Dans le contexte général en Afrique concernant l’homosexualité et plus largement la question du genre, que signifie le rejet massif et virulent de la déclaration du Vatican Fiducia Supplicans ? Tout en soulignant la complexité du positionnement « politique » des églises africaines, François Backman, membre de l’Observatoire de l’Afrique subsaharienne de la Fondation, analyse ce qu’implique, au-delà de la question religieuse, ce refus.
Rome, Cité du Vatican, 18 décembre 2023, à quelques jours de Noël : le Dicastère (équivalent d’un ministère) pour la Doctrine de la foi publie une déclaration : « Fiducia supplicans (Confiance suppliante) sur la signification pastorale des bénédictions ». A priori, vu de loin, il s’agit là d’une question technique quasi routinière. Bref, d’une histoire n’intéressant que les vaticanistes, journalistes spécialisés et autres « laïcs engagés » dans l’Église.
Sauf que Fiducia Supplicans traite de « la possibilité de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Église sur le mariage ». On s’en doute, c’est surtout l’expression « couples de même sexe » qui va faire du bruit même si sur le fond rien ne change en matière de doctrine. Pour le lecteur peu au fait de la position de l’Église sur la question, précisons que celle-ci condamne les relations entre personnes de même sexe, les considérant comme un péché, mais que, charité oblige, elle accueille tout le monde. Précisons enfin que l’Église, pape François en tête, condamne ce qu’il est convenu d’appeler la gender theory1Dans les lignes qui suivent, afin de ne pas assommer le lecteur, on essayera de faire simple, quitte à laisser sous le boisseau nombre de questions concernant notamment les débats au sein de la hiérarchie ecclésiale sur la famille, les « idéologies du genre » (par exemple les réponses du Dicastère pour la Doctrine de la foi aux dubia (doutes) de certains cardinaux), les visions des catholicités du continent, l’instrumentalisation par les Églises européennes et américaines des actions et propos de leurs homologues africaines ou les rapports entre Fiducia Supplicans et les textes antérieurs du Magistère, etc. Même chose à propos de la théologie catholique africaine, vivace et productive. On laisse également de côté la question de l’inculturation du christianisme hors Occident, débat plus que séculaire qui a pris plus d’importance à l’heure de la décolonisation (formation et promotion d’un clergé local, en Asie et en Afrique, gestion des spécificités extra-européennes, etc.). Idem pour les questions liées à la concurrence entre islam, protestantisme et catholicisme dans certains pays. Les quelques encycliques et autres textes officiels émanant du Vatican cités dans cette note sont disponibles sur son site internet. Les textes cités des divers diocèses et Conférences épiscopales sont également disponibles sur le web. Pour une remise en perspective de Fiducia Supplicans au niveau européen, voir Paul Airiau, « Bénédiction des couples homosexuels : la conjugalité est un lieu de tension entre l’Église et la modernité », La Croix, 8 janvier 2024..
Dès lors, parmi les « mouvances » catholiques européennes, on s’agite. Les plus « tradis », partisans d’un catholicisme ne varietur, d’une « fidélité de musée » dirait François, s’y opposent avec virulence ; les plus « progressistes » trouvent cette déclaration insuffisante. Quant à l’entre-deux, il reste dans une expectative bienséante, exprimant parfois doutes et réserves. Là encore, rien de bien neuf sous le soleil apparemment. Tempête dans un verre d’eau ou débats picrocholins d’une institution et d’une nébuleuse en perte de vitesse ? On peut certes le voir comme cela. On aurait alors un énième épisode du « rififi chez les porporati », Éminences et autres Monseigneurs préparant l’après-François, un énième débat-querelle qui fait le sel de l’institution ecclésiale. Erreur !
En effet, au Sud, l’aile la plus dynamique du catholicisme oppose un « non » ferme et massif à Rome. L’Afrique subsaharienne se dresse comme un seul homme contre Fiducia Supplicans. Non possumus, nous ne pouvons pas, tel est le cri quasi unanime de nombre de prêtres, d’évêques et du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) regroupant toutes les églises catholiques africaines. À sa tête et à la manœuvre, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, proche du pape, membre du fameux C9 (le conseil des neufs cardinaux soutenant le pontife dans sa réforme du fonctionnement de l’Église). Le 11 janvier, le SCEAM publie un texte où il annonce son refus d’appliquer Fiducia Supplicans. Rome plie et autorise les églises d’Afrique à faire fi de la déclaration. Dans cette joute pastorale, théologique et liturgique, politique et « culturelle », l’Afrique a gagné.
Si l’on s’attache à l’écume des choses, on peut voir en cette affaire un pataquès communicationnel, un texte mal amené, pas vraiment clair, obligeant Rome à rétropédaler face à la contestation africaine. Classiquement, on peut également y voir un clivage entre la jeune et dynamique église d’Afrique et une église européenne vieillissante et poussive. En termes de force de frappe, l’avenir du catholicisme est au sud, essentiellement en Afrique. Mais Fiducia Supplicans traduit bien plus que cela, comme on va le voir.
Histoire de mettre le lecteur dans le bain et de recontextualiser les choses, cette note aborde tout d’abord la question des perceptions de l’homosexualité en Afrique du point de vue des opinions publiques et des pouvoirs en place. Elle s’intéresse ensuite à la gestion de la crise par Rome et les églises africaines. Enfin, dans un dernier temps, elle essaye de dégager la signification du « non » africain qui dépasse de loin la simple question de la « bénédiction de couples irréguliers ou homosexuels ».
En quatre épisodes, retours sur cette fronde africaine.
