Pourquoi Emmanuel Macron est-il aussi haut dans les enquêtes d’opinion à quarante jours du premier tour ? À cette question complexe, il est possible d’apporter une réponse simple qui tient en deux graphiques et un tableau. Analyse par Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec le Huffington Post.
Le positionnement relatif des candidats
Il a été demandé aux Français d’attribuer une note sur une échelle allant de 0 à 10 pour positionner sur une échelle gauche-droite chacun des candidats. C’est un exercice qui est couramment pratiqué et il est toujours frappant de constater la finesse de ces jugements construits à partir de ce que les Français perçoivent d’un responsable politique, de son parcours, de ses projets, de ses déclarations, de son attitude, de son style.
Voici les résultats tirés de la dernière vague du panel CEVIPOF/Fondation Jean-Jaurès/Le Monde réalisé par l’institut IPSOS :
Quelles conclusions en tirer ?
L’effet des primaires
Jamais les candidats de la gauche et de la droite de gouvernement n’avaient été perçus comme aussi à droite et aussi à gauche que ne le sont Benoît Hamon (2,8) et François Fillon (8,1). C’est l’effet de ces deux élections primaires très particulières. Là où une logique électorale avait dominé en 2011 (choisir le meilleur candidat pour l’emporter), c’est une logique identitaire qui a cette fois prévalu (à droite, parce que ses électeurs étaient sûrs de gagner ; à gauche, parce qu’ils étaient sûrs de perdre). Les électeurs des deux primaires ont ainsi préféré François Fillon à Alain Juppé et Benoît Hamon à Manuel Valls – les deux vaincus auraient vraisemblablement été positionnés par les Français plus au centre.
Ce faisant, ils ont choisi des candidats qui, du point de vue du positionnement perçu par les Français, se trouvent sur des territoires qui ne sont guère éloignés de Marine Le Pen (qui n’est plus à droite de François Fillon que de 1 point) et de Jean-Luc Mélenchon (qui n’est plus à gauche de Benoît Hamon que de 1,4 point).
Le positionnement d’Emmanuel Macron
Emmanuel Macron est positionné à 5,2 – c’est-à-dire très légèrement à la droite du centre. C’est le résultat du choix qu’il a fait de construire un mouvement qui n’est « ni à gauche ni à droite » et d’être candidat à l’élection présidentielle sans passer par les primaires de la « Belle alliance populaire ».
Ce faisant, il se trouve quasiment à équidistance des candidats PS et LR et, surtout, loin de l’un et de l’autre, seul à occuper l’espace central : il n’y a aucun candidat entre 3 et 8.
L’auto-positionnement des Français
Les Français remettent majoritairement en cause la pertinence du clivage gauche-droite dans la vie politique. Malgré tout, lorsqu’il leur est demandé de se positionner eux-mêmes sur une échelle gauche-droite, une immense majorité d’entre eux (93 %) accepte de le faire.
Quelles conclusions tirer de cet auto-positionnement ?
La droitisation
La droitisation de la société française est une réalité. Avec une moyenne à 5,5, jamais celle-ci n’avait été aussi à droite – même en l’espace d’une année, la droitisation s’est légèrement accentuée : la moyenne était de 5,4 en novembre 2014. Et si l’on regarde plus loin en arrière, la moyenne penchait systématiquement du côté gauche.
L’espace central
L’espace central – appelons-le l’espace des « modérés » – est largement occupé par les Français (34 % sur les cases 4-5-6) alors qu’il est tout aussi largement déserté par les candidats.
Benoît Hamon
Benoît Hamon se trouve sur un espace qui est à la fois réduit (22,5 % sur les cases 0-1-2-3), concurrentiel et décalé par rapport au positionnement de son propre parti (classé à 3,6 par les Français).
François Fillon
François Fillon se trouve sur un espace moins réduit (36 % sur les cases 7-8-9-10), tout autant concurrentiel et moins éloigné de son propre parti (classé à 7,9 – donc perçu très à droite).
Pour minorer l’importance de ces deux critères, on rétorquera que l’auto-positionnement des Français n’est pas le seul déterminant du vote. C’est évidemment vrai mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un déterminant… déterminant ! Il s’agit même sans doute du critère le plus prédictif du vote.
Les intentions de vote en fonction de l’auto-positionnement
Le tableau peut paraître complexe, mais il est simple.
Le cœur du territoire
Sur le cœur du territoire qui leur est attribué par les Français, les différents candidats réalisent tous un score massif : aux alentours de 40 % pour Benoît Hamon (cases 2-3), pour Emmanuel Macron (cases 4-5-6), pour François Fillon (cases 7-8) et même près de 50 % pour Jean-Luc Mélenchon (cases 0-1) et plus de 60% pour Marine Le Pen (cases 9-10).
Les marges
Sur les marges de leur territoire, on voit que :
- Benoît Hamon fait un score honorable sur les deux cases à sa gauche (29 % sur les cases 0 et 1) et sur la case immédiatement à sa droite (25 % sur la case 4 pourtant à gauche) mais, au-delà, ses scores deviennent marginaux.
- François Fillon est exactement dans la situation symétrique mais à un niveau légèrement inférieur (24 % sur les cases 9 et 10 à sa droite, 17% sur la case 6 immédiatement à sa gauche) – quasiment rien au-delà (4 % sur la case centrale 5…).
- Marine Le Pen obtient quant à elle un score honorable assez loin de ses bases (29 % juste à sa gauche sur les cases 7-8 mais encore 20 % sur la case centrale, position refuge d’électeurs qui se disent ni de gauche ni de droite)
- Emmanuel Macron enfin a non seulement le territoire le plus vaste mais aussi le spectre le plus large puisqu’il obtient 22 % sur les cases 2-3 sur sa gauche et 16 % sur les cases 7-8 sur sa droite.
Conclusions
- Les raisons du succès d’Emmanuel Macron peuvent être ainsi résumées : il se trouve au bon endroit au bon moment. Au bon endroit, c’est-à-dire là où se trouvent majoritairement les Français. Au bon moment, c’est-à-dire quand les candidats des partis de gouvernement ont, de manière surprenante, laissé vacant cet espace central.
- Le résultat n’est pas encore acquis pour lui (parce que la mobilité électorale reste forte jusqu’au dernier moment, parce que l’abstention reste élevée et que la droite y dispose de davantage de réserves, parce que nul ne peut anticiper les aléas d’une campagne qui n’en a pas manqué) mais le positionnement relatif des candidats comme l’auto-positionnement des Français le placent structurellement dans une situation forte.
À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilisera un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au premier tour du scrutin.
Dans les médias :
« Hamon et Fillon bousculés sur les ailes, Macron file sur le boulevard du centre », Louis Nadeau (BFM TV, 15 mars 2017)
« Ils sont tous contre Macron », Jonathan Bouchet-Petersen (Libération, 19 mars 2017)
« Macron et le syndrôme Lecanuet », Jean-Marc Vittori (Les Échos, 20 mars 2017)
À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.