Suite au décès en juin dernier de l’ancien président du Burundi, Pierre Nkurunziza, François Backman revient sur la nature de son régime et s’interroge sur ce que pourrait être le Burundi sous la férule du successeur élu président en mai 2020, Évariste Ndayishimiye.
La Havane, le 11 juin 2020, le gouvernement cubain décide de mettre les drapeaux en berne suite au décès de Pierre Nkurunziza, président du Burundi. Ce dernier est mort des suites – semble-t-il – du coronavirus. Peu avant, une élection jouée d’avance a porté aux commandes son successeur désigné, Évariste Ndayishimiye. Hommage du pays du Leader maximo à celui du Guide suprême. Hommage d’un pays tout aussi isolé que le Burundi, connaissant, lui aussi, de très grosses difficultés économiques, jouant à fond le culte du dirigeant et ayant une vision particulière de la démocratie…
Le Burundi, douze millions d’habitants, est l’un des pays les plus pauvres du monde. Une chose est sûre, Évariste Ndayishimiye, alias général Neva, son surnom hérité de la guerre civile (1993-2005), aura fort à faire pour sortir le pays d’une crise sanitaire, économique, sociale et diplomatique, sans parler d’une image déplorable en termes de droits de l’Homme et de libertés. Les uns y voient un leader plus ouvert que son prédécesseur, d’autres un simple continuateur, voire une marionnette du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), aux mains des généraux.
L’arrivée d’Évariste Ndayishimiye, suite à une élection de façade, pose plus globalement la question des variations du leadership en Afrique de l’Est et des réponses que les divers dirigeants apportent à la crise économique initiée, ou accentuée, dans le cas burundais, par le virus. Ces quelques lignes veulent dresser un rapide état de la situation. Le nouveau président va devoir jongler avec de nombreux paramètres durant son prochain septennat. Il lui faudra tout d’abord gérer l’héritage politico-symbolique de Pierre Nkurunziza et sortir son pays de l’ornière économique dans laquelle il est embourbé, mais aussi de son isolement diplomatique. Plusieurs scénarios sont dès lors envisageables.
L’ombre du défunt : gérer le legs du Guide
Arrivé au pouvoir en 2005, suite à une guerre civile faisant plus de 250 000 morts, Pierre Nkurunziza joue la carte de la proximité, disposant d’une aura populaire via des actes forts. C’était l’image d’un leader sorti du maquis – tout comme Évariste Ndayishimiye –, affichant son côté « président footballeur », se mêlant aux populations, qui était alors constamment valorisée. Puis, pour de multiples raisons, on a constaté un raidissement progressif du pouvoir particulièrement flagrant notamment lors de son troisième mandat qui vaudra au pays d’être mis au ban des nations.
Ce durcissement s’accompagne d’un affichage de paroles et d’actions mêlant de plus en plus sacré et profane. Pour ne pas que tout déraille, on appelle Dieu à la rescousse, secondé par les pères de la nation. Si le phénomène est assez classique en Afrique orientale, le Burundi détient la palme en la matière. En bon pasteur born again qu’il est, Pierre Nkurunziza prône un retour aux valeurs nationales d’avant les colonisations, allemande puis belge, époque mythique où le Burundi était « un pays de lait et de miel ». Il instrumentalise de manière plus qu’appuyée les grands hommes de l’indépendance, faisant du président leur descendant symbolique et idéologique, à l’instar de la monarchie burundaise et du Prince Louis Rwagasore, héros de l’accession à la souveraineté. Pierre revêt donc la tenue de Louis et instruit régulièrement ses concitoyens souvent avec le concours de sa femme également pasteur. C’est d’ailleurs sous le signe du retour de la morale qu’il avait placé son troisième et si controversé mandat…
À ceci s’ajoute un travail sur les lieux et les symboles. En 2019, Pierre Nkurunziza fait de Gitega la nouvelle capitale du pays en lieu et place de Bujumbura. L’ancienne devise royale Imana, Umwami, Uburundi (« Dieu, Roi et Burundi ») réapparaît sur les monuments. D’ailleurs, la nouvelle constitution proclamée en juin 2018, suite à un référendum, évoque dès son article 4 la possibilité d’une restauration de la monarchie. Pour couronner le tout, une loi adoptée le 10 mars 2020 érige Pierre Nkurunziza au rang de « Guide suprême du patriotisme » pour « la reconnaissance de son engagement, de son dévouement exceptionnel à la défense de la souveraineté nationale, à l’éveil de la conscience des Burundais en se basant sur la primauté de Dieu, valeur ancestrale du Peuple burundais et à l’amour de la patrie », CQFD.
