Olaf Scholz entame en ce début 2023 sa deuxième année en tant que chancelier allemand. Entre sa volonté de voir l’Allemagne monter en puissance sur la scène internationale et les divisions qui minent aussi bien sa coalition gouvernementale que son autorité, les douze prochains mois s’annoncent décisifs pour la suite de son mandat. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès, analyse les défis majeurs qui l’attendent.
L’année 2023 sera la deuxième du mandat d’Olaf Scholz au poste de chancelier. Elle s’annonce agitée. La guerre en Ukraine, la transition économique et sociale du pays et surtout des querelles entre les partenaires de coalition s’apprêtent en effet à rythmer l’année.
Le défi de la guerre en Ukraine
Les prédictions de début d’année sont un exercice difficile et rarement concluant. En 2020, presque personne n’aurait pensé qu’un virus déclencherait une pandémie mondiale qui durerait des années. Début 2022, malgré les multiples avertissements des experts, très peu croyaient sérieusement que le président russe lancerait une guerre d’agression contre l’Ukraine.
Pour les Allemands, 2023 s’annonce dans la continuité de 2022 : selon le dernier sondage de l’institut Infratest-Dimap, la majorité des citoyens pense que la guerre en Ukraine les occupera tout au long de l’année. Selon le sondage, seulement une personne sur trois en Allemagne (32%) s’attend à ce que la guerre se termine cette année. Au contraire, six Allemands sur dix (58%) pensent qu’elle durera encore longtemps.
Il n’est pas surprenant que la guerre d’Ukraine constitue pour les Allemands le défi politique actuel le plus important. Malgré cette crainte, beaucoup estiment que la prudence du chancelier Scholz a permis d’éviter que l’OTAN et l’Allemagne ne deviennent directement impliquées dans la guerre.
La difficulté de la transition énergétique
L’autre sujet qui a pris de l’importance pour les Allemands est une conséquence directe de la guerre et de l’arrêt des livraisons de gaz russe. La politique énergétique et la transition énergétique (19%) sont devenues des préoccupations qui dépassent celles de la protection de l’environnement et du changement climatique (17%), de même que le sujet de l’inflation et la hausse de prix (14%). Il y a encore six mois, l’inflation était pourtant citée comme la principale inquiétude des Allemands (23%). Il semblerait que les importantes mesures anti-inflationnistes du gouvernement ont permis d’atténuer cette crainte.
La réapparition des inégalités
Un défi majeur réapparaît dans la politique allemande : la question sociale. Seulement un tiers (36%) des Allemands pense que la situation économique et sociale du pays est juste. 58% sont même d’avis que la situation est plutôt injuste en Allemagne. Ce chiffre inquiétant est comparable à ce qu’il était au début de la crise de l’euro en 2010. Cela s’explique par les conséquences de la pandémie, mais surtout par la hausse des prix d’énergie qui touchent particulièrement les revenus faibles.
Sans surprise, la confiance des Allemands vis-à-vis de l’année à venir est une question de revenus : parmi les personnes dont le revenu net du ménage est supérieur à 3 500 euros par mois, sept sur dix (70%) pensent que 2023 sera une bonne année pour eux personnellement — et seulement un sur cinq (20%) s’attend à une année plutôt mauvaise. En revanche, parmi les personnes ayant un revenu net inférieur à 1 500 euros, plus de personnes s’attendent particulièrement à une année plutôt défaillante (45%) qu’à une année essentiellement bonne (40%).
La communication, l’enjeu majeur du chancelier ?
En principe, il est étonnant que le chancelier ne soit pas perçu de façon plus positive par le public : après tout, l’effondrement de l’industrie allemande, les faillites massives et les soulèvements populaires à cause des factures d’électricité et de gaz impayées étaient encore un sujet de conversation majeur à l’automne. Grâce au stockage largement suffisant, l’hiver s’annonce aujourd’hui sans pénurie de gaz et, après le déploiement du paquet de 200 milliards d’euros, les inquiétudes du grand public s’apaisent. L’économie allemande reprend espoir.
