1979 : l’affaire « Radio-Riposte »

1979 : le Parti socialiste se lance dans la bataille des radios libres, alors non autorisées, en lançant le 28 juin « Radio-Riposte », station pirate créée spécialement par le Parti socialiste pour dénoncer la mainmise sur les réseaux d’information par le président Valéry Giscard d’Estaing.

Déjà en 1975, année où l’ORTF éclatait en plusieurs sociétés distinctes, le Parti socialiste réfléchissait à la création d’une « station de radio socialiste », et ce malgré la situation de monopole exercée par l’État sur la diffusion audiovisuelle (loi de 1974). Mais les dirigeants du PS renoncent à défendre un tel projet, principalement en raison du principe de ce monopole, qui les divisent : faut-il libéraliser, « pluraliser » ce secteur entre public et privé, ou maintenir un monopole d’État fort, tant sur les stations de radio que sur les chaînes de télévision ? En 1977, François Mitterrand met en place au PS une commission, dirigée par l’écrivain et animateur de radio François-Régis Bastide (créateur avec Michel Polac de l’émission « Le Masque et la plume » sur France Inter), et chargée d’établir des propositions socialistes face à la situation de l’audiovisuel public et privé en France. Mais le rapport présenté par cette commission à l’automne 1977 – qui aborde la liberté de création et de diffusion audiovisuelle, les moyens de financement, la répartition public/privé et la situation des radios commerciales, la mise en place de structures juridiques et de contrôle (un Centre national de la radio-télévision, une Haute autorité, etc.) –, bien qu’adopté par les instances du parti, va rester lettre morte. En vérité, certains membres du Parti socialiste prônent le maintien, jusqu’à un certain point, du service public dans ce domaine, et préfèrent parler de « radios locales » et de « service public décentralisé ». De fait, jusqu’à l’affaire « Radio-Riposte », les socialistes ne sont pas vraiment en mesure de défendre les radios libres, alors que celles-ci se multiplient sous la forme de stations pirates illégales, bénéficiant des avancées technologiques de l’époque qui permettent l’installation d’émetteurs et d’antennes, facilement démontables, dans des maisons et appartements privés. Mais l’État veille au grain, et ces radios libres, qui réunissent non seulement citoyens et militants des libertés, mais aussi de plus en plus de journalistes professionnels, sont bien souvent poursuivies devant les tribunaux, et leur matériel saisi par les forces de l’ordre.

Mais à l’été 1979, le Parti socialiste change brusquement de position et rejoint à son tour le camp des « radioteurs ». Excédé par la mainmise sur les réseaux d’information par l’Élysée et Matignon durant la campagne des toutes premières élections européennes qui vient de se dérouler, François Mitterrand choisit de provoquer le pouvoir sur le terrain de la liberté de la presse et du droit à l’information, en lançant lui-même la radio libre du PS : le soir du 28 juin, depuis les locaux annexes du PS au 12 cité Malesherbes, une équipe réunie autour de Laurent Fabius, Paul Quilès, Lionel Jospin et Georges Sarre diffuse une émission pirate intitulée « Radio-Riposte », où l’on entend François Mitterrand « attirer l’attention de l’opinion publique sur la situation scandaleuse de l’information », et « sa confiscation giscardienne ». La décision de passer ce programme sur une antenne illégale avait été annoncée le 24 juin par le PS, lors de sa convention nationale extraordinaire sur le résultat des élections européennes, et publiée dans son bulletin Le Poing et la Rose spécial Responsables daté du 28 juin (pages 10-11, « La lutte pour les libertés ») : les gardiens du monopole d’État, les magistrats et la police étaient donc prévenus…

Diffusé en début de soirée depuis le dernier étage du 12 cité Malesherbes, le programme est brouillé et interrompu au bout de dix minutes. La police arrive sur les lieux peu de temps après, alors que certains membres des instances nationales du PS sont littéralement barricadés dans l’immeuble (l’entrée du n°12 a été bloquée par des stocks d’affiches et de matériels divers). Peu après 20 heures, une scène incroyable se déroule alors sous les caméras de télévision (un reportage sera diffusé le lendemain sur Antenne 2), et les objectifs des photographes : les forces de police donnent l’assaut du 12 cité Malesherbes à coups de barres à mine, envahissent les locaux du PS et… embarquent manu militari Laurent Fabius et certains de ses camarades présents sur les lieux.

L’opération de police est dénoncée dès le 29 juin comme de la « répression » par la direction socialiste, mais celle-ci reconnaît qu’« avec l’intervention brutale des forces de l’ordre, la portée de [sa] démarche s’est trouvée élargie » (Cf. Le Poing et la Rose spécial Responsables, août 1979).

L’affaire « Radio-Riposte » n’en restera pas là : en août, alors que François Mitterrand et Laurent Fabius sont inculpés et convoqués devant un magistrat pour répondre de la violation du monopole de l’État sur la diffusion radiophonique, une nouvelle émission pirate du PS est effectuée par les fédérations socialistes de l’Hérault, du Calvados et de l’Aude.

  • « Nous recommencerons », dans L’Unité des 6-12 juillet 1979 
  • Débat sur la presse et l’information dans Le Poing et la Rose (mensuel du PS) de juillet-août 1979
  • Déclaration de François Mitterrand le 24 août 1979

En tout, près d’une dizaine d’émissions de « Radio-Riposte » seront réalisées jusqu’en 1980 par les socialistes, notamment à Metz, où une autre affaire judiciaire surgira autour du répondeur de la fédération PS locale, « Allô PS-Moselle », dénoncé comme propagande illégale en période électorale par la droite. Dans l’Essonne, c’est « Radio-Massy-Pal », créée par des militants socialistes, qui sera fermée et poursuivie au bout d’une cinquantaine d’émissions ; à Nantes, l’aventure de « Radio libre populaire Saint-Nazaire » s’achèvera également par l’inculpation des élus socialistes de Loire-Atlantique.

La légalisation des radios libres et la refonte du « paysage audiovisuel français » sera finalement engagée par le gouvernement de Pierre Mauroy en 1981, après la victoire de la gauche aux élections présidentielle et législatives du printemps. La libéralisation des ondes en France permettra la création de centaines de stations de radios, notamment sur la bande FM, et souvent associatives. Mais cette toute nouvelle liberté de parole fut rapidement confrontée à la question cruciale du financement des radios libres, et en quelques années bon nombre de stations durent cesser leurs programmes, ou furent absorbées par des groupes privés.

 

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