Retour n°1. L’Afrique n’est pas gay friendly : opinions, législations, actes et paroles
Concernant la perception de l’homosexualité dans les opinions africaines, les choses sont claires : on la rejette. En effet, musulmans, catholiques, protestants et adeptes des religions traditionnelles ne sont guère gay friendly, c’est le moins que l’on puisse dire. Le cas extrême pouvant être représenté par l’Ouganda où le pouvoir a mis en place des lois extrêmement répressives2Cf. Makanga Ronald Kakumba, « Uganda a continental extreme in rejection of people in same-sex relationships », Afrobarometer, Dispatch n° 639, 11 mai 2023.. Rappelons qu’en 2024, sur les cinquante-quatre États africains, seule l’Afrique du Sud autorise le mariage entre personnes de même sexe et que les relations homosexuelles sont pénalisées dans une trentaine d’États. Rappelons également qu’un peu moins d’une quarantaine de pays, représentant environ 20% de la population mondiale, autorisent le mariage pour tous. Alors qu’en mai 2013 dans l’Hexagone, ce dernier est adopté à l’Assemblée nationale par 331 voix contre 225, en janvier 2014, le président nigérian Goodluck Jonathan promulgue une loi, adoptée à l’unanimité, interdisant les unions entre personnes de même sexe et restreignant les droits des homosexuels. Deux visions des problématiques sociétales… C’est peut-être le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire Adama Bictogo qui, début avril 2022, résumait le mieux la chose en déclarant que « cette pratique n’épous[ait] pas nos valeurs culturelles et morales » et que son pays, comme l’Afrique, était « abonné à l’hétérosexualité ».
Tout ceci se traduit à la fois en déclarations et en actes. Prenons trois exemples.
Le premier, footballistique, est assez connu. Le 14 mai 2022, Idrissa Gana Gueye, joueur du Paris Saint-Germain et véritable star du ballon rond en Afrique de l’Ouest (plus de cent sélections en équipe nationale du Sénégal, vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations 2021, etc.), n’est pas sur le terrain lors de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie. En France, on y voit alors une supposée hostilité et les réactions s’enchaînent. Divers leaders politiques, de gauche comme de droite, s’offusquent et demandent des sanctions. Le 18 mai, le Comité d’éthique de la Fédération française de football accuse le joueur de « valider de fait les comportements discriminatoires, le refus de l’autre ».
Au Sénégal, c’est tout l’inverse. L’ensemble de la classe politico-religieuse soutient Gana Gueye. Ainsi pour le président Macky Sall, les convictions religieuses du joueur doivent être respectées. Son principal opposant, le très populaire Ousmane Sonko, aujourd’hui Premier ministre du président nouvellement élu, Bassirou Diomaye Faye, déclare : « Nous apportons notre soutien à Idrissa Gana Gueye. Les Français […] pensent qu’il n’y a qu’eux qui ont de la valeur. Ils sont toujours dans la logique de colonisation-assimilation. Ils veulent désormais nous imposer l’homosexualité. […] Idrissa Gana Gueye a fait preuve de courage ».
La Fédération sénégalaise de football n’est pas en reste. Elle accuse son homologue française de stigmatiser Gana Gueye. L’ONG islamique Jamra, qui s’est fait une spécialité de lutter contre les « dérives morales », loue également le milieu de terrain « pour avoir refusé de s’ériger en contre-exemple pour la jeunesse, et de se laisser endoctriner […] par les tenants de l’agenda LGBT mondial, dans leur volonté perverse d’uniformiser la société humaine, à travers un inadmissible diktat de leur vision3Voir par exemple : Mariame Djigo, « Macky et Sonko soutiennent Gana Gueye », Seneplus, 18 mai 2022 et Jean-Louis Amselle, « L’affaire Idrissa Gana Gueye : un fait social total », AOC, 3 juin 2022. Quant au mouvement Y’en a marre, il affirme qu’Idrissa Gana Gueye est « resté en phase avec ses propres croyances, us et coutumes, et donc bénéficie du soutien total de son peuple ». ».
Toutes ces actions et déclarations ont le mérite de la clarté et il ne paraît pas nécessaire d’évoquer les réactions sur les réseaux sociaux…
Deuxième illustration : les « rues » ouest-africaines. Fin octobre 2023, au Burkina Faso, des centaines d’habitants de Bobo-Dioulasso viennent soutenir un militant anti-homosexuel, membre d’un mouvement pro-putsch, convoqué par la gendarmerie. Ressorti libre, « le jeune homme sera porté en triomphe par des manifestants4Cf. Ben Alassane Dao, « Homosexualité : des Bobolais manifestent leur colère », L’Express du Faso, 12 octobre 2023 : « Nous avons tenu également à dénoncer tous les cas d’homosexualité au Burkina Faso et mettre en garde tous ceux qui la pratiquent, martèle le Secrétaire général de la Coalition Yélèma Honronya ». Voir également Mamadou Zongo, « Réformes politiques : les forces vives favorables à l’interdiction de l’homosexualité et à la limitation du nombre de partis politiques », Le Faso.net, 24 septembre 2023. ». Burkina Faso dont les autorités de transition entendent durcir les dispositifs contre les relations same-sex et s’en prennent aux « contenus homosexuels véhiculés par les médias audiovisuels ». Le même mois, à Kaolack, au Sénégal, pays très majoritairement musulman, on a pu voir une foule profaner la tombe d’un homme soupçonné d’homosexualité, traîner son corps dans la rue et le brûler. Un cadavre, deux ou trois pneus, un bidon d’essence, quelques allumettes, ambiance… Article 320 sur une dépouille5En Afrique de l’Ouest, un « article 320 » s’apparente à un lynchage populaire en version immolation : 300 francs CFA le litre d’essence et 20 francs CFA la boîte d’allumettes.… Ce n’est d’ailleurs pas une première. La scène est filmée et répercutée sur TikTok, âmes sensibles s’abstenir.