Les choses sont finalement assez simples : c’en est assez des donneurs de leçons occidentaux et autres étrangers, nous, Burundais, n’avons de leçons à recevoir de personne. Tout ceci sur fond de répression des oppositions, de censure de la presse et d’arrestations arbitraires, via les Imbonerakure, mouvement politique de jeunesse affilié au parti au pouvoir, et quasi milice du régime. Sous les mandats de Pierre Nkurunziza, et notamment sous le dernier, plusieurs centaines de milliers de Burundais se sont réfugiés dans les pays voisins.
Pour ce qui est du virus, le pouvoir a tout fait pour minimiser, voire ignorer, la chose. Le pays était sous protection divine, il ne pouvait rien lui arriver. Une évidence… Dès lors, très peu de mesures ont été prises, aucune durant les meetings de campagne pour les élections. Les représentants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été expulsés, les critiques sur la gestion sanitaire gommées. « Circulez, il n’y a rien à voir », même si Pierre Nkurunziza, déjà malade par ailleurs, succombera du coronavirus, les voies du Seigneur étant impénétrables. Et pour ce qui est des élections présidentielle, législatives et communales du 20 mai dernier, c’est la même chose : circulez ! Le pouvoir ne veut pas d’observateurs internationaux. Si l’Église catholique, seule institution à avoir des observateurs, conteste les « irrégularités » du scrutin, le responsable de la Commission électorale nationale indépendante – dont on connaît l’indépendance dans la plupart des pays africains… – lui dénie le droit de le faire sur le mode du « rendons à César, etc. ».
« Ensemble, tout est possible » : un successeur droit dans ses bottes ?
Évariste Ndayishimiye, vainqueur de l’élection présidentielle du 20 mai 2020, accompagne tout ce mouvement depuis le début. Des maquis aux palais de la République, il travaille avec tous ses homologues, les généraux du CNDD-FDD. C’est donc un homme du sérail qui a validé toutes les actions et déclarations de son prédécesseur. Ce dernier devant rester en fonction jusqu’au 20 août, sa mort précipite les choses. La période de transition n’est plus de mise et, mi-juin, Évariste Ndayishimiye devient président en exercice, arrivant donc plus vite que prévu aux commandes du pays. Beaucoup le trouvent modéré et certains voient en lui le président inaugurant une nouvelle ère pour le pays. Mais il faudra attendre pour voir apparaître de véritables changements traduisant une réelle inflexion de la politique du CNDD-FDD.
Le 18 juin, il prononce son discours d’investiture et rappelle que les élections se sont bien déroulées, ceci démontrant la maturité du peuple burundais, « arme idéale contre les idéologies anarchistes et anti-démocratiques. »
Dans cette longue allocution de près de quatre-vingt-dix minutes, le nouveau président se place dans la droite ligne de son prédécesseur. Il reprend l’un de ses slogans de campagne – « Ensemble, tout est possible » –, puis coche toutes les cases de la vulgate « nukurunzizienne ». Incessant rappel à l’œuvre divine agrémentée d’une citation biblique (Ex. 18, 21-23), il en appelle à l’éthique du Burundi d’avant la colonisation et aux grands hommes, sans oublier le parti. Il oppose les valeurs supposées burundaises aux valeurs supposées occidentales. Citons juste un extrait pour illustrer : « Imaginez quand ils demandent aux Burundais de faire respecter les droits de l’Homme au moment où chez eux ils ont fait des tueries un mode de vie, au moment où les personnes s’accouplent avec des animaux [sic !], au moment où les gens de même sexe ou les frères et sœurs se marient entre eux, alors que chez nous ce genre de comportement constitue des déviations sociales. […] Pratiquer un avortement [c’est] commettre un sacrilège. Comment expliquer qu’une nation qui pratique l’euthanasie, où des avortements […] sont même parfois légalisés peut-elle se prendre pour modèle de justice sociale, de respect des droits humains et s’ériger en donneuse de leçons en matière de défense des droits de l’Homme ? ». À bon entendeur… Mi-août 2020, le Burundi demande d’ailleurs plus de trente-cinq milliards d’euros de réparations aux ex-puissances coloniales.
