Alors que les tensions internationales demeurent fortes et semblent dessiner un nouvel ordre géopolitique, Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation, analyse l’évolution récente des relations entre la France et le Brésil, et décrypte en parallèle la volonté du président Lula de mener une politique étrangère affirmée et indépendante.
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a été invité à Paris les 22 et 23 juin par son homologue français, Emmanuel Macron, et la présidente de la Barbade, Mia Mottley, à participer au « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ». Une centaine de chefs d’Etat ont été sollicités. L’Inde, présidente en exercice du G20, est l’une des « petites mains » de l’événement. La présence du mandataire brésilien est restée incertaine jusqu’au dernier moment.
Des invitations croisées, en veilleuse prolongée
La présidence brésilienne avait fait savoir que le déplacement de Lula, pour ce Sommet financier international, devait avoir un volet franco-brésilien. Cette annonce exprimait une attente brésilienne révélatrice de rendez-vous restés en suspens.
Luiz Inacio Lula da Silva, le 26 janvier 2023, avait reçu un appel téléphonique d’Emmanuel Macron. Il l’avait remercié pour son soutien démocratique, après la tentative de prise du pouvoir par des opposants d’extrême droite, le 8 janvier, puis, au cours de leur échange, l’avait invité à Rio et à Belém. À Rio pour visiter le chantier des sous-marins de technologie française d’Itaguai, construits à la suite d’un accord signé en 2009 par le français Navalgroup et le brésilien ICN (Itaguai Construções Navais). À Belém pour participer au sommet sur l’Amazonie et sa forêt organisé par l’OTCA (Organisation du traité de coopération amazonienne), les 8 et 9 août 2023.
Emmanuel Macron lui avait répondu en mode « berger à la bergère », conviant Lula à Libreville pour assister les 1er et 2 mars 2023 au Sommet de défense des forêts tropicales, dit « One Forest Summit », inventé par la France et le Gabon1Note de presse de la présidence brésilienne, 26 janvier 2023, « Presidente Lula conversa por telefone com o presidente francês Emmanuel Macron ».. Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, avait rencontré son homologue brésilien, Mauro Vieira, le 8 février 2023, déplacement présenté par la presse locale comme préparatoire à la venue d’Emmanuel Macron au Brésil au premier semestre de l’année 2023. La ministre française avait également été reçue par le président brésilien.
Luiz Inacio Lula da Silva n’a pas assisté au « One Forest Summit » de Libreville le 1er mars. Mauro Vieira s’est rendu à Paris le 6 juin 2023 où il a été reçu par Catherine Colonna. Il n’a pas rencontré le président français. Emmanuel Macron n’a pas effectué de visite au Brésil au cours du premier semestre 2023.
Les deux chefs d’État ont eu un entretien en « présentiel » à Hiroshima, en marge du G7, le 20 mai 2023. Cette rencontre s’est déroulée dans un contexte difficile. Le Brésilien a en effet contesté le directoire mondial que prétendent incarner les États-Unis et leurs alliés européens et asiatiques. Il a rappelé son souhait d’une gestion la plus multilatérale possible des affaires du monde et des crises du moment, à commencer par la guerre en Ukraine. Le Brésil étant le prochain pays présidant le G20, à partir du 1er décembre 2023, Lula lui a signalé son attente d’un G20 politique, supposant une réactivation de la relation stratégique avec la France, sur un périmètre dépassant l’écologie et la défense, concernant donc les grands contentieux internationaux, en particulier celui de la Russie et de l’Ukraine.
Le communiqué brésilien résumant les points évoqués le 6 juin 2023 à l’issue de la venue à Paris de Mauro Vieira, ministre des Affaires étrangères, rappelle l’importance du sommet bruxellois Union européenne/CELAC (Communauté d’États latino-américains et caribéens), les 17 et 18 juillet prochains, le rendez vous amazonien de l’OTCA, les 8 et 9 août, et la demande brésilienne, en marge du Sommet pour un nouveau Pacte mondial, d’un dialogue direct entre les deux chefs d’État le 22 juin 2023. Quel a été le résultat de ces prises de contact multiples ? Les deux présidents ont-ils pu avoir une vraie réunion de travail sur les dossiers évoqués précédemment ?
