Accord libano-israélien : une porte de sortie de crise pour le pays du Cèdre ?

À la suite de l’accord libano-israélien sur la délimitation de leur frontière maritime, Malo Pinatel revient sur le contexte économique, énergétique et politique du Liban, et analyse les conséquences et enjeux intérieurs et régionaux liés à cet accord.

Le 27 octobre 2022, le Liban et Israël signaient un accord concernant la délimitation de leur frontière maritime. Conclu sous l’égide américaine, cet accord constitue une première historique, les deux pays étant toujours officiellement en guerre depuis 19481Un traité d’armistice signé en 1949 constituait alors le seul traité liant les deux parties jusqu’à présent.. Pour le Liban, ce nouveau développement peut sembler salvateur à première vue, non seulement sur le plan politique, mais surtout sur les plans économique et énergétique. Néanmoins, la nouvelle donne révèle davantage de nouveaux défis qu’elle n’en résout.

Une conjecture politique favorable

L’enjeu résidait dans le partage des ressources offshore situées dans la zone, matérialisées par les champs gaziers de Karish et de Cana. La version finale prévoit ainsi d’allouer l’ensemble du premier à Israël ; tandis que l’exploitation du second, situé en partie sur la démarcation, revient au Liban, moyennant des royalties versées à l’État hébreu par l’exploitant2Daniel Meier, « L’histoire de l’accord libano-israélien sur la frontière maritime », Blogs de Sciences Po Grenoble, 3 novembre 2022. : celui-ci consiste en un consortium formé par TotalEnergies et ENI, rejoints par QatarEnergy en janvier 20233Philippe Hage Boutros, « Eni, TotalEnergies et QatarEnergy mettent le cap sur le bloc n° 9 de la ZEE libanaise », L’Orient-Le Jour, 29 janvier 2023.. La perspective d’un apaisement semblait pourtant s’éloigner, à mesure d’une escalade des tensions entre Tel Aviv et le Hezbollah, la milice libanaise chiite contrôlant le sud du pays.

Si un tel apaisement diplomatique a ainsi pu voir le jour, c’est en raison d’une conjonction d’intérêts politiques favorables. Pour l’administration Biden, c’était une occasion inespérée de pouvoir réaffirmer la présence diplomatique américaine dans la région, après plusieurs revers dans le Golfe sur fond de guerre en Ukraine. En Israël, il s’agissait pour le gouvernement Lapid de sécuriser une victoire politique avant les élections législatives du 1er novembre 2022, finalement perdues face à la coalition de Benyamin Netanyahu, l’ex-Premier ministre s’étant même empressé de vanter une forme de reconnaissance implicite par le pays du Cèdre4« Le Liban et Israël signent l’accord délimitant leur frontière maritime », France 24, 27 octobre 2022.. Mais c’est surtout au Liban que la convergence d’intérêts se manifeste, notamment à travers les deux principaux acteurs politiques concernés que constituent la présidence et le Hezbollah. D’un côté, l’ex-président Michel Aoun s’approprie l’accord en le présentant comme un héritage de sa présidence. De l’autre, le parti chiite met en avant une victoire quasi militaire sur l’État hébreu, après avoir régulièrement menacé ses infrastructures d’attaques, via l’usage de drones.

En réalité, ces gesticulations traduisent davantage un état de faiblesse de part et d’autre, face à l’effondrement politico-économique que traverse actuellement le pays. L’hyperinflation culminait à 162% lors de la conclusion de l’accord5« L’inflation au Liban gravit un nouvel échelon en septembre », L’Orient-Le Jour, 21 octobre 2022., avant de s’envoler à nouveau au premier semestre 2023. En parallèle, la monnaie nationale perdait plus de 95% de sa valeur initiale, durant les années précédant le mouvement de contestation d’octobre 2019. Par conséquent, plus de 80% de la population se situent désormais sous le seuil de pauvreté. Au niveau politique, ce marasme est entretenu par l’incapacité des élus à pouvoir se mettre d’accord sur un plan de sauvetage. Les élections législatives de mai 2022 ayant mis à jour une forte polarisation du spectre politique, aucun gouvernement n’a depuis été formé, le cabinet démissionnaire de Najib Mikati assurant les affaires courantes ; tandis que l’élection présidentielle d’octobre 2022 n’a débouché sur aucun consensus jusqu’à présent. Michel Aoun, qui a quitté ses fonctions le 31 octobre dernier, essaye ainsi de mettre en avant une réalisation positive au cours d’un mandat où il a notamment brillé par son absence face aux défis en question.

