Comment corriger la politique européenne de lutte contre les émissions de CO2 ?

Le marché européen de quotas d’émissions carbone (EU ETS) est dysfonctionnel. Comment y remédier et rendre effective la politique européenne de lutte contre les émissions de CO2? Retrouvez les analyses et les propositions du collectif d’experts “Energie et développement durable” de la Fondation.

Au lendemain de l’accord de Paris sur le climat, il faut constater que l’Europe, jusqu’à présent en pointe pour combattre les gaz à effet de serre, a aujourd’hui une politique beaucoup moins lisible que par le passé.

L’Allemagne a engagé une politique résolue et fort coûteuse pour développer les énergies renouvelables. Mais la priorité politique ayant été la fermeture anticipée des centrales nucléaires – 8 sur 17 ont déjà cessé leur production –, le lignite produit localement et le charbon, importé largement des États- Unis, ont accru leur part dans le bouquet énergétique pour la production de l’électricité en base. Le ministre de l’économie Sigmar GABRIEL affiche aujourd’hui la volonté de réduire la part du charbon et de fermer 2,7 GW de centrales les plus vétustes pour un coût de 1,6 milliards € prélevés sur la facture des consommateurs domestiques d’électricité. C’est un choix courageux dont il faudra suivre la mise en œuvre.

Partout en Europe des centrales à gaz, dont certaines viennent juste d’être construites, doivent fermer ou être mises sous cocon, alors qu’elles sont nettement moins polluantes que les centrales à charbon, même dites propres. Dans le merit order européen, la dernière centrale appelée est le plus souvent une centrale à charbon, ce qui favorise leur plus grande durée d’utilisation au détriment des centrales à cycle combiné gaz, pourtant peu polluantes et indispensables à l’ajustement rapide de la production et de la demande d’électricité.

Par contraste les États-Unis ont fait reculer les émissions de CO2 grâce à la production de gaz de schiste, qui ont réduit considérablement la production d’électricité à partir de charbon : même sans pénalisation du carbone par une fiscalité spécifique ou un marché ad hoc, celle-ci est devenue plus coûteuse que la production avec du gaz.

De son côté la Chine, qui certes pollue de plus en plus au rythme de son impressionnant développement économique, hisse à un niveau prioritaire la lutte contre la pollution atmosphérique, donc contre la combustion de charbon. Il s’agit moins pour elle de se conformer à des directives de bonne conduite internationale que de répondre à une aspiration de plus en plus affirmée par sa propre population, asphyxiée dans les grandes villes comme Pékin par une pollution de plus en plus fréquente et dense.

Comment rendre l’Europe, à nouveau, exemplaire ?

L’échec du système ETS

Le système ETS (EU Emission Trading System) devait être le fer de lance de la lutte contre les effets de serre en Europe. On ne peut que constater son échec patent jusqu’ici.

Est-ce l’instrument de marché qui est en cause ou la façon de le faire vivre ?

Techniquement, au sens des mécanismes de marché, l’ETS fonctionne plutôt bien : 50 % des permis sont attribués par enchères, les fuites de carbone aux frontières sont traitées pour l’acier, le ciment, le papier, la chimie. Il n’existe plus qu’un seul registre – European Energy Exchange – à Leipzig, ce qui réduit considérablement les risques de fraudes.

Mais les attributions gratuites, introduites pour ne pas affecter la compétitivité des industries européennes, ont été trop largement distribuées, alors que la crise depuis 2008 a réduit l’activité ; il en résulte un excès important de permis d’émissions par rapport aux besoins, évalué à un an d’émissions environ. De 30 euros la tonne, le coût du permis d’émission s’est écroulé à moins de 5 euros, pour se stabiliser aujourd’hui aux environs de 8 €. Et pour les années à venir ne semble pas se dessiner une hausse de ce prix (pour 2020 les prévisions sont de l’ordre de 12 euros/t CO2). On estime pourtant qu’il faudrait atteindre durablement un prix minimal de 30 euros par tonne pour dissuader le développement de centrales au charbon au profit de sources moins polluantes .  Mais la priorité tout à fait justifiée apportée à la compétitivité de l’industrie européenne s’impose plus que jamais, et ne permettra pas aux gouvernements européens d’instaurer un système qui serait trop pénalisant.

Enfin, rappelons que seulement la moitié des émissions de CO2 de l’Union européenne relève du marché ETS. L’autre moitié provient du transport et des bâtiments, secteurs diffus (les ménages sont largement concernés : véhicules individuels et logements) où un instrument de marché est difficilement applicable. D’un point de vue économique, la taxe est le meilleur instrument . D’un point de vue politique, elle appelle de soigneuses précautions de mise en œuvre, tandis que d’un point de vue institutionnel son application au niveau communautaire est délicate.

Que faire cependant pour ne pas baisser les bras face à la volonté de réduire les gaz à effet de serre sur notre continent ?

Quelles solutions pour demain ?

Proposition 1 : conserver l’instrument tout en lui apportant des améliorations à court et moyen terme.

