Aide médicale d’État : Mayotte aujourd’hui, l’Hexagone demain ?

Antienne de la droite et l’extrême droite, la suppression de l’aide médicale d’État (AME), qui consiste à prendre en charge les soins des personnes étrangères en situation irrégulière, a ressurgi dans le sillage du projet de loi « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » et de la crise sociale et migratoire à Mayotte. Attaquée pour son coût supposé et « l’appel d’air migratoire » qu’elle susciterait, l’AME n’est pourtant pas appliquée à Mayotte, comme le rappelle Jeanne Belanyi, conseillère auprès de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, alors même que tous les acteurs de terrain en appellent à sa mise en oeuvre pour garantir le droit à la santé pour toutes et tous.

Le droit à la santé est aussi bien garanti par la Constitution1Préambule de la Constitution de 1946, article 11 : « Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs (…) ». que par divers engagements internationaux2À l’image de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 25), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (article 12) mais encore de la Charte sociale européenne de 1961 (articles 11 et 13). dont la France est partie prenante. L’accès aux soins, qui en est l’un des piliers, et la lutte contre la désertification médicale, ont récemment fait l’objet de nouvelles annonces gouvernementales3L’État financera à hauteur de 30% à 50% les « médicobus » contre la désertification médicale, Le Monde, juillet 2023. dans l’optique de limiter le risque d’engorgement des services d’urgences, particulièrement sensibles en période estivale.

Cet accès aux soins, qui fait régulièrement la une de l’actualité, est pourtant l’objet d’attaques répétées, au travers de l’une de ses composantes, l’aide médicale d’État (AME). Ce principe de solidarité universelle, garant de notre santé publique, a été créé en 1999 et permet la prise en charge des soins pour les personnes étrangères en situation irrégulière au travers d’un dispositif de droit commun qui s’adresse aux étrangers présents sur le sol français depuis au moins trois mois consécutifs, complété par plusieurs dispositifs secondaires qui permettent aux plus nécessiteux de s’affranchir de cette condition de résidence.

L’AME pour soins urgents s’adresse ainsi aux étrangers en situation irrégulière dont le pronostic vital est engagé, tandis que les personnes étrangères ne résidant pas sur le territoire peuvent bénéficier, par le biais de l’AME dite humanitaire, d’une prise en charge ponctuelle de leurs soins hospitaliers. Une aide médicale peut également être accordée aux personnes placées en garde à vue et en rétention administrative.

L’aide médicale d’État, critiquée tant pour le coût budgétaire qu’elle ferait peser sur les finances publiques que pour l’appel d’air migratoire qu’elle induirait, a fait l’objet d’attaques répétées au cours des dernières années, dont la plus récente s’inscrit dans le cadre du projet de loi « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » présenté en Conseil des ministres le 1er février dernier.

Plus captivantes qu’un feuilleton, les épopées de ce projet de loi n’en finissent plus de nous tenir en haleine. Après un teasing en juillet 2022, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a en effet présenté une première mouture d’un texte auquel il annonçait vouloir appliquer la logique du « en même temps » prôné par le chef de l’État : compromis oui, dénaturation non.

Le message ne semble pas être parvenu jusqu’au Sénat, chargé en mars 2023 d’une première lecture du texte en commission des lois d’abord, en séance publique ensuite. C’est à l’occasion des échanges en commission qu’un amendement porté par la sénatrice (LR) Françoise Dumont, qui proposait la suppression de l’aide médicale d’État au profit d’une aide ne couvrant que « les soins urgents », a été voté, concrétisant ainsi la volonté affichée de « combler les manques du projet de loi »4Sénat, commission des lois, Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, amendement n°COM-3 rect. ter..

Le vote solennel prévu le 4 avril n’aura finalement pas eu lieu, pas plus que l’examen en séance publique d’un texte largement amputé de son volet social et humanitaire. Le chef de l’État a en effet lui-même pris la décision d’asséner un coup que l’on aurait pu croire fatal à un projet de loi qu’il prévoyait par ailleurs de démembrer méticuleusement, pour satisfaire l’appétit des uns et des autres : plutôt qu’un seul projet, plusieurs textes étaient envisagés, afin de séduire aussi bien la droite (qui préconise de durcir les conditions d’obtention d’un titre de séjour et de faciliter les expulsions), que la gauche (sensible aux conditions d’accueil des immigrés et à un assouplissement des conditions de régularisation des travailleurs sans-papiers évoluant dans les métiers dits en tension).

Énième changement de braquet à compter du 23 avril 2023 : le projet de loi n’est pas mort, vive le projet de loi ! Et exit le tronçonnage méthodique. Dans une interview accordée au Parisien le 23 avril 2023, Emmanuel Macron revient sur ses propos et fait part de sa volonté qu’un seul texte, « efficace et juste »5Le Parisien, Emmanuel Macron face à nos lecteurs : « Ce qui m’importe, c’est que le pays avance », 23 avril 2023. soit présenté.