Concernant le Hezbollah, celui-ci est aujourd’hui politiquement sur la défensive. Au niveau international, son soutien iranien reste aux prises avec une contestation d’ampleur depuis septembre 2022, bien que désormais considérablement affaiblie par une impitoyable répression. Au Liban, son aura s’amenuise au sein de la population, notamment depuis les mouvements de contestation d’octobre 2019 ; dynamique qui a trouvé son expression lors du scrutin de mai 2022, où le bloc du parti a perdu sa majorité au parlement. Il s’agit donc pour Hassan Nasrallah de réaffirmer le rôle central du Hezbollah dans la conduite des affaires du pays, ainsi que de répondre aux inquiétudes de sa base partisane, frappée par la crise au même titre que le reste de la population, en faisant miroiter un exutoire économique providentiel via l’exploitation de gaz6Daniel Meier, « L’histoire de l’accord libano-israélien sur la frontière maritime », Blogs de Sciences Po Grenoble, 3 novembre 2022..

Un secteur énergétique défaillant…

Car au-delà des considérations politiques affichées, ce sont bien des motivations économiques qui ont pu mener à la signature d’un tel accord. À en croire les politiciens libanais, la nouvelle manne économique ainsi créée permettrait non seulement de renflouer les caisses vides du pays, mais aussi de régler l’épineuse question de l’approvisionnement énergétique au Liban. En effet, avec plus de 95% de la production électrique assurée par six centrales thermiques au fioul lourd et au diesel, le Liban possède aujourd’hui un mix énergétique largement dominé par les combustibles fossiles7Agence internationale de l’énergie, « Lebanon », 2020.. À l’heure actuelle, s’il en est un gros consommateur, le pays ne possède pas de capacités d’extraction.

Celui-ci est donc forcé d’importer l’ensemble de sa consommation, notamment par voie maritime, en raison de son environnement géopolitique immédiat8Éric Verdeil, « La crise électrique du Liban : une lecture géographique », Revue Moyen-Orient, 2022.. En effet, le Liban est de facto enclavé entre Israël au sud, ainsi que par la Syrie, à l’est et au nord. Celle-ci étant impactée par la guerre civile depuis 2011, cela ne permet pas la mise en place d’infrastructures stables. Dans les faits, le gouvernement libanais doit même faire face à des réseaux de contrebande, ceux-ci détournant l’approvisionnement en combustible pour l’expédier en Syrie9Najia al-Houssari, « La contrebande de carburant embrase la frontière entre le Liban et la Syrie », Arabnews, 22 juin 2021..

La situation complexe du Liban à l’égard de son secteur énergétique induit des problématiques, tant à l’intérieur du pays qu’au niveau régional. À l’échelle domestique, en raison de la nature des combustibles utilisés, le coût de production du kilowatt/heure demeure élevé10Carol Ayat, « Tirer parti de la crise bancaire pour financer la réforme de l’électricité au Liban », Institut Issam Fares, octobre 2021.. À cela s’ajoutent les fluctuations du prix du baril, rendant le pays d’autant plus vulnérable en période de crise internationale. Enfin, il faut s’intéresser au caractère même d’EDL (Électricité du Liban) : entre infrastructures vétustes, manque de financement, mauvaise gestion et corruption généralisée, l’institution est aujourd’hui jugée non viable dans sa globalité. À titre d’exemple, la production globale des infrastructures d’EDL en 2021 était tombée en dessous de 500-600 MW, pour une demande estimée à environ 2400 MW. Afin de pallier ces insuffisances, un marché de générateurs privés prospère en parallèle, avec un coût toujours plus grand, au détriment de la population libanaise11« Générateurs : le prix du kWh en hausse de 40,9% en février », L’Orient-Le Jour, 28 février 2023.. Les conséquences cumulées entraînent donc des surcoûts à tous les niveaux, contribuant à paralyser la chaîne d’approvisionnement énergétique et alourdissant la charge financière pour l’État libanais, jusqu’à représenter 45% de la dette publique en 202112Carol Ayat, « Tirer parti de la crise bancaire pour financer la réforme de l’électricité au Liban », Institut Issam Fares, octobre 2021..

