Clarification

Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, revient sur les violences subies par les opposants d’Éric Zemmour lors de son meeting du 5 décembre dernier. 

« Je ne suis pas raciste », aurait-on pu entendre dans la bouche du candidat à la présidentielle, qui tenait son premier meeting dimanche 5 décembre 2021.

Problème : ces mots étaient prononcés au moment même où quelques militants de SOS Racisme arborant des tee-shirts disant « Non au racisme » se faisaient rouer de coups par les partisans de ce grand fauteur de troubles, multirécidiviste et multicondamné. Pourtant, si son message avait réellement été celui d’un opposant au racisme et à la xénophobie, ce ne sont pas des coups mais bien des acclamations qu’auraient dû recevoir ces défenseurs de la cause antiraciste.

« Je ne suis pas misogyne », aurait encore dit celui qui comptait sur cette rencontre de Villepinte pour façonner sa stature présidentielle, alors qu’au même instant une jeune femme recevait de violents coups de poing en pleine figure, tandis qu’une autre se retrouvait le visage en sang. Les images parlent d’elles-mêmes. Elles ont suffisamment défrayé les réseaux sociaux pour qu’il ne soit pas utile de les relayer ici.

C’est être un défenseur de la République et de la démocratie que de s’opposer aux discours qui n’ont d’autres objectifs que de les faire vaciller

« Je suis un démocrate », aurait-il pu ajouter, alors qu’il haranguait la foule en se posant comme le « seul à défendre la liberté de penser, la liberté de parole, la liberté de débattre, la liberté des mots sur la réalité pendant qu’ils rêvent tous d’interdire mon meeting et de me condamner ».

Problème à nouveau : on a vu comment étaient traités ceux qui s’exprimaient et pensaient librement, ceux qui suscitaient un débat en osant clamer une position contraire. À la liberté des mots justes répondait la liberté des coups droits.

Cet événement d’une rare violence dans une campagne présidentielle a au moins le mérite de la clarification.

Oui, cet individu est dangereux et la justice ne s’y est pas trompée en le condamnant à plusieurs reprises.

Oui, cet individu est là pour attiser la haine et la violence, avec la xénophobie, le nationalisme et le complotisme comme seule idéologie et des thèses le conduisant à assumer des parallélismes douteux, entre les politiques, les journalistes et les djihadistes : « La meute est désormais lancée à mes trousses. Mes adversaires veulent ma mort politique. Les journalistes veulent ma mort sociale et les djihadistes veulent ma mort tout court ».

Oui, cet individu doit être stoppé dans cette course folle qu’il a entamée, non celle à la magistrature suprême, mais celle à la fracture culturelle et démocratique, vers laquelle il veut conduire la France.

Le racisme, la haine et la violence n’ont pas leur place dans notre République et leurs adorateurs n’ont pas leur place dans la course à la présidence de la République.

C’est être un défenseur de la République et de la démocratie que de s’opposer aux discours qui n’ont d’autres objectifs que de les faire vaciller.

Nouvelle clarification : entretenir la haine et la violence par le discours débouche irrémédiablement et à court terme sur des violences physiques. On le vit nettement le 6 janvier dernier, lors de l’assaut du Capitole par les partisans d’un Donald Trump qui n’avait plus rien à perdre. On a pu le constater hier, lorsque des journalistes ou des défenseurs de l’égalité ont été violemment pris à partie et molestés. Hélas, pour certains, la parole habilite le poing. Feindre de l’ignorer est coupable, au mieux irresponsable.

Notre droit républicain offre des outils pour éviter de tels débordements. Il s’agit d’abord d’interpeller, de juger et, le cas échéant, de condamner ceux qui ont commis de tels actes, réprimés par le code pénal.

Il s’agit ensuite d’empêcher que de telles exactions ne se reproduisent. Certains diront que les militants antiracistes étaient des provocateurs et n’avaient pas à se rendre à un tel meeting.

Faux ! Un meeting est, par définition, ouvert à tous et tous y ont leur place, sans nécessairement devoir aduler celui qui en est l’instigateur. En revanche, ce ne peut être un lieu d’agression, de violence ou de haine. S’il le devient, il doit être interdit, au nom même de la préservation de principes républicains.

À ceux qui revendiquent le droit de tout dire, il faut rappeler ce que dit le droit. Et le droit offre des réponses claires lorsque l’on prône un pouvoir antirépublicain. On ne peut accepter qu’un personnage, qu’un mouvement ou que leurs partisans encouragent la violence, incitent à la haine afin de nuire à l’ordre républicain.

Certes, en période électorale, a fortiori pour l’élection présidentielle, les candidats doivent être en mesure de défendre leurs idées et le leur interdire serait une censure inadmissible. Mais il est des limites à ne pas franchir, lorsque la défense de certaines idées n’est pas destinée à faire vivre la démocratie mais, au contraire, à l’annihiler. Nous n’y sommes pas encore, mais il faut être particulièrement vigilants.

N’oublions pas, comme le rappelle l’article 10 de la Déclaration de 1789, que, si « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses », c’est à la condition « que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

Ce délinquant de la République comptait ainsi sur cette rencontre politique pour lancer sa « Reconquête » et s’affirmer en candidat sérieux à la présidentielle. Il a désormais clarifié la situation en se posant en candidat de la vulgarité et du désordre.

Soyons tout aussi clairs que lui et clamons, au nom de la République et de la démocratie, avec toute la fermeté nécessaire : non à Zemmour !

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