Cet été, voyager à travers l’Allemagne coûte moins cher : face à la hausse des prix de l’énergie, le gouvernement allemand a décidé de mettre en place des billets de train à neuf euros dans l’ensemble du pays. Le dispositif sera-t-il suffisant pour convaincre cette grande nation automobile d’abandonner la voiture au profit du rail ? Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse les enjeux du virage ferroviaire de Berlin.
Cet été, voyager à travers l’Allemagne coûte moins cher : face à la hausse des prix de l’énergie, le gouvernement a en effet pris l’initiative de non seulement faciliter le ravitaillement des voitures, mais également de diminuer drastiquement le prix des voyages en bus et en train.
Depuis le moins de juin et jusqu’au mois d’août 2022, dans l’ensemble du pays, des tickets mensuels à neuf euros permettent de voyager dans tous les bus et trains des transports locaux et régionaux. L’initiative connaît déjà un succès retentissant : à la fin du mois du juin, plus de 21 millions de tickets avaient déjà été vendus.
Pour la coalition gouvernementale, il s’agit de d’abord réagir en urgence à l’alarmante hausse des prix de l’énergie de ces derniers mois. Mais il y voit également une opportunité d’analyser à grande échelle si les voyageurs allemands sont réellement prêts à changer leurs habitudes de mobilité lorsqu’on leur offre la possibilité d’accéder aux transports publics à prix réduits. Dans la perspective du combat pour la réduction des émissions du CO2, cette expérimentation pourrait s’avérer décisive.
Une mobilité respectueuse du climat
On pourra remarquer et regretter que l’expérimentation menée sur les transports publics soit faussée par la réduction concomitante de la taxe énergétique sur les carburants : il est difficile d’inciter à abandonner la voiture si, dans le même temps, on encourage les automobilistes à utiliser leurs véhicules.
Cependant, dans un pays où l’automobile occupe une aussi grande place, une hausse excessive du prix des carburants nécessitait une réaction politique. Les taxes sur les carburants sont temporairement réduites.
Malgré cette aide aux automobilistes, les premiers chiffres du mois de juin 2022 montrent que les tickets à neuf euros ont déjà permis de réduire les embouteillages aux heures de pointe. D’après une analyse menée pour l’agence de presse allemande par le spécialiste des données de trafic TomTom, le trafic aurait ainsi diminué dans 23 des 26 villes examinées. D’après Ralf-Peter Schäfer, responsable chez Tomtom, les données « suggèrent que cette baisse est liée à l’introduction du billet à neuf euros ». De même, ceux qui prennent leur voiture pour aller travailler ont perdu moins de temps derrière le volant au mois de juin par rapport au mois de mai, et ce dans presque toutes les villes étudiées.
Cette baisse de l’utilisation de la voiture est directement liée à l’introduction des billets à neuf euros, dont le succès était inattendu. Une récente analyse de l’Office fédérale de la statistique (Destatis) confirme qu’au cours du premier mois qui a suivi l’introduction du billet à neuf euros, le volume des voyages en train a considérablement augmenté. L’étude se base sur l’évolution des données de téléphonie mobile. En juin 2022, pour les trajets de 30 kilomètres et plus, les mouvements nationaux dans le transport ferroviaire étaient en moyenne supérieurs de 42% à ceux de juin 2019 quand, en mai 2022, ils étaient seulement supérieurs de 3% à ceux de mai 2019. En comparaison, les activités de trafic routier ont depuis le début de l’année été pour la plupart légèrement supérieures au niveau d’avant la crise de 2019, mais on constate une baisse modérée depuis l’introduction du billet à neuf euros en juin 2022.
Ces chiffres encourageants donnent des idées à certains. À l’image de Deutsche Umwelthilfe, des organisations environnementales réclament désormais l’introduction d’un « ticket climatique » pour les transport locaux et régionaux, utilisable partout en Allemagne à partir de septembre 2022. Ses défenseurs proposent de fixer son prix à 365 euros par an, soit 1 euro par jour.
