Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, auteur du blog La Constitution décodée, revient dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie sur la réforme des retraites. Pour sortir de la crise, une bonne (ré)solution serait sans nul doute d’organiser un véritable débat parlementaire autour du texte de loi plutôt que d’y couper court en légiférant par ordonnances.
À tous les lecteurs de La Constitution décodée, je souhaite une excellente année 2020 : qu’elle soit une année 20/20 et vous apporte le bonheur, la bonne santé et les succès que vous escomptez !
La coutume veut que l’on accompagne l’entrée dans la nouvelle année de bonnes résolutions. Parmi celles auxquelles souscrit l’auteur de ces lignes, il y a la volonté d’assumer avec fierté et dignité la fonction de président du Comité scientifique que m’a confiée, depuis le 1er janvier 2020, le Réseau mondial de Justice électorale (RMJE), en veillant à promouvoir l’excellence scientifique en matière de justice électorale et de démocratie.
À l’inverse, il n’y a pas celle de renoncer au regard critique sur l’actualité constitutionnelle, politique et parlementaire… dans laquelle on peut constater que le gouvernement, lui, ne semble pas vouloir sacrifier à cette coutume. Pourtant, une bonne résolution aurait été d’avoir davantage d’égards pour le Parlement.
La réforme des retraites passe par la loi : ce devrait être au Parlement de la discuter et de l’adopter
Le Premier ministre a formulé diverses annonces quant à la réforme des retraites, dans l’espoir de résoudre un conflit social qui détient désormais le record de longévité. Il ne s’agit pas d’en discuter le fond, mais davantage la forme et, surtout, d’évoquer la stratégie retenue.
Plusieurs syndicats ont souligné que le Premier ministre renonçait à l’âge pivot à 64 ans. Or c’est inexact : s’il y renonce, ce n’est que temporairement. Ce n’est qu’un jeu de dupes, permettant de donner satisfaction à certains partenaires sociaux pour lesquels renoncer à cette mesure était une condition de la reprise des négociations.
Le retrait de la mesure pourrait devenir définitif à la condition cependant, pour les syndicats, de trouver une solution garantissant un système financièrement équilibré, à compter de 2027. Et à la condition supplémentaire que la solution proposée n’entraîne « ni baisse des pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni hausse du coût du travail pour garantir la compétitivité de notre économie ».
Bon courage ! Le chemin d’une solution alternative paraît étroit. Il est vrai qu’il reste possible à tracer et c’est une manière stratégiquement habile de sortir de la crise actuelle. Le gouvernement va dans le sens des attentes des partenaires sociaux « et, en même temps », il ne renonce pas définitivement à sa mesure.
Mais ce n’est que reculer pour mieux sauter. Voire sauter davantage.
Car faute de solution alternative trouvée, non seulement l’âge pivot reviendra à 64 ans mais, en plus, il sera adopté par ordonnance, coupant court à tout débat parlementaire.
C’est précisément là que le gouvernement se trompe de stratégie. Puisque la réforme des retraites passe par la loi, ce devrait être au Parlement de la discuter et de l’adopter.
Le Premier ministre dispose certes de l’initiative des lois et, à ce titre, il a la charge d’élaborer un projet, à partir des négociations qu’il aura préalablement menées et en arbitrant les éventuels points de désaccord.
Mais ce devrait être ensuite au Parlement de débattre de la réforme, en poursuivant, si nécessaire, les échanges avec les partenaires sociaux, qui peuvent être entendus par le rapporteur du texte et par la ou les commissions saisies. Le débat parlementaire permettrait un échange d’arguments en un lieu adapté, prévu à cet effet, selon une procédure démocratique et transparente, destinée à aboutir à un texte amendé et amélioré, satisfaisant pour le plus grand nombre et adopté par la représentation nationale. L’une des vertus des textes adoptés avec un tel soin est souvent la pérennité : n’est-ce pas l’intention des initiateurs de ce projet ?
Le gouvernement ne serait pas dépourvu de toute marge de manœuvre puisqu’il dispose de la majorité, mais devrait effectivement composer avec elle. La majorité, en plus de s’honorer d’une telle implication, pourrait infléchir les choix de l’exécutif et parfaire le texte. L’opposition pourrait faire entendre sa voix. Celle des partenaires sociaux y serait entendue et relayée par les parlementaires qui soutiennent leur cause.
Pour cela, il faut du temps. Mais quelle urgence y a-t-il à faire adopter une loi qui ne déploiera ses effets que dans plusieurs années ?
Comme c’est trop souvent le cas désormais, le Parlement est marginalisé alors qu’il y aurait tant à gagner à l’associer pleinement au processus de réforme. Pis, le gouvernement a annoncé que le texte serait examiné selon la procédure accélérée, alors qu’aucune urgence n’est avérée… sauf peut-être celle de se débarrasser au plus vite de ce qui plombe la popularité de la majorité.
D’autant plus qu’Édouard Philippe a annoncé que les résultats des concertations sur l’équilibre du financement seront intégrés au projet de loi en deuxième lecture, en avril prochain. En plus de la difficulté de devoir respecter, alors, les exigences de la procédure parlementaire, interdisant tout ajout qui ne présente pas de lien direct avec une disposition encore en discussion, on s’étonne d’une promesse d’une deuxième lecture, avec engagement de la procédure accélérée car l’objectif de celle-ci est précisément d’éviter celle-là (ainsi que les délais contraints par la Constitution).
Confier au Parlement le soin de discuter et adopter effectivement les lois n’est pas original, mais peut constituer parfois une bonne solution, au point de s’élever en bonne résolution. Tous n’y souscrivent pas.