… pris dans l’étau géopolitique régional

Face aux pénuries se succédant et à l’incapacité de l’État à payer ses fournisseurs, le pays est devenu particulièrement vulnérable face aux acteurs internationaux, tandis que la crise économique a ainsi mis en avant l’incapacité des dirigeants à réaliser des réformes structurelles. Après l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, les institutions internationales ont conditionné l’octroi d’une aide financière à la mise en place de telles réformes par les responsables libanais. La demande est restée lettre morte, ce qui a eu pour effet d’accentuer les pénuries dans le secteur énergétique.

Cette situation fut exploitée par le Hezbollah, alors dominant sur l’échiquier politique, pour acheminer via la Syrie des hydrocarbures importés d’Iran à bas prix ; plus récemment, la République islamique a même proposé de réhabiliter les centrales libanaises13« Électricité : L’Iran propose de nouveau son aide au Liban », Ici Beyrouth, 13 janvier 2023.. L’objectif est alors de renforcer le poids de l’axe pro-iranien dans le pays, au détriment des voix souverainistes et pro-occidentales. Dans les faits, cela a surtout accentué la polarisation des opinions : en outrepassant les sanctions américaines contre Téhéran, les actions du Hezbollah furent considérées comme allant à l’encontre du principe de neutralité, l’un des fondements de l’équilibre politique libanais.

La réponse américaine ne s’est pas fait attendre, en parrainant un accord visant à acheminer de l’électricité produite depuis la Jordanie via la Syrie, avec l’assurance, pour le gouvernement libanais, de ne pas tomber sous le coup des sanctions visant le régime de Bachar al-Assad14Kareem Chehayeb, « Lebanon inks deal with Syria, Jordan to adress power crisis », Al Jazeera, 26 janvier 2022.. Concomitamment, l’Égypte a annoncé être en mesure de pouvoir livrer du gaz naturel liquéfié, utilisable dans 60% des centrales thermiques libanaises, via l’Arab Gas Pipeline, dont une section désactivée parvient jusqu’au nord du Liban. Cette « bataille de l’énergie » au Liban s’inscrit donc aussi dans les rivalités régionales, entre les États-Unis et leurs alliés d’un côté, et l’axe formé autour de l’Iran de l’autre. L’accord du 27 octobre dernier s’inscrit d’autant plus dans la continuité de cet affrontement, où il fait figure de victoire pour le compte de l’administration Biden.

Néanmoins, cet aspect revêt un effet pervers : l’ensemble des solutions proposées par les acteurs s’affrontant sur le terrain libanais ne possèdent qu’une portée palliative. En effet, en continuant à alimenter le gouffre énergétique national, sans pour autant pousser le gouvernement à mener des réformes de fond, les puissances régionales ne font que déplacer le problème de l’approvisionnement énergétique. Celui-ci s’en trouve même aggravé, puisque le risque d’une dépendance totale à ce type d’aide se profile à moyen terme, ramenant ainsi le Liban au statut d’État sous perfusion, balloté selon le bon vouloir des puissances prodiguant l’aide.

Risques liés à l’exploitation gazifière au Liban

Dans un tel contexte, la mise en place et l’exploitation d’une filière gaz au Liban permettraient de replacer celui-ci sur une trajectoire d’indépendance énergétique, voire d’entrouvrir des possibilités d’exportation – du moins, en théorie. En effet, même si l’accord du 27 octobre dernier éloigne la perspective d’un affrontement pour le contrôle des ressources, de multiples obstacles se dressent encore sur cette voie.