Si le sujet n’est pas le fond, il faut donc revoir la forme. Si l’action du gouvernement Scholz obtient des résultats satisfaisants, le chancelier est quant à lui perçu comme ne communiquant pas assez. Alors qu’il avait souligné lors de sa campagne qu’il saurait imposer son autorité (“vous voulez le leadership, vous l’aurez”), les Allemands le trouvent aujourd’hui trop hésitant.
Entre-temps, les querelles entre les trois partenaires de la coalition, et surtout entre les Libéraux et les Verts, sont devenues si évidentes, fréquentes et mesquines qu’elles exigeraient de sa part un leadership plus musclé. Mais il n’est pas le seul à devoir porter cette responsabilité, qui incombe également au SPD. Le parti social-démocrate devrait peser de tout son poids pour pousser les Libéraux et les Verts à sortir de leurs querelles et à revenir à la cohésion gouvernementale qui était la règle en début de mandat.
Les exemples de discorde ne manquent pas : les livraisons des armes lourdes et des chars à l’Ukraine ; la question de la sécurité énergétique et de la prolongation de l’utilisation des centrales nucléaires existantes ; la gestion des finances publiques. Cela n’était donc pas un hasard si le SPD a mis la communication à l’ordre du séminaire à huis clos qu’il organise avec le chancelier au début de l’année.
Des perspectives plutôt positives
Pourtant, après plus de deux ans de souffrances, de privations et de limitations, les perspectives pour 2023 ne sont pas si mauvaises. Malgré la catastrophe imminente qui s’annonce en Chine, la fin de la pandémie semble proche. La guerre en Ukraine va certes se poursuivre et personne ne peut en prédire la fin, mais l’Allemagne et ses alliés ont trouvé une réponse commune et forte pour aider Kiev et contrarier l’agresseur russe. L’Europe et l’OTAN se sont rapprochées comme personne ne l’aurait imaginé au regard des critiques farouches formulées de part et d’autre de l’Atlantique au cours des années Trump. Qui pense encore, comme Emmanuel Macron en novembre 2019, que l’OTAN est en état de “mort cérébrale » ? L’arrêt de livraison du gaz russe a déclenché une mobilisation exemplaire pour lui trouver des alternatives et, à terme, la crise provoquée par Moscou pourrait même se révéler l’impulsion décisive pour enfin arrêter l’exploration des combustibles fossiles. De leur côté, les marchés financiers sont optimistes : ils voient un réel potentiel pour l’année à venir, et la bourse de Francfort s’est envolée lors des premiers jours de l’année. Cela ne serait pas non plus une année de miracle économique, mais selon l’économiste en chef de la Baader Bank, Robert Halver, « le plus épais pull de récession du placard n’est pas nécessaire ». Par conséquent, l’institut IFO souligne une confiance croissante des entreprises, surtout de la part de celles orientées vers l’exportation, le secteur clé de l’économie allemande.
Les échéances électorales en 2023
Jusqu’à présent et grâce à son succès électoral, Olaf Scholz a bénéficié d’un énorme espace de liberté et son parti, le SPD, l’a suivi sans réserve. Mais quatre élections régionales se tiendront en 2023 à Berlin, à Brème, en Hesse et en Bavière, et il ne pourra plus compter sur un parti aussi parfaitement uni.
Suite à des irrégularités dont le SPD est en partie responsable, un jugement de la Cour de justice a annulé l’élection qui s’est tenue à Berlin le 26 septembre 2021, et les électeurs de la capitale devront donc retourner aux urnes le 12 février 2023 pour départager les mêmes candidats. Il n’est pas certain que la maire SPD actuelle, Franziska Giffey, soit encore en position de l’emporter. Les derniers sondages montrent que le SPD est au coude-à-coude avec la CDU, et il est même possible que les Verts deviennent le premier parti à Berlin.
Le 14 mai 2023, la ville de Brême aura également ses élections. Ce fief traditionnel du SPD offre de bonnes chances à l’actuel bourgmestre, Andreas Bovenschulte, d’être reconduit. Cependant Brème n’est pas la région la plus importante, et une victoire, d’autant plus si elle est attendue, aura un impact minimal pour le SPD.
