La politique étrangère du Front national

Quelles sont les stratégies internationales du Front national ? Avec qui ce parti tisse-t-il des liens, notamment au Parlement européen depuis les élections européennes de 2014 ? Les analyses de Pervenche Berès et Jean-Yves Camus, à (ré)écouter ou à lire dans le cinquième cahier de la collection « Radicalités ».

Au lendemain du vote sur le Brexit, l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec la Délégation socialiste française au Parlement européen et le journal Marianne, s’est penché sur les propositions du Front national en matière de politique étrangère lors d’un débat organisé à la Fondation Jean-Jaurès à Paris le 18 juillet 2016.

Le dialogue s’est tenu entre Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, et Pervenche Berès, présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen, animé par Alexis Lacroix, directeur adjoint de la rédaction à Marianne.

Une publication en retrace les principaux échanges.

Retrouvez en vidéo l’intervention de Pervenche Berès

Retrouvez en vidéo l’intervention de Jean-Yves Camus

Retrouvez en vidéo la conclusion de Pervenche Berès

La politique étrangère du front national : le débat en audio

Synthèse des échanges

Le Front national et ses alliés européens

Pervenche Berès, présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen, est la première à intervenir. Avant tout, elle prend soin de préciser qu’elle prend acte de l’installation d’une forme de tripartisme qui oblige à reconsidérer le Front national et note que la montée des eurosceptiques n’est pas cantonnée aux frontières hexagonales. Des conservateurs anglais – comme le UKIP – et polonais jusqu’au Mouvement cinq étoiles italien, pour ne citer que les principaux, les populistes ont le vent en poupe partout en Europe. Et, s’il est vrai que ces partis sont divisés en plusieurs groupes au Parlement européen, la pratique montre qu’ils votent le plus souvent ensemble.

Pervenche Berès dispose d’un poste d’observation privilégié pour analyser les stratégies du Front national à l’international et leurs évolutions. Autrefois simple tribune, le Parlement européen est devenu pour le FN un véritable lieu de pouvoir. Il y structure des relations avec des partenaires de la même stratégie et qu’importe si « cela peut apparaître contradictoire de la part d’un parti nationaliste qui a priori ne veut pas de coopération avec d’autres ». Le FN s’est ainsi rapproché ces dernières années de l’extrême droite autrichienne incarnée par le FPÖ, de l’extrême droite allemande organisée autour de l’AfD, de l’extrême droite et de la droite extrême hongroise représentée par le Jobbik et le parti de Viktor Orban. Cela montre que pour Marine Le Pen la scène européenne dépasse les alliés de son groupe constitué. Si l’entente est assez facile sur les questions migratoires, elle semble en revanche moins évidente sur les questions économiques et sociales.

Dans ce contexte, il est indispensable que les sociaux-démocrates européens prennent en considération le résultat du référendum britannique et se fasse l’écho du changement en Europe, étant entendu que les socialistes eux-mêmes ne doivent pas céder aux sirènes de l’extrême droite en légitimant son discours, comme le fait Robert Fico en Slovaquie, qui dénonce l’accord sur la relocalisation des réfugiés.

Une politique internationale entre rupture et continuité

Pour Alexis Lacroix, directeur adjoint de la rédaction du journal Marianne, la manière dont le FN s’empare de la question européenne et noue des alliances au plan international traduit une forme de fixisme dans la représentation des peuples. Jean-Yves Camus, chercheur et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès abonde en ce sens. Il y aurait au FN une idée de permanence à travers les âges d’une essence de la Nation et, partant de là, d’une essence des peuples. Cette vision s’oppose à celle des progressistes pour qui les peuples sont des constructions en perpétuel devenir « qui bougent avec le temps ». Néanmoins, des permanences ne peuvent être niées : le territoire, la langue, tout un ensemble de traits culturels nationaux que la mondialisation gomme petit à petit mais qui marque l’Histoire. 

Alexis Lacroix fait ensuite remarquer que la germanophobie semble être une obsession de l’extrême droite. Pervenche Berès le confirme, ajoutant qu’à cet antigermanisme primaire succède étrangement une relation quasi fraternelle avec l’Autriche. Jean-Yves Camus pour sa part fait valoir deux traits qu’il juge davantage structurants : d’une part, l’idée selon laquelle aucun échelon de pouvoir n’est légitime qui soit supérieur à celui des Etats-nations et, d’autre part, le fait géopolitique qui consiste à expliquer qu’une nation a des intérêts qui priment sur les sentiments et les principes, et qui sont dictés en bonne partie par où elle se situe. Pour le FN, nous sommes ce que la géographie fait de nous. Il y a une pensée derrière qui, bien qu’elle soit contestable, n’est pas absurde, affirme Camus avant de poursuivre sur les liens qui unissent le parti d’extrême droite à la Russie. Le FN considère le projet idéologique et sociétal du gouvernement Poutine comme conforme à ce que lui-même aimerait instaurer. C’est pour cette raison que les banques russes aident le FN et non pour l’influencer. Pour le Front national, la Russie représente le conservatoire de tout ce qui est en train de se déliter ici. Par ailleurs, il y a une fascination du FN à l’égard d’un pays qui conteste l’hégémonie américaine.