Tout d’abord, il faut préciser que si les explorations préliminaires menées par Total-ENI ont confirmé la présence de gaz dans le champ de Cana, elles n’ont toutefois pas encore permis de donner une estimation précise des quantités y reposant. Actuellement, les hypothèses évaluent la valeur du gisement à 6-8 milliards de dollars15Inès Gil, « Entre le Liban et Israël, un accord « historique » aux répercussions économiques encore incertaines », Les clés du Moyen-Orient, 21 octobre 2022. ; néanmoins, il n’est pas impossible que celles-ci soient revues à la baisse au fil des explorations ultérieures. Viennent ensuite les difficultés relatives à la mise en place d’infrastructures d’extraction et de production. Le Liban n’en possédant aucune actuellement, leur installation prendra donc un certain temps, repoussant ainsi l’exploitation à moyen terme. Enfin, il est important de rappeler que la filière gazifière, comme les autres hydrocarbures, est particulièrement vulnérable à l’évolution des cours sur le marché mondial. Il est donc possible qu’elle ne soit pas rentable à l’exportation, selon la conjoncture économique.

Surtout, l’exploitation et l’exportation des ressources de Cana par le Liban l’exposent à deux risques majeurs, à l’ombre desquels le pays paraît encore plus vulnérable lorsque sont prises en compte les difficultés politico-économiques qu’il affronte. La première est matérialisée par ce que les économistes nomment le « syndrome hollandais »16« Décrit les effets pervers de la dépendance à une rente sur une économie. […] Il est amplifié dans les États qui présentent de graves défauts de gouvernance », Géoconfluences, décembre 2021.. Dans un article publié en 2021, un groupe de chercheurs franco-libanais démontrait ainsi que le modèle économique libanais en place depuis la fin de la guerre civile, favorisant le transfert de fonds dans les banques libanaises, avait entraîné l’émergence d’un tel phénomène à partir du secteur bancaire17Cynthia Tabet, Michel Rocca et Bachir el Murr, « Transferts de fonds et syndrome hollandais : le cas du Liban (1984-2016) », Mondes en développement, 2021/2, n°194., au détriment des secteurs productifs. Si une filière gazifière venait à être créée, cela pourrait représenter un risque de duplication, en contractant davantage une économie libanaise déjà fortement éprouvée par l’actuelle crise. Paradoxalement, l’insuffisance des ressources présentes dans les eaux territoriales du Liban pourrait toutefois protéger ce dernier d’une telle situation, le pays n’étant de toute manière pas en l’état d’atteindre une forme d’autonomie stratégique, à en juger par la situation actuelle.

La seconde menace constitue, de loin, la plus dangereuse pour le pays du Cèdre en termes de défis à venir dans l’hypothèse d’une exploitation. Les élites libanaises – et plus généralement l’ensemble de l’appareil d’État – sont régulièrement dénoncées comme étant parmi les plus corrompues au monde18L’ONG Transparency International situait le Liban au 154e rang de l’Indice de perception de la corruption en 2021 (sur 180), parmi les pays les plus corrompus au monde.. À la suite de l’explosion du port, les institutions internationales réclamaient une transparence renforcée comme prérequis à l’octroi de l’aide internationale. Jusqu’à présent, les dirigeants libanais ont fait la sourde oreille à ces demandes, tout en témoignant davantage d’intérêt pour la filière gazifière, présentée comme une alternative à l’aide internationale. Si aucun effort n’est entrepris vers une amélioration de la transparence à ce niveau, la corruption endémique pourrait encore plus affaiblir le pays dans l’hypothèse de l’exploitation et le faisant tomber dans ce que l’on qualifie de « malédiction des ressources »19Paradoxe selon lequel un État rentier affiche des performances timorées « en termes de croissance économique, de gouvernance ou d’indicateurs sociaux ». Dans le cas d’États faibles, cela peut être dû au renfermement de la classe politique qui détourne ainsi la rente pour son propre compte. Gilles Carbonnier, « La malédiction des ressources naturelles et ses antidotes », Revue internationale et stratégique, 2013/3, n°91..