Le 8 octobre 2023, la Bavière organisera quant à elle des élections régionales. L’actuel ministre-président, Markus Söder, devrait être réélu, mais la majorité absolue habituelle de la CSU en Bavière ne semble plus possible. Les sondages le créditent d’environ 40% des voix. La CSU devance les Verts de 20 points, et le SPD, l’AFD et les indépendants de 30 points. Le SPD devra assurer sa troisième place en Bavière, car un succès électoral de Markus Söder, proche de la majorité absolue, pourrait lui donner encore une fois l’envie de se présenter comme candidat à la chancellerie aux élections fédérales de 2025.
La date des élections en Hesse n’est pas encore fixée, mais elles auront lieu en automne. Le SPD envisage de nommer l’actuelle ministre fédérale de l’Intérieur, Nancy Faeser. Il tenterait ainsi d’augmenter ses chances de regagner la région, un fief traditionnel du SPD ayant connu une longue période de règne des conservateurs. Nancy Faeser ne s’est pas encore prononcée définitivement sur sa candidature. Si elle se décidait à y aller, le chancelier serait alors dans l’obligation de remanier son gouvernement. Cela serait pour lui une bonne occasion de voir si l’actuel ministre de Défense, la très critiquée Christine Lambrecht, doit finalement être remplacée.
La définition d’une stratégie nationale de sécurité envisagée
Pour la première fois, l’Allemagne veut définir une stratégie nationale de sécurité, notamment pour éviter de répéter les erreurs du passé dans ses relations avec la Russie. Les points centraux de cette nouvelle stratégie seront la défense nationale, la politique d’énergie, le commerce extérieur, la cyberdéfense, la lutte contre le changement climatique, les chaînes d’approvisionnement internationales, la protection des infrastructures et la sécurité de l’approvisionnement des médicaments. Un point clé sera également la redéfinition de la politique vis-à-vis de la Chine. À cela s’ajoute une volonté de la ministre des Affaires étrangères de définir une politique étrangère féministe. Le chancelier devra prendre soin de mieux communiquer et d’impliquer davantage les membres de son parti au Bundestag s’il veut peser dans un débat qui sera dominé par la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.
C’est cette dernière qui est chargée de préparer des propositions, sur lesquelles le gouvernement devra ensuite se prononcer.
Après avoir fait circuler une première version du texte, le chancelier a fait savoir qu’il n’y avait pas d’urgence à présenter un document sans d’abord organiser une discussion approfondie en interne. Cependant, il semble que la discussion sur cette stratégie soit maintenant au point mort. La chancellerie ainsi que le ministère des Finances ont rejeté le premier projet, les États fédéraux ont fait part de leur mécontentement, et le texte n’a donc pas été discuté au sein du gouvernement.
Il y a notamment un désaccord profond sur la politique envers la Chine. Les formulations de la ministre des Affaires étrangères avaient, selon la chancellerie, un ton trop dur. En plus, pour le ministre des Finances, l’accent n’a pas été assez mis sur la lutte contre le blanchiment d’argent et sur le financement du terrorisme. Pour la presse, le projet en discussion tient donc plus du recueil d’idées que d’une stratégie cohérente. Quoi qu’il en soit, il est donc désormais hors de question pour le gouvernement de présenter une position définitive et commune lors de la conférence annuelle de sécurité de Munich qui se tiendra comme chaque année en février.
Une année décisive pour le chancelier
Pour éviter un conflit majeur qui risquerait de fragiliser voire de faire sauter sa coalition gouvernementale, le chancelier devra prendre publiquement position sur le sujet.
L’année 2023 sera ainsi une année décisive non simplement pour le gouvernement, mais aussi pour le chancelier lui-même. Il ne peut plus uniquement être un médiateur des conflits entre ses différents partenaires. S’il veut conserver la coalition et le pouvoir jusqu’aux élections de 2025, il devra s’imposer comme le véritable leader de son propre gouvernement. Dans un discours fondateur prononcé en février 2022, Olaf Scholz avait fait le constat d’un changement d’époque pour l’Allemagne, l’Europe et le monde. S’il veut être à la hauteur des défis et du rendez-vous de l’histoire, il lui faudra être en mesure d’agir et de prendre des décisions importantes pour préparer l’avenir du pays. Cela passe par plus de détermination pour reprendre le gouvernail de son propre gouvernement, et par un réel effort de communication afin d’entraîner avec lui la population. Le destin d’Olaf Scholz comme chancelier d’Allemagne se joue cette année.