La question du monde arabe est traitée très différemment par le Front national. En réponse aux multiples conflits qui touchent la région, le FN imagine la France en médiatrice, comme si l’Union européenne et les Etats-Unis n’avaient pas essayé. Cette position néogaulliste s’inscrit finalement dans une forme de continuité. Alexis Lacroix note une évolution du rapport à Israël caractérisée par les prises de position d’Aymeric Chauprade, d’abord pro-arabe puis de plus en plus compréhensif vis-à-vis de la politique d’autodéfense de l’Etat d’Israël. Jean-Yves Camus partage ce constat et rappelle un texte d’août 2014 dans lequel Chauprade expliquait qu’Israël était une nation occidentale en lutte contre l’islamisme. Si le Front national reste divisé sur la question d’Israël, il semblerait que la montée de l’islamophobie entraîne une baisse de l’antisémitisme.

Concernant l’Afrique, le FN se montre peu prolixe. Tout juste se contente-t-il de réaffirmer le principe de non-ingérence qui lui est cher. Pourtant, étrangement, fait remarquer Jean-Yves Camus, il n’est pas rare que des leaders du Front national prennent position pour tel ou tel candidat dans tel ou tel pays du continent africain. Au-delà, le programme du FN rappelle la volonté d’inverser les flux migratoires en conditionnant l’aide au développement au retour de migrants dans leurs pays d’origine.

Un cadre idéologique oui, mais mal défini…

Le FN est le « trublion du jeu (…) dans tous les domaines, et pas simplement dans celui des relations internationales », assure Camus. Pourtant, il n’est pas rare que ce parti évite de s’exprimer sur des sujets qui fâchent. Pervenche Berès prend l’exemple de la loi El Khomri pour appuyer son propos. Dans les domaines économiques et sociaux, le FN n’a pas de ligne politique claire ; sur l’euro, sa position est confuse et changeante. Il est important de le rappeler. Quant à l’alliance avec la Russie, Pervenche Berès ne voit pas en quoi elle permettrait de résister à l’ordre du monde. Elle serait plutôt une forme de conservatisme absolu. Les liens qui unissent la Russie et le Font national s’appuieraient d’abord sur la chrétienté et la volonté de Poutine d’apparaître comme le défenseur des chrétiens d’Occidents. Jean-Yves Camus n’est pas en désaccord avec Pervenche Berès mais souligne que la dynamique de la religion en Russie s’explique largement par un effet de rattrapage après 70 ans de persécutions.

A la question de l’intérêt des cadres du Front national pour Donald Trump, Jean-Yves Camus juge que « le fait qu’ils trouvent des vertus à Trump prouve qu’ils ne connaissent pas beaucoup l’histoire du conservatisme américain ». Si Trump plaît, c’est parce qu’il est populiste. Or, il défend les intérêts d’une classe moyenne qui essaie de préserver les avantages qu’elle a acquis sur ceux qui sont plus marginalisés qu’elle, les blancs compris.

Qui conseille le Front national à l’international, interroge Alexis Lacroix ? D’abord des gens qui ont des expériences internationales, comme Paul-Marie Coûteaux, ancien chef de cabinet de Boutros-Ghali quand il était secrétaire général de l’ONU, mais « il y a sans doute d’autres spécialistes, des fonctionnaires dont les sympathies les poussent à donner tel ou tel conseil », détaille Jean-Yves Camus avant de préciser que, quoi qu’il en soit, le FN ne dispose pas dans ce domaine de la même force de frappe que le Parti socialiste ou les Républicains. C’est qu’au FN l’expertise ne doit pas primer sur l’idéologie. Au final, les affaires étrangères sont un sujet qui intéresse peu le parti car il est peu porteur politiquement.

Il est vrai que, « dans le déterminant du vote des Français, la politique étrangère n’a pas toujours une grande place », concède Pervenche Berès. Néanmoins, la question du TAFTA pourrait être intéressante à ce niveau-là si elle devient l’enjeu de débats pendant les présidentielles. Comment le FN gérerait-il son opposition au texte alors même qu’une grande partie de ses partenaires y est favorable ? 

Alexis Lacroix revient au Brexit, sur lequel les sociaux-démocrates doivent préciser leur position. Pour Jean-Yves Camus, il faut prendre acte de la décision des Britanniques et agir avec « clarté » et « prudence ». 

Revenant sur la structuration du FN au Parlement européen, Jean-Yves Camus note que leurs élus sont beaucoup plus présents aujourd’hui qu’au temps de Jean-Marie Le Pen, « pas forcément en séance plénière, mais en commission » ; un travail plus précieux en somme, ce que confirme Pervenche Berès qui rapporte que les élus FN sont non seulement très présents mais aussi souvent compétents sur les questions qu’ils traitent.

Une droite ? Des droites ? La grande confusion

Enfin, Jean-Yves Camus revient sur l’évolution des droites depuis 1945. Depuis cette époque, les conservateurs et les libéraux sont hégémoniques dans les droites européennes. Les nationalistes et les radicaux, quant à eux, furent longtemps relégués au rôle d’outsiders. Aujourd’hui, toutes ces tendances tendent à se rapprocher de sorte qu’il est possible que demain un certain nombres d’idées phares du FN se transforme en pratiques de gouvernement.

Pour Pervenche Berès, il faut veiller à ce que les espaces de souveraineté dans les Etats, qui peuvent mener à des coopérations intelligentes, ne deviennent pas la source de concurrence entre les Etats, ce qui minerait les bases du projet européen. Elle conclut : « même si l’on n’a pas toujours la focale internationale en ligne de mire dans les campagnes présidentielles en France, je crois que, cette fois-ci, on n’y échappera pas ».

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