Comment lutter contre le mal-logement étudiant alors que les résidences universitaires du Crous ne logeaient qu’un étudiant boursier sur quatre en 2021, que les loyers n’ont cessé d’augmenter et que les jeunes sont davantage touchés par la pauvreté que les autres classes d’âge ? À l’approche de la rentrée universitaire, Vincent Daël, doctorant en droit de la santé, et Nicolas Knauf, collaborateur d’élu, dressent un état des lieux de cette politique publique qui doit être repensée en tenant compte de l’augmentation des besoins et de leur évaluation nécessaire.
Bien loger les étudiants, c’est répondre à ce qui constitue le mal-logement étudiant. Un sujet tout d’abord mal compris, car mal étudié. Bien loin de l’image des grandes barres de cité U avec leurs minuscules chambres, la réalité qui se révèle au fil de l’analyse est plutôt celle de millions d’étudiants dans des petits studios du parc privé, mal adaptés à leurs besoins et souvent trop chers pour leur niveau de vie. Ce constat, associé à notre expérience personnelle, en tant qu’étudiants et militants, s’accompagne d’un sentiment d’injustice quand on sait la difficulté de quitter le foyer familial pour mener des études dans une ville qu’on ne connaît pas. C’est également ce qu’ont pu ressentir des millions de Françaises et de Français lorsqu’en pleine crise liée à la pandémie de Covid-19, ils ont été confrontés aux images d’une jeunesse confinée, appelant à l’aide. Ces étudiants isolés, témoignant de leur détresse psychologique, ont mis la lumière sur une politique publique mal pensée, en raison de son absence de finalité. Pourquoi construire du logement étudiant ? Pour loger les étudiants. Ce pléonasme résume assez bien la manière dont l’action publique est ici mal envisagée. Sans objectifs déterminés, les conditions de son succès sont floues. Si on veut lui redonner un cap, il faut (ré)envisager la mission d’intérêt général que doit viser le logement étudiant. À la question « pourquoi loger les étudiants ? », nous répondons : « pour permettre leur émancipation », c’est-à-dire le passage à l’autonomie par la poursuite des études.
Sans avoir l’ambition d’être exhaustifs dans cette recherche documentaire, nous avons établi un tour d’horizon des principaux travaux ayant été réalisés sur le sujet du logement étudiant en France. Ils permettent notamment d’envisager les usages, les pratiques, ou encore les comportements des étudiants vis-à-vis de leur logement.
Nous ne déterminerons pas les besoins des étudiants à leur place. Des enquêtes de terrain auront pour vocation de s’en charger. Mais nous avons, dans un premier temps, tenté d’en tracer le contour, en identifiant ce en quoi consisterait « bien loger » les étudiants, avec pour objectif une politique sociale dont la principale mission serait de permettre leur émancipation.
Cette première note a pour objet de dresser un état des lieux étayé par les derniers chiffres du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) publiés en 2021.
Pas d’égalité sociale sans droit au logement étudiant
Pouvoir se loger lorsqu’on est étudiant : un privilège qui perpétue les inégalités sociales
Une politique publique transversale qui passe sous les radars
Le logement étudiant fait partie des politiques publiques transversales situées à l’intersection de plusieurs champs de compétences (l’enseignement supérieur, l’habitat, l’action sociale, la jeunesse). Du fait de la multitude d’acteurs qui interviennent dans son champ, cette compétence est par ailleurs perçue comme périphérique pour un grand nombre d’entre eux. Elle tend ainsi à passer sous les radars, ne se situant que rarement au centre des préoccupations des décideurs publics. Parce qu’il conditionne l’accès aux études, le logement étudiant recouvre pourtant des enjeux majeurs, questionnant notamment la vitalité de notre modèle républicain basé sur un certain idéal méritocratique.
Les études supérieures : un ascenseur social en déclin
Dans une société où le niveau de diplôme est le premier critère de répartition des emplois1Arnaud Degorre, Daniel Martinelli et Corinne Prost, Accès à l’emploi et carrière : le rôle de la formation initiale reste déterminant, Insee, 2009., le droit aux études supérieures constitue une promesse d’émancipation pour chaque classe d’âge. Augmentation du nombre d’étudiants, stagnation du nombre de places dans les formations, généralisation de la sélection à tous les niveaux d’études : les « parcours étudiants » se complexifient, et s’analysent sous le prisme de ce que des sociologues nomment parfois « carrières universitaires ». Celles-ci ne se résument plus au parcours d’études mais « se constituent dans l’enchevêtrement des activités sociales et des rôles sociaux multiples joués par les jeunes au cours de leur vie »2Annie Pilote, Stéphanie Garneau, « La contribution de l’entretien biographique à l’étude de l’hétérogénéité de l’expérience étudiante et de son évolution dans le temps », Recherches sociologiques et anthropologiques, 42-2, 2011..
Alors que la démocratisation des études supérieures visait à partager la connaissance au plus grand nombre et à limiter la reproduction des inégalités sociales, les jeunes interrogés dans les plus récentes enquêtes expriment leur sentiment de vivre moins bien que leurs parents, au point qu’il peut être permis de parler de « descenseur social » en lieu et place « d’ascenseur social »3 Claire Bernot-Caboche, « La galère des jeunes dits ”invisibles” », Les Cahiers du développement social urbain, 2020/1, n°71, p. 9..
L’accès et le maintien dans le logement : un mécanisme de ségrégation sociale
Parler du logement des étudiants, c’est évoquer les conditions matérielles qui rendent effectif l’accès aux études supérieures, mais également leur poursuite dans le temps.
Plus implicite que Parcoursup, l’accès au logement est le premier critère de sélection auquel le néo-bachelier est confronté dans son choix d’études. En effet, la capacité d’accéder à un logement opère une répartition entre les futurs étudiants : alors que pour les uns, le logement sera choisi en fonction des études suivies, pour les autres, le choix d’études sera au contraire restreint par le logement familial auquel le néo-bachelier est assigné, faute de ressources suffisantes pour occuper un logement autonome. Dans la mesure où la capacité à se loger devient de plus en plus déterminante pour pouvoir suivre le cursus de son choix, cette possibilité d’autonomie résidentielle conditionne la pérennité de la démocratisation de l’enseignement supérieur4 Claude Grignon, Louis Gruel, La vie étudiante, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; Noémie Olympio, Valérie Germain, « La démocratisation des parcours étudiants à l’aune de l’autonomie résidentielle et du type d’études », Formation Emploi. Revue française de sciences sociales, n°152, 2020., et plus largement la réussite du processus d’individualisation sociale, consistant à« pouvoir prendre seul des décisions qui concernent sa vie »5Emmanuelle Maunaye, « L’accès au logement autonome pour les jeunes, un chemin semé d’embûches », Informations sociales, 2016/4, n°195, p. 39..
