Vers une véritable Union économique et monétaire ?

Quelles pistes pour une gouvernance plus démocratique, efficace et transparente de l’Union européenne ? Retrouvez les échanges d’un colloque qui a fait débattre, autour de Pervenche Berès, Michel Sapin, Claude Bartolone, Martin Schulz, Valérie Rabault…

Le cadre de la gouvernance économique a aujourd’hui atteint un point de complexité tel qu’il est préjudiciable à la démocratie, à l’efficacité et à la transparence. Si l’Union européenne s’est dotée de dispositifs pour affronter la crise, ils restent insuffisants et il faut, désormais, mettre en place un véritable outil de politique économique pour relancer les économies, combattre le chômage, améliorer la convergence vers le haut.

Biographies des intervenants

Pour en débattre et explorer ce que l’on fait dans le cadre des traités et au-delà, la Fondation Jean-Jaurès, la FEPS et le groupe Socialistes et démocrates du Parlement européen ont co-organisé un colloque avec les meilleurs spécialistes et de hauts responsables politiques européens.

Le programme

À partir d’une première note de Pervenche Berès, ils ont dressé un état des lieux et dégagé des pistes d’action autour de trois priorités : coordination, solidarité, convergence.

SYNTHÈSE DES ÉCHANGES

Ce colloque européen, organisé en juin 2015, réunissant des spécialistes et de hauts responsables politiques, a dressé un état des lieux et dégagé des pistes d’action autour de trois priorités pour la zone euro : coordination, solidarité et convergence. Pour l’ensemble des intervenants, il y urgence à agir et à répondre à différentes questions : que faire ?  comment créer cette convergence qui fait aujourd’hui tant défaut ? comment partager le risque ? quelle souveraineté ? quelles institutions ? Mais la question encore plus épineuse est celle-ci : « Comment convaincre de cette nécessité ? ». 

Le débat était modéré par Jean Quatremer (Libération) et articulé autour de deux tables rondes : « L’idéal et l’horizon : que souhaitons nous construire ? » ; « Le réel et le possible : que pouvons-nous faire maintenant ? » .

Le cadre de la gouvernance économique a aujourd’hui atteint un point de complexité tel qu’il est préjudiciable à la démocratie, à l’efficacité et à la transparence. Si l’Union européenne s’est dotée de dispositifs pour affronter la crise, si dans certains pays on assiste à une certaine embellie, l’évolution enregistrée au cours de ces dernières années révèle en creux les lacunes d’une gouvernance économique, encore balbutiante pour certains, déjà trop complexe pour d’autres. Cette situation paradoxale est en partie imputable à l’absence de confiance mutuelle qui a détourné l’attention et l’action portées à la politique économique vers un enchevêtrement de plus en plus complexe de règles, sur la qualité desquelles s’interroger fut longtemps considéré comme interdit. Il est certainement plus aisé, quand règne la méfiance, de se réfugier derrière ces commandements que de mettre en place une véritable coordination des politiques économiques des États membres, telle que l’avait pensée Jacques Delors et telle qu’elle aurait dû se développer sur la base des Traités, mais où la question de la parole de la France doit être posée. Pour Pervenche Berès, s’interdire de penser la réforme de l’Union économique et monétaire parce que partout émergent et progressent des voix populistes, c’est leur donner raison avant même de les avoir combattues. L’une des raisons de leur progression, c’est justement que l’on s’est mal occupé de l’Union économique et monétaire. On l’a laissée inachevée : il y a donc urgence à la corriger et la redresser, pour lui permettre de produire les effets que les citoyens sont en droit d’attendre d’elle.

Pour les intervenants des deux tables rondes, le point de départ tient à une absence de consensus politique au plus haut niveau. Absence de consensus européen sur le diagnostic d’une crise qui a frappé et frappe encore une Union économique et monétaire (UEM) sous-équipée et à laquelle rien n’avait préparé l’euro. Absence de consensus logique donc, entre les dirigeants, sur le remède à appliquer.

Une quinzaine d’années après l’entrée en vigueur de l’euro, l’architecture de l’UEM est toujours précaire et, pour une fraction croissante des citoyens, l’Europe semble de moins en moins capable d’assurer la prospérité et la solidarité qui sont au cœur de sa promesse. Au contraire, elle est à leurs yeux vectrice et amplificatrice de contraintes sans résultat.

