Quatre années se sont écoulées depuis l’élection présidentielle de 2017. Des événements marquants, inédits, comme le mouvement des « gilets jaunes » ou la crise liée à la Covid-19 ont émaillé cette période en mettant en avant les sujets liés à ce nouveau clivage entre « pro » et « anti » mondialisation. À un an de la prochaine échéance, la promesse de 2017 aura-t-elle tenu en 2022 ? Que peut-on attendre de ce scrutin à venir ? Plusieurs éléments d’analyse peuvent nous mettre sur la piste.
Chaque présidentielle est une promesse
Chaque élection présidentielle est une promesse. Le résultat de celle de 2017 devait constituer, pour les principaux acteurs, le basculement d’un système à bout de souffle vers une nouvelle offre – fondée sur un nouveau clivage central et des organisations plus souples – incarnant ainsi le passage de la décomposition à la recomposition du paysage politique français.
De ce point de vue, la décomposition fut incarnée par un premier tour qui adjugea près de 65% des suffrages exprimés à trois candidats qui, tous, revendiquaient une démarche « antisystème ». Dégagisme, dépassement des oppositions stériles, rejet de ceux qui, soi-disant, affaiblissaient la Nation, tous usèrent d’une stratégie de campagne similaire pour disqualifier et se qualifier. Le second tour, quant à lui, constitua l’annonce d’une possible recomposition établie sur une opposition assumée entre deux manières antinomiques de prendre en compte les effets de la mondialisation et de la construction européenne. Ces questions, qui ne cessaient de croître dans le débat public depuis les années 1980, trouvaient ici une traduction concrète et inédite avec deux candidats assumant pleinement leurs positions.
Les organisations traditionnelles, jugées comptables de la situation du pays, violemment déstabilisées par l’émergence de ce nouveau clivage et en difficulté à l’articuler au clivage traditionnel, ne furent pas en mesure d’endiguer cette dynamique et de briser le processus de décomposition.
Un corpus idéologique qui peine à se renouveler
Commençons par le fond. L’opposition incarnée en 2017 par le match entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen a-t-il débouché sur la constitution d’un corps de doctrine capable d’installer durablement la dualité progressistes/patriotes ? La réponse est clairement non.
Du côté d’Emmanuel Macron, le « progressisme » avancé en 2017 et lors des élections européennes de 2019 n’a pas débouché sur une consolidation idéologique, limitant mécaniquement la réalité de la recomposition promise. La persistance d’un clivage interne entre la gauche et la droite, la dichotomie entre ce clivage et une part importante de son électorat l’ont poussé à ne pas s’engager dans la voie de la constitution d’un corpus idéologique novateur autour de ce concept. Retenant la leçon du Cardinal de Retz, il a préféré rester flou sur les convictions les plus profondes guidant son action. Ce ne fut pas le cas de son entourage puisque le « premier » Premier ministre de son quinquennat comme certains poids lourds de son gouvernement ont toujours assumé être en parfaite harmonie avec leurs valeurs fondamentales. Autre élément d’explication, l’intelligence tactique indéniable du président de la République semble le pousser toujours plus loin dans la fragmentation de la partie droite de l’échiquier politique, qu’il estime plus solide que la partie gauche. Quelles qu’en soient les causes, cette absence de clarification a généré des difficultés de fonctionnement, notamment pour les groupes parlementaires et son mouvement politique.
Pour Marine Le Pen, les choses ne sont pas passées comme prévu non plus. Écartelée entre sa volonté de passer de la dédiabolisation à la normalisation – comme ses sorties sur le gouvernement d’union nationale ou la vitrine municipale que constitue Perpignan peuvent en attester –, tout en tentant de s’inscrire dans l’organisation internationale des droites extrêmes, elle n’a pas engagé de construction d’un nouveau corpus, peu aidée également par le manque de personnalités capables de s’atteler à la tâche à ses côtés.