Il développe ensuite ce qui devrait être son style de gouvernement : la démocratie n’est pas synonyme de désordre, tout en laissant les « portes ouvertes » pour tous les Burundais expatriés. Il en appelle à la réconciliation, évoquant la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme et la Commission vérité et réconciliation, ce dernier organisme ayant néanmoins montré ses limites dans nombres d’autres pays. Pour lui, les choses sont claires : le Burundi disposant des bases d’une bonne gouvernance et de dirigeants guidés par le seul intérêt commun, il s’agit dès lors de développer le pays « par le peuple et pour le peuple », tout cela à l’aune de « l’action de notre Visionnaire, Son Excellence Pierre Nkurunziza, le grand architecte de la nation burundaise ».
Si l’on peut trouver quelques rares lueurs encourageantes pour une grille de lecture occidentale, le discours d’Évariste Ndayishimiye est dans la ligne d’un CNDD-FDD détenant tous les leviers de pouvoirs. Vu la situation politique et les enjeux internes au parti, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose. Le nouveau locataire du Palais de Kiribi doit stabiliser la situation et, qu’il le veuille ou non, tout remettre en cause lui est impossible.
La formation de son gouvernement – quinze ministres – est assez emblématique. Il s’entoure de « durs ». Alain-Guillaume Bunyoni, fidèle du Guide et sous sanctions internationales, devient Premier ministre, fonction créée par la nouvelle constitution. À l’Intérieur, on trouve un autre général, Gervais Ndirakobuca, ancien chef des services de renseignements. Celui-ci est également en proie aux sanctions internationales. Son surnom, Ndakugarika, hérité de la guerre civile, signifie « Je vais te massacrer » en kirundi. Tout un programme… Aux Affaires étrangères, le nouveau ministre Albert Shingiro n’a pas non plus une réputation de « tendre ». Plusieurs responsables exerçant sous l’ancienne présidence sont également confirmés dans leurs fonctions.
Quels scénarios ?
À partir de là, on peut émettre plusieurs hypothèses pour l’avenir du pays. Oublions le scénario « angolais », celui d’un leader déboulonnant l’œuvre et les équipes de son prédécesseur comme l’a fait João Lourenço, autre général, avec la famille Dos Santos, ou « mauritanien ». Cela ne semble pas possible, le CNDD-FDD est trop fort et, de plus, Évariste Ndayishimiye ne peut scier la branche sur laquelle il est assis. Oublions donc cette conjecture « bisounours » avec un nouveau président qui, en quelques mois, ouvrirait son pays à la démocratie, ramenant les libertés fondamentales, etc. Pour une nouvelle ère, il faudra attendre. Écartons également le scénario du durcissement. Il est assez peu plausible vu l’état du Burundi, tant au niveau intérieur qu’international, et amènerait le pays dans l’abîme. Les généraux du CNDD-FDD ne sont pas nécessairement kamikazes. Avant toutes choses, ils doivent aujourd’hui continuer à « tenir » le pays afin de poursuivre leurs « affaires ».
On peut cependant constater quelques timides signes d’évolution, certes loin du changement espéré et réclamé par les observateurs internationaux.
