Le 8 mars est la « Journée internationale des droits des femmes ». Ce n’est pas la « Journée des femmes » sans droits. C’est encore moins la « Journée de la femme » au singulier, sorte d’abstraction fantasmagorique forcément fragile. Le 8 mars n’a d’ailleurs rien de commercial : les roses offertes à la sortie de certains supermarchés ne sont d’aucune utilité pour lutter contre les violences sexistes ou résorber les inégalités salariales. Retour historique sur la création de cette journée et sur ses enjeux politiques.
D’où vient cette « Journée internationale des droits des femmes » ? Un mythe médiatique, souvent relayé, voudrait qu’elle vienne d’une manifestation new-yorkaise de 1857. On en retrouve la trace dans le magazine mensuel des femmes de la CGT, Antoinette, daté du 1er mars 1964 : « Ce sont les ouvrières américaines qui ont commencé : elles ont fait grève le 8 mars 1857, réclamant la journée de 10 heures, l’augmentation des salaires, l’égalité pour un travail égal, la création de crèches et le respect de leur dignité, pour cela, elles ont envahi les rues de New York, s’opposant à la police, qui charge, tire et tue ». Françoise Picq, historienne, assure pourtant que cette manifestation semble n’avoir en réalité jamais eu lieu : aucune trace dans la presse de l’époque ni de témoignage direct ne l’atteste.
D’après de nombreuses reconstitutions d’historiennes et d’historiens, le 8 mars est en réalité venu au monde lors d’un Congrès de l’Internationale des femmes socialistes à Copenhague en 1910. À l’issue d’une journée consacrée à l’étude de la propagande en faveur du droit de vote des femmes, des militantes ont évoqué la possibilité de créer une journée dédiée à ce droit.
Clara Zeitkin, journaliste, femme politique et figure du féminisme, est réélue triomphalement présidente de l’Internationale des femmes socialistes pour la deuxième fois consécutive lors de ce Congrès de Copenhague. Militante d’un féminisme basé sur la lutte contre la bourgeoisie, fondatrice du journal Egalité (Gleichheit), c’est elle qui est à la manœuvre de la première Journée internationale des femmes le 19 mars 1911. Un million de femmes et d’hommes demande la fin des discriminations sur les lieux de travail et le droit de voter pour les femmes. Le mouvement se poursuit alors pendant la Première Guerre mondiale dans toute l’Europe.
Le 8 mars 1921, en Russie, Lénine veut rendre hommage aux ouvrières en grève. Le comité révolutionnaire de Kronsdaat lance : « Nous adressons notre salut fraternel aux travailleuses du monde ! ». Des images de propagande de l’époque montrent des femmes ouvrières tendant la main à des femmes croûlant sous les tâches domestiques. Pour la première fois, un pays officialise la Journée qui s’appelle alors « Journée des travailleuses ».
En 1975, les Nations unies lancent alors la « Journée internationale des femmes » et l’organisation choisit le 8 mars, pour se placer dans la continuité des précédents mouvements, dont les dates étaient le dernier dimanche de février ou le premier dimanche de mars.
En France, toujours rien d’officiel cependant, jusqu’au 8 mars 1982. François Mitterrand, alors président de la République, instaure pour la première fois en France une Journée des droits des femmes lors d’un discours à l’Élysée aux côtés d’Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme, et devant 400 femmes venues de toute la France : « Le statut des femmes reste marqué par la dépendance, quels que soient les progrès réalisés ; l’inégalité et le non respect du droit de la personne. (…) Les femmes sont majoritaires parmi les personnes au chomâge, auxiliaires, vacataires, alors qu’elles sont minoritaires à bénéficier de la formation ou de promotions ». François Mitterrand en appelle à trois grands principes : autonomie, égalité, dignité. Il formule d’ailleurs à ce moment-là un certains nombre de propositions, notamment la mise en place un statut de conjoint-collaborateur pour les épouses d’agriculteurs et d’artisans, l’abolition de la notion de chef de famille pour les impôts (obtenu en 1985), un fond de garantie de pensions alimentaires (créé en… 2016), un quota minimum de femmes pour les élections…
La France a donc officiellement sa journée des droits des femmes chaque 8 mars. Pour quels enjeux politiques aujourd’hui ?
À poste et compétences égales, les femmes sont payées environ 12 % de moins que les hommes. L’écart plonge à 27 % en moyenne tout poste confondu. Une femme sur dix est victime de violences sexuelles au cours de sa vie. Les femmes sont toujours passées au tamis de l’engagement politique, 52 % des électeurs sont des électrices, mais seulement 48 % de femmes dans les Conseils municipaux, 16 % à la tête de ces Conseils, aucune présidente de l’Assemblée nationale ou du Sénat dans l’histoire de la Ve République. L’autocensure des femmes reste présente. Et les stéréotypes de genre aussi.
Un exemple, parmi d’autres, qui montre qu’il y a du chemin. Les filles représentent en France 57 % des étudiants, en 2015-2016, contre 43 % en 1960-1961, ce qui est une amélioration notable sur les cinquante dernières années. Mais on constate que les écarts persistent dans le choix des filières. Les filles représentent 75 % des étudiants en lettres et sciences humaines, mais seulement 25 % dans le domaine des sciences fondamentales, qui mènent aux carrières les plus prestigieuses et les plus rémunératrices comme nous le rappelle l’Observatoire des inégalités.
La conciliation vie professionnelle/vie familiale reste dans les faits majoritairement une problématique féminine, puisque 98 % des congés parentaux sont pris par les mères tandis que, dans 74 % des familles, c’est la mère qui est responsable de la vie scolaire. Depuis le 8 mars 1982, des lois ont permis d’avancer dans l’égalité en droits : loi Roudy du 13 juillet 1983, loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011, loi dite « du 4 août » portée par Najat Vallaud-Belkacem.
Trente-cinq ans après l’instauration du 8 mars en France, et malgré cet arsenal juridique, les femmes restent plus touchées par le temps partiel subi, plus précarisées par la parentalité, et une femme meurt toujours tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Et en France en 2017, des candidats à l’élection présidentielle se battent ouvertement contre ces droits. Marine Le Pen, sous couvert d’être une femme, promeut une idéologie rétrograde basée sur la différentiation extrême entre les sexes, tandis que François Fillon se déclare contre l’IVG « à titre personnel ». La dernière fois qu’à titre personnel un candidat à une élection présidentielle s’est prononcé contre l’IVG, c’était Donald Trump. L’un de ses premiers décrets fut d’asphyxier financièrement les centres de planification familiale pour empêcher les femmes d’avoir recours à l’IVG.
Il est de notre responsabilité de ne pas laisser le 8 mars devenir une célébration festivo-commerciale, ou une commémoration de chiffres et de faits à déplorer. Le 8 mars est politique: tout comme la question des places en crèches est politique, la protection des enfants est politique, la répartition des tâches domestiques est politique. « Le privé est politique ! », clamaient les féministes des premières générations à qui nous devons tant.
La question des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes doit être l’un des grands enjeux des trente prochaines années. François Mitterrand avait dessiné une vision pour trente-cinq ans de droits des femmes en France. Trente-cinq ans après, le prochain président de la République devra incarner cet engagement, devra rappeler sans cesse ce qui est acceptable ou pas en France pour les femmes, devra défendre la laïcité de 1905 en affirmant qu’il n’est pas acceptable en France en 2017 de refuser de serrer la main d’une femme parce qu’elle est une femme.
Il est temps qu’un président de la République fasse de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause nationale.