Suivant ce schéma, l’élite politique accaparerait les revenus de la rente tout en se repliant sur soi, laissant ainsi le reste du pays s’enfoncer dans la crise20Inès Gil, « Entre le Liban et Israël, un accord « historique » aux répercussions économiques encore incertaines », Les clés du Moyen-Orient, 21 octobre 2022.. Au vu des derniers événements du premier trimestre 2023, laissant craindre « un effondrement de toutes les institutions étatiques qui tenaient encore debout » pour reprendre les termes de Karim Émile Bitar21Karim Emile Bitar, « Au Liban, nous vivons en direct l’effondrement de toutes les institutions étatiques encore debout », Geo, 3 mars 2023., ce scénario pessimiste risque de devenir le plus probable.

Résoudre la crise autrement : décentralisation et énergies renouvelables

Plusieurs solutions permettraient toutefois d’éviter une telle fuite en avant. Au cours du premier semestre 2022, le gouvernement libanais votait une série de lois visant à initier un changement structurel en profondeur du secteur énergétique national22Fouad Gemayel et Philippe Hage Boutros, « Transition énergétique : ce que l’exécutif libanais a prévu », L’Orient-Le Jour, 14 mai 2022.. Le cœur de ces législations résidait dans trois principes directeurs : décentraliser, optimiser la consommation, favoriser l’essor des énergies renouvelables. Sur le papier, elles rejoignent les déclarations faites par l’ancien ministre de l’Eau et de l’Énergie, Walid Fayad, lequel se donnait pour objectif d’atteindre une proportion de 30% de renouvelable dans le mix énergétique d’ici 203023« Le Liban maintient son objectif de 30% d’énergies renouvelables d’ici à 2030 », L’Orient-Le Jour, 26 septembre 2021..

Au Liban, la part des énergies renouvelables représente à peine 5% du total de la production. L’essentiel est assuré par les installations hydroélectriques (environ 4,5%), le reste étant partagé entre l’éolien et le solaire. Or, le pays dispose d’un potentiel particulièrement prometteur, avec plus de trois cents jours d’ensoleillement par an pour le solaire, tandis que sa situation géographique centrée autour du Mont Liban favorise le développement de l’hydroélectrique. À l’heure actuelle, ces secteurs souffrent d’un manque d’investissement chronique de la part des pouvoirs publics, notamment au niveau du second, dont les installations actuelles datent des années 1950-196024Rosemonde Hatem, « Hydroélectricité : une capacité de production largement inexploitée », Le Commerce du Levant, 1er mars 2008..

L’une des sources principales de ce problème réside dans la centralisation autour d’EDL, qui a choisi de miser sur les hydrocarbures. C’est là que l’argument de la décentralisation entre en jeu, en favorisant des initiatives locales pouvant s’adapter plus aisément aux besoins des consommateurs. À ce niveau, un cas d’école réside au sein de la ville de Zahlé, où une entreprise locale (Électricité de Zahlé, EDZ) a été en mesure de fournir de l’électricité en continu, grâce à une centrale hydroélectrique et une centrale thermique25François el Bacha, « Liban : miracle, de l’électricité 24h sur 24 mais à Zahlé uniquement », Libnanews, 17 mars 2015.. Ce modèle est ainsi régulièrement mis en avant pour mettre en place des schémas similaires avec les autres centrales ; toutefois, il fut lui aussi mis à rude épreuve par la crise économique26Carol Ayat, « Tirer parti de la crise bancaire pour financer la réforme de l’électricité au Liban », Institut Issam Fares, octobre 2021.. Par ailleurs, sa promotion cache bien souvent des intérêts socio-économiques et confessionnels, avec un risque accru de fracture dans ces domaines à la clé27Éric Verdeil, « La crise électrique du Liban : une lecture géographique », Revue Moyen-Orient, 2022..

Dans les faits, l’effort gouvernemental en direction d’une véritable transition énergétique paraît peu crédible à l’heure actuelle, d’autant que la situation politique n’encourage ni les investissements, ni le déblocage d’une aide internationale concrète. Face à cette inaction, ce sont donc les initiatives privées et de la société civile qui ont le vent en poupe. Ainsi, l’installation de panneaux photovoltaïques pour les particuliers a explosé depuis 202028Rémi Amalvy, « Avec l’énergie solaire, le Liban a enfin l’occasion de se détourner du tout pétrole », Middle East Eye, 1er novembre 2021.. En parallèle, le financement de projets localisés par les institutions internationales et les agences de développement étrangères se multiplient sur tout le territoire29Rémi Amalvy, « Avec l’énergie solaire, le Liban a enfin l’occasion de se détourner du tout pétrole », Middle East Eye, 1er novembre 2021..

