes, à faire preuve de patience face à l’effort qui reste à fournir et à interagir positivement avec les mesures préventives exceptionnelles durant les deux jours de l’Aïd. » Derrière cela, c’est de la gestion du Hirak dont il s’agit et de l’état peu glorieux de l’économie algérienne.

Pour certains leaders, une occasion d’aller plus loin

La crise multidimensionnelle initiée par le virus impose de revoir les priorités, de mettre en place des mesures de contre-attaque. Pour certains présidents, la période se prête à continuer sur leur lancée en élargissant le combat : la Covid-19 n’est pas le seul problème. Certains entendent jouer sur la responsabilité de leurs concitoyens, leur fibre patriotique et la fierté nationale, en rappelant que l’économie, la sécurité et la stabilité restent des objectifs phares.

Une fois n’est pas coutume, le Ghanéen Nana Akufo-Addo, dans un discours évoluant entre épidémiologiste, économiste et technicien, insiste sur le maintien des mesures de distanciation sociale. Il évoque ensuite une consultation de diverses instances pour d’éventuels nouveaux assouplissements, afin d’avoir une « feuille de route claire » pour la suite. Il note également que « grâce à Dieu », les prévisions apocalyptiques ne se sont pas avérées, que le système de santé ghanéen a tenu le choc et que le pays dispose de moyens techniques en mode « 3Ts : tracing, testing and treating ». Derrière cela se pose toute la question de restrictions insupportables pour les populations : « We have to find a way back, but in safety, for we cannot be under these restrictions forever. » Le président ghanéen n’apporte pas de solutions nécessairement toutes faites, ne se place pas en leader omniscient continuant sa guerre contre la menace mais en dirigeant responsable faisant un point d’étape et se montrant aux côtés de ses compatriotes. Nana Akufo-Addo entend ses concitoyens, leur parle, les comprend, et prendra toutes les mesures nécessaires à leur protection pour un retour à une vie normale, telle est l’image de proximité qu’il entend donner. Il récidive le 31 mai dernier, dans un dixième discours à la nation insistant sur le fait que l’épidémie n’est pas terminée – « Yes, there exists the possibility of a potential surge in infections » – et annonçant de nouvelles mesures.

Au Kenya, pays très majoritairement chrétien, et première économie d’Afrique de l’Est, le président, dans sa septième adresse à la nation, en profite pour faire le point sur les conséquences économiques de la pandémie (« it is fundamentally an economic crisis ») à l’image de son homologue ghanéen. Et Uhuru Kenyatta évoque les huit grands points de son programme de relance axé sur le « Buy Kenya, Build Kenya ». Patriotisme économique d’abord, telle est la recette kenyane, comme celle de quasiment tous les chefs d’État de la planète.

Dans un pays majoritairement musulman et économiquement défavorisé, le Tchad en l’occurrence, c’est presque la même petite musique. En effet, Idriss Deby invite les leaders religieux, toutes confessions confondues, à amplifier les campagnes de sensibilisation, insistant sur le civisme de ses compatriotes qui laisse un peu à désirer. Il insiste sur le fait que la Covid-19 n’est pas la seule menace que doit affronter le pays. Outre Boko Haram et les autres maladies endémiques, il rappelle que l’année 2020 risque, en matière agricole, d’être placée sous le signe de la famine et entend mobiliser toutes les forces vives du pays. En Gambie, Adama Barrow fait de même lorsqu’il évoque l’arrivée de la saison des pluies.

Le virus n’est ni le seul fléau, ni le seul problème, telle est la morale. C’est également sur cette ligne que se positionne le Tunisien Kaïs Saïed qui, dans un discours télévisé d’une quinzaine de minutes, s’en prend aux forces de l’ancien régime benaliste et annonce que la Tunisie est, elle aussi, en proie à d’autres épidémies (déstabilisation émanant de « nostalgiques du passé », défis économiques, etc.). Fidèle à ses habitudes discursives, il rappelle que les « maladies les plus dangereuses sont celles qui affectent les esprits avant d’affecter le reste du corps ».

Dernier exemple avec l’Afrique du Sud, première économie du continent, où la croissance devrait reculer de plus de 60% en 2020. Cyril Ramaphosa, dans un discours au-dessus du lot de ses homologues africains ou occidentaux, ne jargonne pas. Il annonce diverses mesures et joue la carte de la vérité, loin des allégations dilatoires de certains de ses pairs. Rendant vraiment hommage à ses compatriotes, il annonce une nouvelle phase de la lutte contre le virus, tout en affirmant que ce sont les actions de tous les Sud-Africains qui « détermineront le sort de notre nation ». Il n’hésite pas à annoncer que la Covid continuera sa progression et que la situation risque de s’aggraver : « And we should expect that these numbers will rise even further and even faster. (…) In fact, the risk of a massive increase in infections is now greater than it has been since the start of the outbreak in our country ».

Cyril Ramaphosa est également président de l’Union africaine. Son second discours, lors de l’Africa Day du 25 mai dernier, est lui aussi très virus-focused. Il affirme que la pandémie risque de mettre à mal l’Agenda 2063 et la Zone de libre-échange continentale africaine. Il en appelle à la relance des économies, à l’union et à la solidarité. Pas sûr qu’il soit écouté sur ces deux derniers points, chacun ayant fortement tendance à jouer dans son coin au chacun pour soi…

Que conclure de ce rapide tour d’horizon ? Par-delà leur forme et leur fond, ces propos traduisent les difficultés des dirigeants du continent à gérer « l’après » et les problèmes qu’ils rencontrent pour toucher leurs compatriotes. L’heure est à l’urgence. La crise covidienne risque fort de casser les dynamiques enclenchées ou d’accentuer plus encore les problèmes. Dans plusieurs pays, les conséquences économiques et sociales vont tourner au drame pour les plus défavorisés. Reste à savoir si certains leaders auront la capacité à impulser des mesures fortes capables d’engager leurs populations pour que « le coronavirus devienne rapidement un souvenir lointain » (Ismaël Omar Guelleh à Djibouti) et que « d’ici à la Tabaski (l’Aïd El Kebir, la grande fête musulmane), nous puissions revenir à une vie meilleure » (Macky Sall au Sénégal). Quant au « Keep Your Spirits Up » du leader nigérian Muhammadu Buhari, il est certes nécessaire mais ne suffira pas, tous les dirigeants africains en ont bien conscience. « This too shall pass » (« cela passera »), énonce Nana Akufo-Addo, certes, mais plusieurs économies du continent et des segments entiers de populations le payeront au prix fort.

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