Dans une tribune au Monde, le directeur général de la Fondation Jean-Jaurès dit que l’enjeu de la crise n’est pas le remaniement, mais l’exercice du pouvoir.
Gérard Collomb est parti et son remplacement se fait sous tension, et même sous haute tension. D’une part, en raison de la nature de ce remaniement-ci. Il est imposé après une démission refusée puis réaffirmée. Il touche un ministère régalien-clé, le ministère de l’intérieur, et le dernier ministre d’Etat nommé après l’élection présidentielle à demeurer encore en fonctions. Il concerne une personnalité symbolique, le premier grand élu à avoir rallié Emmanuel Macron. Cela fait beaucoup, d’autant plus qu’il n’y a pas de choix qui s’impose d’évidence pour le remplacer.
La tension tient d’autre part à la dégradation du contexte dans lequel le remaniement intervient. En juin déjà, à l’occasion du bilan de la première année du mandat d’Emmanuel Macron, les Français commençaient à déchanter, considérant la méthode trop autoritaire et l’orientation trop inégalitaire. Depuis, la situation s’est profondément et rapidement dégradée.
Alors qu’il donnait l’impression de maîtriser l’agenda, le pouvoir a subi les événements. Alors qu’il faisait montre d’une impressionnante cohésion, il s’est désuni et parfois même délité. Alors qu’il avait commencé par un sans-faute, il a multiplié les erreurs de débutants. Alors, enfin, qu’il bénéficiait d’une chance insolente, les résultats semblent plus incertains, parce que la croissance économique est décevante, et les perspectives européennes inquiétantes.
Si le remaniement est donc un problème, peut-il être une solution ? Certainement pas s’il n’est pensé que comme un remaniement – et, en l’espèce, peu importerait qu’il s’agisse d’un remaniement poste pour poste ou d’un remaniement de plus grande ampleur. Peut-être s’il est conçu comme une étape d’une réinvention plus globale, car ce qui est en jeu ne concerne pas que le choix des membres du gouvernement. Ce qui est en jeu, d’abord, c’est un exercice du pouvoir moins concentré, qui accorde davantage de confiance aux Français en les consultant, aux partenaires sociaux en les associant, aux collectivités locales en les écoutant – il faudrait être, en même temps, vertical et horizontal.
Ce qui est en jeu, ensuite, c’est une orientation plus équilibrée, qui ne cède rien sur la détermination à réformer mais qui n’ait pas pour seul ressort politique la France du centre droit et pour seul point d’appui sociologique la France qui va bien – il faudrait être, en même temps, libéral et social. Ce qui est en jeu, enfin, c’est une relation rétablie entre le président de la République et les Français. Hier, le contact direct était perçu comme un signe de courage et d’écoute ; aujourd’hui, à force d’admonestations, il donne paradoxalement le sentiment d’un éloignement – il faudrait être, en même temps, déterminé et empathique.
Ce « en même temps » n’est-il qu’une impossible alliance des contraires, un lieu vide qui ne pouvait être rempli que dans la magie d’une campagne singulière ? Telle est la question aujourd’hui posée au président de la République par ce remaniement impromptu. Une « réinitialisation » du macronisme est-elle possible ?
Cela supposerait qu’il le veuille et qu’il le puisse. Pour le vouloir, il faudrait qu’il partage le diagnostic sur la gravité de la situation. Or, d’expérience, un président a souvent tendance à temporiser – pour ne pas donner l’impression d’agir sous la pression et en espérant des jours meilleurs – et à relativiser – les oppositions étant elles-mêmes dans des situations difficiles. Pour le pouvoir, il faudrait que les blessures, les colères, les déceptions ne rendent pas la réception impossible. Rien n’est moins sûr.
Mais, d’une certaine manière, Emmanuel Macron est confronté à la même question stratégique que celle qui se posait pendant la Première Guerre mondiale, dont le centième anniversaire de l’armistice sera célébré en novembre. Il peut choisir la guerre de positions : remanier a minima, tenir a maxima. Il peut choisir la guerre de mouvement : inventer un Macron 2.0. S’il a gagné en 2017, c’est parce qu’il a eu à la fois de la chance et de l’audace. Il a moins de chance. Aura-t-il encore de l’audace ?