Celso Amorim a été ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Défense brésilien des présidences Lula et Rousseff. Interrogé par Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès, il s’exprime sur la politique extérieure de son pays sous les présidences Lula et Rousseff, sur les relations avec la France et sur la crise politique et institutionnelle que traverse le Brésil depuis plusieurs mois.
Jean-Jacques Kourliandsky (JJK) : Nous recevons aujourd’hui monsieur Celso Amorim, ministre de la Défense de Dilma Rousseff (de 2011 à 2015) et ministre des Affaires étrangères pendant toute la période de la présidence de Lula. Quelques questions portant sur l’actualité et sur ses activités de ministre. La première, si vous regardez tout ce qui s’est passé dans votre vie professionnelle de ministre avec Lula et Dilma, quels sont les éléments saillants qui vous permettraient de définir ce qu’est devenue pendant cette période la place du Brésil dans le monde ?
Celso Amorim (CA) : Je pense que la chose la plus importante est que le Brésil a vraiment changé de degré de participation dans la politique mondiale. Cela peut être vu dans les négociations commerciales avec l’OMC, ou dans notre capacité de résistance aux initiatives que nous n’aimions pas, par exemple celle de la zone de libre-échange des Amériques, l’ALCA comme on l’appelait. Cela pourrait être vu aussi dans notre attitude vis-à-vis de l’invasion de l’Irak et aussi dans nos efforts pour aider à la paix au Moyen-Orient et plus spécialement, peut-être, la déclaration de Téhéran qui était un geste de création de confiance qui pourrait avoir facilité ce qui est arrivé cinq and plus tard.
JJK : Vous ne parlez pas de la France dans l’exposé que vous venez de faire. La France a-t-elle été d’après vous un pays qui avait son mot à dire, un rôle à jouer dans la nouvelle politique que souhaitait le Brésil dans sa définition extérieure ?
CA : Oui. Mais avant de parler de la France, je souhaiterais revenir brièvement sur l’Amérique du Sud. Dans ce cas, c’était plutôt un changement d’accent. Evidemment, tout le gouvernement brésilien devait reconnaître, d’une façon ou d’une autre, l’importance de l’Amérique du Sud. Ce que nous avons fait, c’est de mettre l’accent dans ces relations, de renforcer l’intégration en créant l’union des nations sud-américaines, en créant un conseil de défense sud-américain. En revenant à votre question, la France est un pays qui a toujours eu une politique qui, en un sens, ressemble aussi à la politique brésilienne, de croire à un monde plus multipolaire. La France, comme le Brésil, a une tendance naturelle, qui varie un peu avec le temps, à ne pas favoriser un monde hégémonique, unipolaire, où la présence d’une hyperpuissance pourrait dominer tout. Durant les années où j’étais ministre des Affaires étrangères, j’ai eu l’occasion d’avoir beaucoup de partenariats et des discussions importants avec la France. Je dirais même avant, comme ambassadeur à l’ONU, j’ai eu l’occasion d’avoir des positions très semblables, mêmes conjointes avec la France, par exemple en essayant d’éviter l’invasion de l’Irak.
JJK : Pensez-vous que le gouvernement intérimaire actuel du président Temer poursuit la même politique extérieure ou a un autre projet pour le Brésil ?
CA : Comme il est intérimaire, c’est très difficile de juger tout à fait. Mais de ce qui a été dit, il semble très différent. Les grandes initiatives qu’on a eues comme, par exemple la création des BRICS, ne sont pas mentionnées, où seulement en passant. Le renforcement du MERCOSUR, création sud-américaine, je n’en ai pas entendu parler. Je n’ai pas entendu « on va terminer le MERCOSUR ». Quand ils parlent d’assouplir les règles du MERCOSUR, je ne me permets pas de me mêler de vos problèmes européens, mais en réalité, c’est un peu comme le Brexit : « on va rester européen », mais sans les règles. Prenons la politique concernant l’Afrique par exemple : au commencement, on parlait beaucoup de fermer des ambassades, puis après on a changé un peu et on a dit, on va réfléchir. Mais ces choses-là on ne peut pas les calculer. Soit on a une vision globale, soit on ne l’a pas. Je crains que le gouvernement n’ait pas cette vision globale que Dilma et Lula avaient et qui a permis cette ascension du Brésil.
JJK : La dernière question portera sur l’actualité institutionnelle et politique. Le moment actuel du Brésil est assez insolite, avec deux présidents, la présidente qui a été provisoirement mise à l’écart et un président intérimaire. Comment définiriez-vous le processus qui a conduit à cette situation insolite ?
CA : Je ne vais pas aller dans les détails pour savoir si on a respecté ou non les formalités d’un processus d’impeachment. En substance, c’est très étrange, car on un changement de gouvernement de centre gauche à un gouvernement de centre droit, via un instrument constitutionnel qui n’est pas pensé pour cela. A mon avis, cela ôte la légitimité de ce gouvernement pour faire de grands changements. Par exemple, j’entends que le ministre des Finances fait un plan de vingt ans. Comment un gouvernement qui n’a pas été élu peut geler le budget, corrigé seulement par l’inflation, pendant une période de vingt ans ? Cela me paraît tout à fait difficile. Il y a ici un manque de crédibilité.
JJK : C’est-à-dire que pour vous, il y a une illégitimité démocratique dans la mesure où il n’y a pas eu d’élection ?
CA : Absolument. On compare le changement du Brésil au changement de gouvernement en Argentine. La grande différence est qu’en Argentine, entre Cristina Kirchner et Macri, il y a eu une élection. Au Brésil non. Il y a un processus semi-judiciaire, politique, où il y a beaucoup d’intérêts particuliers qui ont joué un rôle, et non pas seulement l’idéologie. C’était d’ailleurs vraiment très regrettable pour tous ceux qui ont vu ce vote à la Chambre des députés le 17 avril. J’espère encore qu’on pourra changer cela. Je ne sais pas si à la fin on peut changer non seulement ce qui est arrivé, mais aussi faire en sorte que le Brésil, peut-être par le moyen d’une assemblée constituante, puisse changer le système politique, électoral, pour éviter ce clientélisme qui marque d’une manière très forte la politique brésilienne.
JJK : Et vous pensez que la seule solution à la crise actuelle serait d’abord de passer par des élections, puis d’avoir un processus d’élection en deux temps, un pour désigner le responsable et un autre pour élire une constituante ?
CA : Je ne connais pas les détails ; si cela devait se faire en deux temps ou non. Mais je pense qu’en cas d’une non-condamnation de la présidente au Sénat, on pourrait alors, à partir d’un amendement constitutionnel, avoir une assemblée constituante fondée sur d’autres règles et qui pourrait réviser notre système électoral.
JJK : La réforme politique de la démocratie brésilienne dont tout le monde parle ?
CA : Absolument. C’est ce qui est nécessaire au Brésil.