C’était sans compter sur les ténors des Républicains qui, assumant leur rôle de variable d’ajustement d’une majorité présidentielle relative, ont opéré un coup de théâtre, qu’ils pensaient doubler d’un coup de pression, en déposant deux textes supposés incarner un « projet de rupture » :

  • une proposition de loi constitutionnelle réformant les conditions d’accès à la nationalité française et les conditions d’accès au droit l’asile, et prévoyant de permettre aux Français de se prononcer sur la politique migratoire par référendum ;
  • une proposition de loi ordinaire dont le spectre s’étend des conditions de l’obtention des titres de séjour à la limitation de l’accès au regroupement familial en passant par la mise en place de quotas annuels et la restriction, une fois n’est pas coutume, de l’accès à l’aide médicale d’État.

Depuis, aussi bien les sénateurs centristes6Public Sénat, Immigration : après les LR, les sénateurs centristes déposent leurs propositions de loi, juillet 2023. que les députés du Rassemblement national7Assemblée nationale, Proposition de loi portant sur la suppression de l’aide médicale de l’État au profit de la création de l’aide d’urgence vitale, juillet 2023. ont emboîté le pas des Républicains pour faire valoir leurs propres propositions en matière migratoire. Quel qu’en soit le parti à l’initiative à droite et à l’extrême droite, l’ensemble de ces propositions de lois remet systématiquement en cause l’aide médicale d’État et propose d’en restreindre l’accès. À 8000 kilomètres de Paris pourtant, sur l’unique territoire français – Mayotte – où l’aide médicale d’État ne s’applique déjà pas, pour n’y être jamais entrée en vigueur, l’ensemble des acteurs locaux, des parlementaires aux associations en passant par le personnel médical rappelle depuis des années l’indispensable nécessité à instaurer ce dispositif. 

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Immigration : vers une énième et non moins inquiétante remise en cause de l’aide médicale d’État

L’aide médicale d’État est en effet le bouc émissaire de longue date d’une partie de la classe politique qui appelle à l’adoption de mesures de plus en plus restrictives à l’égard des personnes migrantes et qui voit en ce dispositif, qui garantit une prise en charge des soins aux personnes qui en ont besoin pour d’évidentes raisons éthiques, de santé publique et de respect de la dignité humaine, un appel d’air migratoire.

Lors de la dernière campagne présidentielle, aussi bien Valérie Pécresse, Marine Le Pen que Nicolas Dupont-Aignan proposaient de limiter l’AME à des soins spécifiques ou d’urgence, tandis qu’Éric Zemmour prônait sa suppression8Céline Gabarro,  Obtenir l’AME : un parcours du combattant, Dossier « L’aide médicale d’État, la fabrique d’un faux problème », février 2022..

Il est également rare qu’une année se passe sans qu’un procès ne soit intenté à l’AME au sein du Parlement, déclenchant parfois des sueurs froides chez les défenseurs raisonnés de ce dispositif : en 2018, les sénateurs avaient ainsi d’ores et déjà réussi à faire adopter un amendement transformant l’AME en une aide médicale d’urgence, une mesure qui n’aboutira finalement pas car non soutenue lors de son passage devant l’Assemblée nationale.

En 2015, Nicolas Sarkozy, alors président de l’UMP, clamait haut et fort sa volonté de supprimer l’AME aux immigrés en situation irrégulière, alors même qu’en 2012, en pleine campagne présidentielle, il affirmait avec aplomb qu’en France « on soigne les gens quelle que soit leur couleur de peau, quelle que soit leur nationalité, qu’ils aient de l’argent ou qu’ils n’en aient pas »9Discours de Nicolas Sarkozy, président de la République et candidat à l’élection présidentielle, Le Raincy, 26 avril 2012..

Les Républicains n’en sont ainsi pas à leur premier coup d’essai et espéraient imposer leurs idées en déposant deux propositions de loi dans un contexte de tergiversations et de versatilité gouvernementale en matière migratoire10Voir supra.. Mais tel est pris qui croyait prendre : alors qu’il avait été envisagé un temps que le gouvernement élabore un nouveau texte à présenter en Conseil des ministres en juillet afin de tenir compte des demandes des Républicains, Gérald Darmanin annonçait fin juin que l’examen du texte initial reprendrait au Sénat après les élections sénatoriales de septembre prochain.

Si les péripéties chaotiques d’un énième projet de loi traitant des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France sont révélatrices de la problématisation du thème de l’immigration, qui divise aussi bien l’opinion publique que le débat parlementaire, elles démontrent également l’échec du champ politique à dépassionner, à objectiver et à rationaliser le sujet de l’accès des populations immigrées à des droits sociaux.

