Allemagne : le défi d’une nouvelle politique envers la Chine

Dans la foulée du XXe Congrès du Parti communiste, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu à Pékin pour rencontrer Xi Jinping. L’occasion pour Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, de faire le point sur la politique chinoise de Berlin.

Le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu les 3 et 4 novembre dernier à Pékin pour rencontrer l’homme fort de la Chine, Xi Jinping. Cette réunion s’est déroulée dans la foulée du XXᵉ Congrès du Parti communiste, qui a confirmé le pouvoir quasiment absolu du président chinois.

Alors que l’intention du chancelier allemand, pour sa première visite diplomatique, était de représenter la quatrième puissance économique mondiale, ce voyage a déclenché une vague de réactions en Allemagne, en Europe et dans le monde. 

Le contexte a pourtant changé : alors que la Chine se considérait comme un partenaire, elle estime désormais être un concurrent économique doublé d’un rival systémique et idéologique. Elle souhaite ouvertement se hisser au rang de première puissance politique et économique du XXIᵉ siècle. 

Au moins pour le moment, la Chine reste un important partenaire économique de l’Allemagne. Selon un récent sondage réalisé par la première chaîne de télévision ARD, 49% des Allemands pensent que la République fédérale devrait réduire sa coopération économique avec la Chine, un bon tiers (34%) aimerait poursuivre la coopération actuelle, et seulement 10% souhaiterait l’étendre. En revanche, une nette majorité de la population (87%) souhaite que le gouvernement fédéral veille à ce que l’Allemagne devienne plus indépendante économiquement des pays non démocratiques, et donc de la Chine.

La guerre en Ukraine a cruellement montré que l’Allemagne et l’Europe avaient ignoré tous les avertissements concernant l’impérialisme russe, et leurs peuples doivent à présent en subir les conséquences dramatiques. Une telle erreur ne devrait pas être répétée dans les relations avec la Chine de Xi Jinping. 

Le chancelier Scholz a explicitement indiqué qu’il n’était pas souhaitable de poursuivre la politique de ses prédécesseurs, et en particulier celle d’Angela Merkel, seulement axée sur l’économie. Avant d’embarquer pour Pékin et en réponse aux multiples critiques, Olaf Scholz avait publié un article dans le journal allemand FAZ dans lequel il précisait être conscient des énormes changements idéologiques de la République populaire de Chine et déclarait envisager de parler davantage des questions controversées. D’autant plus que dans la configuration politique actuelle, le chancelier allemand ne voyage pas que pour lui et son pays, mais fait également office d‘ambassadeur du monde libre. Les craintes d’un scénario russe grandissent face à une Chine qui place ses intérêts au-dessus de tout, mène des actions toujours plus dures contre les membres de l’opposition, persécute ses minorités et menace ouvertement Taïwan. Comme l’a déclaré Thomas Haldenwang, le président de l’Office fédéral pour la protection de la Constitution, « la Russie est la tempête, la Chine est le changement climatique ».

L’Allemagne, le partenaire clé de la Chine en Europe

La République fédérale d’Allemagne et la République populaire de Chine entretiennent des relations diplomatiques depuis 1972. En 2021, la Chine était devenue le plus grand partenaire économique d’Allemagne, avec un volume commercial de 245 milliards d’euros.

Compte tenu des crises internationales et des défis mondiaux qui s’annoncent, tels que le changement climatique et la pandémie de Covid-19, la coopération et la coordination sino-allemandes sont d’une importance non négligeable. La Chine voit l’Allemagne comme un partenaire clé en Europe. Sans surprise donc, la Chine a commenté la visite du chancelier allemand comme une confirmation des relations privilégiées entre les deux pays.