Selon eux, face à une crise énergétique qui s’aggrave de plus en plus, le politique doit agir. Pour eux, il est impensable que l’on en revienne dans les transports publics aux abonnements annuels à plus de 1000 euros pour une seule ville et au chaos tarifaire.
Le journal dominical Das Sonntagsblatt a en effet décrit avec humour le chaos tarifaire du transport public allemand, entre zones tarifaires inexplicables, complications pour monter dans un train avec un vélo, et réductions incompréhensibles si on voyage en groupe ou si on veut être accompagné d’un chien. Pour ne citer qu’un exemple de ce système ubuesque : si un chien n’est pas considéré par l’entreprise de transport comme un vélo, il peut cependant parfois être considéré comme un enfant. Le portail de billets de la Deutsche Bahn indique ainsi que « si votre chien est plus gros qu’un chat domestique, alors il a besoin de son propre billet ». Lors de la réservation en ligne, il est donc indiqué qu’il faut déclarer le chien « comme un enfant âgé de six à quatorze ans qui voyage non accompagné ». Comprenne qui pourra.
Le ministre fédéral des Transports, le libéral Volker Wissing, veut donc moderniser les transports publics. Il ambitionne tout d’abord de mettre en place des structures plus modernes, pour que les transports en commun soient plus facilement utilisables. « Les gens ne vivent pas dans des zones tarifaires, les gens veulent aller de A à B », a-t-il déclaré. Avec une offre simplifiée – comme un abonnement annuel aux transports en commun à 365 euros –, des millions de passagers pourraient être gagnés. L’exemple autrichien l’a déjà montré.
L’indispensable modernisation des transports publics
En sus d’une offre tarifaire plus simple et moins chère, les transports publics doivent être modernisés avec des fréquences plus adaptées pendant les heures de pointe le matin et le soir ou, pour des lignes touristiques très fréquentées, pendant les week-ends.
Pour que les passagers se tournent vers le train, il faut leur offrir un service supérieur à ce qui se fait actuellement. C’est depuis longtemps la position de Pro Bahn, une association de voyageurs qui voit ses critiques confirmées par l’expérience du billet à neuf euros. Pendant les heures de pointe, la demande sur les routes principales est actuellement si élevée que les trains ne peuvent souvent pas partir. Ce chaos s’est surtout manifesté pendant le long week-end de la Pentecôte sur les lignes permettant de rejoindre les montagnes bavaroises ou les plages au Nord. Un chaos parfaitement prévisible, conséquence inévitable de l’absence d’investissements dans les lignes et dans le parc ferroviaires.
Le problème vient tout d’abord de la société Die Bahn, les chemins de fer opérant sous tutelle fédérale. Avec environ 5400 kilomètres de rails démantelés depuis l’an 2000, elle est la responsable principale du détricotage du réseau national au cours des vingt-cinq dernières années.
Mais cette responsabilité est partagée avec les pouvoirs publics. Les États fédéraux et les municipalités sont également chargés de réaliser les investissements nécessaires dans les transports publics des villes et des communes. Pour eux aussi, l’expérience du ticket à neuf euros doit servir à tirer des leçons pour l’avenir : il leur faut mettre les moyens financiers et politiques pour que l’offre des transports publics s’adapte à la demande, à la fois en quantité et en qualité : prix moins chers en zones métropolitaines, trains plus longs en cas des nécessité, et services à la demande dans les zones rurales.
La révolution de la mobilité allemande ne pourra avoir lieu si le pays ne dispose pas de liaisons ferroviaires dignes d’une grande nation écologique. Cela implique une fréquence de trains plus élevée, des nouvelles lignes et une offre tarifaire simplifiée. C’est seulement à ce prix qu’il sera possible de gagner davantage de passagers et de convaincre les automobilistes d’abandonner leurs voitures. Sans ces efforts de long terme, le ticket à neuf euros restera comme une promesse sans lendemain, une déclaration de bonne intention sans impact majeur sur la réduction des émissions de CO2 à long terme.