Comprendre la dynamique Mélenchon au premier tour de la présidentielle

Les intentions de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle ont beaucoup augmenté durant les dernières semaines de campagne, jusqu’à un score final de près de 22%. S’est-il agi d’une mobilisation massive et de dernière minute de son électorat potentiel ou d’une dynamique de vote utile à gauche ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, livre son analyse.

Le 10 avril dernier, Marine Le Pen et Emmanuel Macron se qualifiaient au second tour de l’élection présidentielle, un résultat finalement attendu au vu des différents sondages publiés depuis plus d’un an. Néanmoins, une surprise de taille marqua cette soirée : Jean-Luc Mélenchon, le candidat de l’Union populaire, obtint 21,9% des suffrages exprimés, en manquant la qualification pour le second tour de 400 000 voix. Le score extrêmement élevé de Jean-Luc Mélenchon a de quoi surprendre, lui qui était encore mesuré à 13,6% des intentions de vote deux semaines et demie avant le premier tour1Enquête électorale française 2021-2022, vague 8, enquête Ipsos pour Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès, 28 mars 2022.. Comment Jean-Luc Mélenchon a-t-il réussi à augmenter son score de 8 points en l’espace de vingt jours ? S’agit-il d’une mobilisation massive et de dernière minute de son électorat potentiel ou d’une dynamique de vote utile à gauche ? C’est à cette question que nous tentons de répondre ici2Les données de cette note sont issues de l’Enquête électorale française 2021-2022 menée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès, et plus particulièrement de la comparaison entre les vagues 8 (28 mars 2022) et 10 (20 avril 2022) de l’enquête..

Vote utile et mobilisation électorale

La dynamique finale de Jean-Luc Mélenchon a été aussi spectaculaire parce qu’elle a été globale et c’est là le point central à retenir de cette étude. Dans les derniers jours de campagne, ce sont autant des potentiels abstentionnistes que des électeurs présumés d’autres candidats de gauche qui se sont déplacés en sa faveur.

Regardons ainsi l’évolution de la composition de son électorat sur les vingt derniers jours (graphique 1).

Graphique 1. Évolution de la composition de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon entre fin mars 2022 et le 10 avril 2022

Note de lecture : sur 100 électeurs ayant voté Jean-Luc Mélenchon le 10 avril, 9 pensaient voter Yannick Jadot fin mars.

Sur 100 électeurs ayant finalement voté Mélenchon le 10 avril, 62 prévoyaient déjà de voter pour lui fin mars, mais 9 envisageaient plutôt de voter Yannick Jadot, 4 Fabien Roussel et même 5 Emmanuel Macron.

Disons-le sans détour, la dynamique de vote utile dans les derniers jours de l’élection a joué à plein pour le candidat de l’Union populaire. Il récupère ainsi 43% de l’électorat de Philippe Poutou de fin mars, 27% de celui de Fabien Roussel et de Yannick Jadot et 20% de celui d’Anne Hidalgo. Ou, pour le dire autrement, sur les 100 électeurs de Jean-Luc Mélenchon du 10 avril, 19 envisageaient fin mars de voter pour un autre candidat de la gauche.

Si la part de « vote utile » a ainsi été décisive dans le score élevé réalisé par Jean-Luc Mélenchon, sa capacité à avoir rallié à sa cause, et ce dans les derniers jours du scrutin, des abstentionnistes potentiels, est également loin d’être négligeable. Ce sont 7 des 100 électeurs finaux du candidat de l’Union populaire qui envisageaient de s’abstenir deux semaines et demie plus tôt. Si l’abstention a été finalement plus réduite qu’anticipée, c’est bien Jean-Luc Mélenchon qui en a le plus bénéficié. Sur 100 électeurs qui pensaient s’abstenir fin mars et qui se sont finalement déplacés le jour du scrutin, 30 ont voté pour Jean-Luc Mélenchon.

Une dynamique globale dans l’électorat

Les forces électorales de Jean-Luc Mélenchon sont maintenant bien connues et sont détaillées dans une autre partie de cette étude. Son implantation dans un électorat jeune (38% chez les 18-24 ans), à faibles revenus (32% dans les foyers dont le revenu est inférieur à 1 250 euros par mois), mais possédant un haut niveau de diplôme (27% chez les titulaires d’un bac +3 ou bac +4) est remarquable.

Graphique 2. Évolution du score de Jean-Luc Mélenchon entre fin mars 2022 et le 10 avril 2022, en fonction du niveau de diplôme, de l’âge et du niveau de revenu

Néanmoins, lorsque l’on étudie la question d’un point de vue dynamique et non pas statique, le tableau d’ensemble est tout aussi intéressant à observer. En l’espace de vingt jours, Jean-Luc Mélenchon a réussi à augmenter son score dans toutes les couches de la société, sans exception. Par exemple, si son score a augmenté de 9 points chez les 25-34 ans, il gagne également 5 points pendant cette période chez les 50-59 ans. C’est une situation similaire que l’on observe au niveau des revenus. Si le score de Jean-Luc Mélenchon augmente considérablement au sein des foyers les plus modestes (il gagne ainsi 12 points au sein des foyers au revenu inférieur à 1 250 euros par mois), sa dynamique est loin d’être négligeable au sein des sphères sociales qui lui sont moins acquises avec une augmentation de 8 points de son score au sein des foyers les plus favorisés.

Conclusion : une fin de campagne tous azimuts

La présidentielle de 2017 nous avait donné un premier aperçu de la force de Jean-Luc Mélenchon en période électorale. En finissant avec 19,5% des voix, il dépassait largement le score qui lui était attribué quelques mois plus tôt. À n’en pas douter, la présidentielle de 2022 a montré de manière encore plus flagrante cette capacité du leader de l’Union populaire à maximiser son score dans les derniers jours de campagne. Cette dynamique spectaculaire s’explique par son aspect global : en quelques semaines, Jean-Luc Mélenchon a réussi à augmenter son score dans toutes les strates de la société et à surfer à la fois sur une dynamique de vote utile à gauche et sur une mobilisation de potentiels abstentionnistes. Avec plus de 17 points d’avance sur le second candidat de la gauche à l’arrivée, cette dynamique l’a indéniablement placé dans une position de force pour remodeler le paysage politique à gauche à son avantage.

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    Enquête électorale française 2021-2022, vague 8, enquête Ipsos pour Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès, 28 mars 2022.
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    Les données de cette note sont issues de l’Enquête électorale française 2021-2022 menée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès, et plus particulièrement de la comparaison entre les vagues 8 (28 mars 2022) et 10 (20 avril 2022) de l’enquête.

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