L’âge d’accès au logement autonome, qui marque le début de la décohabitation, a augmenté avec le temps. Il se situait en France autour de 22 ans et demi en 20076Yves Jauneau, « L’indépendance des jeunes adultes », Insee première, n°1156, 2007., et est estimé par l’Insee à 23,8 ans en 20167Insee Références, édition 2019 – Fiches – Population.. Du point de vue européen, notre pays occupe une position médiane : dans les pays du Nord, l’âge de départ est plus précoce, contrairement aux pays méditerranéens où celui-ci est plus tardif8Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, Presses universitaires de France, « Le Lien social », 2008 ; Jean-Claude Richez, La question du logement. Les fiches Repères, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), 2015.. L’âge de départ moyen du domicile familial le plus faible se situe en Suède autour de 20,7 ans, lorsque le Portugal, l’Espagne et l’Italie occupent la partie la supérieure du classement avec des âges de départ respectifs situés à 29,1 ans, 29,4 ans et 30,1 ans. En Allemagne et au Royaume-Uni, l’âge de décohabitation est quant à lui assez proche de celui vécu en France, avec respectivement pour ces deux pays 23,7 et 24,3 ans9Eurostat, dispositif EU‑SILC, extraction des données en juillet 2018..
Une fois le logement obtenu, le maintien dans celui-ci dépend du niveau social des étudiants. Dans le cadre des entretiens réalisés pour son étude sur les catégories populaires face à la décohabitation familiale, Pascale Dietrich-Ragon constate chez ces étudiants « la perception d’un jeu universitaire faussé en raison des inégalités résidentielles ». Tous les logements ne se valent pas, et ceux-ci n’occupent pas la même charge tant financière que mentale en fonction du niveau social des étudiants. Pour les étudiants les plus précaires, la nécessité de travailler pour financer leur logement les conduit à se détourner des études et, à terme, à perdre le statut d’étudiant qui leur avait permis d’accéder à un logement10Pascale Dietrich-Ragon, « Les étudiants des catégories populaires face à la décohabitation familiale. Recherche de logement et perception de sa place dans la société », Terrains & travaux, 2021/1, n°38, p. 139..
Le renforcement des inégalités à la lumière des crises
Comme l’a montré le rapport d’information des députés David Corceiro et Richard Lioger, réalisé au lendemain des premiers confinements, les jeunes sont, dans leur ensemble, le public le plus touché par la précarité économique, et cette situation s’est aggravée durant la crise liée à la pandémie de Covid-1911David Corceiro, Richard Lioger, Rapport d’information sur le logement et la précarité des étudiants, des apprentis et des jeunes actifs, Assemblée nationale, 15 décembre 2021.. En effet, les étudiants sont très majoritairement des jeunes compris entre 18 et 25 ans (à 87%)12Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020., et cette population est plus touchée par la précarité que l’ensemble de la population. En 2018, 22,7% des 18-24 ans vivent sous le seuil de pauvreté (60% du salaire médian) contre 14%13Insee, Niveau de vie et pauvreté des adultes selon l’âge (étude sur l’année 2018), 2021. pour l’ensemble de la population.
Actuellement, la situation des jeunes est singulière : par rapport à d’autres tranches d’âge mais également par rapport aux générations précédentes, ils sont plus touchés par les inégalités face au logement14François Menard, Bertrand Vallet, « Les jeunes et l’habitat : enjeux et perspectives de recherche » in « L’habitat, le logement et les jeunes. Modes de logement, manières d’habiter », Agora débats / jeunesses, n°61, 2012.. En effet, le taux d’effort net moyen (rapport entre la dépense pour le logement et leur revenu en tenant en compte des aides au logement) pour les moins de 25 ans est passé de 12,3% à 22% entre 1984 et 2006, comparé à l’ensemble de la population qui a vu celui-ci évoluer de 8,7% à 10,3% pour la même période15Insee, Enquête logement 2006.. Ceci s’explique notamment par la forte présence de locataires chez les plus jeunes, pour qui le coût du logement a très fortement augmenté, passant d’un taux d’effort de 6,3% en 1963 à un taux d’effort de 26% des revenus cinquante ans plus tard en 201316Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017..
Bien loger, c’est poser la question de la qualité du logement
Sans évacuer le sujet fondamental de la quantité de logements disponibles, il faut remettre au centre de la réflexion sur le logement étudiant la question de la qualité de vie des étudiants, qui doit être envisagée dans sa globalité : restauration, activités culturelles et sportives, santé, relations sociales.
Les images du confinement imposé durant la crise du Covid-19 ont mis en exergue la précarité étudiante dans ses différentes formes : économique, avec ces longues files d’attente d’étudiants devant des banques alimentaires, mais également sociale et sanitaire, lorsque des étudiants prenaient la parole pour décrire leur quotidien, enfermés dans des chambres de 9 m2 et coupés de tout lien social. Ces images d’une crise n’en sont pas moins révélatrices d’un modèle impensé : celui du bien-être de l’étudiant, ce jeune qui quitte sa famille pour construire sa propre existence.
Qu’est-ce qu’un bon logement ?
Si on veut comprendre comment bien loger les étudiants, encore faut-il déterminer les finalités d’un bon logement, et ainsi savoir à l’aune de quels critères une politique publique du logement étudiant pourrait être évaluée, au-delà de sa seule capacité de loger des étudiants.
La réussite étudiante
La réussite étudiante est un indicateur intéressant puisqu’on suppose que la très grande majorité des étudiants ont pour objectif de valider des années d’études. À ce propos, le critère de la réussite étudiante semble plus pertinent, dans la vision d’un service public ouvert à tous, que le critère d’insertion professionnelle, puisqu’il ne vient pas porter un jugement sur la finalité des études suivies. Toutefois, et contrairement à la pratique d’une majorité des acteurs universitaires qui considèrent l’achèvement des études comme la seule raison d’être des étudiants – ce qui justifierait de prendre en compte les taux de réussite aux examens universitaires comme seul indicateur des politiques étudiantes –, le taux de réussite n’est pas un indicateur suffisant.