Les échanges en tête-à-tête souhaités avec la France sont pour la plupart restés en suspens. D’autres contacts ont pu être organisés pour parler de la guerre en Europe et de l’accord UE/CELAC, avec l’Allemagne, l’Espagne, la Finlande, l’Italie, le Vatican, tout comme avec la présidente de la Commission européenne. Ils n’ont pas ouvert de fenêtres de dialogue entre belligérants sur le contentieux Ukraine-Russie, ni sur l’accord Mercosul/UE jugé inégal par Brasilia comme par Buenos Aires. La perspective d’une ratification de ce traité à Bruxelles le 18 juillet 2023 à l’occasion du sommet CELAC/UE s’est donc éloignée. Ce sommet a été organisé à la demande de la présidence espagnole de l’Union européenne, le gouvernement espagnol s’étant présenté ces derniers mois en avocat du Mercosul. Mais à Madrid, les autorités ont été accaparées depuis le 29 mai par les élections législatives anticipées du 23 juillet prochain et ne sont pas, ou plus, en mesure d’assurer un suivi et de donner une impulsion. Par ailleurs, au Brésil après les industriels, le monde de l’agriculture familiale – des producteurs au ministre – a multiplié les demandes de renégociation du traité2Rebrip, la coordination d’organisations non gouvernementales brésiliennes (en portugais, Rede brasileira pela integraçaão dos povos) a publié un document contre la ratification de l’accord intitulé 10 Motivos para dizet Não ao Acordo Mercosul-UE.. Tous ces éléments pourraient conduire le chef d’État brésilien à ne pas assister au sommet Union européenne/CELAC des 17 et 18 juillet prochains.
Brésil et France, complémentarités laborieuses
Depuis treize ans, les rapports bilatéraux franco-brésiliens cherchent un dénominateur partagé, sans vraiment le trouver.
L’accord stratégique bilatéral du 23 décembre 2008 avait marqué une inflexion positive. Les visites présidentielles croisées de Luiz Inacio Lula da Silva et de Nicolas Sarkozy, à Paris, Brasilia et Rio, avaient donné un contenu concret à la coopération entre les deux pays, contractualisée en 2008. La France soutenait l’ambition du Brésil d’accéder comme membre permanent au Conseil de sécurité, et le Brésil achetait à la France quatre sous-marins conventionnels et un sous-marin à propulsion nucléaire.
La fin du deuxième mandat de Lula s’était achevée sur ce qui aurait pu marquer, pour le Brésil, un changement d’époque diplomatique. Le 17 mai 2010, le Brésil et la Turquie signaient avec l’Iran un accord censé ouvrir la voie à un compromis sur le contentieux nucléaire iranien3Texte de l’accord dans Victor Toniolo, Resolução de conflitos internacionais, Declaração de Teerã, Curitiba, Appris Editora, 2019, pp. 157-158.. Mais la France et les autres membres permanents du Conseil de sécurité avaient considéré que cette initiative était non avenue. Le 19 juin 2010, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité adoptaient un nouveau train de sanctions contre Téhéran. Le Brésil et la Turquie, membres non permanents, votaient contre. La perspective d’achat de Rafales, éventuellement couplée avec celle de l’Inde, annoncée par Lula le 8 septembre 2009, a été mise en veilleuse en 2010, avant d’être écartée par la présidente Dilma Rousseff, qui avait pris ses fonctions le 1er janvier 2011.
Les années suivantes, Michel Temer, président intérimaire après la destitution de Dilma Rousseff en 2016, et surtout Jair Bolsonaro, élu en 2018, avaient élargi le champ des incompréhensions. Le Brésil prenait une direction stratégique alignant sa diplomatie sur celle des États-Unis de Donald Trump, provoquant un écart croissant entre le Brésil et la France, qui allait encore s’approfondir en 2019. Le président français Emmanuel Macron proposait en effet le 25 août 2019 au G7 de Biarritz une gouvernance de l’Amazonie, associant les peuples autochtones et ouvrant la voie à une internationalisation de cette gouvernance. Le premier mandataire français avait déclaré « respecter la souveraineté brésilienne » mais qu’on ne pouvait laisser faire la « destruction » de l’Amazonie. Le 20 juin 2020, au sommet du G7 d’Osaka au Japon, il avait accusé d’écocide Jair Bolsonaro, le président brésilien, et avait écarté toute ratification de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosul si le Brésil ne respectait pas l’accord de Paris de 2015 (COP21) sur les changements climatiques.