Plus spécifiquement, les débats récurrents autour d’un resserrement de l’AME sont le reflet des tensions qui traversent une société française confrontée à la disparition et à la dématérialisation progressive des services publics, à l’impasse de la désertification médicale, et à la précarisation de l’accès aux minima sociaux. Conjugués, ces maux caractérisent un affaissement généralisé de la qualité de vie des classes moyennes et des classes populaires, et alimentent un discours où violence, déclassement et immigration sont amalgamés et associés au visage de l’étranger.

Le cheminement parlementaire du projet de loi « Contrôler l’immigration, favoriser l’intégration », dont le potentiel de survie reste encore à déterminer au regard des péripéties qui ont jusque-là accompagné son parcours, devrait donc reprendre en automne. Rappelons que c’est au cours de la discussion avortée du texte devant la commission des lois du Sénat qu’avait été adopté le glissement d’une AME vers une aide médicale d’urgence (AMU) « centrée sur la prise en charge des situations les plus graves et sous réserve du paiement d’un droit de timbre », ce resserrement se justifiant, selon Françoise Dumont, l’autrice de l’amendement, par un « contexte d’augmentation continue des dépenses liées à l’AME »11Sénat, commission des lois, Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, amendement n° COM-3 rect. ter..

Si le sociologue François Héran, professeur au Collège de France sur la chaire Migrations et sociétés ne nie pas « qu’il n’y [ait] jamais eu autant d’immigrés en France » et que « le nombre total des titres de séjour délivrés chaque année en France ne cesse de progresser », il rappelle également dans son ouvrage Immigration : le grand déni12François Héran, Immigration : le grand déni, Paris, Seuil, 2023. que l’immigration progresse partout ailleurs et que la France ne saurait échapper à cet essor mondial. L’auteur rappelle à juste titre une réalité qui devrait freiner les velléités alarmistes d’une partie des discours politiques : oui, l’immigration progresse en France, mais « à un rythme plus faible que dans la plupart des pays occidentaux ».

La restriction de l’accès des étrangers aux soins que constituerait l’adoption d’une aide médicale d’urgence telle que présentée précédemment, au détriment d’une AME centrée sur la prévention et l’anticipation, ne pourrait que conduire à une prise en charge tardive d’états de santé plus dégradés, conduisant à des soins plus onéreux et surtout à une mise en danger de l’ensemble de la population en termes de santé publique, quelle que soit la nationalité, la couleur de peau ou la régularité de présence sur le sol français.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier le cas particulier de Mayotte, qui constitue l’archétype de la politique sanitaire restrictive prônée par toute une partie de la classe politique : depuis 2004, les étrangers en situation irrégulière sont soumis au paiement d’une provision financière pour bénéficier ne serait-ce que d’une consultation13La provision versée varie en fonction de la prestation : de 10 euros pour une consultation en dispensaire à 300 euros pour le suivi d’une grossesse et l’accouchement..

À l’image de ce que prône pour l’Hexagone le récent amendement de la sénatrice Dumont, une aide médicale n’est accordée par l’État à Mayotte que pour permettre la prise en charge des personnes impécunieuses dans un état médical grave : l’aide médicale d’urgence existe donc déjà à Mayotte, et ce depuis bientôt deux décennies.

Sans surprise, cette politique d’exclusion se présentait déjà comme un rempart contre l’immigration clandestine issue des Comores. Les chiffres de l’immigration sont par la suite venus démentir les accusations d’« appel d’air » que les autorités publiques adressaient déjà à un accès aux soins pour tous : 48% de la population était de nationalité étrangère en 2017, en hausse de 8 points par rapport à 2012, le motif des migrations à Mayotte étant principalement économique et social, et non pas sanitaire.

Les réalités quotidiennes de Mayotte, où l’AME, levier essentiel de santé publique dans tous les autres départements français, ne s’applique pas, sont ainsi une illustration concrète de l’impérative nécessité de garantir un accès courant au système de soins aux personnes en situation irrégulière.

Mayotte, un laboratoire pour la politique migratoire française

Mayotte, française depuis 1841, est une des quatre îles de l’archipel géographique des Comores situé dans le canal du Mozambique.

D’abord dotée d’un statut de collectivité d’outre-mer, l’île aux parfums s’engage progressivement vers la départementalisation au début des années 2000. En décembre 2008, le gouvernement présente un Pacte pour la départementalisation de Mayotte, qui définit, outre les transferts de compétences de l’État vers la collectivité, les principaux chantiers à conduire pour accompagner ce processus14Cour des comptes, Rapport public thématique sur la départementalisation de Mayotte, janvier 2016..

Aux côtés de mesures relatives à l’application de la justice et des principes républicains, mais aussi au développement d’un état civil fiable et d’un accompagnement du développement économique, ou bien encore à l’instauration d’une fiscalité de droit commun, ce Pacte détaille le développement d’une politique sociale à Mayotte, qui se fonde sur un alignement progressif des prestations sociales et des minima sociaux, dans une société jusqu’alors traditionnellement régie par le droit coutumier islamique, sur ceux dont bénéficient les hexagonaux, cette intégration nécessitant nécessairement une transformation complexe des institutions locales.