Pour autant, le développement de l’énergie solaire ne constitue pas une solution idéale :  le pays ne possédant pas de production de panneaux photovoltaïques, l’ensemble des installations doivent être donc importées. Il en résulte alors une alternative particulièrement onéreuse, limitée soit aux particuliers les plus aisés30Éric Verdeil, « La crise électrique du Liban : une lecture géographique », Revue Moyen-Orient, 2022., soit aux projets récipiendaires d’une aide financière internationale. Les initiatives privées et localisées restent donc conditionnées au bon vouloir d’acteurs extérieurs, ainsi qu’à l’hypothétique réforme structurelle de l’État et de l’économie libanaise.

Quoi qu’il en soit, si le gouvernement libanais témoigne d’une certaine volonté de façade, la réalité reste beaucoup plus timorée. Tout d’abord, il faut recontextualiser ces projets de lois, adoptés en mars et en mai 2022, juste en amont des élections législatives du 15 mai 2022. La motivation ayant poussé à leur adoption pourrait donc résider avant tout dans une logique électoraliste, notamment au vu du bilan catastrophique de l’actuel gouvernement. À la suite des résultats n’ayant fait apparaître qu’une polarisation renforcée, sans véritable vainqueur, la mise en œuvre de ces projets est d’autant plus compromise, les rivalités ayant débouché sur une nouvelle crise politique, avec l’incapacité pour le Parlement de former un nouveau gouvernement. Ces étapes seront pourtant nécessaires pour faire ratifier les lois votées.

Même si un gouvernement venait à être formé dans les mois qui viennent, la logique électoraliste derrière ces projets de loi risque d’être battue en brèche par l’accord du 27 octobre 2022. Avec l’hypothèse d’une rente en hydrocarbure en voie de se concrétiser, l’intérêt des élites au pouvoir s’est recentré sur le développement de cette dernière, au détriment de la décentralisation et des énergies renouvelables. D’autant plus que, même s’il venait à être appliqué, le plan de réforme avancé par Walid Fayad reste profondément centré sur les énergies fossiles, à hauteur de 70%31« Le Liban maintient son objectif de 30% d’énergies renouvelables d’ici à 2030 », L’Orient-Le Jour, 26 septembre 2021.. Si l’étendue des réserves contenues dans le champ de Cana était confirmée, le risque de voir un Liban à deux vitesses en matière de solutions à la crise énergétique se profilerait : d’un côté, les élites politiques confisquant les bénéfices de l’exploitation du gaz ; de l’autre, une multiplication d’initiatives privées et localisées s’appuyant en partie sur les énergies renouvelables – du moins pour ceux en ayant les moyens. La perspective d’un encadrement renforcé s’éloignant, cette situation risque donc de complexifier davantage la crise énergétique, déjà insoluble, au pays du Cèdre.