Dernier exemple : dans les tribunes de l’Assemblée nationale, cette fois-ci au Ghana, pays anglophone majoritairement chrétien et essentiellement protestant. Fin février 2024, le Parlement adopte un projet de loi criminalisant l’homosexualité, prévoyant jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour une personne se livrant à des actes homosexuels et dix ans pour toute promotion de cette « déviance ». L’ancien président, John Dramani Mahama, protestant évangélique, en lice pour l’éléction présidentielle de décembre 2024, soutient ce projet tout comme la Conférence des évêques catholiques du pays6Cf. « Communique issued by the Ghana Catholic Bishops’ Conference on the Catholic Church and the State on Homosexualitiy », 11 décembre 2023. Une semaine avant la promulgation de Fiducia Supplicans.. Seule voix discordante du côté catholique, celle du cardinal Peter Turkson, papabile en fonction des saisons, déclarant que « les personnes LGBT ne peuvent pas être criminalisées parce qu’elles n’ont commis aucun crime », fidèle en cela aux propos du pape. Le pauvre cardinal, pourtant pas vraiment gay friendly si l’on en juge certaines de ses prises de position antérieures, reçoit une volée de bois vert sur les réseaux sociaux. Pour que cette loi entre en vigueur, il ne manque que la signature du président Nana Akufo-Addo qui ne semble guère pressé de la parapher. Une telle législation risquant de voir la Banque mondiale geler ses aides financières au pays qui traverse une crise économique, comme elle l’a fait pour l’Ouganda, début mars 2024, le ministre des Finances ghanéen a préconisé de ne pas avaliser cette loi7Cf. Damian Zane, « Ghana Cardinal Peter Turkson: It’s time to understand homosexuality », BBC News, 27 novembre 2023 ; Damien Glez, « Le cardinal ghanéen Turkson contre la pénalisation de l’homosexualité », Jeune Afrique, 1er décembre 2023 ; Thomas Naadi, Gianluca Avagnina, « Ghana’s finance ministry urges president not to sign anti-LGBTQ+ bill », BBC News, 4 mars 2024..
Plus globalement, derrière cette question de relations same-sex, se profilent les visions africaines de la famille et des valeurs « traditionnelles ». Plusieurs présidents africains interviennent régulièrement sur la question en rappelant le caractère non compatible de certains modèles occidentaux avec la culture de leurs pays. Se profile également le refus de voir un Occident imposer ses valeurs à l’Afrique, notamment lorsqu’il est question d’aide au développement. En effet, les conditionnalités relatives aux droits des minorités sexuelles ne passent guère sur le continent. On refuse de s’aligner sur un Nord promoteur de valeurs non africaines faisant montre d’impérialisme moral, voulant l’imposer à des sociétés dont les valeurs et comportements ne sont pas les siens. Les fameux droits et santé sexuels et reproductifs sont donc sujets à débats… À l’instar du cardinal burkinabé Philippe Ouédraogo qui, il y a quelques temps, appelait l’Église « à dire halte à la dictature de la pensée unique et des informations manipulées, qui […] compromettent la vie de générations entières, en promouvant la culture de la mort : avortement, euthanasie, méthodes contraceptives et antinatalistes8Cf. Alice Suglimani Thiombiano, « Burkina Faso : le Cardinal Philippe Ouédraogo contre le mariage homosexuel », Burkina 24, 4 avril 2021 et Guy Aimé Eblotié, « Au Burkina Faso, le cardinal Ouédraogo s’insurge contre la culture de la mort et le mariage homosexuel », La Croix, 8 avril 2021. ».
On a également vu ce genre de propos au sujet de l’excision et des mutilations génitales féminines, que l’Église catholique rejette. Sur le continent, certains critiquent le caractère « occidental » de leur réprobation en défendant la préservation d’un « rite culturel » dans lequel le Nord n’a pas à mettre son grain de sel. On pourrait également évoquer les polémiques récurrentes face à tel ou tel manuel scolaire accusé d’encourager l’homosexualité, au Cameroun et au Mali en 2018, au Mozambique en 2022, en Tanzanie en 2023, etc. On se souvient également des mobilisations religieuses contre telle ou telle réforme du Code de la famille à l’instar de celle du Mali en 2009 où le gouvernement, sous pression des associations musulmanes et de leurs leaders, a fait marche arrière pour aboutir à un code nettement plus restrictif envers les droits des femmes9Cf. Lison Guignard, « La construction d’une norme juridique régionale : le cas des mutilations génitales féminines en Afrique », Critique internationale, n°70, 2016, pp. 87-100. Ousmane Koné, Anne-Emmanuèle Calvès, « La mobilisation des organisations féminines en faveur du Code de la famille au Mali. Autopsie d’une défaite », Cahiers d’études africaines, n°242, 2021, pp. 331-354..
À cela s’ajoute le fait que depuis dix ou quinze ans, la question de l’homosexualité, et plus globalement celle des droits sexuels et reproductifs, se politise fortement en Afrique, notamment dans l’espace anglophone où divers groupes de pression occidentaux, souvent protestants, conçoivent des campagnes anti-genre en lien avec certaines organisations africaines. Même chose du côté musulman, souvent en version « crypto-wahabite »10Cf. Patrick Awondo et al., « Une Afrique homophobe ? Sur quelques trajectoires de politisation de l’homosexualité : Cameroun, Ouganda, Sénégal et Afrique du Sud », Raisons politiques, n°49, 2013, p. 95-118, et plus globalement le n°168 de la revue Politique africaine consacré à « l’anti-genre en Afrique » (2022)..