Déjà car il est incomplet si on veut comparer différents lieux d’études entre eux. En effet, d’un établissement d’enseignement supérieur à l’autre, la sociologie des étudiants varient. De la même manière qu’il n’y aurait pas beaucoup de sens à comparer les résultats obtenus au bac dans un lycée en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et un lycée du centre de Paris, la seule comparaison des taux de réussite dans une petite université régionale et une grande université parisienne n’apprend pas grand-chose sur l’influence que peut avoir la qualité de vie quant aux résultats des étudiants – les écarts observés étant plus sûrement dus aux inégalités sociologiques. Il est donc nécessaire, pour aborder ce premier critère, de le faire à public constant, c’est-à-dire avec des cohortes d’étudiants dont les milieux sociaux, notamment familiaux, sont comparables.
Ensuite, il est partiel parce que la réussite universitaire, que l’on peut mesurer par des notes et par la validation de diplômes, ne représente qu’une partie de ce que les jeunes peuvent qualifier de réussite – celle-ci pouvant revêtir les habits de l’indépendance, de l’émancipation, de la construction individuelle, des relations sociales, en bref du bien-être. Si le bien-être favorise la réussite académique, l’inverse n’est pas forcément vrai, le bien-être pouvant advenir ailleurs que dans le succès aux examens.
Le bien-être
Les jeunes ont le droit de vivre dans un environnement leur garantissant une vie en bonne santé, c’est-à-dire l’atteinte d’un « état de complet bien-être physique, mental et social » comme la définit l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Bien que les étudiants représentent une population en relative bonne santé, du moins en comparaison des autres populations, leurs conditions financières et sociales dégradées ne sont pas sans incidence17Sylvie Vaillant, « La politique de santé à l’université Paul Verlaine-Metz », Santé publique, 2010/2, vol. 22, p. 239.. Les conditions de logement ont en effet un impact significatif sur leur santé, notamment en termes de conduites addictives, d’accès aux soins et de stress18USEM, La santé des étudiants en 2011, 7e enquête nationale, 2011..
Cette note, visant à adapter les politiques publiques du logement étudiant, sera donc appuyée à la fois sur des données quantitatives, mais tentera également de se poser plus largement la question de la place du bien-être dans le cadre de vie des étudiants.
L’émancipation
Enfin, les études correspondent également à la période de la vie marquant l’autonomisation vis-à-vis de la sphère familiale. Cette phase de transition devrait être source d’émancipation, en permettant à l’étudiant de découvrir le monde sans être assigné à la reproduction des héritages de son milieu d’origine. C’est la finalité qu’il faudrait donner à cette politique publique, considérant qu’elle constitue un marqueur fort de la pensée de la gauche française.
Remettre les besoins des étudiants au centre du logement
Apprécier l’état du logement étudiant en France revient à déterminer les besoins de ce public, au vu de ses aspirations et en rapport avec ses caractéristiques socio-économiques, pour les mettre en relation avec l’offre de logement choisie, qu’elle lui soit initialement destinée ou non.
L’opportunité de la décohabitation pour une population en transition
Une autonomie progressive
Pour les étudiants, le départ de cellule familiale représente l’occasion d’atteindre certaines de ses aspirations, qu’elles soient de l’ordre de la réussite académique ou de l’émancipation personnelle par la recherche d’indépendance et d’expériences propres. Il s’agit à ce titre d’une étape importante dans le processus d’individualisation du jeune adulte. Stéphane Beaud montre que les jeunes qui accèdent à l’université tout en continuant de vivre dans leur quartier HLM ont une acculturation à la vie étudiante difficile, les conduisant plus fréquemment à l’échec universitaire19Stéphane Beaud, « 80 % au bac »… Et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte, 2002..
L’exigence d’une socialisation rapide
La découverte d’un nouvel environnement par la décohabitation et l’entrée dans les études supérieures confronte les jeunes au risque de l’isolement social. C’est pourquoi les étudiants décohabitants ont pour particularité, par rapport à d’autres publics, d’avoir besoin d’une socialisation rapide. La rupture spatiale des liens familiaux, du moins pendant la semaine pour celles et ceux qui peuvent rentrer le week-end, rend nécessaire la création de nouveaux cercles de sociabilité. Si les lieux d’études sont un cadre propice, notamment par les activités associatives développées, qu’elles soient culturelles, sportives ou encore militantes, le logement doit également répondre à ce besoin social, nécessaire au bien-être de l’étudiant.
Un public caractérisé par la précarité des ressources et des modes de vie
La population étudiante connaît un mode de vie de transition entre la cohabitation familiale et l’autonomie résidentielle. La mise en exergue des points communs qui la caractérisent ne doit cependant pas masquer les grandes disparités socio-économiques qui la traversent.
L’insuffisance des ressources propres
Avec des ressources mensuelles de 919 euros en moyenne20Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020., les jeunes étudiants sont la classe d’âge dont les ressources financières sont les plus faibles, aussi leur décohabitation dépend de leur capacité à mobiliser des ressources issues de la solidarité privée, le plus souvent familiales. Celles-ci représentent à elles-seules près de la moitié des ressources disponibles.
Les aides parentales étant inégalement réparties, il en résulte une forte reproduction des inégalités sociales entre générations, que le système actuel de bourses ne parvient pas à corriger. Les étudiants bénéficiant de ressources suffisantes parviennent à une situation de semi-autonomie, leur permettant d’accéder à un logement, ce qui est impossible pour les autres, contraints au maintien au domicile familial21La face cachée des “Tanguy”. Les jeunes en hébergement contraint chez leurs parents, Fondation Abbé Pierre, 2015..
Inégalement réparties socialement, les aides familiales versées à l’étudiant sont en outre fortement décroissantes au fur et à mesure du cycle d’études.
Part du loyer pris en charge par les familles selon l’âge de l’étudiant (en %)
% | |
Moins de 18 ans | 72,4 |
18-20 ans | 57,0 |
21-23 ans | 40,1 |
24-26 ans | 24,2 |
Plus de 26 ans | 12,4 |
Source : Enquête OVE conditions de vie des étudiants, 2020.
