Abstention et indécision : quelles conséquences électorales en avril prochain ?

Les facteurs qui déterminent l’abstention et la volatilité électorale nécessitent d’être analysés. Plus encore, quelles sont les conséquences électorales de ce double phénomène ? C’est à ces questions que répond Antoine Bristielle dans cette note, s’appuyant sur les données de l’enquête électorale menée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde.

À moins de cent jours du premier tour de la prochaine élection présidentielle, seulement deux tiers des Français sont certains d’aller voter. Ce chiffre interroge, car si l’abstention est dans une dynamique d’augmentation structurelle lors des élections intermédiaires, elle demeurait jusqu’alors relativement contenue lors des différentes élections présidentielles.

Graphique 1. Taux d’abstention selon le type d’élections, en France, depuis 1965

En plus de la question abstentionniste, un autre phénomène vient marquer cette campagne, celui des électeurs dont le choix n’est pas encore cristallisé. À l’heure actuelle, seuls 55% des électeurs certains de se déplacer et ayant exprimé une intention de vote déclarent que leur choix d’un candidat est définitif.  

Les facteurs de l’abstention

On retrouve tout d’abord les variables sociologiques classiques comme facteurs explicatifs de l’abstention. Plus l’âge des répondants augmente, plus le niveau d’abstention recule. Ainsi, 76% des plus de soixante ans sont certains de se déplacer en avril prochain alors que ce n’est le cas que pour 53% des moins de trente-cinq ans.

Graphique 2. Modélisation de la certitude d’aller voter en fonction de l’âge des répondants

De la même manière la catégorie socioprofessionnelle joue un rôle prépondérant : quand seulement 57% des ouvriers et des employés sont certains d’aller voter, ce chiffre atteint 63% chez les professions intermédiaires et 69% chez les cadres supérieurs. Enfin, les retraités apparaissent à l’heure actuelle comme les plus mobilisés (77%), ce qui rentre en adéquation avec les conclusions que nous tirions sur l’influence de l’âge. 

Graphique 3. Certitude d’aller voter à la présidentielle en fonction de la catégorie socioprofessionnelle
Lecture : 49% des agriculteurs sont certains d’aller voter en avril prochain.

Mais outre ces facteurs classiques, la potentielle abstention ne se répartit pas de la même manière au sein des différents électorats. Comme nous le montrions déjà dans une précédente note, les candidats de gauche sont à l’heure actuelle les plus touchés par une potentielle abstention. 58% des électeurs affichant une préférence pour Jean-Luc Mélenchon et 64% de ceux qui se positionnent en faveur de Yannick Jadot sont ainsi certains de se déplacer. À l’opposé de cela, les électeurs d’Emmanuel Macron semblent beaucoup plus enclins à participer en avril prochain, c’est le cas actuellement de 73% d’entre eux. 

Graphique 4. Certitude d’aller voter à la présidentielle en fonction des intentions de vote
Lecture : 58% des électeurs déclarant une préférence pour Jean-Luc Mélenchon sont certains d’aller voter à la prochaine présidentielle.

Dans l’espace de la droite, la certitude de vote est plus importante à l’heure actuelle chez les électeurs de Valérie Pécresse (72%) et chez ceux d’Éric Zemmour (72% également) qu’au sein de l’électorat de Marine Le Pen (65%). Cette dernière possède donc davantage de réserves de voix, ce qui peut lui permettre de prendre l’ascendant sur ses deux concurrents, si, bien sûr, elle réussit à mobiliser son électorat potentiel. 

Les électorats les plus indécis à moins de cent jours de l’élection

Si l’abstention constitue donc un enjeu majeur en vue de la prochaine présidentielle, l’indécision et la volatilité électorale en est un autre. Or, à ce niveau, les différents candidats sont loin d’être touchés de la même manière. 

Graphique 5. La certitude du choix de vote au sein des différents électorats
Lecture : 53% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon considèrent leur choix comme définitif.

Quand la certitude de vote atteint respectivement 72% et 68% chez les électeurs de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron, celle-ci baisse largement dans l’espace de la gauche de gouvernement, où moins d’un tiers des électeurs de Christiane Taubira, Yannick Jadot et Anne Hidalgo sont à l’heure actuelle certains de leur choix. C’est donc une différence assez nette que l’on observe à gauche avec l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, où 53% de ses électeurs sont certains de leur choix. 

Mais c’est bien l’électorat d’extrême droite, qui, avec l’électorat macroniste, apparaît aujourd’hui comme le plus stabilisé. 72% des électeurs de Marine Le Pen sont certains de leurs choix et 63% des électeurs d’Éric Zemmour le sont également. Des chiffres à chaque fois bien plus importants que ce que l’on observe pour l’électorat de droite classique, où moins d’un électeur de Valérie Pécresse sur deux est actuellement certain de son choix. 

Lorsque l’on modélise la certitude du vote, on obtient des résultats extrêmement similaires, montrant que l’espace de centre gauche, déjà largement réduit, est le plus à même de voir son choix évoluer. Toutes choses égales par ailleurs, les électeurs de Yannick Jadot ont ainsi trois fois plus de chances que ceux d’Emmanuel Macron de modifier leur choix de vote d’ici à l’élection. Ceux d’Anne Hidalgo, quatre fois plus. 

Conclusion : forces et faiblesses des candidats

  • Emmanuel Macron possède un socle très solide. Si son électorat est fortement mobilisé à l’heure actuelle (73%), celui-ci semble fortement cristallisé, ce qui laisse donc penser que le président sortant à toutes les chances de demeurer au niveau élevé d’intentions de vote que l’on constate aujourd’hui.
  • Lorsque l’on compare les différents candidats de gauche, Jean-Luc Mélenchon est indéniablement en position de force. Son électorat est le moins mobilisé au sein de la gauche, montrant ainsi qu’il dispose de réserves de voix substantielles. Par ailleurs, son électorat souhaitant se déplacer apparaît beaucoup plus certain de son choix que l’électorat des différents autres candidats de gauche. 
  • À droite, Marine Le Pen a toutes les cartes en main. Dans cette bataille que se livrent Marine Le Pen, Éric Zemmour et Valérie Pécresse, la première apparaît indéniablement comme la mieux armée. D’une part, son électorat est moins mobilisé que celui de ses deux opposants, montrant ainsi qu’elle dispose de réserves de voix si elle réussit à enclencher une dynamique de campagne. D’autre part, comparé à Valérie Pécresse et Éric Zemmour, son électorat déjà mobilisé semble beaucoup plus sûr de son choix et donc moins à même d’être touché par un phénomène de volatilité électorale. Deux éléments qui la mettent en position de force pour accéder au second tour. 

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