Voilà pour le contexte dans lequel Fiducia Supplicans arrive…
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Abonnez-vousRetour n°2. Un texte « déconnecté » et mal amené
Certains s’étonnent dès lors que le Vatican n’ait pas pris en compte tout cela et critiquent une rédaction solitaire par le préfet du Dicastère pour la Doctrine de la foi, le jeune cardinal argentin Victor Manuel Fernández. Une chose est sûre : il était prévisible qu’avec un tel texte on allait au clash avec les églises africaines.
D’autant plus que tous les papes ont insisté sur les particularismes et le potentiel des catholicismes africains, d’Ecclesia in Africa de Jean-Paul II à Africa Munus (Afrique lève-toi) de Benoît XVI. « L’Afrique, poumon spirituel de l’humanité », écrivait le défunt bavarois. Quant au pape François, depuis son arrivée au trône de Saint-Pierre, il a visité dix pays du continent, certains pas des plus faciles11Kenya, République centrafricaine, Ouganda en 2015 ; Égypte en 2017 ; Maroc, Mozambique, Maurice et Madagascar en 2019 ; République démocratique du Congo et Soudan du Sud en 2023., et a plusieurs fois célébré la messe selon le rite congolais, notamment au Vatican. À Kinsasha, lors de son discours du 31 janvier 2023, il s’en prend à ceux qui veulent « étouffer l’Afrique », souhaite que celle-ci « soit protagoniste de son destin » et entend que « l’Afrique, sourire et espérance du monde, compte davantage : qu’on en parle davantage, qu’elle ait plus de poids et de représentation parmi les nations »… Apparemment, Victor Manuel Fernández n’a pas vraiment pris en compte tout cela pour rédiger son texte.
Par ailleurs, lors de divers synodes sur la famille, les évêques africains ont bien montré leurs réticences, voire leur opposition, à certains de leurs confères du Nord. En effet, des désaccords existent depuis « belle lurette » entre les églises africaines et européennes concernant la vision de la cellule familiale et les priorités à mettre en avant. On rappellera qu’en matière de « mœurs », les questions africaines telles qu’abordées par les églises locales touchent notamment aux mariages précoces, à la polygamie et aux mutilations génitales féminines et, plus globalement, que les visions de la famille ne coïncident pas nécessairement avec celles pouvant coexister en Occident.
On peut également se demander si le Dicastère a pris conscience de ce que peut impliquer Fiducia Supplicans pour les évêques et leurs ouailles dans des pays où le catholicisme est minoritaire par rapport à d’autres sensibilités religieuses nettement plus « cash » sur la question.
En outre, le texte est assez compliqué pour le commun des mortels, trop fin sur certains points, trop allusif sur d’autres. Il offre plusieurs niveaux de lecture (notamment pour ceux ne l’ayant pas vraiment lu…). Bref, rien de bien clair vu le contexte. Le moment de la sortie pose également question, à une semaine de Noël. Pensait-on qu’il allait passer sous les radars, rester lettre morte ?
Dernier point, les rédacteurs de cette déclaration connaissaient à n’en pas douter le précédent anglican qui, sur la même question, a vu les églises protestantes du Nord et celles du Sud aller au crash. En février 2023, l’Église anglicane d’Angleterre avait décidé, après moult débats et tergiversations, d’autoriser le clergé à proposer des prières et des liturgies lors de mariages civils entre personnes de même sexe. Levée de boucliers au Sud ! Immédiatement après, on a pu voir la Communauté des Églises anglicanes du Sud s’élever contre la chose et critiquer la primauté de l’archevêque de Canterbury, principale autorité de cette confession12Cf. « Statement of Global South Fellowship of Anglican Churches Primates on the Church of England Decision regarding the Blessing of Same Sex Unions », 20 février 2023.. Ceci aboutira à la séparation d’une partie des églises anglicanes d’avec celle de Grande-Bretagne quelques semaines plus tard. L’archevêque nigérian Henry Ndukuba en appelait même à « balayer les dirigeants impies qui approuvent actuellement le péché, désorientent la vie des anglicans fidèles dans le monde entier et mettent en péril leurs espoirs d’éternité13Cf. Henry Ndukuba, « Church of England “quarelling“ with God », 12 février 2023, le communiqué est plutôt virulent… ». Le même avait auparavant déclaré l’homosexualité « virus mortel devant être radicalement effacé et éradiqué [radically expunged and excised]14Harriet Sherwood, « Justin Welby condemns Nigerian archbishop’s gay ‘virus’ comments », The Guardian, 6 mars 2021. ». Que de l’amour et de la joie, comme dirait l’antienne…
De surcroît, les membres du Dicastère pour la Doctrine de la foi, Victor Manuel Fernández en tête, n’ont semble-t-il guère consulté les cardinaux et évêques africains pour élaborer ce texte. Ainsi, Sithemebele Anton Sipuka, président de la Conférence des évêques d’Afrique du Sud, raconte avoir été pris de court par la publication du document et obligé de le lire à la va-vite pour répondre aux sollicitions des médias et à la « confusion des fidèles »15Cf. « The document Fiducia Supplicans really caught us by surprise. I learnt about it that morning when I was asked to comment. I had not seen it, so one had to read it quickly in order to offer guidance and response because there was a lot of confusion and panic about it, and the media reading too much into it and causing a lot of confusion » (déclaration du 10 janvier 2024)..