L’ETS, dans un cadre réglementaire clair et stable, fondé sur des règles simples et transparentes, peut rester l’instrument le plus efficace pour obtenir au « moindre coût » la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est aussi un moyen d’accélérer la maturité des filières renouvelables en valorisant à leur juste mesure les émissions évitées.

Une solution, déjà en cours de mise en place par les autorités européennes, repose sur une réduction provisoire des quotas alloués au marché (back loading), de manière à obtenir des effets immédiats et tangibles sur l’équilibre de l’offre et de la demande et de réinstaurer le signal prix.

Une telle intervention peut passer par une allocation moindre de permis afin de rééquilibrer le système. Par exemple, en supposant que la phase 2 ait généré un excédent d’environ un milliard d’AEE (Allocution européennes d’émissions), il est envisageable d’en retirer 600 ou 400 millions du volume des ventes aux enchères prévues. Cela serait de nature à créer une pénurie sur le marché en réduisant l’excédent cumulatif des permis jusqu’à la réintroduction des volumes prélevés, par exemple en 2020. Ce mécanisme peut être utilisé pour faire relever le prix à court terme, rétablir la confiance dans le système général, et donner du temps pour définir une révision structurelle du marché ETS dans sa globalité. Si une estimation précise de l’impact réel sur le prix de la tonne de CO2 reste difficile à calculer, il devrait cependant en résulter rapidement une croissance des prix fonction de la réduction de quotas décidée.

Proposition 2 : s’orienter vers un critère clairement prioritaire.

Plutôt que la règle des 3 fois 20 adoptée en 2008, le paquet climat-énergie de 2014 fixe de nouveaux objectifs pour 2030 :

  • 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 (seul objectif contraignant) ;

  • 27% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ;

  • 27 % d’économies d’énergie

Si l’objectif de réduction des GES est engageant, le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique est laissé à l’appréciation des États.

L’objectif principal de réduction des émissions sera atteint par chaque pays en fonction de ses choix énergétiques et aussi de sa situation propre, au lieu d’imposer les mêmes recettes à tous. Par exemple certains pays ne disposent pas de capacités de développer l’énergie hydraulique à des niveaux comparables à ceux de la France ou de l’Autriche. Fallait-il produire de l’électricité solaire de façon massive en Allemagne ou admettre que les pays du sud de l’Europe sont mieux armés pour cela ? La diversité du mix énergétique est à prendre en compte : la France qui dispose d’un parc électrique sans émission de CO² n’a pas besoin de développer des énergies renouvelables au même rythme, et au même coût, que l’Allemagne.

Proposition 3 : redonner un rôle déterminant au système ETS.

C’est celle que nous recommandons. Dans le contexte d’instauration d’un objectif majeur sur la réduction des émissions de CO², le système ETS pourra jouer un rôle déterminant : s’assurer d’une pénalisation suffisante des émissions carbonées, sans  aggraver la pression fiscale.

Comme l’a écrit la Ministre, Ségolène ROYAL, dans un courrier à ses collègues de l’UE il conviendrait « d’encadrer l’évolution du prix du marché entre un minimum et un maximum, afin de réduire la volatilité et d’améliorer la prévisibilité du prix du carbone. |…] Lors des discussions sur la mise en œuvre des réserves de stabilité, nous nous sommes déjà accordés sur une évaluation prévisionnelle entre 10 €/t en 2016 et 30 €/t en 2030. C’est une ambition qu’il faut a minima sécuriser mais dont le niveau mériterait d’être relevée. » Nous jugeons, pour notre part, qu’il faudrait en effet viser 50 euros/tonne à cette échéance. Annoncer d’avance un tel corridor de prix, donnerait une précieuse visibilité aux acteurs du marché. En pratique, lorsque le prix de marché passerait en-dessous de la trajectoire, la différence pourrait être versée sous forme d’une taxe.

Le produit de celle-ci devrait servir à alléger d’autres coûts de fonctionnement du système, par exemple les aides aux EnR ou aux réseaux d’interconnexions ou encore s’assurer qu’il n’y aurait pas trop de pénalisation de certaines industries par des compensations adaptées. L’objectif est d’avoir un instrument qui pourrait se substituer au moins partiellement à d’autres coûts ou d’autres taxes.

Enfin, l’existence de cette trajectoire pourrait aider les États membres, ou l’Union si un consensus est atteint, à instaurer un signal-prix pour le carbone auprès des émetteurs diffus qui ne relèvent pas du marché ETS.

Quelles que soient cependant les modalités techniques retenues l’essentiel sera la priorité qui sera ou non accordée pour lutter à l’avenir contre le risque de dérèglement climatique. L’Accord de Paris sur le climat a assurément créé une dynamique. Reste pour l’UE à relancer une démarche opératoire  pour atteindre les objectifs globaux qu’elle a endossés. Il faut pour cela convaincre tous les Etats, à commencer par ceux qui ne sont pas sortis de la crise et/ou qui disposent encore de sources d’énergies carbonées, que les efforts qui leur seront demandés ne remettront pas en cause leurs objectifs de croissance.

 

 

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