Malgré ces relations étroites, il existe entre les deux pays des différences politiques fondamentales, en particulier dans la gestion des droits humains, des libertés individuelles, ainsi que des questions de droit international et d’interprétation du multilatéralisme. L’industrie allemande ne peut plus miser sur le mantra du « changement politique par le commerce ». L’industrie allemande devrait, selon le président de l’association de l’industrie allemande (BDI), établir des « lignes rouges pour ne pas être dans un collimateur de dépendance et de chantage ». En revanche, l’ancien chef du groupe Volkswagen, Herbert Diess, souligne qu’un changement de stratégie économique n’est pas souhaitable, la Chine étant un marché de la croissance très important pour l’industrie allemande. Cette ligne évolue lentement, tant le marché chinois demeure essentiel pour œuvrer rapidement à un découplage. Néanmoins, une grande partie des dirigeants d’entreprise deviennent plus prudents et de nouvelles stratégies comme le raccourcissement des chaînes d’approvisionnement se dessinent. 

Dans l’immédiat, une telle évolution pourrait entraîner des pertes de croissance. À long terme cependant, le découplage progressif avec les dictatures dangereuses est non seulement moralement indispensable et politiquement utile, mais également économiquement logique. Le cas de la Russie montre bien qu’il ne faut pas se rendre dépendant d’un seul fournisseur. Presque toutes les industries automobiles et chimiques allemandes ont misé sur la Chine ces vingt dernières années. Cette stratégie de dépendance économique constitue un échec majeur de la part de leurs conseils d’administration et de surveillance. Elle ne peut pas continuer. 

Découplage ou réorientation ?

L’intérêt majeur de l’Allemagne est que la Chine ouvre ses marchés aux entreprises allemandes et européennes, sur une base d’égalité et de réciprocité, ce qui n’est actuellement pas le cas. Tandis que la Chine exige de la transparence à l’égard de ses partenaires économiques, elle-même s’isole de plus en plus. À la longue, les investisseurs allemands et européens n’accepteront plus de telles conditions. À ce titre, l’association fédérale des petites et moyennes entreprises (BVMN) plaide pour une ouverture du gouvernement à l‘égard d’autres régions du monde, telles que le continent africain ou le Mercosur en Amérique latine. 

Pour le moment, Xi Jinping peut se satisfaire du statu quo  : une délégation allemande de douze chefs d’entreprise a accompagné le chancelier lors de sa visite, preuve de l’ampleur des investissements et du commerce allemand en Chine.

Finalement, Olaf Scholz a pendant son séjour suivi ses propres instructions qu’il avait exposées dans son article dans la FAZ. Dans un cadre certes dicté par ses hôtes, il a néanmoins mis en garde la Chine contre une action violente à l’égard de Taïwan et a fait allusion à la cruelle oppression des Ouïgours au Xinjiang. 

Ces paroles étaient nécessaires pour ne pas s’exposer à de sévères critiques de la part des alliés internationaux, mais également des membres de sa propre coalition gouvernementale, au premier rang desquels se trouve la ministre des Affaires étrangères. 

Bien que l’Allemagne semble toujours courtisée par la Chine en tant que partenaire économique, elle demeure encore trop petite militairement et trop faible politiquement pour être considérée par Pékin comme ayant un réel pouvoir géostratégique à l’échelle mondiale. 

Il faut aussi regarder de près les investissements chinois en Europe. La Chine est bien connue pour son habitude de s’insérer dans des secteurs clés de l’industrie européenne avec l’objectif manifeste de se procurer des technologies et de les copier en Chine. À ce pillage systématique des propriétés intellectuelles, il faut également ajouter des investissements massifs dans des infrastructures telles que les ports maritimes. Face à cette porte ouverte aux ingérences chinoises, une réorientation de cette politique économique paraît adéquate. Celle-ci pourrait intervenir rapidement, sur la base de lois déjà existantes. Il s’agit là d’une question de volonté politique. Le ministre de l’Économie, Robert Habeck, a ainsi récemment utilisé l’outil de la la loi du droit extérieur pour interdire deux rachats d’entreprises allemandes par des investisseurs chinois manifestement intéressés par le savoir-faire allemand dans les technologies de plus en plus sensibles que sont les semi-conducteurs et la fabrication de puces. 

L’Allemagne devrait être consciente de son vrai statut en Europe et dans le monde. Ce statut implique de réviser sa politique chinoise. Outre le découplage massif de leur économie avec Pékin, c’est plus globalement l’Europe et l’Occident qui doivent refuser de se laisser diviser, pour suivre une stratégie commune et s’exprimer d’une seule voix face à la Chine. 

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