Vermont : du Parti républicain à Bernie Sanders

Malgré le contexte sanitaire très critique aux États-Unis, la campagne électorale se poursuit. Le retrait des primaires démocrates du candidat de gauche, Bernie Sanders, fait du centriste Joe Biden l’adversaire de Donald Trump en novembre prochain. À l’approche du scrutin, Renan-Abhinav Moog propose une analyse électorale historique de différents États, afin de saisir les rapports de force politiques locaux, décisifs quant à l’issue du scrutin fédéral. Première étape : le Vermont.

Fief de Bernie Sanders depuis sa victoire à la Chambre des représentants en 1990, le Vermont a pourtant longtemps été le plus conservateur des États de Nouvelle-Angleterre. Peuplé de 624 000 habitants, le Vermont est le deuxième plus petit État américain.

Avec 7400 habitants en 2018, la capitale de l’État, Montpelier, est la plus petite des cinquante capitales. Elle est surpassée par Burlington, avec ses 43 000 habitants. Comme ses voisins de Nouvelle-Angleterre, le Vermont a une très faible population de minorités : il ne compte que 1,9% de latino-américains, 1,2% d’afro-américains et 1,8% d’asio-américains. Il est le deuxième État à avoir la plus forte proportion de blancs, après le Maine. Il est également l’État à compter le plus de personnes se déclarant LGBT : 5,3% des Vermonters se définissent ainsi. Enfin, il est également l’État ayant la plus forte proportion de personnes se déclarant sans religion, 37%, contre 30% de protestants et 22% de catholiques. Du fait de sa faible population, le Vermont n’a que trois grands électeurs depuis l’élection présidentielle de 1932. Il en a pourtant eu jusqu’à huit, entre 1812 et 1824.

Coincé entre le Québec et le New Hampshire, le Vermont a été ainsi baptisé par l’explorateur français Samuel de Champlain, en 1647. Concurrencée par la Grande-Bretagne, installée à l’est et au sud, la France perd son influence sur la zone après la signature du Traité de Paris en 1763. Le Vermont est alors l’objet des convoitises des provinces britanniques de New York et du New Hampshire. En 1777, pendant la Guerre d’indépendance américaine, la République du Vermont est proclamée. Elle se maintiendra jusqu’en 1791, date de l’admission dans l’Union du Vermont, comme quatorzième État. Le Vermont a donc la particularité, qu’il partage avec la Californie, Hawaii et le Texas, d’avoir été un État indépendant avant de rejoindre l’Union.

Le Vermont est traversé dans sa moitié ouest par les Green Mountains, qui appartiennent au Massif des Appalaches. La moitié est est constituée par la Vallée de la Connecticut River, qui fait d’ailleurs office de frontière avec le New Hampshire voisin.

De 1856, date du premier scrutin présidentiel où le Parti républicain était représenté, à 1988, le Vermont n’a voté pour le tandem démocrate qu’à une seule reprise, en 1964. Il est l’un des deux seuls États avec le Maine à n’avoir jamais voté pour Franklin D. Roosevelt entre 1932 et 1944. Cela représente 27 scrutins présidentiels remportés par le GOP (Grand Old Party, Parti républicain) et la plus longue période de victoires consécutives pour un parti.

Toutefois, la population du Vermont a commencé à changer à partir des années 1960, avec l’installation d’une population urbaine venant de New York et du Massachusetts, plus jeune, plus libérale et plus diplômée que la population locale. Une part non négligeable de citadins viennent aussi dans le Vermont pour s’y faire construire des maisons de vacances. Enfin, il faut noter l’installation d’IBM à Essex Junction en 1958, dans la banlieue de Burlington. Passé sous l’égide de GlobalFoundries, après l’acquisition par cette dernière des activités d’IBM’s Microelectronics, le site d’Essex Junction est toujours le premier employeur privé de l’État du Vermont.

En 1964, l’État vote pour un candidat démocrate, rompant avec une tradition de vote pour le GOP qui perdurait depuis 1856. En 1968, Richard Nixon replace le Vermont dans la colonne GOP, en l’emportant avec 52,8% contre 43,5% au démocrate Hubert Humphrey, qui ne s’impose que dans 2 des 14 comtés : le plus peuplé, Chittenden County, où se situe Burlington, et son voisin, Franklin County. En 1972, Richard Nixon triomphe avec 62,7% contre seulement 36,5% à George McGovern. Il dépasse les 60% dans 13 comtés et se contente de remporter Chittenden County avec 58,1%.

En 1974, alors qu’il était constamment représenté par deux sénateurs républicains depuis 1856, le Vermont élit son premier sénateur démocrate, Patrick Leahy. Réélu en 1980, 1986, 1992, 1998, 2004 et 2010, Patrick Leahy a entamé son huitième mandat en 2016, devenant le sénateur démocrate en place depuis le plus longtemps. Il est également le seul démocrate ayant jamais représenté le Vermont au Sénat.

En 1976, Gerald Ford conserve le Vermont, en battant Jimmy Carter par 54,3% contre 43,1%. Là encore, le Vermont est plus républicain que le pays : Gerald Ford devance Jimmy Carter de 11 points, tandis qu’il est distancé de 2 points par son adversaire sur le plan national. Gerald Ford remporte l’ensemble des comtés du Vermont.