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    Un traité d’armistice signé en 1949 constituait alors le seul traité liant les deux parties jusqu’à présent.
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    Daniel Meier, « L’histoire de l’accord libano-israélien sur la frontière maritime », Blogs de Sciences Po Grenoble, 3 novembre 2022.
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    Philippe Hage Boutros, « Eni, TotalEnergies et QatarEnergy mettent le cap sur le bloc n° 9 de la ZEE libanaise », L’Orient-Le Jour, 29 janvier 2023.
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    « Le Liban et Israël signent l’accord délimitant leur frontière maritime », France 24, 27 octobre 2022.
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    « L’inflation au Liban gravit un nouvel échelon en septembre », L’Orient-Le Jour, 21 octobre 2022.
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    Daniel Meier, « L’histoire de l’accord libano-israélien sur la frontière maritime », Blogs de Sciences Po Grenoble, 3 novembre 2022.
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    Agence internationale de l’énergie, « Lebanon », 2020.
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    Éric Verdeil, « La crise électrique du Liban : une lecture géographique », Revue Moyen-Orient, 2022.
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    Najia al-Houssari, « La contrebande de carburant embrase la frontière entre le Liban et la Syrie », Arabnews, 22 juin 2021.
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    Carol Ayat, « Tirer parti de la crise bancaire pour financer la réforme de l’électricité au Liban », Institut Issam Fares, octobre 2021.
  • 11
    « Générateurs : le prix du kWh en hausse de 40,9% en février », L’Orient-Le Jour, 28 février 2023.
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    Carol Ayat, « Tirer parti de la crise bancaire pour financer la réforme de l’électricité au Liban », Institut Issam Fares, octobre 2021.
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    « Électricité : L’Iran propose de nouveau son aide au Liban », Ici Beyrouth, 13 janvier 2023.
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    Kareem Chehayeb, « Lebanon inks deal with Syria, Jordan to adress power crisis », Al Jazeera, 26 janvier 2022.
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    Inès Gil, « Entre le Liban et Israël, un accord « historique » aux répercussions économiques encore incertaines », Les clés du Moyen-Orient, 21 octobre 2022.
  • 16
    « Décrit les effets pervers de la dépendance à une rente sur une économie. […] Il est amplifié dans les États qui présentent de graves défauts de gouvernance », Géoconfluences, décembre 2021.
  • 17
    Cynthia Tabet, Michel Rocca et Bachir el Murr, « Transferts de fonds et syndrome hollandais : le cas du Liban (1984-2016) », Mondes en développement, 2021/2, n°194.
  • 18
    L’ONG Transparency International situait le Liban au 154e rang de l’Indice de perception de la corruption en 2021 (sur 180), parmi les pays les plus corrompus au monde.
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    Paradoxe selon lequel un État rentier affiche des performances timorées « en termes de croissance économique, de gouvernance ou d’indicateurs sociaux ». Dans le cas d’États faibles, cela peut être dû au renfermement de la classe politique qui détourne ainsi la rente pour son propre compte. Gilles Carbonnier, « La malédiction des ressources naturelles et ses antidotes », Revue internationale et stratégique, 2013/3, n°91.
  • 20
    Inès Gil, « Entre le Liban et Israël, un accord « historique » aux répercussions économiques encore incertaines », Les clés du Moyen-Orient, 21 octobre 2022.
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    Karim Emile Bitar, « Au Liban, nous vivons en direct l’effondrement de toutes les institutions étatiques encore debout », Geo, 3 mars 2023.
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    Fouad Gemayel et Philippe Hage Boutros, « Transition énergétique : ce que l’exécutif libanais a prévu », L’Orient-Le Jour, 14 mai 2022.
  • 23
    « Le Liban maintient son objectif de 30% d’énergies renouvelables d’ici à 2030 », L’Orient-Le Jour, 26 septembre 2021.
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    Rosemonde Hatem, « Hydroélectricité : une capacité de production largement inexploitée », Le Commerce du Levant, 1er mars 2008.
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    François el Bacha, « Liban : miracle, de l’électricité 24h sur 24 mais à Zahlé uniquement », Libnanews, 17 mars 2015.
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    Carol Ayat, « Tirer parti de la crise bancaire pour financer la réforme de l’électricité au Liban », Institut Issam Fares, octobre 2021.
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    Éric Verdeil, « La crise électrique du Liban : une lecture géographique », Revue Moyen-Orient, 2022.
  • 28
    Rémi Amalvy, « Avec l’énergie solaire, le Liban a enfin l’occasion de se détourner du tout pétrole », Middle East Eye, 1er novembre 2021.
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    Rémi Amalvy, « Avec l’énergie solaire, le Liban a enfin l’occasion de se détourner du tout pétrole », Middle East Eye, 1er novembre 2021.
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    Éric Verdeil, « La crise électrique du Liban : une lecture géographique », Revue Moyen-Orient, 2022.
  • 31
    « Le Liban maintient son objectif de 30% d’énergies renouvelables d’ici à 2030 », L’Orient-Le Jour, 26 septembre 2021.

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