Cette annonce avait braqué les autorités brésiliennes et avait dégénéré en une sordide polémique. Le président Jair Bolsonaro et son entourage avaient en effet ironisé sur le physique de Brigitte Macron. Quelque temps plus tard, le président Bolsonaro faisait publiquement savoir qu’il ne pouvait recevoir le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en raison d’un rendez-vous avec son coiffeur.
Le ministère de la Défense brésilien, selon le quotidien Folha de São Paulo du 7 février 2020, avait publié un document confidentiel actualisant la stratégie nationale de défense, qui ciblait la France comme la menace sécuritaire potentielle la plus importante sur la souveraineté brésilienne en Amazonie. Compte tenu de ce contexte, le gouvernement français n’était pas représenté à la mise à flot des deux premiers sous-marins conventionnels de type Scorpène en 2018 et 20204Le Riachuelo et le Humaita., mis en chantier en application du contrat signé en 2009 par la DCNS (aujourd’hui Navalgroup) et ICN.
2022, une décrispation en attente de retombées
L’alternance brésilienne, sanctionnée par la victoire à l’élection présidentielle, le 30 octobre 2022 de Luiz Inacio Lula da Silva a décrispé la relation. Le président français s’est réjoui de la victoire obtenue par Lula, qu’il a félicité le 31 octobre. Il l’a de nouveau appelé le 26 janvier 2023, pour lui manifester la solidarité démocratique de la France après l’occupation par des opposants d’extrême droite le 8 janvier, de la présidence, du Parlement et du Tribunal suprême. Il a par ailleurs signalé l’intérêt qu’il portait à la réactivation de l’accord stratégique signé par les deux pays en 2008 et a à cette occasion invité Lula à la conférence « One Forest Summit », coorganisée à Libreville par la France et le Gabon le 1er mars 2023, comme indiqué plus haut. Lula en retour l’a convié à la conférence de l’OTCA sur l’Amazonie, organisée à Belém au Brésil, les 8 et 9 août 2023, en présence des chefs de gouvernement des pays amazoniens5Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam, Venezuela.. Il lui a également signalé qu’il était invité à visiter le chantier des sous-marins de technologie française construits près de Rio. Ultérieurement, comme on l’a vu, Emmanuel Macron a par ailleurs convié son homologue brésilien à la conférence financière internationale coorganisée par la France et la Barbade, à Paris, au palais Brongniart les 22 et 23 juin 2023.
Ce chassé-croisé d’invitations a porté peu de fruits. Le changement de tête dirigeante au Brésil a bien dégagé les polémiques. Lula a participé les 22 et 23 juin 2023 au Sommet de Paris sur le Pacte financier mondial, tout en indiquant quelques heures avant de s’envoler vers l’Europe, le 19 juin, que parler de l’Amazonie, en Égypte, à Berlin ou à Paris, « c’est une chose », mais que cela en est une autre de « parler d’Amazonie, en Amazonie », c’est-à-dire à Belém les 8 et 9 août 2023 et à nouveau à Belém pour la COP30 en 20256« Conversa com o presidente », Compte-rendu dans le Jorna do Brasil, 19 juin 2023.. Les raisons d’un malentendu persistant sont nombreuses, moins conjoncturelles que structurelles, et relèvent d’une double difficulté reflétant l’évolution du positionnement international des deux pays.
La France rechigne, de fait, à accepter de traiter sur un pied d’égalité un chef d’État brésilien. La France, tout en soutenant depuis 2008 la candidature brésilienne au cercle fermé des membres permanents du Conseil de sécurité, ne lui en accorde pour l’instant aucun privilège particulier. Le 1er janvier 2023, c’est le ministre du Commerce extérieur qui a représenté la France aux cérémonies de prise de fonction du président brésilien. Compte-tenu de la qualité institutionnelle des autres représentants, présidents, chefs d’État et de gouvernement, présidents de parlements, il a été le dernier à présenter les félicitations de son pays, la France, au nouveau premier magistrat du Brésil. Le Brésil, d’un point de vue français, est de fait cantonné aux grands rendez-vous internationaux portant sur la défense de l’environnement et à la signature de grands contrats.