Quatre ans plus tard, Ronald Reagan remporte le Vermont mais fait moins bien que Gerald Ford, en ne remportant que 44,4% des voix, contre 38,4% à Jimmy Carter. Pour la première fois, le Vermont est moins républicain que le pays dans son ensemble. Ronald Reagan obtient le deuxième moins bon score pour un candidat républicain, seul Barry Goldwater avait fait pire en 1964. Ronald Reagan, conservateur, a en effet été fortement concurrencé par l’ancien républicain modéré, désormais candidat indépendant, John B. Anderson, qui obtient 14,9% dans l’État. Anderson obtient son deuxième meilleur score après le Massachusetts. Jimmy Carter devance Ronald Reagan dans deux comtés, Chittenden et Grand Isle.

Sans concurrence, Ronald Reagan a facilement raison de Walter Mondale en 1984. Mais, une fois encore, le Vermont se montre légèrement moins républicain que le pays : alors qu’il écrase Walter Mondale au niveau national, remportant 58,8% contre 40,6% au démocrate, dans le Vermont, Ronald Reagan se « contente » d’un score de 57,9%, tandis que Walter Mondale obtient 40,8%, mais s’impose toutefois dans l’intégralité des comtés.

En 1988, signe que le Vermont a bien changé, il est considéré comme un Swing State. Et le résultat du 8 novembre est bien plus serré que d’ordinaire : George H. Bush ne remporte le Vermont qu’avec 51,1% contre 47,6% à Michael Dukakis, qui remporte ici deux points de plus que son score national, de 45,6%. Michael Dukakis, venant du Massachusetts voisin, obtient le deuxième meilleur score pour un démocrate depuis la victoire de Lyndon B. Johnson en 1964. Il parvient à remporter 5 comtés sur 14.

La bascule tant attendue se produit quatre ans plus tard, à la faveur de la triangulaire entre le président sortant George H. Bush, le démocrate Bill Clinton et l’indépendant Ross Perot. Celui-ci, avec 22,8%, divise le vote conservateur, ce qui permet à Bill Clinton de l’emporter avec 46,1%, Bush père ne recueillant que 30,4%. La victoire de Bill Clinton est nette : il remporte l’intégralité des 14 comtés.        

La Republican Revolution de 1994, et l’emprise conservatrice sur le GOP, va précipiter le Vermont dans les bras du Parti démocrate. Cela s’illustre dès le scrutin de 1996. Dans la même configuration qu’en 1992, Bill Clinton remporte cette fois 53,3% des voix, contre seulement 31,1% au républicain Bob Dole et 12% à Ross Perot, qui y obtient son sixième meilleur score. Bill Clinton remporte une nouvelle fois l’ensemble des comtés, mais dépasse les 50% dans 10 d’entre eux, contre seulement 2 en 1992.

En 2000, le Vermont ne suit pas le New Hampshire dans son vote en faveur de George W. Bush, et lui préfère Al Gore avec près de 10 points d’avance (50,6% contre 40,7%). Ralph Nader, le candidat Vert, obtient 6,9% dans le Vermont, signant ainsi son deuxième meilleur score après l’Alaska. Al Gore remporte 10 comtés, ne laissant que les 4 comtés du Nord-Est de l’État à George W. Bush.

George Bush recule encore en 2004, n’obtenant que 38,8% contre 58,9% à John Kerry, venu en voisin du Massachusetts, et ne remporte que Essex County, situé dans l’angle nord-est. Le Vermont, jadis bastion républicain, devient cette année-là le troisième État le plus démocrate du pays, juste derrière le Massachusetts et le Rhode Island.

Le meilleur score démocrate avait été obtenu en 1964 par Lyndon B. Johnson, qui avait remporté 66,3% des voix. Barack Obama établit un nouveau record en 2008, en remportant 67,5% des voix, laissant John McCain très loin derrière, avec seulement 30,5%. Barack Obama dépasse les 60% dans 13 des 14 comtés et obtient 56% à Essex County. Il dépasse même les 70% dans 3 comtés. Le Vermont est alors le deuxième État le plus démocrate, juste après Hawaii.

Malgré un léger tassement, Barack Obama remporte 66,6% des voix en 2012, contre 31% à Mitt Romney, pourtant élu du Massachusetts voisin. Il remporte une nouvelle fois l’ensemble des 14 comtés.

En 2014, Bernie Sanders, devenu sénateur en 2007 comme indépendant, mais siégeant avec les démocrates, se présente à la primaire du Parti démocrate face à Hillary Clinton. Il sort logiquement victorieux de la primaire du 1er mars, en remportant 85,7% contre 13,6% à Hillary Clinton. Défait au niveau national, Bernie Sanders ne disparaît pas pour autant le jour du scrutin présidentiel. Ainsi, grâce à la possibilité offerte aux électeurs de voter pour le candidat de leur choix, à condition d’écrire eux-mêmes son nom sur leur bulletin de vote, Bernie Sanders décroche 5,7% des votes. Hillary Clinton ne remporte que 55,7%, contre 29,8% à Donald Trump, qui remporte Essex County, devenant le premier républicain à gagner un comté du Vermont depuis 2004.

De fief républicain à fief démocrate, le Vermont a connu une évolution importante dans les années 1990.

La seule fonction actuellement occupée par un républicain est celle de gouverneur. Phil Scott, élu en 2016, n’est pas un républicain typique : il est pro-choice, favorable au mariage gay, s’est opposé aux politiques migratoires de Donald Trump et a soutenu la procédure d’impeachment lancée par les démocrates en 2019.

Pourtant, le Vermont a tout pour être un État républicain : une population plutôt rurale, blanche et plus âgée que la moyenne. Mais en 2008, Barack Obama a remporté 65% du vote de l’électorat blanc dans le Vermont, contre 43% au niveau national.

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