Premier signe : la politique en matière de lutte contre le virus. C’en est fini du temps où Pierre Nkurunziza déclarait le Burundi Covid-free grâce à la protection divine qui planait sur le pays. Évariste Ndayishimiye semble avoir pris la mesure de la crise sanitaire et, enfin, adopter des mesures destinées à lutter contre la menace sur laquelle se surimposent d’autres crises, notamment alimentaires. Rappelons que le Burundi fait partie des trente-quatre pays africains nécessitant une aide alimentaire post-Covid selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Le 30 juin dernier, il lance une campagne baptisée « ndakira, sinandura kandi sinanduza abandi » (guérir, ne pas être contaminé, ne pas contaminer les autres), met en place une politique de tests, même si le pays ne dispose de guère de moyens et d’infrastructures en la matière. Il annonce une diminution du coût de l’eau ainsi que du prix du savon, qui est baissé de moitié. Evariste Ndayishimiye répond là à un véritable problème, le savon étant hors de prix pour une grande partie de la population. On peut noter que ce revirement intervient suite à un don de quatre millions et demi d’euros de la Banque mondiale pour lutter contre la pandémie. Tout ceci se déroule en mode burundais, le président ayant été clair : tout porteur de symptômes ne voulant pas se faire dépister sera « sévèrement » traité ; il ajoute également que les Imbonerakure seront en charge de l’application de ces mesures. Mieux vaut donc s’y conformer…
Deuxième signe d’évolution : une volonté de replacer le Burundi dans le concert des nations. C’était l’un des thèmes de l’allocution présidentielle lors du cinquante-huitième anniversaire de l’indépendance, le 1er juillet dernier. Et sur ce point, Évariste Ndayishimiye aura fort à faire s’il entend justement dépasser le simple affichage de bonnes intentions. Bien évidemment, ceci passe par une action diplomatique forte au niveau international et à l’échelle sous-régionale. À cet égard, pacifier les relations houleuses avec le Rwanda voisin apparaît comme un impératif, ce qui reste loin d’être évident pour le moment. Le régime a scénarisé les premiers « retours au pays » venant du Rwanda, appelle tous ses « enfants » en exil à venir construire le pays, un classique sur le continent. Plus globalement, c’est toute la question de la place du Burundi au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est qui se pose.
Le Burundi devra assurément travailler à la levée des sanctions qui frappent le pays en réintégrant notamment l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) étatsunien, comme l’a fait Hery Rajaonarimampianina il y a quelques années à Madagascar. Dans une déclaration publique, Évariste Ndayishimiye souhaite d’ailleurs que les États-Unis reconsidèrent leur position concernant leurs sanctions. Il devra également aplanir ses relations avec l’Union européenne qui, depuis six ans, a gelé près de quatre cent quarante millions d’euros d’aides. Notons que la France a repris langue avec le pays l’année dernière en matière de coopération. L’Organisation internationale de la francophonie va également lever les sanctions frappant le pays, signe encourageant pour beaucoup. Il s’agit de faire revenir et d’attirer plus encore bailleurs, investisseurs et autres subventions via une diversification des partenariats. Si Vladimir Poutine s’est empressé de saluer l’élection du nouveau président, si la Chine est très présente, même chose pour l’Inde dont les relations avec le Burundi sont « au beau fixe », les investissements de ces trois pays ne suffiront à l’évidence pas à remettre le Burundi sur pied. D’autant plus qu’au niveau de l’attractivité économique, le Burundi fait pâle figure face à la concurrence des pays de la sous-région (Tanzanie, Rwanda et Kenya notamment).
En matière de libertés publiques et de droits de l’Homme, Évariste Ndayishimiye devra également s’atteler à ces questions qui nuisent – c’est le moins que l’on puisse dire – à l’image et à l’attractivité du Burundi, notamment en Occident. Dès lors, des actes emblématiques mais finalement peu coûteux comme la libération de journalistes emprisonnés – on pense notamment ici à ceux d’Iwacu, seul journal libre du pays –, pourraient s’avérer porteurs. Idem pour la reprise de la collaboration avec le Haut-commissariat de l’ONU pour les droits de l’Homme.
Derrière toutes ces questions sanitaires, diplomatico-économiques, c’est toute la question des enjeux de pouvoir au sein du CNDD-FDD qui est posée. Entre tenants d’une ligne dure, partisans d’un accommodement voire d’une ouverture, Évariste Ndayishimiye doit pour le moment naviguer plus ou moins à vue et continuer à jouer le flou sur ses positions. De plus, la mainmise du CNDD-FDD sur la vie économique et la corruption galopante – le Burundi est à la dix-neuvième place des pays les plus corrompus du monde selon Transparency International – ne vont pas nécessairement faciliter les choses.
Objectivement, Évariste Ndayishimiye n’a pas vraiment le choix, il ne peut qu’ouvrir le Burundi. Cependant, on aurait peut-être tort de donner dans l’angélisme. On peut très bien imaginer un pays qui, à part deux ou trois actes symboliques calmant les « bonnes consciences » occidentales, permettant la levée des sanctions économiques, reste dans la ligne de feu Pierre Nkurunziza, soufflant le chaud et le froid, jouant un panafricanisme fictif et dévoyé, et continuant sa gestion en mode népotique, le tout accompagné des traditionnelles logorrhées sur le développement du pays. Tout cela au grand dam des Burundais.