Mayotte deviendra ainsi, en 2011, le 101e département français.

Mais son cheminement vers le droit commun de la République s’enlise, et la lenteur indubitable de mise en œuvre des droits sociaux suffirait à elle seule à le démontrer. À titre d’illustration, le territoire présente une offre de soins sous-dimensionnée au regard des besoins : en 2020, vingt médecins généralistes exerçaient à Mayotte, pour une population totale estimée à plus de 250 000 habitants15Défenseur des droits, Établir Mayotte dans ses droits, rapport, février 2020.. En conséquence, le renoncement aux soins est particulièrement élevé sur l’île où 45% des habitants de plus de quinze ans déclarent avoir dû renoncer à des soins en 201916Insee, Enquête santé DOM 2019, 29 juillet 2021.. Rappelons également que la protection universelle maladie (PUMa)17Le site service-public.fr la définit ainsi : « Ce principe permet une prise en charge des frais de santé sans rupture de droits. Cette prise en charge est assurée même en cas de changement de situation professionnelle (perte d’emploi…), familiale (séparation…) ou de résidence. », dont peuvent normalement bénéficier les demandeurs d’asile, n’y est pas applicable, ni la complémentaire santé solidaire (anciennement CMU-C)18La complémentaire santé solidaire permet de rembourser la part complémentaire des dépenses de santé – c’est-à-dire ce qui n’est pas remboursé par l’Assurance maladie. Elle est gratuite ou payante selon les revenus., ce qui conduit une partie de la population, et particulièrement les plus précaires, à renoncer aux soins pour un motif financier19Insee, Enquête santé DOM 2019, 29 juillet 2021..

Il paraît essentiel de souligner, dans un souci d’exhaustivité toutefois relative tant la matière est dense, que les exceptions ultramarines, particulièrement en matière de droit d’asile et de droit des étrangers, ne sont pas l’apanage du territoire mahorais, et que les singularités applicables outre-mer ont bien souvent servies de banc d’essai pour des reculs des droits sur l’ensemble du territoire français, ultramarin comme hexagonal.

Prenons l’exemple de la réforme20GISTI, Cahier juridique, Singularités du droit des personnes étrangères dans les Outre-mer, 2018. de la carte de paiement délivrée aux bénéficiaires de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), expérimentée en 2018 en Guyane, puis généralisée au reste du territoire français l’année suivante, et qui a fait passer cette carte bancaire, sur laquelle est versée l’allocation pour demandeurs d’asile, du rang de carte de retrait à celui d’une simple carte de paiement sans possibilité de retrait, ni de paiement en ligne. De ce fait, elle ne permet plus de retirer de l’argent liquide dans les distributeurs de billets, précarisant d’autant plus les personnes qui ne sont pas hébergées par l’État ayant réussi à se loger dans un logement privé, où le règlement des loyers ne peut en général s’effectuer que par virement ou en espèces.

Si cette première illustration ne concerne pas au premier chef les citoyens français de l’Hexagone, il n’en est pas de même de l’extension progressive des vidéo-audiences aux procédures judiciaires, dont l’usage est courant en outre-mer, notamment pour tenir les audiences de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)21La CNDA est une juridiction administrative spécialisée qui examine les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en matière de demande d’asile. lorsque le demandeur réside outre-mer. Dans un récent rapport, le Conseil national des barreaux pointait ainsi le fréquent non-respect de conditions techniques, la vidéo-audience affectant ainsi le mode de production de la vérité judiciaire et portant directement préjudice aux requérants. Mais cette tendance à la dématérialisation tend, petit à petit, à s’introduire par la grande ou la petite porte et à se généraliser devant l’ensemble des juridictions, malgré quelques retoquages du Conseil constitutionnel.

Mayotte n’est ainsi pas le seul territoire d’outre-mer où s’applique un droit dérogatoire, extensible au besoin, comme nous avons pu le constater précédemment, au reste du territoire français. Mais elle reste, à l’heure actuelle, l’unique département français où aucune AME n’est reconnue aux personnes en situation irrégulière.

L’offre de soins disponible à Mayotte apparaît considérablement limitée : le centre hospitalier de Mayotte en est le principal fournisseur à l’échelle du territoire, aussi bien pour les soins primaires, en raison d’un secteur libéral très limité qui entraîne de facto l’absence d’une offre de ville suffisante, que pour l’activité hospitalière22Sénat, Mayotte, un système de soins en hypertension, Rapport d’information n°833, juillet 2022.. Cette dernière est toutefois complétée par des dispensaires à vocation de consultations généralistes qui sont disséminés dans l’île, ainsi que par un hôpital secondaire.

