L’année 1983 est restée dans les mémoires comme celle du « tournant de la rigueur » qui porte un coup d’arrêt à l’euphorie des premiers temps de la gouvernance socialiste. L’analyse de Floriane Galeazzi et Vincent Duchaussoy invite à substituer à l’image d’un retournement brusque celle d’un infléchissement progressif de la politique économique.
1983 : le « tournant » en question
L’année 1983, deux ans après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, est traditionnellement perçue comme l’année du « tournant de la rigueur ». Face aux difficultés économiques rencontrées, le gouvernement de la gauche se serait trouvé brusquement contraint de modifier sa feuille de route et d’infléchir sa politique économique, reléguant l’idéologie au second plan au profit d’un plus grand réalisme politique. A l’issue de la table ronde organisée le 23 mars 2011 par l’Institut François Mitterrand et la Fondation Jean-Jaurès, Floriane Galeazzi et Vincent Duchaussoy se proposent d’examiner les tenants et les aboutissants du changement de cap de la politique socialiste et d’interroger à nouveaux frais la validité de ce schéma.
Comment faut-il comprendre la dévaluation de mars 1983 ? Pour l’opinion de l’époque, il s’agit bien d’un véritable renversement par rapport à la ligne politique suivie jusqu’alors. On va jusqu’à parler de reniement voire de trahison du dogme socialiste pour une politique néolibérale. C’est aujourd’hui encore l’idée fondamentale qui prévaut dans la majorité des analyses de la politique française de 1983, celle d’un passage brutal d’une politique redistributrice à une politique restrictive. L’examen ici proposé invite à nuancer ce schéma, à travers l’analyse des différents facteurs qui ont déterminé le gouvernement de l’époque à adopter une politique d’austérité.
Le premier type de contrainte est constitué par le contexte économique international, gravement marqué par le choc pétrolier de 1979 et qui affecte particulièrement la France. Au moment où se font sentir les premiers effets de la mondialisation de l’économie, le gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de l’importance du contexte international dans la mise en place d’une politique nationale. Les déficits s’accumulent, d’autant plus que la priorité a été donnée à l’emploi et au social plutôt qu’aux fondamentaux économiques.
Un second type de contrainte tient aux enjeux de politique extérieure. Pendant un temps, il est question de sortir le franc – malmené par les spéculateurs – du Système monétaire européen (SME), ce qui permettrait à l’Etat de mener librement sa politique économique et monétaire et de s’affranchir des critères de convergence portés par le SME. Mais c’est sans compter le risque de compromettre à la fois les progrès de la construction européenne et les bonnes relations avec le voisin allemand. François Mitterrand opte finalement pour le maintien du franc dans le SME et décide d’adopter une politique plus restrictive, conformément aux recommandations de l’Allemagne.
Le dernier type de contrainte est de nature interne et réside dans les enjeux idéologiques. Un malaise politique et des divisions profondes se font jour au sein du gouvernement qui, s’ils ne peuvent à eux seuls expliquer le tournant de 1982-1983, sont à prendre en considération.
Il apparaît ainsi à l’analyse que l’idée du retournement brutal est peut-être impropre à représenter la réalité du changement de politique du gouvernement socialiste en 1983, et qu’il serait plus juste de schématiser celui-ci par une courbe progressive ponctuée par les deux principaux « pics » que constituent les tournants de juin 1982 et de mars 1983. La réorientation de la politique économique du gouvernement de gauche est à la fois plus précoce et plus lente que ne l’affirme la vulgate.