Retour n°3. L’Afrique grogne, Rome rame, l’Afrique gagne
Dès le départ, Fiducia Supplicans était donc quasiment inacceptable et inapplicable pour les opinions et les églises du continent. Les arguments avancés par les prélats africains touchent à la fois aux commandements bibliques, aux enseignements de l’Église, aux cultures africaines et aux lois en vigueur dans nombre de pays. Le tout est bien résumé par les évêques du Nigeria pour qui Fiducia Supplicans va « à l’encontre de la loi de Dieu, des enseignements de l’Église, des lois de notre nation et des sensibilités culturelles de notre peuple ». En Zambie, autre pays anglophone, les pasteurs sont vent debout et appellent à ne pas enfreindre la loi et à « écouter notre héritage culturel ». Tandis qu’au Malawi, on entend ignorer la chose, au Kenya certains évêques « rejettent » purement et simplement le texte. On pourrait multiplier les exemples.
Côte lusophone, même son de cloches. Les évêques mozambicains notent que « les rites et les prières qui peuvent créer une confusion entre le mariage et ce qui lui est contraire sont inadmissibles ». Pour les prélats d’Angola et de Sao Tomé-et-Principe, « les bénédictions informelles de couples irréguliers (homosexuels) ne devraient pas avoir lieu ».
Chez les francophones, on n’est pas en reste. En Afrique de l’Ouest, la conférence épiscopale du Togo appelle à s’abstenir ; même chose au Bénin, au Sénégal et dans toute la sous-région. Ainsi en Côte d’Ivoire, on note que Fiducia Supplicans « heurte nos valeurs ancestrales et culturelles, et donne l’impression que notre Église approuve et encourage une réalité intrinsèquement mauvaise, contre-nature et contraire à nos us et coutumes ». Les Conférences épiscopales réunies de l’Afrique de l’Ouest évoquent le 29 décembre le « risque de confusion et de scandale que pourrait provoquer la bénédiction des couples de même sexe, sous quelque forme que ce soit ». À Madagascar, où « il n’y aura jamais de bénédiction », les évêques évoquent les « valeurs culturelles malagasy » et notent que Fiducia Supplicans peut accentuer « la perte de repères des fidèles ». En République démocratique du Congo, on rappelle, entre autres choses, que les « unions déviantes ne s’inscrivent pas dans l’ordre de la création », etc.
Face aux contestations africaines et à celles provenant d’autres régions du monde, Rome et le Dicastère pour la Doctrine de la foi sont obligés de réagir pour clarifier un tant soit peu les choses. D’autant plus que derrière ce texte, se profile un énième épisode de la guerre que se livrent les différentes factions de la hiérarchie catholique dans un moment où l’Église entend revoir sa manière de fonctionner. C’est donc Victor Manuel Fernández qui s’y colle. Il donne quelques interviews à divers journaux pensant calmer le jeu16Voir par exemple Javier Martinez Brocal, « Víctor Manuel Fernández: Quien interpreta la bendición como una legitimación del matrimonio homosexual, o no ha leído el documento o tiene ‘mala leche’ », ABC, 26 décembre 2023. mais ses propos restent avant tout destinés aux églises occidentales et prennent assez peu en compte les remous africains.
Le 4 janvier 2024, le Dicastère et Victor Manuel Fernández sortent un « communiqué de presse sur la réception de Fiducia Supplicans » destiné à cadrer son application. Cela ne change pas grand-chose, la grogne africaine continue. L’adage Roma locuta, causa finita est (« Rome a parlé, la cause est entendue », traduction : circulez, il n’y a rien à voir) ne fonctionne pas et à l’évidence le cardinal argentin n’est pas vraiment l’homme de la situation dans cette affaire.
Le 6 janvier 2024, un autre cardinal, le Guinéen Robert Sarah cette fois-ci, adepte des déclarations choc, n’y va pas avec le dos de la cuillère et en rajoute même une louche. Une habitude chez lui… Dans un long message, il approuve les conférences épiscopales qui se sont opposées à l’application de Fiducia Supplicans. « Faisant ainsi, on ne s’oppose pas au Pape François, mais on s’oppose fermement et radicalement à une hérésie qui mine gravement l’Église, Corps du Christ, parce que contraire à la foi catholique et à la Tradition ».
Dès lors, loin de tout ce brouhaha, sous la houlette du pape, Fridolin Ambongo et Victor Manuel Fernández travaillent de concert pour aplanir les difficultés. Symboliquement, on a là deux jeunes cardinaux du Sud, proches de François, traitant spécifiquement de questions du Sud, assez éloignées des débats européens, essayant de rattraper une bévue.
Finalement, le 11 janvier, au nom du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar, le cardinal Ambongo, en accord avec le Dicastère et le pape, publie un communiqué pour annoncer que Fiducia Supplicans ne s’appliquera pas en Afrique. En quatre points, il note « que les personnes ayant une tendance homosexuelle doivent être traitées avec respect et dignité, tout en leur rappelant que les unions de personnes de même sexe vont à l’encontre de la volonté de Dieu et ne peuvent donc pas recevoir la bénédiction de l’Église ». Il souligne qu’au-delà même des textes bibliques, « le contexte culturel en Afrique, profondément enraciné dans les valeurs de la loi naturelle concernant le mariage et la famille, complique davantage l’acceptation des unions de même sexe, […] perçues comme contradictoires avec les normes culturelles et intrinsèquement mauvaises ». Dès lors, les évêques africains ne considèrent pas comme « approprié de bénir les unions homosexuelles ou les couples de même sexe en Afrique ».
Et la dernière phrase est assez révélatrice d’un catholicisme africain qui n’entend pas s’en laisser compter : « Sa Sainteté le Pape François, farouchement opposé à toute forme de colonisation culturelle en Afrique, bénit de tout cœur le peuple africain et l’encourage à rester fidèle, comme toujours, à la défense des valeurs chrétiennes ».