L’une des raisons tient aux lacunes de la gouvernance économique. Sur ce thème à la fois économique et très politique, l’Europe et la zone euro ne disposent que peu de temps pour mobiliser leurs énergies. Elles ne survivront pas à une décennie de plus de croissance anémique, d’inflation au plancher et de chômage élevé, de montée des extrémismes. Le constat de ce danger et de la nécessité d’intervenir de manière urgente sur plusieurs fronts – institutionnel, social, fiscal, économique – est souligné par l’ensemble des participants.

Pour certains, l’Union européenne est pourtant « un grand pays qui s’ignore ». Un grand pays qui s’ignore, car finalement le marché unique n’a jamais été perçu comme une union politique, même si fondamentalement la politique est cœur de sa construction. L’UE aurait besoin d’un réel pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, reconnu et légitimé par les Etats et les citoyens. Beaucoup de pays renâclent à concéder à l’Union des pans de leur souveraineté, sans réaliser qu’en réalité l’Europe, si on lui permet d’exercer sa puissance, peut permettre la récupération d’une souveraineté qui, aujourd’hui, a été perdue par nombre d’entre eux, si ce n’est l’intégralité des partenaires, dans la mondialisation.

Cette grande question de la souveraineté s’est faite plus prégnante au moment de la crise, en même temps que surgissait la défiance, la méfiance des uns envers les autres. Il est aujourd’hui fondamental de rétablir cette confiance et nécessaire pour que les pays de l’UE décident enfin d’agir ensemble et de façon concertée. Le fait que chacun des pays ait appliqué sa propre politique budgétaire – mais aussi industrielle, commerciale – sans prendre en considération l’état de ses voisins – leurs forces ou leurs faiblesses – a ajouté de la crise à la crise. La divergence entre les intérêts strictement nationaux a rarement été aussi grande qu’aujourd’hui. Dix ans après la construction européenne, le moteur économique, et aussi politique, qu’étaient le marché, la concurrence, l’intégration commerciale, n’avait toujours pas fait converger les économies européennes, mais le triste constat des intervenants est qu’elles ont divergé comme rarement au cours de la dernière décennie.

Le projet européen doit impérativement reprendre du sens, susciter de l’espoir et recouvrer de la légitimité. Légitimité du projet et des institutions. Les experts partagent le constat amer d’un certain fractionnement, d’un étiolement et d’une renationalisation de la pensée européenne, sans que d’ailleurs n’existe réellement un accord national sur cette pensée au sein d’un même pays : chaque famille politique est divisée sur le projet, sur ses finalités, sur la notion de souveraineté. L’heure est pour tous à la clarification et ce à tous les niveaux, européen et nationaux.

Le compromis franco-allemand sur la zone euro explique en grande partie ces faiblesses et ces dissensions. Pour la France, la monnaie unique n’était qu’un début : une fois la monnaie unique en place, l’union économique dans toutes ses composantes devait logiquement suivre. De l’autre côté, le projet européen allemand consistait à créer d’abord le marché intérieur, à le faire fonctionner jusqu’à ce qu’il y ait convergence et, à la fin, la monnaie unique pourrait être créée.

L’Europe a fait, comme souvent, un compromis boiteux : ancrer la monnaie unique tout de suite, mais ne rien mettre en place pour créer cette convergence entre les Etats membres. Ce débat, pourtant crucial, n’a jamais été clairement tranché. L’Europe se cherche encore dans ce compromis fragile et fragilisant. La leçon de l’euro que l’Europe a appris à ses dépens, c’est que la monnaie ne suffit pas à créer le sentiment d’un combat commun et d’une citoyenneté.

Ce ne sont pas les règles non plus quand personne ne s’est soucié de leur appropriation et de leur acceptation par les citoyens : pour les intervenants, une des difficultés principales de la zone euro réside justement dans les règles mises en place sans véritable intelligence économique – dont il a été pensé à tort qu’elles rétabliraient la confiance – qui non seulement ont renforcé la défiance, compliquent la situation de la zone euro, mais sont de surcroît difficiles à respecter. C’est la raison pour laquelle émerge le constat, parmi les experts, qu’au lieu de se contenter de respecter ou de faire respecter les règles, l’engagement de tous doit porter, en suivant la lettre et l’esprit de la méthode communautaire, sur la recherche d’une véritable coordination, d’une convergence réelle et d’un sens retrouvé de la solidarité.