En tout état de cause, le niveau de vie des étudiants augmente peu en comparaison d’autres classes d’âge. Ainsi entre 2002 et 2019, le niveau de vie annuel (revenu disponible) médian des jeunes âgés de 18 à 29 ans est passé de 19 590 euros par an à 20 920 euros ; sur la même période, le niveau de vie des personnes âgées de 65 à 74 ans est passé de 19 950 euros à 23 220 euros, soit une augmentation de 3270 euros (contre 1330 euros pour les jeunes).
Outre un niveau de vie augmentant peu, le taux de pauvreté des jeunes est très élevé comparé aux autres classes d’âge : en 2018, il était de 22,7% pour les 18-24 ans, contre 13,3% des 30-39 ans et 8,6% des 65 ans et plus22Niveau de vie et pauvreté des adultes selon l’âge, Insee, 2021.. Ainsi, 56% des étudiants rencontrent des difficultés financières les obligeant à restreindre leur alimentation ; 38% peinent à payer leur loyer23Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020..
La situation financière des étudiants a des implications fortes, notamment en matière sanitaire. Ainsi, l’évaluation du non-recours aux soins pour raisons financières chez les étudiants varie selon les études entre 21%24Mathieu Castry, Jérôme Wittwer, Ilaria Montagni et Christophe Tzourio, « Les déterminants du renoncement aux soins pour raisons financières des étudiants. Une analyse à partir de l’étude i-Share », Revue d’économie politique 2019/4, vol. 129, p.467. et 33%25Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.. S’agissant des déterminants de santé, à titre d’exemple, les comportements alimentaires des étudiants agissent négativement sur leur santé, et sont largement dus aux moyens dont ils disposent pour se nourrir26Andréa Gourmelen, Améliorer les comportements alimentaires des étudiants : quels enjeux pour les pouvoirs publics ?, in François Dubet, Que manger ?, Paris, La Découverte, 2017.. C’est également le cas sur le plan psychologique. Les préoccupations dues aux difficultés financières rencontrées par les étudiants entravent la sérénité nécessaire aux études, et affectent le bien-être quotidien27Pascale Dietrich-Ragon, op. cit., p. 136-137..
Le recours aux « petits boulots » ne constitue pas une solution suffisante, dans la mesure où le temps qui y est consacré est retranché du temps des études28Vanessa Pinto, Damien Cartron et Guillaume Burnod, « Étudiants en fast-food : les usages sociaux d’un « petit boulot » », Travail et emploi, 83, pp. 137-156.. Alors qu’initialement choisi pour faciliter les études, le logement peut recouvrir un poids financier tel, notamment dans les petits budgets, qu’il devient la principale raison de l’éviction des étudiants les plus modestes vers le marché du travail, seul moyen pour conserver son autonomie résidentielle29Pascale Dietrich-Ragon, op. cit..
Une surmobilité résidentielle
La mobilité accrue des jeunes étudiants, avec un changement de logement qui peut intervenir tous les ans (dans les résidences universitaires Crous, 41,5% restent une année ou moins dans leur logement30Cnous, Rapport d’activité 2022.), est un autre facteur de spécificité de ce public. En 2006, le taux de mobilité résidentielle était déjà de 28% pour les ménages de moins de 30 ans contre 16% pour les 30-39 ans et 7% pour les 40-49 ans. Cette « évolution rythmée des attentes et des envies » s’explique notamment par le besoin d’expérimenter différents modes de vie, qui sont autant d’étapes vers l’autonomie complète31ANIL, Habitat actualité, 2011..
Par ailleurs, l’évolution des parcours d’études, par leur morcellement (recours aux stages, années de césure, reprises d’études) et l’accroissement de la sélection (plateformes Parcoursup et Mon Master, développement des passerelles), renforce la surmobilité, en développant les besoins d’hébergement inférieurs à l’année universitaire, ce qui conduit les étudiants à rechercher des solutions d’hébergement plus temporaires. Cette pratique a notamment été intégrée par le Crous qui met à disposition certains logements devenus inoccupés pendant l’année universitaire via une plateforme courts-séjours-lescrous.fr.
L’intermittence des modes de vie : un aller-retour entre cohabitation familiale et décohabitation
Le plus souvent, les jeunes étudiants maintiennent un lien avec le foyer familial, et le processus d’émancipation se caractérise notamment par une distanciation progressive du domicile familial. En cas de crise, ou d’épisode particulier, il peut y avoir une recohabitation épisodique ; Sandra Gaviria parle à ce propos de « génération boomerang »32Sandra Gaviria, « La génération boomerang : devenir adulte autrement », SociologieS, Théories et recherches, 2016..
Colocation : une pratique significative sans être toutefois majoritaire
12% des étudiants vivent en colocation33Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020., c’est pourquoi il faut relativiser cette pratique, en la mettant notamment en balance avec les 55% des 16-25 ans qui n’ont jamais pratiqué la colocation et qui ne l’envisagent pas34TNS Sofres, Les jeunes, le logement et la colocation, 2010.. De plus, cette pratique est très marquée en fonction de l’âge de l’étudiant : la colocation concerne 9,4% des étudiants de 18-20 ans, monte à 16,7% des 21-23 ans, pour redescendre à 13,6% des 24-26 ans et à 9,6% des étudiants de plus de 26 ans35 Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020..
Entre augmentation et évolution des besoins
La difficulté méthodologique de quantifier le besoin global en logement
Pour établir précisément le besoin en logements étudiants, il conviendrait de déterminer le nombre d’étudiants souhaitant décohabiter au sein de chaque aire d’attraction. Seul un sondage permettrait de quantifier cette donnée, en identifiant les étudiants dont la décohabitation est subie, et ceux, à l’inverse, dont c’est la cohabitation qui n’est pas désirée.
L’absence de ces données illustre bien que, faute d’indicateur précis, la politique en matière de logement étudiant, qu’il s’agisse de construction ou encore de rénovation, est décorrélée des besoins des usagers.
Des parcours étudiants plus longs et plus mouvants engendrent un besoin en logement plus élevé
Plusieurs éléments tendent cependant à démontrer une augmentation des besoins en logements étudiants :
- le nombre d’étudiants continue de progresser, atteignant 2,97 millions d’étudiants en 2021-2022, en progression moyenne de 2,2% par an sur les cinq dernières années 36Effectifs d’étudiants dans l’enseignement supérieur en 2021-2022, Institut des hautes études de l’éducation et de la formation, janvier 2023. ;
- la durée d’études supérieures s’allonge : le taux de scolarisation à 20 ans est passé de 26,7% en 1985 à 53,1% en 2015, et de 10,3% à 26% en ce qui concerne le taux de scolarisation à 23 ans37Formations et emplois, édition 2018, Insee Références. ;
- la mobilité géographique à l’entrée dans l’enseignement supérieur s’allonge : après avoir été stable entre 2010 et 2016 (à 18% de néo-bacheliers mobiles), elle a augmenté après la mise en place de Parcoursup pour atteindre 23% en 202138Note d’information du SIES 23.03, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mars 2023..