Comme le dira plus tard le cardinal Ambongo, cette déclaration calme l’agitation et sauve la communion des évêques africains avec le Pape. Le prélat a rempli sa mission : désamorcer la crise, continuer d’arrimer les hiérarchies catholiques africaines à Rome et garder en paix le troupeau des fidèles. Il s’en expliquera dans une interview télévisée dans laquelle il pointera du doigt un Occident perdant ses racines et notant que c’est maintenant à l’Afrique d’apporter l’Évangile à l’Europe, sorte de Fidei Donum à l’envers17L’interview du 17 mars 2024 est disponible sur le site de KTO-TV. Fidei Donum (le don de la foi) est une encyclique de 1957 de Paul VI autorisant les évêques européens à envoyer leurs prêtres à l’étranger hors de leur diocèse d’incardination. Dorénavant, c’est le contraire. En France, on compte environ 2 400 prêtres originaires d’Afrique, cf. Ludovic Lado, « Prêtres africains en Occident : zèle ou business missionnaire ? », La Croix, 17 octobre 2023..
Plus profondément, le cardinal Ambango et François ont évité un crash, le ramenant à un simple couac, vite résolu dans le cas des églises africaines. Trois semaines après la publication de Fiducia Supplicans, l’Afrique a gagné la bataille.
Derrière cela, c’est toute la question de la connexion de l’Église à son « peuple de Dieu » et notamment à celui des Suds qui se pose18Cf. Massimo Faggioli, « Les réactions à Fiducia Supplicans ouvrent un moment très délicat pour le pontificat », La Vie, 12 janvier 2024.. Dans cette affaire, il s’agissait pour Rome de rester la « tête pensante », gage d’unité, tout en reconnaissant la spécificité des contextes non occidentaux. Elle y parvient bon an mal an.
Il semble fini le temps où les ecclésiastiques allaient à Rome acquérir la romanità, c’est-à-dire les façons d’être, de penser et de faire, en total accord avec le Vatican, pour devenir les pieux zélotes du Saint-Siège. Pour caricaturer, Fiducia Supplicans démontre qu’aujourd’hui c’est en quelque sorte l’inverse, c’est l’Afrique qui vient apporter à Rome son africanità…
Seule la Conférence des évêques de la région Nord de l’Afrique (Algérie, Libye, Maroc, Tunisie) « s’inscrit en différence » via un texte publié le 16 janvier et approuve Fiducia Supplicans. Ses responsables notent cependant que cette déclaration restera très et toute théorique car vu le contexte elle n’aura aucun impact, d’autant plus qu’entre 50 et 90% des fidèles sont d’origine subsaharienne et que, comme l’ajoute le secrétaire de la Conférence, « dans les sociétés d’Afrique du Nord, les unions homosexuelles sont impensables19Voir l’interview de Cristobal Lopez Romero, président de la CERNA, du 28 février 2024 sur KTO-TV, Damien Glez, « Au Maghreb, les évêques se disent prêts à bénir les couples de même sexe », Jeune Afrique, 17 janvier 2024 et Bernadette Sauvaget, « Les évêques d’Afrique du Nord disent oui à Fiducia Supplicans », Témoignage Chrétien, 8 février 2024. ».
Dommage collatéral : en mars, l’Église copte-orthodoxe, égyptienne, annonce la suspension du dialogue théologique avec le Vatican et l’Église catholique, Fiducia Supplicans servant apparemment de prétexte à cette rupture provisoire. Quelques semaines auparavant, mi-février, le synode permanent de l’Église orthodoxe Yewahedo d’Éthiopie, l’une de plus vieilles églises d’Afrique, s’élevait contre l’influence des pays occidentaux sur la question homosexuelle.
Retour n°4. Par-delà Fiducia Supplicans, la signification d’un « non »
On l’a dit, au point de vue ecclésial, cette fronde africaine montre la vitalité et la force du catholicisme du continent ; il suffit d’ailleurs d’observer une messe dans n’importe quel pays africain. Elle met une nouvelle fois à jour les divisions pouvant exister dans le clergé entre des prélats africains « tradis » sur les questions de mœurs et des évêques européens a priori plus ouverts. Cependant, on aurait tort de voir dans les clergés d’Afrique une force réactionnaire, de « droite ». C’est là aborder la question avec des points de vue d’Occidentaux peu opérants pour comprendre la chose. En effet, sur nombre de questions sociales, le clergé du continent, bien plus « progressiste » que ses homologues européens ou nord-américains, n’hésite pas à se dresser contre les pouvoirs en place, à dénoncer la corruption, la mal-gouvernance et les inégalités. Ce qui lui vaut parfois quelques problèmes, et le cardinal Ambongo ne fait pas exception quand il critique les pouvoirs dans son pays, loin de là. D’autant plus qu’en Afrique, lorsqu’un leader religieux parle, sa parole porte, loin du vox clamantis in deserto européen.
Plus profondément et pour caricaturer quelque peu, cette polémique montre une nouvelle fois que les Suds globaux sont de plus en plus rétifs à suivre les « modèles » que les Nords proposent. Ceci dépasse la stricte dimension religieuse de Fiducia Supplicans ou la question de l’acceptation de l’homosexualité. Derrière, on peut déceler l’image d’un Occident de moins en moins capable de se faire entendre et comprendre, parce qu’il est – peut-être ou finalement – peu à l’écoute du continent africain.
Et c’est en ce sens que la polémique Fiducia Supplicans est révélatrice. Obnubilée par des débats européens entre diverses tendances, l’Église semble éprouver quelques difficultés pour écouter les voix de l’Afrique pour qui la priorité n’est pas nécessairement le remariage de divorcés, la question de l’accession des femmes au diaconat ou à leur ordination presbytérale… Répétons-le, les priorités pastorales et théologiques ne sont pas les mêmes sur le continent. Et d’une certaine manière, le refus de Fiducia Supplicans en est une illustration.