Pour les intervenants, plus que des règles, ce sont bien d’institutions légitimes et démocratiques dont l’Europe a besoin. C’est également d’un pilier budgétaire pour accompagner l’union monétaire et accoucher d’une réelle politique macroéconomique à l’échelle de la zone euro. D’une politique sociale et fiscale, de leviers pour l’investissement. Dans tous les cas, une capacité budgétaire est nécessaire pour pallier le manque de mécanismes de solidarité qui doivent aller de pair lorsque l’on partage la même monnaie.

Pour Michel Sapin, il est nécessaire d’agir rapidement afin que l’Europe redevienne « une Europe de l’espoir » porteuse de solutions concrètes. Sans perdre de vue les objectifs de long terme de l’UE, il faut se concentrer sur un horizon plus proche afin d’agir rapidement sans nécessairement s’attaquer au changement des traités. Car la situation européenne actuelle est peu propice à un débat serein sur des avancées institutionnelles. Il faut, selon lui, récréer une base solide pour pouvoir impliquer et convaincre les citoyens. Si Michel Sapin évoque les actions possibles dans un proche horizon, toute réforme à court terme doit, selon lui, être pensée en fonction de la viabilité à long terme de la zone euro.

Pour Martin Schulz, sans l’euro, les conséquences de la crise auraient été bien plus brutales. Il est primordial d’achever la construction de l’union économique et monétaire, ce qui demandera du courage dans une période aussi instable, et de renforcer la légitimité démocratique des institutions et des prises de décision. Le président du Parlement européen appelle à la mise en place d’une « feuille de route » cohérente et ambitieuse, afin de restaurer la convergence des économies de la zone euro. Cette convergence doit justement assurer que les politiques d’un Etat ne nuisent pas à celles d’un autre Etat. Il met en garde contre le manque de soutien des citoyens : une grande menace pour la pérennité de l’Union qu’il faut absolument juguler en regagnant leur mobilisation et leur adhésion par les actions concrètes.

Claude Bartolone souhaite voir émerger un cadre dans lequel les politiques budgétaires seraient réellement coordonnées et une gouvernance plus transparente et compréhensible par tous. En sortant d’une vision de court terme et en équilibrant mieux les politiques économiques européennes sans séparer les impératifs d’équilibre budgétaire et les ambitions sociales, le projet européen retrouvera de sa valeur auprès des citoyens. Claude Bartolone insiste sur le fait que le rôle des parlementaires nationaux doit être revu. En se mobilisant davantage sur les sujets européens ; en obtenant que, comme dans d’autres pays membres de l’UE, les dirigeants français soient tenus d’obtenir le mandat du Parlement avant de négocier au Conseil européen. Dès lors, l’UE n’apparaîtrait plus injustement comme unique responsable des décisions prises aux yeux de l’opinion publique.

Crédits: Fondation Jean-JaurèsGilles Finchelstein et Pervenche Berès
Crédits: Fondation Jean-JaurèsJean Quatremer
Crédits: Fondation Jean-JaurèsArnaud Marès
Crédits: Fondation Jean-JaurèsBernadette Ségol
Crédits: Fondation Jean-JaurèsJean Pisani-Ferry
Crédits: Fondation Jean-JaurèsAndré Sapir
Crédits: Fondation Jean-JaurèsXavier Ragot
Crédits: Fondation Jean-JaurèsHenrik Enderlein
Crédits: Fondation Jean-JaurèsPierre-Alain Muet
Crédits: Fondation Jean-JaurèsElisa Ferreira
Crédits: Fondation Jean-JaurèsAgnès Bénassy-Quéré
Crédits: Fondation Jean-JaurèsValérie Rabault
Crédits: Fondation Jean-JaurèsBenedicta Marzinotto
Crédits: Fondation Jean-JaurèsMichel Sapin
Crédits: Fondation Jean-JaurèsMartin Schulz
Crédits: Fondation Jean-JaurèsClaude Bartolone

Des mêmes auteurs

Sur le même thème