La France a soutenu l’organisation de la COP30 à Belém. Luiz Inacio Lula da Silva a été invité aux conférences de Libreville et de Paris, parmi d’autres, pour des événements initiés par la France. En revanche, l’Élysée et le Quai d’Orsay ont répondu tardivement aux sollicitations de Lula invitant le chef de l’État français à participer à la défense de l’Amazonie, au Brésil.
Cela arrive, il est vrai, dans un contexte diplomatique français ayant « déclassifié » internationalement le Brésil, comme l’ensemble des pays de sa région. De 2017 à 2023, Emmanuel Macron a été le premier chef d’État de la Ve République à n‘effectuer aucune visite officielle ou de travail dans l’un quelconque des pays d’Amérique latine. Il est certes allé en Argentine en novembre 2018, mais il s’agissait d’une réunion du G20. Le Brésil présidant le G20 en 2024, Emmanuel Macron pourrait donc se rendre à Rio de Janeiro les 17 et 18 novembre 2024 pour assister à cette rencontre économique multilatérale. Peut-être reviendra-t-il au Brésil en 2025 pour participer à la COP30, autre manifestation intergouvernementale organisée au Brésil ?
Les propos des autorités brésiliennes concernant la défense de la forêt amazonienne et de ses autochtones et le rappel d’une exigence écologique miroir exigée par Paris pour débloquer la ratification de l’accord Union européenne/Mercosul ont gardé en 2023 le cap signalé depuis 2019. Emmanuel Macron a symboliquement reçu le 5 juin 2023 une personnalité indigène amazonienne, le chef Raoni Metuktire, parce que, a-t-il écrit, « nous sommes attentifs à ce qu’il nous dit, à dix-huit jours du Sommet de Paris sur le nouveau pacte financier global ». Le Brésil avait-il été informé de cette invitation qui, au-delà de retombées politiques intérieures françaises, avait aussi un caractère international et bilatéral ? Il a suscité le commentaire suivant de Lula, le 19 juin 2023 : « Une chose est de discuter de l’Amazonie en Égypte, à Berlin, […] à Paris. Bientôt nous allons en parler […] en Amazonie ». À Belém (en août 2023 et en 2025), « nous allons discuter de la question indigène » (en Amazonie) « en face à face avec les indigènes »7Cf. note 5.. À bon entendeur…
L’accord stratégique franco-brésilien de 2008 avait déjà été borné par Nicolas Sarkozy à l’environnement et à la défense. L’écologie, qui plus est, cadrait la négociation de l’accord Mercosul/Union européenne. Le respect de ces normes, telles que définies dans l’accord de Paris de 2015, négocié par la COP21, conditionne, pour la France, l’ouverture des marchés et la ratification de l’accord Mercosul-UE. La défense est l’autre volet de la coopération bilatérale. Elle consiste en la vente, couplée sur des transferts de technologie, de matériels militaires français au Brésil. Les échanges à caractère plus ambitieux, sur la sécurité internationale et les crises du monde, ont été exclus du cadre « stratégique » de l’accord ainsi défini. Hier, il s’agissait de l’Iran et, aujourd’hui, de la Russie et de l’Ukraine. Le caractère restrictif de l’interprétation par la France de l’accord stratégique avait été regretté par le Brésil dès 2010, la France n’ayant pas donné suite à l’initiative turco-brésilienne de résolution du contentieux nucléaire avec l’Iran. La proposition brésilienne de créer, en 2023, un cadre de dialogue entre la Russie et l’Ukraine a reçu le même accueil au sommet du G7 d’Hiroshima. Aujourd’hui comme en 2010, la France, comme les autres membres permanents du Conseil de sécurité, considère que les frontières de l’émergence ne peuvent pas être franchies par le Brésil ou la Turquie.