Que ce soit en termes de modèle démocratique, en termes de « développement » ou de valeurs, les visions supposées occidentales semblent avoir de plus en plus de difficultés à être acceptées dans certains pays et certains pans des opinions africaines. Et l’Église n’y échappe pas.
Tout ceci résonne avec les diatribes anti-occidentales d’une Russie, d’une Turquie ou d’un Iran. On connaît les envolées de Vladimir Poutine et de ses soutiens sur la supposée décadence occidentale. Occident accusé d’exporter ses modèles, sa morale, ses valeurs et autres « tendances bizarres », dixit le vojd du Kremlin. Ces envolées font souvent mouche dans une partie des opinions africaines. La Turquie et les mouvances erdoğanistes ne sont pas en reste sur ce point. En Afrique, certains partis politiques, voire certains pouvoirs en place, utilisent périodiquement cet argument, assurés d’être suivis par leur moral majority. Il est certes plus facile de « taper sur le Blanc » que de résoudre les problèmes d’adduction en eau, en électricité, ou de mener de réelles politiques de souveraineté alimentaire…
En octobre dernier, Jean-Marc Berthon, nommé en octobre 2022 ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT, notait que les grandes déclarations sur la question pouvaient être perçues comme l’exportation d’un modèle occidental et qu’il fallait trouver « de grands alliés au Sud pour faire avancer la cause », tout en regrettant n’en « avoir pas assez ». Pas sûr qu’il y parvienne, on lui souhaite bien du courage… Au Cameroun, fin juin 2023, le diplomate avait été déclaré persona non grata et avait dû renoncer à sa visite dans le pays.
En effet, pour beaucoup d’observateurs, la conditionnalité des aides à des principes concernant les droits sexuels reproductifs ou la lutte contre les discriminations ne suffira pas à vraiment avancer sur ces sujets. Même chose pour les injonctions morales. Il conviendrait également de partir du bas. Diverses initiatives au « ras du sol » existent sur le continent, que ce soit en termes de tolérance vis-à-vis des personnes et communautés homosexuelles ou, par exemple, en matière de lutte contre les mutilations génitales féminines. Comment faire pour inviter les exciseuses à « poser le couteau » tout en préservant les traditions20Concernant la Côte d’Ivoire : cf. Fatou Sylla, « Déposer le couteau et après ? », Fraternité Matin, 26 mars 2024, p. 2. Selon le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, près de 40% des femmes sont victimes d’excision dans le pays, pratique interdite depuis 1998. Rappelons que la question renvoie également à des thématiques nettement plus prosaïques. En Côte d’Ivoire, les « matrones » gagnent aujourd’hui entre 10 et 20 000 francs CFA par acte (de 15 à 20 euros), ce qui pose aussi le problème de leur intégration dans la vie économique des villages. Voir également d’un point de vue plus global : Julien Lemaignen, « Contre les mutilations génitales féminines, des progrès insuffisants », Le Monde, 26 mars 2024. L’objectif d’abolition pour 2030 reste à l’évidence chimérique. ? Vaste question…
Pour conclure, la polémique Fiducia Supplicans n’a fait que montrer la puissance des catholicités africaines qui, cette fois-ci, ont parfaitement réussi à imposer leur point de vue. Elle met également et surtout en lumière un énième exemple d’un continent de moins en moins enclin à suivre des directives venues d’en haut. Tectonique des plaques entre les Suds et les Nords qui n’est pas prête de s’arrêter.
L’auteur remercie Alexandre Konan Dally, Olivier Rabearivelo ainsi qu’Hadrien et Laurent Coccoluto pour avoir relu ces lignes.
- 1Dans les lignes qui suivent, afin de ne pas assommer le lecteur, on essayera de faire simple, quitte à laisser sous le boisseau nombre de questions concernant notamment les débats au sein de la hiérarchie ecclésiale sur la famille, les « idéologies du genre » (par exemple les réponses du Dicastère pour la Doctrine de la foi aux dubia (doutes) de certains cardinaux), les visions des catholicités du continent, l’instrumentalisation par les Églises européennes et américaines des actions et propos de leurs homologues africaines ou les rapports entre Fiducia Supplicans et les textes antérieurs du Magistère, etc. Même chose à propos de la théologie catholique africaine, vivace et productive. On laisse également de côté la question de l’inculturation du christianisme hors Occident, débat plus que séculaire qui a pris plus d’importance à l’heure de la décolonisation (formation et promotion d’un clergé local, en Asie et en Afrique, gestion des spécificités extra-européennes, etc.). Idem pour les questions liées à la concurrence entre islam, protestantisme et catholicisme dans certains pays. Les quelques encycliques et autres textes officiels émanant du Vatican cités dans cette note sont disponibles sur son site internet. Les textes cités des divers diocèses et Conférences épiscopales sont également disponibles sur le web. Pour une remise en perspective de Fiducia Supplicans au niveau européen, voir Paul Airiau, « Bénédiction des couples homosexuels : la conjugalité est un lieu de tension entre l’Église et la modernité », La Croix, 8 janvier 2024.
- 2Cf. Makanga Ronald Kakumba, « Uganda a continental extreme in rejection of people in same-sex relationships », Afrobarometer, Dispatch n° 639, 11 mai 2023.
