Régulièrement citée comme « le premier parti de France », l’abstention a battu un nouveau record aux premier tour des législatives du 12 juin dernier. Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, dresse le portrait de ceux qui se sont le plus démobilisés et examine à qui cette abstention profite.
Le 10 avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le taux d’abstention s’élevait à 26,31%. Deux mois plus tard, lors du premier tour des élections législatives, ce taux a doublé, avec un niveau record atteignant quasiment les 53%. Cette situation est loin d’être inattendue, comme certains politistes l’ont maintenant clairement démontré1Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent, Paris, Presses universitaires de France, 2017., et la participation politique lors des élections se fait de manière beaucoup plus « intermittente » : si l’élection présidentielle mobilise encore massivement les Français, la dynamique d’abstention est au contraire clairement à la hausse pour quasiment tous les autres scrutins.
Mais quels sont les citoyens qui se sont le plus démobilisés en l’espace de deux mois ? Quel est leur profil sociologique ? Et finalement qui a le plus bénéficié ou le plus pâti de cette démobilisation ? Pour répondre à ces questions, nous effectuons une comparaison entre les deux enquêtes « jour du vote » d’Ipsos.
Les générations anciennes pèsent un poids électoral plus important lors des législatives
Graphique 1. Taux de participation lors du premier tour de la présidentielle et du premier tour des législatives, en fonction de l’âge
Lors du premier tour de la présidentielle, les jeunes, âgés de moins de trente-cinq ans, s’étaient clairement moins déplacés que leurs aînés. Néanmoins, à partir de trente-cinq ans, les citoyens s’étaient déplacés de manière relativement équivalente : le taux de participation de 35-49 ans dépassant même d’un point celui des soixante-dix ans et plus. C’est une situation complètement différente que l’on constate lors des législatives : plus l’âge augmente, plus le niveau de participation est important. Ainsi chez les plus de soixante-dix ans, la déperdition d’électeurs entre la présidentielle et les législatives n’est que de 8 points, quand elle est de 27 points chez les 18-24 ans. Cette différence est colossale et entraîne une situation particulière : le poids électoral des anciennes générations lors de ces législatives est bien plus important que leur poids démographique réel.
Des disparités sociales plus marquées
Graphique 2. Taux de participation lors du premier tour de la présidentielle et du premier tour des législatives, en fonction de la catégorie socioprofessionnelle
Certaines disparités sociales s’observaient déjà au moment de l’élection présidentielle. Le taux de participation des ouvriers était ainsi 7 points plus faible que celui des cadres. Mais force est de constater que ces inégalités se sont accrues lors du premier tour de la présidentielle. L’écart de participation entre les ouvriers est les cadres est désormais de 9 points, mais plus encore, alors que l’écart de participation entre les cadres et les employés n’était que de 1 point, il est désormais de l’ordre de 12 points. De même, alors que l’écart maximal de participation entre deux CSP lors de la présidentielle était de 14 points, il est désormais de 32 points.
Graphique 3. Taux de participation lors du premier tour de la présidentielle et du premier tour des législatives, en fonction du revenu mensuel net du foyer
De manière moins flagrante, ces disparités plus importantes de participation lors des législatives se remarquent également lorsqu’on se focalise sur le revenu mensuel du foyer. Déjà lors de la présidentielle, les écarts de participation étaient marqués entre les plus hauts revenus et les plus faibles, de l’ordre de 11 points. Celles-ci ont légèrement augmenté lors de ce premier tour des élections législatives. C’est en effet 14 points qui séparent désormais le niveau de participation des foyers dont le revenu mensuel est inférieur à 1 250 euros et celui des foyers dont le revenu est supérieur à 3 000 euros.
À qui profite le crime ?
Graphique 4. Taux de participation lors du premier tour des législatives, en fonction du vote à la présidentielle
Note de lecture : 50% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022 se sont à nouveau déplacés lors du premier tour des législatives.
Dans cette note, nous avons montré que la démobilisation électorale avait touché deux publics en particulier : les jeunes et les catégories populaires. Sans surprise, ce sont donc les candidats dont l’électorat est le plus dépendant de ces catégories qui en ont le plus pâti : la gauche et le Rassemblement national. Ainsi, seulement 50% des électeurs ayant voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle et 52% ayant voté Yannick Jadot se sont déplacés lors de ces législatives. De même, seuls 48% des électeurs de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle se sont rendus à nouveau dans l’isoloir dimanche dernier. Cette situation est moins délicate pour le parti présidentiel et pour Les Républicains, dont l’électorat est à la fois plus âgé et plus aisé. En effet, 61% des électeurs d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ont choisi de voter de nouveau lors de ces législatives.
Conclusion
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette note :
- Les disparités sociales et générationnelles sont profondément marquées en dehors de l’élection présidentielle. Le corps électoral est de plus en plus déconnecté de la réalité de la société.
- Sans réforme démocratique majeure permettant de renouer un lien de confiance entre les représentants et les représentés qui pousserait à nouveau ces derniers vers l’isoloir, fort est à parier que la légitimité des décisions prises par des institutions récoltant un aval populaire aussi faible sera toujours davantage remise en question dans les années à venir.
Si la Nouvelle Union populaire écologique et sociale et la majorité présidentielle ont obtenu des scores équivalents en nombre de voix (25,7%), l’importance du score de l’union de la gauche ne doit pas être sous-estimée : c’est bien malgré une abstention différentielle qui lui était largement défavorable qu’elle a réussi néanmoins à faire jeu égal avec la majorité présidentielle.
- 1Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent, Paris, Presses universitaires de France, 2017.