Le chef de l’État français, a reçu, un grand nombre d’« homologues » latino-américains à l’Élysée. Cela n’a pas généré une quelconque réciprocité. Le président français, on l’a dit, n’a effectué aucune visite officielle ou de travail en Amérique latine. Ce surplomb protocolaire est révélateur d’un sentiment d’appartenance au cercle fermé des pays ayant une capacité d’agir sur le monde. On notera que certains des acteurs de ce premier cercle, comme l’Allemagne ou la Commission européenne, ont adopté une autre attitude et ont visité Brasilia. Et que d’autres chefs d’État ou de gouvernement européens, de Croatie, d’Espagne, de Finlande, des Pays-Bas, ou du Portugal, ont effectué des visites officielles ou de travail au Brésil. Cette exceptionnalité présidentielle française, ces dernières années, surprend d’autant plus que la France, membre permanent du Conseil de sécurité, a des obligations universelles. Peut-être Emmanuel Macron n’a-t-il pas d’affinité élective avec cette région du monde, à la différence du général de Gaulle, de François Mitterrand, voire de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Peut-être ce comportement illustre-t-il un trait de caractère, mis en évidence par les historiens des relations internationales, qui contraint la rationalité diplomatique au point de mettre entre parenthèses les considérations stratégiques8Pierre Renouvin, Jean-Baptiste Duroselle, Introduction à l’étude des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1991. ? Mais il est vrai aussi qu’en rentrant dans le rang occidental, en intégrant l’organisation militaire de l’OTAN, en 2009, la France a quelque part réorienté sa vision d’elle-même et hiérarchisé en conséquence la qualité de ses relations avec telle ou telle région du monde. Les facteurs symboliques exprimés par ce comportement diplomatique sont « immensément importants » et relèvent de l’habillage de « la raison du plus fort », a rappelé dans l’un de ses ouvrages le philosophe et essayiste brésilien Jesse Souza9Jesse Souza, Como o racismo criou o Brasil, Rio de Janeiro, Estação Brasil, 2021.. L’interprétation des protocoles diplomatiques se fait donc à Paris selon un code répondant à la puissance et à l’influence prêtées à tel ou tel État, excluant de toute réciprocité les chefs d’État latino-américains, dirigeants d’États considérés à responsabilités – diplomatiques, économiques, financières, militaires, technologiques – limitées.
Le Brésil s’efforce en 2023 de retrouver l’élan des années présidentielles de Lula qui, de 2003 à 2010, avait multiplié les initiatives destinées à donner à son pays une dimension d’acteur global. Le Brésil avait ces années-là pris la direction d’une opération de paix onusienne en Haïti, la MINUSTAH. Il avait été à l’origine de constructions diplomatiques multilatérales, du groupe Ibas (Inde, Brésil, Afrique du Sud) à l’Unasur (Union des nations sud-américaines) et avait participé à la constitution des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et de la CELAC. Il avait également initié des rencontres entre Sud-Américains et Africains, Sud-Américains et pays de la Ligue arabe. Toutes ces ambitions avaient été résumées alors par la formule popularisée par Celso Amorim, ministre des Affaires étrangères et de la Défense, aujourd’hui conseiller international du président, comme « une politique active et de haut niveau »10Celso Amorim, Teernan Ramalá e Doha, Memórias da Politica Externa Ativa e Altiva, São Paulo, Benvirá, 2015..
Lula, réélu en 2022, a pris note du comportement diplomatique français. Le président brésilien a défriché d’autres pistes, toutes allant dans la direction d’un multilatéralisme répondant aux intérêts du Brésil, présenté comme facteur d’équilibre et de contrepoids, et donc de paix. Il a rencontré Joe Biden le 10 février 2023, Xi Jinping le 28 mars 2023, et a ouvert avec eux ce qui pouvait conforter les éléments d’une intergouvernabilité, et par ricochet la place du Brésil. L’ancienne présidente Dilma Rousseff dirige la banque des BRICS11La NBD, Nouvelle Banque de développement. depuis le 27 mars 2023. L’environnement est au centre de ces ambitions multilatérales. Le Brésil a donné un nouveau dynamisme à l’OTCA, qui est convié à Belém les 8 et 9 août 2023. À cette occasion, le Brésil et la Colombie devraient faire conjointement des propositions. La COP30 en 2025 va se tenir également à Belém.