Des besoins différenciés en fonction des situations sociales
Le recours à la décohabitation n’est statistiquement pas le même pour tous les étudiants. Il a notamment tendance à augmenter avec l’âge.
En outre, les données de mobilité géographique des néo-bacheliers confirment des différences importantes en fonction de l’origine sociale des lycéens39Note d’information du SIES 23.03, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mars 2023.. L’enquête OVE met en évidence que les étudiants les plus nombreux à rester au domicile familial sont issus des classes populaires et boursiers.
Profil des étudiants cohabitants et décohabitants (en %)
Étudiant cohabitant | Étudiant décohabitant | |
CSP DES PARENTS | ||
Classes populaires | 39,8 | 60,2 |
Classes moyennes | 30,5 | 69,5 |
Cadres et professions intellectuelles supérieures | 32,8 | 67,2 |
Inactifs et autres | 27,3 | 72,7 |
BOURSE | ||
Non boursier | 28,8 | 71,2 |
Boursier | 37,2 | 62,8 |
TAILLE DE LA COMMUNE DE RÉSIDENCE | ||
Paris | 29,5 | 70,5 |
Région par. : petite couronne | 51,2 | 48,8 |
Région par. : grande couronne | 56,0 | 44,0 |
Commune de +300 000 hab. | 15,4 | 84,6 |
Commune de 200 000 hab. à 300 000 hab. | 9,5 | 90,5 |
Commune de 100 000 hab. à 200 000 hab. | 12,0 | 88,0 |
Commune de moins de 100 000 hab. | 45,9 | 54,1 |
Source : Enquête OVE conditions de vie des étudiants, 2020.
Des logements de fortune, décorrélés des besoins
La majorité des étudiants ne bénéficient pas d’une offre qui leur est spécifiquement dédiée. Celle-ci s’est plutôt constituée progressivement par l’enchevêtrement de solutions d’hébergement diverses, sans cohérence d’ensemble, donnant l’impression que le type de logement finalement occupé par l’étudiant serait un peu dû au hasard, ou à sa bonne fortune.
En comparant les caractéristiques de la population étudiante avec l’offre de logement adoptée, on peut d’abord déterminer la capacité d’accès au logement, tant du point de vue du nombre de places disponibles que du coût financier que représente la décohabitation.
Il faut également apprécier la qualité de l’offre proposée, c’est-à-dire son adéquation avec les attentes spécifiques de la population étudiante. Il s’agit de mettre en regard la structure de l’offre de logement avec les spécificités du public étudiant, pour mieux évaluer si elles tendent bien à favoriser au mieux tant leur réussite que leur bien-être et leur émancipation.
Une offre publique très réduite et disparate
Pour se loger, les étudiants ont majoritairement recours au parc locatif privé : les locations individuelles, en couple, en colocation ou en sous-location représentent 45,3% des logements occupés pendant la période universitaire par les étudiants en France selon l’enquête de l’OVE40Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020..
De manière générale, l’habitat spécifique ou dédié ne concerne en France qu’une part très minoritaire des jeunes, contrairement à d’autres pays européens : 20 à 30% dans les pays nordiques, autour de 20% dans les pays de l’ex-bloc de l’Est41Eurostudent, Social and Economic Conditions of Student Life in Europe 2016-2018..
Avec un peu moins de 174 000 places à la rentrée 202142Cnous, chiffres 2021., les résidences universitaires des Crous ne logent qu’un boursier sur quatre43La France compte 675 000 étudiants boursiers selon le rapport d’activité 2022 du Cnous., et seulement 5,9% des étudiants, la France comptant 2,97 millions d’étudiants selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche44Note d’information du SIES, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, n°14, décembre 2022.. S’il faut ajouter d’autres types de résidences, comme celles des grandes écoles, le rapport Corceiro-Lioger conclut à des « capacités des acteurs historiques insuffisantes ».
Par ailleurs, l’offre en logement Crous se révèle être très inégalement répartie sur le territoire national. Pour étudier son implantation géographique, nous avons choisi comme l’aire d’attraction des villes, ce qui semble pertinent pour apprécier dans leur ensemble les dynamiques étudiantes en dépassant les seuls cadres des communes et établissements publics de coopération intercommunale. En mettant en relation le nombre de places par résidence étudiante des Crous et les chiffres des étudiants inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur publiés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, nous avons ainsi établi un taux de couverture en cité U (en % d’étudiants logés par le Crous).