Mais avec 89 médecins pour 100 000 habitants au 1er janvier 2022, contre 338 en moyenne dans l’Hexagone23Insee, Professionnels de santé au 1er janvier 2022, 10 février 2023., Mayotte reste le plus grand désert médical de France. Depuis la mise en place de la Sécurité sociale au 1er janvier 2005, l’accès aux soins, jusqu’alors gratuit pour tous, quelle que soit sa nationalité ou la régularité de son séjour, ne l’a plus été que pour les affiliés, les non-affiliés étant contraints, depuis, de payer un forfait.

D’où un taux de renoncement aux soins exponentiel : les non-affiliés, qui correspondent aux personnes résidant de manière irrégulière sur le territoire, appartiennent pour la grande majorité d’entre eux à la tranche de la population la plus précaire. Comment ces personnes, bien souvent sans ressources financières stables et bien souvent confrontées à l’extrême pauvreté sur un territoire où le taux de chômage, de 34% en 2022, est le plus élevé de l’Union européenne24CEROM, Dix ans de départementalisation de Mayotte, septembre 2022., seraient-elles en mesure de s’acquitter d’un forfait, qui s’élève a minima à 10 euros pour bénéficier d’une consultation ?

En bien des aspects, Mayotte est aux avant-postes de ce qu’il pourrait advenir à l’échelle de la France entière si une politique restrictive d’accès aux soins, telle qu’elle se profile au travers des récentes prises de position d’une partie de la classe politique, est votée et appliquée.

Mayotte aux avant-postes : de l’importance de garantir un accès aux soins dans des conditions appropriées et des délais raisonnables

D’une certaine manière, l’aide médicale d’urgence, telle que présentée par l’amendement déposé par la sénatrice (LR) Françoise Dumont et voté en commission des lois sénatoriale en mars dernier, s’applique déjà à Mayotte.

À l’heure actuelle, l’AME est déjà loin d’être accessible à tous les étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français : comme indiqué précédemment, elle est uniquement attribuée sous conditions de résidence, le demandeur devant être en mesure de justifier une présence sur le territoire depuis au moins trois mois, et de plafond de ressources, qui s’établit en 2023 à 9 718 euros pour la France hexagonale et à 10 817 euros pour les départements d’outre-mer. Hors Mayotte, donc.

Par ailleurs, elle n’est accordée que pour une année, avec possibilité de renouvellement. Enfin, il faut rappeler que le panier de soins des bénéficiaires de l’AME est restreint, comparativement à celui des bénéficiaires de la complémentaire CMU. Ainsi, si les soins de maladie et de maternité sont pris en charge à 100%, ce n’est pas le cas de l’optique ou des soins dentaires, qui sont pris en charge sur le tarif conventionnel, ni de l’aide médicale à la procréation ou des médicaments princeps25Médicaments d’origine à partir du duquel les génériques sont conçus. si un générique existe, qui sont exclus de toute prise en charge des frais. Depuis 2021, certaines prestations programmées, et non urgentes, à l’image de certaines prothèses, ne peuvent intervenir qu’après neuf mois, et non trois, de bénéfice de l’AME.

Le dispositif a par ailleurs été amendé à plusieurs reprises dans l’optique de réduire le panier de soins accessibles et pour introduire un droit d’entrée de 30 euros en 2011, supprimé en 2012.

Concrètement, le resserrement de l’AME en aide médicale d’urgence recentrerait le dispositif sur la prise en charge des situations les plus graves et serait accessible sous réserve du paiement d’un droit de timbre par le bénéficiaire des soins.

Concernant le volet « urgence », il existe déjà un dispositif de soins urgents et vitaux en France, qui s’adresse aux personnes en situation irrégulière sur le territoire depuis moins de trois mois mais également à celles qui sont en France depuis plus de trois mois mais qui n’ont pas fait de demande d’AME et dont le dossier est en cours d’instruction ou bien pour lesquelles l’AME a été refusée.

Lorsque l’on se réfère à l’exemple de Mayotte, nous pourrions considérer que la réforme envisagée, telle que décrite ci-dessus, s’imprègne du pire de ce qui est appliqué en matière de politique sanitaire sur l’île aux parfums : une aide médicale inaccessible aux plus précaires qui sont bien souvent aussi les plus nécessiteux, car soumise à une forme de droit d’accès payant, et réduite, littéralement, au minimum vital, non par manque d’infrastructures ou de praticiens comme c’est le cas à Mayotte, mais sous couvert d’une réduction des dépenses publiques et d’une prétendue cohésion sociale dans un pays où la thématique de l’immigration tend à cliver de plus en plus l’opinion publique.

La mise en place d’un tel système conduirait à exclure, comme c’est déjà le cas à Mayotte, une part importante de la population présente sur le territoire français de la garantie d’un accès courant au système de soins et à transformer le pays en un réservoir de pathologies infectieuses qui conduirait à surcharger les services d’urgence.

