La guerre en Ukraine marque l’érosion du consensus sur les questions internationales

À l’occasion de la conférence en ligne sur l’analyse des programmes des candidats et candidates sur les questions internationales, en partenariat avec l’Institut Open Diplomacy, l’Institut Montaigne et le JDD, et le soutien de Focus 2030, retrouvez la tribune de Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès qui décrypte les clivages existants entre les candidats et les candidates, alors que la guerre a éclaté entre l’Ukraine et la Russie.

L’événement est d’autant plus exceptionnel que la Russie, petite puissance économique mais grande puissance militaire, est l’agresseur ; que la sécurité collective est en jeu et que nul ne peut dire avec certitude ce que seront les prochaines étapes ; que les répercussions économiques, énergétiques ou alimentaires seront sérieuses ; et, surtout, que les principes en cause – notamment l’inviolabilité des frontières – sont centraux dans l’ordre juridique international.

Ce faisant, la politique internationale se retrouve au cœur de la campagne présidentielle. Voilà une situation inédite depuis bien longtemps. Il serait erroné de penser que la campagne est suspendue avant de reprendre son cours normal – et pas seulement parce que la guerre va durer. Hier, en effet, la campagne faisait l’événement – c’est-à-dire que les positions et les propositions des candidats créaient la conversation publique et forgeaient les opinions. Aujourd’hui, de plus en plus, c’est l’inverse : l’événement fait la campagne – c’est-à-dire qu’un événement surgit, cannibalise les débats, mobilise l’opinion qui se forge une conviction sur les candidats en fonction de la manière dont ils réagissent à l’événement. Nous l’avons vu cet été en Allemagne avec les inondations. Nous le voyons ici avec la crise sanitaire et, désormais, avec la guerre.

L’analyse des positions des candidats à l’élection présidentielle est donc importante et doublement éclairante. Elle illustre, d’une part, l’érosion du consensus sur les questions internationales – consensus autour de ce que l’on a appelé le « gaullo-miterrandisme » et qui a rassemblé non seulement les présidents qui se sont succédé mais aussi les candidats qui pouvaient prétendre devenir président. Elle témoigne, d’autre part, la multiplication des clivages qui traversent le champ politique sur les questions internationales.

Premier clivage : l’est et l’ouest. C’est là la question du maintien de la France dans le commandement intégré de l’Otan qui est posée – entre ceux qui veulent en sortir (Mélenchon, Zemmour, Le Pen) et les autres. Mais c’est aussi le rapport à la Chine (Valérie Pécresse évoquant un « rival systémique ») et à la Russie qui est posé – avec des clivages symétriques à ceux sur l’Otan.

Deuxième clivage : le droit et la force. Ce clivage se manifeste notamment sur la place que les candidats veulent donner au multilatéralisme – entre ceux (Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse) qui le défendent sans nécessairement l’entendre de la même manière – et ceux (Marine Le Pen et Éric Zemmour) qui veulent en réduire la portée.

Troisième clivage : la gauche et la droite. Sur plusieurs sujets décisifs pour l’avenir (levée au moins temporaire des vaccins, augmentation de l’aide publique au développement, politique climatique ambitieuse, diplomatie féministe), on retrouve l’axe traditionnel entre la gauche et la droite.

Au final, en combinant ces clivages, on voit se dégager différentes visions de la France qui peuvent être résumées par une question simple : veut-on une France repliée sur elle-même et cherchant à défendre isolément ses seuls intérêts ou veut-on une France ouverte sur le monde, au cœur de l’Union européenne, promouvant des valeurs universelles et se plaçant à la pointe des combats pour les femmes, le climat, la santé ou la démocratie ?

Ce débat international va aussi passer au révélateur l’image des candidats en réévaluant l’importance de la « présidentiabilité » et de la « crédibilité ». Avant la guerre, Emmanuel Macron disposait sur ces deux critères d’une avance substantielle par rapport à tous ses adversaires et notamment par rapport à ceux qui défendent les points de vue les plus opposés aux siens sur la crise ukrainienne. Sur l’étoffe présidentielle, il comptait 25 de plus que Marine Le Pen, 37 de plus qu’Éric Zemmour, 39 de plus que Jean-Luc Mélenchon. Sur l’image donnée à l’étranger, les écarts étaient respectivement de 32 points, 39 points et 41 points. Telle était la situation au départ de cette crise ; la question de savoir ce qu’elle sera dans les prochains jours et les prochaines semaines est désormais ouverte.

Cette tribune est également à retrouver sur lejdd.fr

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