- 3Voir par exemple : Mariame Djigo, « Macky et Sonko soutiennent Gana Gueye », Seneplus, 18 mai 2022 et Jean-Louis Amselle, « L’affaire Idrissa Gana Gueye : un fait social total », AOC, 3 juin 2022. Quant au mouvement Y’en a marre, il affirme qu’Idrissa Gana Gueye est « resté en phase avec ses propres croyances, us et coutumes, et donc bénéficie du soutien total de son peuple ».
- 4Cf. Ben Alassane Dao, « Homosexualité : des Bobolais manifestent leur colère », L’Express du Faso, 12 octobre 2023 : « Nous avons tenu également à dénoncer tous les cas d’homosexualité au Burkina Faso et mettre en garde tous ceux qui la pratiquent, martèle le Secrétaire général de la Coalition Yélèma Honronya ». Voir également Mamadou Zongo, « Réformes politiques : les forces vives favorables à l’interdiction de l’homosexualité et à la limitation du nombre de partis politiques », Le Faso.net, 24 septembre 2023.
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- 7Cf. Damian Zane, « Ghana Cardinal Peter Turkson: It’s time to understand homosexuality », BBC News, 27 novembre 2023 ; Damien Glez, « Le cardinal ghanéen Turkson contre la pénalisation de l’homosexualité », Jeune Afrique, 1er décembre 2023 ; Thomas Naadi, Gianluca Avagnina, « Ghana’s finance ministry urges president not to sign anti-LGBTQ+ bill », BBC News, 4 mars 2024.
- 8Cf. Alice Suglimani Thiombiano, « Burkina Faso : le Cardinal Philippe Ouédraogo contre le mariage homosexuel », Burkina 24, 4 avril 2021 et Guy Aimé Eblotié, « Au Burkina Faso, le cardinal Ouédraogo s’insurge contre la culture de la mort et le mariage homosexuel », La Croix, 8 avril 2021.
- 9Cf. Lison Guignard, « La construction d’une norme juridique régionale : le cas des mutilations génitales féminines en Afrique », Critique internationale, n°70, 2016, pp. 87-100. Ousmane Koné, Anne-Emmanuèle Calvès, « La mobilisation des organisations féminines en faveur du Code de la famille au Mali. Autopsie d’une défaite », Cahiers d’études africaines, n°242, 2021, pp. 331-354.
- 10Cf. Patrick Awondo et al., « Une Afrique homophobe ? Sur quelques trajectoires de politisation de l’homosexualité : Cameroun, Ouganda, Sénégal et Afrique du Sud », Raisons politiques, n°49, 2013, p. 95-118, et plus globalement le n°168 de la revue Politique africaine consacré à « l’anti-genre en Afrique » (2022).
- 11Kenya, République centrafricaine, Ouganda en 2015 ; Égypte en 2017 ; Maroc, Mozambique, Maurice et Madagascar en 2019 ; République démocratique du Congo et Soudan du Sud en 2023.
- 12Cf. « Statement of Global South Fellowship of Anglican Churches Primates on the Church of England Decision regarding the Blessing of Same Sex Unions », 20 février 2023.
- 13Cf. Henry Ndukuba, « Church of England “quarelling“ with God », 12 février 2023, le communiqué est plutôt virulent…
- 14Harriet Sherwood, « Justin Welby condemns Nigerian archbishop’s gay ‘virus’ comments », The Guardian, 6 mars 2021.
- 15Cf. « The document Fiducia Supplicans really caught us by surprise. I learnt about it that morning when I was asked to comment. I had not seen it, so one had to read it quickly in order to offer guidance and response because there was a lot of confusion and panic about it, and the media reading too much into it and causing a lot of confusion » (déclaration du 10 janvier 2024).
- 16Voir par exemple Javier Martinez Brocal, « Víctor Manuel Fernández: Quien interpreta la bendición como una legitimación del matrimonio homosexual, o no ha leído el documento o tiene ‘mala leche’ », ABC, 26 décembre 2023.
- 17L’interview du 17 mars 2024 est disponible sur le site de KTO-TV. Fidei Donum (le don de la foi) est une encyclique de 1957 de Paul VI autorisant les évêques européens à envoyer leurs prêtres à l’étranger hors de leur diocèse d’incardination. Dorénavant, c’est le contraire. En France, on compte environ 2 400 prêtres originaires d’Afrique, cf. Ludovic Lado, « Prêtres africains en Occident : zèle ou business missionnaire ? », La Croix, 17 octobre 2023.
- 18Cf. Massimo Faggioli, « Les réactions à Fiducia Supplicans ouvrent un moment très délicat pour le pontificat », La Vie, 12 janvier 2024.
- 19Voir l’interview de Cristobal Lopez Romero, président de la CERNA, du 28 février 2024 sur KTO-TV, Damien Glez, « Au Maghreb, les évêques se disent prêts à bénir les couples de même sexe », Jeune Afrique, 17 janvier 2024 et Bernadette Sauvaget, « Les évêques d’Afrique du Nord disent oui à Fiducia Supplicans », Témoignage Chrétien, 8 février 2024.
- 20Concernant la Côte d’Ivoire : cf. Fatou Sylla, « Déposer le couteau et après ? », Fraternité Matin, 26 mars 2024, p. 2. Selon le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, près de 40% des femmes sont victimes d’excision dans le pays, pratique interdite depuis 1998. Rappelons que la question renvoie également à des thématiques nettement plus prosaïques. En Côte d’Ivoire, les « matrones » gagnent aujourd’hui entre 10 et 20 000 francs CFA par acte (de 15 à 20 euros), ce qui pose aussi le problème de leur intégration dans la vie économique des villages. Voir également d’un point de vue plus global : Julien Lemaignen, « Contre les mutilations génitales féminines, des progrès insuffisants », Le Monde, 26 mars 2024. L’objectif d’abolition pour 2030 reste à l’évidence chimérique.