Mayotte est l’exemple même d’un territoire qui présente une pression extrême en termes de besoins de santé et d’accroissement de l’offre de soins : l’absence d’AME couplée à une désertification médicale dramatique ont donné lieu à l’aggravation de l’état de santé de certaines populations mais aussi à la réapparition de certaines maladies comme le scorbut ou le choléra26AFD, Migration, santé et soins médicaux à Mayotte, janvier 2010.. Seuls les soins urgents et vitaux peuvent y faire l’objet d’une prise en charge totale ou partielle par l’État27Article L.6416-5 du Code de la santé publique..

La logique du laisser mourir plutôt que prévenir y a détrôné celle du prévenir plutôt que guérir. C’est cette même logique qui imprègne les velléités réformatrices des détracteurs de l’AME.

Mayotte est certes le premier désert médical de France, mais elle reflète une réalité déjà bien connue d’une part importante, et croissante, de la population hexagonale : plus de 30% des Français résident dans un désert médical, ce qui amène 1,6 million d’entre eux à renoncer chaque année à des soins médicaux28Sénat, Rétablir l’équité territoriale en matière d’accès aux soins : agir avant qu’il ne soit trop tard, Rapport d’information n° 589, 2022..

Comme à Mayotte, ce contexte de tension et de raréfaction de l’offre de soins médicaux tend à faire des urgences les interlocuteurs de première ligne. Ajoutons à cela l’évolution sociétale, qui valorise l’immédiateté, tendance à laquelle les soins n’échappent pas : les patients vont aux urgences car c’est pratique et rapide29Le Monde, « Pourquoi le nombre de patients aux urgences augmente d’année en année », 14 juin 2019.. C’est ainsi que le nombre de passages aux urgences est en hausse quasi constante depuis 1996, passant de 10,1 millions de passages à 21,2 millions en 2019, soit une augmentation moyenne de 3,3% par an30Sénat, Hôpital : sortir des urgences, Rapport d’information n° 587, 2022..

À Mayotte, la résurgence de certaines maladies est ainsi directement liée à des conditions de vie extrêmement précaires, auxquelles il faut ajouter un accès aux soins restreint, voire empêché31Le Monde, « À Mayotte, les tensions se cristallisent autour des centres de santé », 27 mai 2023.. Pourtant, aussi bien le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies32ECDC, Migrant health: Access to HIV prevention, treatment and care for migrant populations in EU/EEA countries, 2009., qui œuvre au renforcement des défenses de l’Europe contre les maladies infectieuses, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS)33World Health Organization, Report on the health of refugees and migrants in the WHO European Region : No public health without refugee and migrant health, 2018., l’agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies pour la santé publique, ont déjà eu l’occasion d’alerter sur l’augmentation du risque d’expansion des maladies infectieuses comme conséquence d’une restriction de l’accès aux soins des migrants sans-papiers.

Cette résurgence devrait d’autant plus nous préoccuper, à l’heure où le flux continu de rapports internationaux et de mobilités humaines constitue désormais le facteur clef de la transmission des maladies.

Dans l’Hexagone, et a fortiori dans le reste du monde, l’irruption du coronavirus, en ce qu’il a fait ressurgir dans le débat public la problématique des schémas épidémiologiques et celle des chaînes de transmission virale, aurait dû constituer un facteur d’alerte supplémentaire quant à l’impérative nécessité d’instaurer un accès aux soins élargi et délesté de tout critère relatif à la nationalité. Alors même que l’exemple de Mayotte est une illustration frappante de l’inanité d’une politique de santé publique qui ferait la part belle à une forme de préférence nationale, les postures politiciennes, alimentant et alimentées par les polémiques incessantes sur la politique migratoire française et européenne, continuent de s’asseoir sur les mises en garde et préconisations des instances supranationales.

À Mayotte, la justification à l’absence d’AME s’appuie bien souvent sur l’immigration massive qui touche le territoire, composée, outre des Comoriens, d’une immigration malgache et africaine principalement issue du Congo, du Rwanda et du Burundi, au départ des côtes tanzaniennes. Du fait de ces flux migratoires, Mayotte connaît une croissance démographique importante, sa population ayant été multipliée par quatre entre 1985 et 202034Assemblée nationale, Rapport d’information n°1295, Les enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne et dans l’océan indien, 2023..

Cette immigration, expliquée notamment par un différentiel économique et social important entre Mayotte et les Comores, est source de tensions sociales. C’est ainsi que l’opération Wuambushu35Terme shimaore pouvant être traduit par « reprise »., lancée par le ministre de l’Intérieur au mois d’avril dernier et visant à expulser les étrangers en situation irrégulière, s’est également traduite par le blocage des centres de soins par des collectifs citoyens, entraînant renoncements supplémentaires aux soins et ruptures de traitement.

L’explication est simple : l’immigration clandestine est lourde pour les infrastructures médicales de Mayotte, ce qui conduit à réduire la disponibilité des équipements pour le reste de la population, augmentant de ce fait le ressentiment des Mahorais envers les étrangers.