Parallèlement, le Brésil de Lula a décidé d’assumer un rôle de coordinateur de l’Amérique du Sud. Le 30 mai 2023, il a organisé à Brasilia une réunion n’excluant aucun pays d’Amérique du Sud, refusant de prendre en considération toute idéologie. Le Venezuela, banni en 2017 par les gouvernements alors « libéraux » et pro-occidentaux du Groupe de Lima, était donc présent, comme le Pérou internationalement suspendu par les « progressistes » de Colombie et du Mexique, après l’arrestation du président Pedro Castillo en décembre 2022. Rendez-vous a été pris en septembre prochain pour examiner un cahier de propositions d’intérêt partagé. Dans l’attente, le Brésil a signalé qu’il associait le Paraguay et l’Uruguay à sa présidence du G20, du 1er décembre 2023 au 30 novembre 2024.
Le Brésil de Lula défend la légitimité supérieure du multilatéralisme, exprimant et pratiquant un non-alignement centré sur les Nations unies12Jean Jacques Kourliandsky, « Lula et le sens du retour au monde du Brésil », Fondation Jean-Jaurès, 11 avril 2023.. Cet engagement a déçu tous ceux qui espéraient un Brésil partie prenante du monde occidental, acceptant le directoire des États-Unis, des pays membres et amis de l’Alliance atlantique, et de l’Union européenne. Il n’est pas pour autant sous influence russe, en dépit ou parce que membre du groupe des BRICS. Le Brésil a condamné à l’ONU l’invasion de l’Ukraine, pays membre, par la Russie qui siège comme membre permanent au Conseil de sécurité.
Malgré le rejet de toute médiation sur le conflit russo-ukrainien par les pays « atlantiques » et assimilés, et en dépit des contentieux concernant l’accord Mercosul/Union européenne, le Brésil est ménagé par certains « Occidentaux ». Acceptant de jouer la coopération « à la carte », et compte tenu du poids réel et potentiel du Brésil, l’Allemagne, l’Espagne, le Japon, et le Portugal ont multiplié les contacts au moment où la France, les conditionnant, les mettait en « veilleuse »13Jean Jacques Kourliandsky, « Prochain Sommet Union européenne-Amérique latine : présidence espagnole, préparation allemande ? », Note de l’IRIS, 13 février 2023..
- 1Note de presse de la présidence brésilienne, 26 janvier 2023, « Presidente Lula conversa por telefone com o presidente francês Emmanuel Macron ».
- 2Rebrip, la coordination d’organisations non gouvernementales brésiliennes (en portugais, Rede brasileira pela integraçaão dos povos) a publié un document contre la ratification de l’accord intitulé 10 Motivos para dizet Não ao Acordo Mercosul-UE.
- 3Texte de l’accord dans Victor Toniolo, Resolução de conflitos internacionais, Declaração de Teerã, Curitiba, Appris Editora, 2019, pp. 157-158.
- 4Le Riachuelo et le Humaita.
- 5Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam, Venezuela.
- 6« Conversa com o presidente », Compte-rendu dans le Jorna do Brasil, 19 juin 2023.
- 7Cf. note 5.
- 8Pierre Renouvin, Jean-Baptiste Duroselle, Introduction à l’étude des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1991.
- 9Jesse Souza, Como o racismo criou o Brasil, Rio de Janeiro, Estação Brasil, 2021.
- 10Celso Amorim, Teernan Ramalá e Doha, Memórias da Politica Externa Ativa e Altiva, São Paulo, Benvirá, 2015.
- 11La NBD, Nouvelle Banque de développement.
- 12Jean Jacques Kourliandsky, « Lula et le sens du retour au monde du Brésil », Fondation Jean-Jaurès, 11 avril 2023.
- 13Jean Jacques Kourliandsky, « Prochain Sommet Union européenne-Amérique latine : présidence espagnole, préparation allemande ? », Note de l’IRIS, 13 février 2023.