Calcul du % d’étudiants des 76 aires comptant le plus d’étudiants inscrits logés en résidence universitaire Crous
Aire d’attraction | Nb d’étudiants | Nb de places | % etds en Crous |
Paris | 725605 | 22313 | 3,08% |
Lyon | 172256 | 8669 | 5,03% |
Lille | 123826 | 7751 | 6,26% |
Toulouse | 119345 | 9552 | 8,00% |
Bordeaux | 101821 | 7773 | 7,63% |
Marseille-Aix | 97995 | 10284 | 10,49% |
Montpellier | 81927 | 8662 | 10,57% |
Rennes | 70827 | 6181 | 8,73% |
Strasbourg | 65769 | 4890 | 7,44% |
Nantes | 63467 | 5186 | 8,17% |
Grenoble | 61669 | 6006 | 9,74% |
Nancy | 53297 | 5167 | 9,69% |
Rouen | 46839 | 4327 | 9,24% |
Angers | 45871 | 2340 | 5,10% |
Clermont-Ferrand | 42089 | 3786 | 9,00% |
Nice | 40101 | 3306 | 8,24% |
Dijon | 37261 | 3695 | 9,92% |
Caen | 35754 | 4563 | 12,76% |
Tours | 32887 | 3102 | 9,43% |
Amiens | 30521 | 2432 | 7,97% |
Brest | 30061 | 1457 | 4,85% |
Reims | 29738 | 1925 | 6,47% |
Poitiers | 29552 | 3445 | 11,66% |
Saint-Étienne | 25452 | 581 | 2,28% |
Besançon | 24003 | 2495 | 10,39% |
Metz | 23168 | 2002 | 8,64% |
Limoges | 20679 | 1782 | 8,62% |
Orléans | 19910 | 2212 | 11,11% |
St-Denis (Réunion) | 16104 | 953 | 5,92% |
Valenciennes | 16057 | 1317 | 8,20% |
Toulon | 15205 | 972 | 6,39% |
La Rochelle | 14850 | 975 | 6,57% |
Nîmes | 13843 | 1156 | 8,35% |
Le Mans | 13411 | 944 | 7,04% |
Chambéry | 13253 | 851 | 6,42% |
Le Havre | 12772 | 1174 | 9,19% |
Pau | 12430 | 1599 | 12,86% |
Avignon | 10903 | 696 | 6,38% |
Mulhouse | 10430 | 604 | 5,79% |
Troyes | 9797 | 323 | 3,30% |
Arras | 9711 | 333 | 3,43% |
Douai-Lens | 9529 | 159 | 1,67% |
Perpignan | 9272 | 1131 | 12,20% |
Pointe-à-Pitre | 8774 | 596 | 6,79% |
Fort-de-France | 8095 | 812 | 10,03% |
Annecy | 7818 | 297 | 3,80% |
Vannes | 7723 | 312 | 4,04% |
Bayonne | 7466 | 500 | 6,70% |
Lorient | 7001 | 195 | 2,79% |
Cannes-Antibes | 6725 | 562 | 8,36% |
Valence | 6725 | 235 | 3,49% |
Compiègne | 5873 | 715 | 12,17% |
Dunkerque | 5811 | 0 | 0,00% |
Saint-Pierre | 5810 | 456 | 7,85% |
Albi | 5776 | 161 | 2,79% |
La Roche-sur-Yon | 5743 | 220 | 3,83% |
Tarbes | 5408 | 500 | 9,25% |
Boulogne-sur-M. | 4974 | 207 | 4,16% |
Quimper | 4819 | 148 | 3,07% |
Cayenne | 4811 | 322 | 6,69% |
Beauvais | 4550 | 114 | 2,51% |
Béthune | 4458 | 298 | 6,68% |
Laval | 4408 | 165 | 3,74% |
Corte | 4392 | 835 | 19,01% |
Saint-Brieuc | 4138 | 143 | 3,46% |
Angoulême | 4046 | 127 | 3,14% |
Bourges | 3969 | 430 | 10,83% |
Belfort | 3865 | 526 | 13,61% |
Calais | 3762 | 56 | 1,49% |
Agen | 3304 | 157 | 4,75% |
Saint-Nazaire | 3295 | 345 | 10,47% |
Colmar | 3255 | 0,00% | |
Blois | 3205 | 429 | 13,39% |
Évreux | 2749 | 391 | 14,22% |
Montbéliard | 2628 | 227 | 8,64% |
Bourg-en-Bresse | 2596 | 59 | 2,27% |
Sources : données Cnous 2021, MESR 2021.
En moyenne, dans les aires d’attraction qui disposent de logements Crous, seuls 8,8% des étudiants sont logés en cités universitaires gérées par le Crous45Cnous, chiffres 2021 ; MESR, chiffres 2021.. Si la région parisienne se distingue du fait d’un taux particulièrement faible d’étudiants logés en résidences universitaires (3%), les grandes villes françaises se situent dans la moyenne : 8,1% pour Nantes, 8,7% pour Rennes, 9% pour Clermont-Ferrand. Avec quelques exceptions basses (5% pour Lyon, 6,2% pour Lille et 5,1% pour Angers) ou hautes (10,5% pour Montpellier et Aix-Marseille).
Pour les aires d’attraction moins importantes, comptant entre 20 000 et 40 000 étudiants, là encore, il existe d’importantes disparités entre les villes, Saint-Étienne (2,3%) et Brest (4,9%) présentant une moyenne bien plus réduite que Caen (12,8%) ou Poitiers (11,7%).
La situation est encore plus préoccupante pour les aires d’attraction comptant entre 2 500 et 10 000 étudiants, certaines disposant d’une offre en logements Crous très réduite voire inexistante (Calais, Lens, Dunkerque).
C’est donc un constat de fortes disparités entre aires d’attraction, dont nous ne parvenons pas à identifier les causes. Dans certaines villes, des taux de couverture importants semblent s’expliquer par des raisons historiques, notamment liées à une offre de résidences Crous ancienne du fait de la présence d’un campus universitaire avant les années 1960.
Des objectifs de production de logements non atteints
Les importantes inégalités entre aires d’attraction mettent en évidence l’absence de corrélation entre le nombre d’étudiants et l’offre de logements Crous disponibles.
Alors que la France a connu une augmentation de près de 28% du nombre de ses étudiants sur la période 2007-2021 (passant de 2,23 millions d’étudiants46 Les effectifs d’étudiants dans le supérieur en 2007, Note d’information 09.01, ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 2009. à 2,97 millions d’étudiants47Note d’information du SIES, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, n°14, décembre 2022.), le nombre de places en résidences universitaires n’a évolué que de 12,3% dans un laps de temps similaire (passant de 154 000 en 200748Le logement étudiant et les APL, Rapport de la mission confiée par M. le Premier ministre à Jean-Paul Anciaux, Assemblée nationale, février 2008. à un peu moins de 174 000 places en 202149Cnous, chiffres 2021.).
Bien que significative, cette augmentation ne suit pas l’évolution du nombre d’étudiants. Surtout, elle est inégalement répartie entre académies (huit d’entre elles ayant même connu une baisse du nombre de places en résidence entre 2007 et 2021) et est très en deçà des estimations formulées par le Crous en 2007 concernant le nombre de places à construire50Le logement étudiant et les APL, Rapport de la mission confiée par M. le Premier ministre à Jean-Paul Anciaux, Assemblée nationale, février 2008, p. 32..