Restée une évocation, un redoutable outil de campagne face à une organisation politique en plein doute, la restructuration idéologique n’a pas eu lieu, empêchant la constitution d’une articulation complexe entre gauche/droite et fermeture/ouverture. Loin d’être un bienfait, cette situation laisse les électeurs face à une représentation partielle de leurs besoins, alimentant, de fait, la poursuite de la décomposition.
Des structures qui ont montré leurs limites
Plate, liquide, gazeuse, la société est décrite depuis plusieurs décennies comme en train de se départir de sa verticalité, sous le double mouvement de l’individualisme, de la singularité et de l’impact du numérique dans l’économie et les échanges. En ce sens, 2017 constitua également une promesse : celle de la montée en puissance d’une structuration des organisations politiques en mouvements. Plus souples, plus tournés vers la société, mobilisés sur un objectif plus que sur la volonté d’une représentation permanente, les mouvements pouvaient apparaître comme les structures politiques adaptées à leur époque. La fulgurante émergence d’En marche ! vint consacrer cette direction.
L’épreuve de la réalité a particulièrement refréné cette dynamique. Si les mouvements peuvent s’avérer d’excellentes machines de conquête du pouvoir, ils semblent peu adaptés à son exercice.
En Marche !, rebaptisé La République en marche (LREM), symbolise pleinement cette dichotomie. Tout d’abord, il est difficile de mobiliser des élus sans inscrire une organisation politique dans la durée. LREM s’est donc naturellement et vainement mué vers un format plus traditionnel. Mais l’implantation locale est difficile pour un parti récent, tout comme il est difficile de mobiliser dans le temps des sympathisants qui, eux, ont inscrit leur engagement dans le cadre d’un mouvement – souple – et d’un objectif prioritaire – le scrutin présidentiel. De plus, l’ambiguïté entretenue par Emmanuel Macron sur la forme à adopter n’a fait que renforcer cette fragilité. Autre élément, la ligne politique. Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’absence de constitution d’un corpus idéologique sui generis génère des tensions entre les différentes origines politiques qui constituent la majorité présidentielle. Résultat, LREM n’est pas devenu l’espace physique de rencontre des macronistes, nous voyons se multiplier des démarches permettant aux différentes sensibilités de bénéficier de lieux d’expression. Et la tentative de création d’une « maison commune », qui n’a pas été couronnée de succès, semble symboliser l’échec de LREM. Enfin, l’horizontalité entre adhérents et instances, revendiquée à la création du mouvement, supporte mal la verticalité du pouvoir de la Ve République, affaiblissant le mouvement et le vidant d’une partie de ses membres en désaccord avec ce fonctionnement. LREM semble aujourd’hui être devenu un problème après avoir été un outil de conquête, obligeant les proches conseillers du président à plancher sur la création d’un dérivatif pour le prochain scrutin et amenant certains observateurs à se poser la question de la volonté même du président de la République de structurer durablement sa force politique.
De son côté, après avoir prôné une démarche « mouvementiste », La France insoumise (LFI) semble être retombée dans un fonctionnement traditionnel, articulé autour de la personnalité, du projet et de l’ambition de son leader. En somme, ce qui peut rapprocher le plus les trois formations – LFI, LREM et RN – , qui ont véritablement animé la campagne de 2017, c’est la centralité de leur chef dans leur fonctionnement, le déport de l’un d’entre eux pour exercer les plus hautes fonctions de l’État faisant perdre une grande partie de sa raison d’être à sa formation. Les mouvements ne constituent donc pas le remède miracle au désintérêt de l’engagement politique, tant ils peinent à conjuguer temps court et temps long, agilité de la conquête du pouvoir et pesanteur de son exercice, bouillonnement horizontal lié à la démocratie et hypercentralisation de la décision de la VeRépublique. En ce sens, la promesse de 2017 n’a également pas été tenue et la recomposition annoncée ne s’est pas réalisée.
Des représentants qui jouent leur dernière partie
Reste l’incarnation. Il est fort probable que les acteurs majeurs de l’élection de 2017 se retrouvent, au plus tard au soir du second tour de 2022, à avoir joué leur dernière partie.
Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont dans la même situation : après trois candidatures, une nouvelle défaite les affaiblirait considérablement et aurait des conséquences importantes sur leur leadership respectif. Ils pourraient alors tourner le dos à la conquête de l’Élysée.
La situation d’Emmanuel Macron est légèrement différente : une défaite ne le disqualifierait pas pour l’avenir, mais l’histoire récente nous prouve qu’il est extrêmement difficile de revenir lorsque l’on a été déchu. Paradoxalement, c’est sa victoire qui le mettrait hors-jeu pour 2027 et, de fait, limiterait à cinq ans sa capacité à participer à une recomposition qu’il n’a pas réussi à engager concrètement aujourd’hui.
Décomposition encore et toujours
Pas de nouveau corpus idéologique, pas d’organisation incarnant une redynamisation de la vie politique, des candidats qui seront vraisemblablement poussés vers la sortie en 2022, un faible espoir de voir l’actuel président de la République engager en cas de réélection ce qu’il n’a pas été en mesure ou en volonté de réaliser durant son premier quinquennat, la promesse de l’aube de 2017 commence à ressembler à un long crépuscule…
Cette lecture critique et cette situation délicate n’empêcheront pas forcément les acteurs de 2017 de l’emporter, la décorrélation entre décomposition et recomposition ne leur étant pas défavorable électoralement parlant, au moins à très court terme. 2022 pourrait alors apparaître pour les Français comme un fastidieux moment, pouvant être réveillé par l’union de la gauche, qui semble bien difficile à mettre en œuvre à l’heure où ces lignes sont posées sur le papier, un candidat représentatif de la droite ou – dans une option extrême mais envisageable – la victoire du Rassemblement national (RN). L’une de ces conditions obligerait à sortir des réflexions tactiques pour accélérer la recomposition.
Quelle que soit leur fortune électorale, sauf rebondissement, le prochain scrutin verra les acteurs qui ont grandement participé/accompagné à la décomposition de l’organisation politique en 2017 à ne pas directement participer à sa recomposition, constituant une ultime cruauté démocratique.
Mais d’où viendra la recomposition ?
Mais, alors, si la promesse de 2017 n’est pas tenue et que 2022 ne constitue que l’aboutissement ultime de la décomposition, d’où viendra la recomposition ?
D’abord, d’un arc pouvant lier la droite conservatrice et l’extrême droite « patriote ». Dans un contexte où le conservatisme irrigue la société, l’organisation doctrinale de ce courant n’est plus une utopie. Une partie de la droite est prête à s’allier à une extrême droite idéologiquement « de droite » – ce qui diffère du positionnement plus « social » de Marine Le Pen. Il suffit de s’intéresser à la galaxie des penseurs conservateurs ou aux démarches entreprises par Marion Maréchal pour comprendre que cette « union des droites » si longtemps fantasmée peut prendre corps.
Ensuite, de la mise en œuvre d’une social-écologie démocratique capable de proposer un réel contrat à la nation. L’articulation entre le corpus social et le corpus écologique est difficile, car il oppose des logiques contraires, notamment sur le matérialisme, le productivisme et la croissance. Mais, un point d’équilibre pourrait offrir une réelle opportunité de recomposer la vie politique, à condition également de trancher entre des positions très divergentes sur les sujets liés à la République.
Le centre pourrait également tenter la construction d’un réel corpus. Mais, coincé entre les deux positionnements précédemment évoqués, il lui faudrait opter pour un corpus hybride qui pourrait s’avérer peu lisible et peu efficace électoralement, sauf à préempter une ligne spécifique « républicaine », qui aujourd’hui fracture la gauche notamment.
En conclusion, la recomposition pourrait alors se bâtir sur une structuration traditionnelle, mais revivifiée et réinventée par le clivage entre progressistes et conservateurs. Associée à cette nouvelle dynamique idéologique, l’émergence d’organisations nouvelles ou renouvelées et de personnalités en mesure d’incarner cette complexité viendrait relancer la machine démocratique.