Mais la réaction politique est, quant à elle, simpliste : elle conduit depuis des années à tenter de réduire l’attractivité de Mayotte, notamment par un droit dérogatoire dont quelques illustrations ont été évoquées précédemment (droits sociaux au rabais, inexistence de l’AME), auxquelles il faut également ajouter une politique restrictive d’acquisition de la nationalité pour les enfants nés à Mayotte36Depuis le 1er mars 2019, pour qu’un enfant né sur le sol mahorais puisse obtenir la nationalité française une fois adulte, il faut qu’un de ses parents au moins puisse démontrer qu’il était en situation régulière en France depuis au moins trois mois avant sa naissance..

C’est la même logique bancale qui sous-tend dans l’Hexagone la volonté de certains de resserrer le dispositif autour d’une aide médicale d’urgence : l’AME serait ainsi trop libérale et couvrirait des abus d’usage, alimentant un tourisme médical fantasmé aux frais de la Sécurité sociale (alors même que l’AME est financée sur le budget de l’État, qui rembourse les dépenses avancées par la Caisse nationale de l’Assurance maladie) et dont le budget serait en constante augmentation.

D’une part, l’argument avancé par le Rassemblement national dans une récente proposition de loi37Proposition de loi n°1473 portant sur la suppression de l’aide médicale de l’État au profit de la création de l’aide d’urgence vitale, juillet 2023., selon lequel le système de soins français créerait un appel d’air migratoire, est bien présomptueux : en 2019, l’enquête Premiers Pas38Enquête Premiers Pas, Accès aux droits, trajectoires de soins et appropriation de l’Aide médicale de l’État en France, IRDES, 2019. dévoilait qu’une personne seulement sur dix citait un motif lié à la santé pour justifier sa venue en France. Ce motif de santé est par ailleurs bien souvent à combiner avec d’autres : pour dix personnes citant un motif de santé, quatre y associaient un motif économique ou social, démontrant ainsi que la complexité du phénomène migratoire ne peut être réductible à une seule variable.

D’autre part, non, la suppression de l’AME ne permettrait pas de réaliser des économies, comme le laisse entendre le Rassemblement national lorsqu’il indique que « le budget consacré à l’aide médicale d’État […] a plus que doublé depuis 2015 »39Ibid.. Le parti d’extrême droite oublie par la même occasion de préciser que la suppression d’un dispositif n’entraîne pas la disparition des besoins des populations qui la subissent, et que la progression continue de la population immigrée se traduit en général par une sollicitation croissante des dispositifs mis en place à leur égard.

Outre que le coût de l’AME ne représente qu’à peine 0,5% des dépenses publiques de santé40ODSE, L’Aide médicale de l’État : un filet de sécurité pour la santé publique à ne plus restreindre, juin 2023., il n’est pas inutile de rappeler que limiter les droits offerts par ce dispositif reviendrait à laisser le poids de leur prise en charge aux services d’urgence, entraînant une embolie des hôpitaux et une saturation accrue des services d’urgence. Une prise en charge tardive d’états de santé plus dégradés conduirait nécessairement à des soins plus onéreux.

Par ailleurs, dans une tribune publiée en 2019, un collectif de chercheurs rappelait que l’étude « Equi-Health », menée comparativement dans quatre États européens, a démontré que l’accès aux soins de santé primaires pour les étrangers sans-papiers permet une économie de 49% à 100% par rapport à une prise en charge purement hospitalière41Collectif, « Restreindre l’accès à l’aide médicale d’État pour les sans-papiers n’aura que des conséquences  néfastes », Le Monde, octobre 2019..

Enfin, face à un Rassemblement national qui estime que « les Français, qui cotisent et paient des impôts, sont censés être les premiers bénéficiaires de la solidarité nationale», nous ne pouvons que pointer que, jusqu’à preuve du contraire, les virus, bactéries et maladies infectieuses ne sont pas très regardants quant à la nationalité et la régularité du séjour dans leur méthode de transmission.

Une enquête ANRS Parcours, menée entre 2012 et 2013, a ainsi pu démontrer qu’entre un tiers et la moitié des personnes nées en Afrique subsaharienne vivant avec le VIH se contaminent sur le territoire français42Caroline Izambert, L’AME, impossible expertise, inévitable politisation, Dossier « L’aide médicale d’État, la  fabrique d’un faux problème », février 2022., du fait de conditions de vie précaires réservées aux immigrés dans les premières années qui suivent l’arrivée sur le territoire français.

Un État démocratique ne peut décemment pas se contenter d’une posture attentiste lorsque la santé de la population présente sur son sol, quelle que soit sa nationalité, est manifestement déclinante.

Le rôle majeur qu’ont joué les précédentes crises sanitaires dans la consolidation de la santé publique n’est plus à démontrer. Alors que la crise liée à la pandémie de Covid-19 a mis en lumière une immense vulnérabilité collective, nous aurions pu nous attendre à ce qu’elle marque une nouvelle étape dans le développement de notre système de santé publique. Au lieu de cela, les discussions autour du prochain projet de loi sur l’immigration reprennent de nombreuses antiennes de la droite et de l’extrême droite, à commencer par celle visant à réduire les dépenses de santé dirigées vers une population fragile et précaire.