Comparaison entre le nombre de places en résidence universitaire Crous en 2007 et en 2021, et mise en exergue avec les estimations des besoins de 2007
Nb. de places 2007 | Estimations besoins 2007 | Nb. de places 2021 | |
Aix-Marseille | 8493 | 11393 | 10980 |
Amiens | 4173 | 5543 | 3422 |
BFC | 7842 | 8742 | 7115 |
Bordeaux | 8059 | 10201 | 10408 |
Clermont-Ferrand | 3854 | 4454 | 4008 |
Créteil | 4407 | 8128 | 5306 |
Grenoble | 7509 | 8509 | 7803 |
Lille | 9643 | 13063 | 10226 |
Limoges | 2808 | 2878 | 2307 |
Lyon | 7429 | 9429 | 9398 |
Montpellier | 9691 | 12151 | 10949 |
Nancy-Metz | 8377 | 8677 | 7455 |
Nantes | 7370 | 8145 | 8855 |
Nice | 3683 | 6433 | 4840 |
Normandie | 8612 | 9277 | 10460 |
Orléans | 5825 | 6465 | 6482 |
Paris | 3479 | 7479 | 8125 |
Poitiers | 4060 | 4775 | 4637 |
Reims | 3501 | 4005 | 2450 |
Rennes | 8770 | 9870 | 8742 |
Strasbourg | 5735 | 5735 | 5494 |
Toulouse | 7993 | 11063 | 10331 |
Versailles | 9655 | 12155 | 9601 |
Antilles-Guyane | 1303 | 2738 | 2107 |
Corse | 852 | 972 | 835 |
La Réunion | 939 | 1249 | 1409 |
TOTAL | 154062 | 193529 | 173745 |
Sources : rapport Anciaux (2008), chiffres CNOUS 2021.
La non-atteinte des objectifs fixés en 2007 par les Crous mériterait d’être analysée plus en détail, pour montrer dans quelle mesure certaines raisons habituellement invoquées peuvent expliquer ces faibles taux de couverture :
- un effort financier concentré sur la rénovation de résidences universitaires plutôt que sur la construction de nouveaux bâtiments, et un effort financier de l’État insuffisant pour mener de front ces deux enjeux ;
- des rénovations de résidences universitaires transformant les anciennes chambres de 9 m2 en studios plus grands, ayant pour effet de diminuer le nombre de logements disponibles ;
- le manque d’attribution de foncier aux Crous de la part des collectivités territoriales.
Cette offre publique de résidences Crous est pourtant à développer. Comme le montre l’enquête de l’OVE de 2020, les étudiants sont très satisfaits de la proximité de leur résidence au lieu d’études ainsi que des conditions de travail ; quant à d’autres indicateurs importants (montant du loyer, confort, sécurité, cadre de vie), l’offre publique est par définition la seule sur laquelle il est possible d’agir directement afin d’améliorer les conditions de vie des étudiants logés.
Satisfaction générale vis-à-vis du logement des étudiants en résidence Crous (en %)
Pas du tout ou peu satisfait | Moyennement satisfait | Très ou totalement satisfait | |
Le montant du loyer mensuel | 20,9 | 29,9 | 49,2 |
La superficie | 32,4 | 26,2 | 41,4 |
Les conditions de travail pour les études | 13,1 | 19,0 | 67,9 |
Le confort | 22,3 | 27,4 | 50,3 |
La sécurité | 13,9 | 22,4 | 63,7 |
La proximité avec le lieu principal d’études | 11,1 | 11,4 | 77,5 |
Le cadre de vie | 18,5 | 23,8 | 57,7 |
L’accessibilité | 20,4 | 20,3 | 59,3 |
D’une manière générale | 12,8 | 26,6 | 60,6 |
Source : Enquête OVE conditions de vie des étudiants, 2020.
La montée en puissance d’un parc locatif privé de plus en plus cher
Depuis vingt ans, le taux d’effort (rapport entre la dépense pour le logement d’un ménage et son revenu) augmente pour toute la population, et particulièrement pour les jeunes51Jean-Claude Richez, op. cit.. En 1963, les locataires consacraient en moyenne 6,3% de leurs revenus au loyer, contre 26% en 201352Insee, « Les conditions de logement en France », Insee Références, 2017.. Selon le rapport d’information des députés David Corceiro et David Lioger, les 18-25 ans ont un taux d’effort net de 22%, contre 10,3% pour la population générale. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, le logement représente 552 euros mensuels en moyenne, pour des ressources mensuelles de 919 euros53Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020..
Par ailleurs, la part très faible de jeunes logés dans un habitat dédié (comme les résidences étudiantes gérées par les Crous) renforce la situation de concurrence entre les générations pour les logements de petite surface54 Emmanuelle Maunaye, op. cit..
Particulièrement touchées par l’augmentation du coût du logement, les classes populaires subissent d’autres phénomènes qui tendent à limiter encore plus leur capacité de décohabitation. Elles ont d’abord tendance à s’auto-exclure de certaines solutions de logement, considérant qu’elles n’ont pas les moyens d’y prétendre55Pascale Dietrich-Ragon, op. cit., p. 129 à 130., situation renforcée par le non-recours aux aides. Par ailleurs, les populations précaires sont les plus touchées par le phénomène des arnaques au logement56Ibid., p. 130 à 131. et n’échappent pas aux marchands de sommeil qui louent des biens insalubres.
Des logements dégradés, à contre-courant de la transition écologique
En 2005, l’Institut Paris Région mettait en évidence que les logements occupés par les étudiants franciliens sont en moyenne plus anciens et moins confortables que ceux occupés par l’ensemble des ménages57Anne-Claire Davy, Le logement étudiant en Île-de-France, Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAURIF), 2005.. Ce constat nous semble toujours d’actualité. En effet, 45% des ménages habitant un logement énergivore sont locataires dans le parc privé ; de plus, les locataires aux revenus les plus modestes sont ceux occupant les logements les plus énergivores58Parc privé locatif et rénovation énergétique, Union nationale des propriétaires immobiliers, Fédération solidaires pour l’habitat, octobre 2019.. Les étudiants sont 24% à être logés en location individuelle ; dans ce cas, ces locations sont d’une superficie inférieure à 40 m2 pour 85% d’entre elles59Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.. Dans un contexte de crise énergétique impactant également les factures des locataires, la situation du parc locatif privé semble préoccupante et est appelée à accroître les problématiques des étudiants.
Le parc de logements Crous, quant à lui, connaît depuis des années une forte dynamique de rénovation des résidences, permettant une mise aux normes énergétiques et environnementales.
Au-delà des nouvelles normes de construction qui sont appliquées lors des conceptions et rénovations, la participation des étudiants à leur gestion, via les conseils de résidence, peut favoriser le développement d’actions en faveur de la transition écologique, notamment par l’utilisation des espaces collectifs (jardins partagés, compostage, ruches, etc.). Le logement étudiant public peut ainsi être porteur d’engagement étudiant en faveur de l’écologie, actions pouvant plus difficilement être mises en place dans le parc privé.
