La Fondation a reçu Daher Ahmed Farah, président du MRD (Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement), principal mouvement d’opposition au régime d’Ismail Omar Guelleh, pour échanger sur les récentes élections législatives ainsi que sur la situation régionale et le rôle géopolitique de Djibouti.
Quelle est votre analyse des récentes élections législatives djiboutiennes ?
Daher Ahmed Farah : À Djibouti, comme c’était prévisible, les dernières élections législatives se sont déroulées de manière non démocratique, elles ont été une mascarade parce que le pouvoir n’a pas jugé utile de mettre en place la Commission indépendante électorale paritaire qu’il s’était engagé à créer au titre de l’accord cadre signé avec l’opposition le 30 décembre 2014. En l’absence de cette commission électorale qui est d’ailleurs en conformité avec la Charte africaine sur les élections, la démocratie et la gouvernance, Charte que Djibouti a signée et ratifiée et qui de ce fait est devenue partie intégrante de la Constitution djiboutienne, les élections ne pouvaient être qu’une mascarade électorale. C’est le ministère de l’Intérieur, dominé par le pouvoir en place, qui organise de A à Z les élections, proclame les résultats et qui de ce fait décide de l’issue des élections, indépendamment de la volonté des électeurs. D’ailleurs, à ces élections, la participation a été très faible suite à l’appel au boycott du MRD et d’autres partis d’opposition. Moins de 20%, pour ne pas dire moins de 10% du corps électoral se sont déplacés. C’est dire la légitimité de prétendus députés sortis de ces élections. Ils sont au nombre de 65 dont 7 pseudo-opposants et tous cooptés par le pouvoir en place.
C’est donc un retour au statu quo, un retour à la case départ puisque la seule fois depuis l’indépendance de Djibouti en 1977, la seule fois où de vrais opposants ont pu rentrer à l’Assemblée, c’était à la faveur des législatives de 2013. L’opposition avait obtenu la victoire, victoire refusée par le régime et qui avait enclenché une crise post-électorale. Nous, nous continuons à réclamer l’application de cet accord signé par le gouvernement et salué en son temps par la communauté internationale. Nous demandons l’application de cet accord pour qu’enfin des élections dignes de ce nom se déroulent à Djibouti et que la volonté populaire soit respectée.
Le MRD continuera sa lutte, comme il le fait depuis plus de vingt-cinq ans. Il continuera de mobiliser les Djiboutiens, il cherchera aussi à rassembler l’opposition crédible et non pas l’opposition de circonstance ou de transhumance qui un jour est avec le régime, l’autre avec l’opposition. Il nous faut tirer des leçons de l’expérience récente avec l’Union pour le salut national, qui était l’opposition regroupant tous les partis d’opposition à Djibouti : cette coalition hétéroclite a connu le sort que l’on sait, sa disparition, parce que les formations réunies sous cette appellation n’avaient pas la même culture, ni les mêmes convictions. Il nous faut donc repartir sur de nouvelles bases, des bases assainies pour que les Djiboutiens qui croient au changement se rassemblent et c’est ce à quoi le MRD travaille et qui, nous l’espérons, aboutira à quelque chose de crédible.
Quelle place occupe la Chine à Djibouti ? Comment décrire le contexte régional ?
Daher Ahmed Farah : « Il est vrai que les Chinois se sont installés à Djibouti, le régime s’est beaucoup rapproché de la Chine à qui il a beaucoup emprunté : la fameuse banque chinoise Eximbank a prêté à tour de bras au régime pour des projets qui sont très discutables et dans des conditions non concessionnelles et pour des montants élevés. Cet argent emprunté à la Chine qui a porté le taux d’endettement du pays jusqu’à 85% du PIB, il faut le rembourser : or le pouvoir en place ne semble pas en avoir les moyens. Les projets financés ne semblent pas générer assez d’argent pour le remboursement de cette dette, ce qui menace nos actifs, qui risquent de passer sous contrôle chinois. Le chemin de fer a été financé par la Chine, l’abduction d’eau potable depuis l’Éthiopie a été financée par la Chine, le port de Djibouti a aussi été financé par la Chine, sans compter d’autres projets… Beaucoup d’argent donc, beaucoup de dettes et on ne voit pas comment le régime remboursera cette dette. C’est donc pour nous une source d’inquiétude, d’autant plus que les conditions de prêt sont opaques. L’opposition ne les connaît pas.
Il y a aussi depuis peu une présence militaire chinoise, une base chinoise s’est ouverte à Djibouti sans que la population ne soit consultée à ce sujet. Nous ne savons pas dans quelles conditions là non plus et tout cela n’aide pas la démocratie. Ce que nous notons, c’est que les investissements chinois à Djibouti ne sont pas générateurs d’emplois pour les Djiboutiens et donc générateurs de revenus. Les rapprochements avec la Chine ne vont pas dans le sens de la démocratie et de la liberté. Il est malheureux de le dire mais l’opposition n’est même pas reçue par l’ambassade de Chine à Djibouti qui ne traite qu’avec le pouvoir en place, donc ce n’est pas fait pour nous rassurer sur l’avenir des relations du régime et de Pékin.
Sinon, dans la région, les choses semblent bouger en Éthiopie avec la nomination d’un nouveau Premier ministre qui affiche sa volonté de réforme démocratique. Il s’est prononcé pour la démocratie en Éthiopie, pour l’apaisement, en relâchant les opposants détenus, en se prononçant aussi pour le dialogue avec l’Érythrée donc, si cette volonté affichée du nouveau Premier ministre éthiopien, M. Abiy Ahmed, se concrétise, ce sera une bonne nouvelle pour la sous-région et pour Djibouti qui a de relations économiques et culturelles de longue date avec l’Éthiopie. Nous saluons cette volonté et espérons qu’elle se concrétisera.
La crise au Yémen voisin nous inquiète aussi, non seulement parce qu’elle est source de réfugiés pour Djibouti, même si les chiffres sont souvent gonflés par le pouvoir en place pour obtenir plus d’aide internationale, mais aussi parce qu’on sait que le Yémen n’est qu’à quelques encablures de Djibouti : ce qui se passe au Yémen affecte forcément la situation à Djibouti. Donc nous suivons avec beaucoup d’inquiétude cette situation et nous sommes attristés par le sort réservé à la population civile yéménite, qui est victime d’épidémies, de la famine et de la soif. C’est terrible ce qu’il s’y passe, cela nous rappelle ce qu’il s’est passé – et ce qui se passe encore – en Somalie. Nous ne pouvons qu’appeler à l’arrêt des hostilités au Yémen pour que la population puisse reprendre sa vie normale et que ce pays retrouve en fin le chemin de la paix et de la reconstruction. Aujourd’hui, les deux rives de la Mer Rouge sont donc troublées, ce qui n’est pas fait pour nous rassurer.