La Société française de santé publique résumait pourtant déjà en 2019 la logique qu’il conviendrait d’embrasser : celle d’un renforcement de l’accompagnement aux soins, de la prévention et l’élargissement de l’accès à une couverture maladie43SFSP, communiqué de presse, Aide médicale d’État : la nécessité de préserver un dispositif de santé publique, 2019..

Une partie des solutions est nécessairement hospitalo-centrée : l’AME y est une ressource non négligeable car, au même titre que l’Assurance maladie rembourse les soins pour les affiliés pris en charge dans les hôpitaux, l’AME permet à chaque établissement d’être remboursé pour les soins qu’il a prodigués aux personnes qui y sont éligibles. Si cette ressource était réduite ou supprimée, elle ne viendrait plus alimenter des créations de postes de soignants ou des investissements hospitaliers. A fortiori, l’ensemble des patients serait impacté par une dégradation supplémentaire de nos hôpitaux publics.

La constitution des dossiers de demande d’AME, dont les lourdeurs administratives sont d’une rare complexité et les exigences en matière de pièces à fournir d’une rigidité qui encourage le non-recours, fait de plus l’objet de préconisations de simplification depuis des années44Voir notamment le rapport de l’IGAS et de l’IGF, L’aide médicale d’État : diagnostic et propositions, octobre 2019., sans qu’aucune démarche n’ait été pourtant réellement engagée en ce sens.

Au-delà de la précarité administrative, la précarité sociale des populations concernées mériterait de faire l’objet d’une réflexion préventive transverse : l’impact du mal-logement, l’insuffisance des offres de transports collectifs et la fermeture progressive des structures de santé de proximité sont autant d’éléments qui retardent une prise en charge en amont, au risque d’une prise en charge dans l’urgence.

Enfin, à une prise en compte des déterminants socio-environnementaux doit s’adjoindre une stratégie d’anticipation alliant réalisme (le nombre d’immigrés va nécessairement croître à l’échelle planétaire), pragmatisme (assurer un accès gratuit aux soins primaires de toute personne présente sur le sol français participe à préserver la santé des Français et le système sanitaire) et humanisme (peut-on réellement refuser de soigner une pathologie au motif qu’elle ne serait ni vitale, ni urgente ?).

Et une once de bonne foi : arrêtons d’envisager l’AME au travers de son coût budgétaire en criant au loup à chaque denier supplémentaire injecté, et favorisons plutôt une approche centrée sur les droits humains et sur les coûts, eux aussi humains, mais aussi financiers, que ce dispositif permet d’éviter.

Il est vrai que les opinions des Français sur le sujet de l’immigration se sont durcies. Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA France, analysant le ressenti des Français sur cette problématique, a eu l’occasion de souligner que cette évolution « n’est pas l’apanage de la droite » : « les sympathisants de la gauche sont désormais près d’un sur deux à estimer qu’il y a trop d’immigrés en France »45Adélaïde Zulfikarpasic, L’immigration, ce grand tabou (de la gauche), Fondation Jean Jaurès, 11 avril 2023..  

Face à une classe politique et un gouvernement qui pourraient être tentés de tirer profit d’un climat anti-immigration pour raboter une aide médicale tournée vers des populations qui sont avant tout précaires et déracinées, la gauche dispose, au travers de l’exemple de Mayotte, d’un levier concret au service de ce positionnement qui allierait réalisme, pragmatisme et humanisme.

Alors que le milieu associatif46Voir notamment le courrier interassociatif sur l’exclusion discriminatoire de l’accès aux soins des mineurs étrangers et des irréguliers à Mayotte. nous alerte depuis des années sur les incertitudes juridiques qui pèsent à Mayotte sur la notion d’« altération grave et durable de l’état de santé »47Article L6416-5 du Code de la santé publique. qui seule permet une prise en charge financière par l’État des soins à prodiguer aux personnes étrangères en situation irrégulière, un même flou gravite autour du concept d’« urgence » que la droite et l’extrême droite tentent à nouveau de substituer au dispositif actuel d’aide médicale d’État. Au-delà d’un certain laxisme, l’introduction de l’aide médicale d’urgence généralisée, dont le cadre serait aussi poreux, ne pourrait que favoriser des pratiques discriminatoires et laisserait une appréciation au cas par cas prendre le dessus, au détriment de l’intérêt général qui doit nécessairement guider l’action de tout service public.

C’est enfin l’occasion pour la gauche de visibiliser et de réinvestir nos territoires ultramarins, où l’abstention et l’extrême droite se nourrissent d’un sentiment d’exclusion et de déclassement qui doit nécessairement être mis en parallèle avec celui qui gagne peu à peu du terrain dans la France rurale et périphérique.

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