Conclusion : vers une nouvelle politique du logement étudiant
Avec une offre de plus en plus insuffisante au vu des besoins, le logement étudiant est en berne. Les alertes ont pourtant été nombreuses durant ces vingt dernières années, en témoignent les rapports parlementaires et les travaux scientifiques nourris.
L’augmentation du coût d’accès au logement est à ce titre une menace pour la démocratisation des études supérieures, en renforçant ce qui constitue un critère non explicite de sélection sociale.
Les récentes annonces de la Première ministre Elisabeth Borne ne viennent malheureusement pas tempérer ce jugement : en entérinant, en guise de politique de logement, un nombre de rénovations annuelles à 4 000 chambres, elle n’apporte aucune évolution dans la prise en compte des besoins des étudiants, dont la plus évidente manifestation est aujourd’hui le manque de places disponibles.
Alors que le marché de la location privée de petites surfaces connaît une contraction sans précédent, due en partie à l’impréparation du retrait de la location des catégories de logement les plus énergivores, sans véritable accompagnement pour la rénovation thermique, les étudiants risquent d’être soumis en cette rentrée 2023 à des difficultés supplémentaires dans un contexte de pénurie.
C’est pourquoi une nouvelle politique du logement est à la fois indispensable et urgente si on veut rompre avec le mal-logement. Au-delà du réengagement des acteurs publics dans sa mise en œuvre, elle pourrait trouver son inspiration dans les nombreux exemples d’habitats dont les formes architecturales sont conçues avec les étudiants. Leur participation à ce grand chantier est une des principales clés du bien loger.
- 1Arnaud Degorre, Daniel Martinelli et Corinne Prost, Accès à l’emploi et carrière : le rôle de la formation initiale reste déterminant, Insee, 2009.
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- 3Claire Bernot-Caboche, « La galère des jeunes dits ”invisibles” », Les Cahiers du développement social urbain, 2020/1, n°71, p. 9.
- 4Claude Grignon, Louis Gruel, La vie étudiante, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; Noémie Olympio, Valérie Germain, « La démocratisation des parcours étudiants à l’aune de l’autonomie résidentielle et du type d’études », Formation Emploi. Revue française de sciences sociales, n°152, 2020.
- 5Emmanuelle Maunaye, « L’accès au logement autonome pour les jeunes, un chemin semé d’embûches », Informations sociales, 2016/4, n°195, p. 39.
- 6Yves Jauneau, « L’indépendance des jeunes adultes », Insee première, n°1156, 2007.
- 7Insee Références, édition 2019 – Fiches – Population.
- 8Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, Presses universitaires de France, « Le Lien social », 2008 ; Jean-Claude Richez, La question du logement. Les fiches Repères, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), 2015.
- 9Eurostat, dispositif EU‑SILC, extraction des données en juillet 2018.
- 10Pascale Dietrich-Ragon, « Les étudiants des catégories populaires face à la décohabitation familiale. Recherche de logement et perception de sa place dans la société », Terrains & travaux, 2021/1, n°38, p. 139.
- 11David Corceiro, Richard Lioger, Rapport d’information sur le logement et la précarité des étudiants, des apprentis et des jeunes actifs, Assemblée nationale, 15 décembre 2021.
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- 21La face cachée des “Tanguy”. Les jeunes en hébergement contraint chez leurs parents, Fondation Abbé Pierre, 2015.
- 22Niveau de vie et pauvreté des adultes selon l’âge, Insee, 2021.
- 23Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.
- 24Mathieu Castry, Jérôme Wittwer, Ilaria Montagni et Christophe Tzourio, « Les déterminants du renoncement aux soins pour raisons financières des étudiants. Une analyse à partir de l’étude i-Share », Revue d’économie politique 2019/4, vol. 129, p.467.
- 25Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.
- 26Andréa Gourmelen, Améliorer les comportements alimentaires des étudiants : quels enjeux pour les pouvoirs publics ?, in François Dubet, Que manger ?, Paris, La Découverte, 2017.
- 27Pascale Dietrich-Ragon, op. cit., p. 136-137.
- 28Vanessa Pinto, Damien Cartron et Guillaume Burnod, « Étudiants en fast-food : les usages sociaux d’un « petit boulot » », Travail et emploi, 83, pp. 137-156.
- 29Pascale Dietrich-Ragon, op. cit.
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- 32Sandra Gaviria, « La génération boomerang : devenir adulte autrement », SociologieS, Théories et recherches, 2016.
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- 34TNS Sofres, Les jeunes, le logement et la colocation, 2010.
- 35Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.
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- 37Formations et emplois, édition 2018, Insee Références.
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- 39Note d’information du SIES 23.03, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mars 2023.
- 40Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.
- 41Eurostudent, Social and Economic Conditions of Student Life in Europe 2016-2018.
- 42Cnous, chiffres 2021.
- 43La France compte 675 000 étudiants boursiers selon le rapport d’activité 2022 du Cnous.
- 44Note d’information du SIES, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, n°14, décembre 2022.
- 45Cnous, chiffres 2021 ; MESR, chiffres 2021.
- 46Les effectifs d’étudiants dans le supérieur en 2007, Note d’information 09.01, ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 2009.
- 47Note d’information du SIES, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, n°14, décembre 2022.
- 48Le logement étudiant et les APL, Rapport de la mission confiée par M. le Premier ministre à Jean-Paul Anciaux, Assemblée nationale, février 2008.
- 49Cnous, chiffres 2021.
- 50Le logement étudiant et les APL, Rapport de la mission confiée par M. le Premier ministre à Jean-Paul Anciaux, Assemblée nationale, février 2008, p. 32.
- 51Jean-Claude Richez, op. cit.
- 52Insee, « Les conditions de logement en France », Insee Références, 2017.
- 53Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.
- 54Emmanuelle Maunaye, op. cit.
- 55Pascale Dietrich-Ragon, op. cit., p. 129 à 130.
- 56Ibid., p. 130 à 131.
- 57Anne-Claire Davy, Le logement étudiant en Île-de-France, Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAURIF), 2005.
- 58Parc privé locatif et rénovation énergétique, Union nationale des propriétaires immobiliers, Fédération solidaires pour l’habitat, octobre 2019.
- 59Observatoire de la vie étudiante, Enquête sur les conditions de vie des étudiants, 2020.