Un plan de reconstruction de l’hôpital public

Plus d’un service d’urgence sur cinq en difficulté, des lits qui ferment, une dégradation des conditions de travail des soignants qui fuient vers le privé, des déserts médicaux : d’un renoncement à l’autre, l’égalité des Français devant l’accès aux soins s’effrite. Pour enrayer la spirale mortifère dans laquelle les hôpitaux français s’enfoncent, la Fondation publie le plan de reconstruction de l’hôpital public du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, guidé par l’ambition de reconstruire un hôpital public qui réponde aux besoins de santé, qui protège le bien-être des soignants et qui soit financé selon une philosophie nouvelle.

Notre diagnostic de l’hôpital public est celui d’une crise sans précédent, qui rompt l’égalité devant l’accès aux soins et la sécurité des patients.

Il n’y a plus de qualificatif assez fort pour établir le diagnostic de la crise de l’hôpital public. 

Avec plus d’un service d’urgence sur cinq en difficulté, des lits qui ferment dans tous les hôpitaux faute de soignants, un taux d’absentéisme des personnels médicaux et paramédicaux qui ne cesse d’augmenter sous l’effet d’une dégradation des conditions de travail, c’est l’égalité devant l’accès aux soins et la sécurité des patients qui sont atteintes.

Les derniers chiffres disponibles pour 2022 viennent en attester :

  • 127 services d’urgence sur 620 sont en difficulté – soit 20% d’entre eux ; 
  • une enquête interne de la DGOS estime que 49 services d’urgence sont en situation de fermeture partielle, 34 voient leur accès régulé, et 6 sont totalement fermés ;
  • depuis le 1er décembre 2021, 14 200 patients ont passé la nuit sur un brancard sans chambre attribuée ;  
  • 85% des CHU et CHR déclarent fermer temporairement des lits ;
  • en Île-de-France, l’AP-HP a fermé 1 lit sur 5.

Devant cette crise, nos territoires ne sont pas égaux. Dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), la situation est particulièrement grave : le taux de mortalité néonatale y est par exemple de 3,8 pour 1 000 naissances vivantes, contre 1,7 en France hexagonale.

Cette crise ne vient pas de nulle part : avant même la crise liée à la pandémie de Covid-19 et après dix-huit mois de grève dans les hôpitaux, le gouvernement annonçait en novembre 2019 une série de mesures largement insuffisantes. Le groupe Socialistes et apparentés avait alors proposé un premier plan d’action accueilli avec indifférence par un gouvernement dans le déni de la profondeur des difficultés et de l’urgence à agir.

Le mal est ancien : plusieurs décennies de gestion comptable de l’hôpital public, entre fermetures de lits (plus de 18 000 sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron !), gel du point d’indice des fonctionnaires hospitaliers et sous-investissement chronique, nous ont menés dans la situation actuelle. Qu’il s’agisse de l’accroissement de leur charge de travail ou de la perte de leur pouvoir d’achat, les soignants ont été les premiers à en payer le prix. 

Conséquence logique de l’augmentation de leur charge de travail, de la dégradation de leurs conditions d’exercice et de la perte de sens qui en découle, cette crise s’explique également par la fuite des personnels médicaux et paramédicaux. Là encore, les chiffres sont parlants : 

  • le taux d’absentéisme des personnels paramédicaux a atteint 9,9% en 2021 – une hausse de 2,5 points depuis 2012. Concrètement, cela représente une journée de travail sur dix non honorée, et pour laquelle il faut donc trouver un remplacement ;
  • au début de l’année 2022, l’AP-HP comptait 1 400 postes d’infirmiers vacants, soit 7,5% de l’effectif théorique ; 
  • le taux de rotation (« turn-over ») des personnels médicaux est en hausse : 15,6% en 2019, soit +0,6 point en un an ;
  • le taux de rotation des personnels non médicaux suit la même trajectoire : 10,1% en 2019, soit +1 point en un an ;
  • 86% des établissements de santé déclarent recourir aux heures supplémentaires, et 67% à l’intérim.

Ce manque de personnels médicaux et paramédicaux a des conséquences en chaîne sur le fonctionnement de l’hôpital et l’accueil des patients. Plus largement, les personnels médicaux et paramédicaux connaissent un profond malaise

Ainsi, dès 2019, l’Académie nationale de médecine s’inquiétait d’une « perte de sens qui démobilise les professionnels de santé et altère leur confiance dans le système hospitalier », estimant que « le qualitatif a cédé la place au quantitatif sans chercher la pertinence et le résultat pour le malade ».

Ce malaise ressenti se retrouve dans la détérioration des indicateurs de la qualité de vie au travail : 

  • 85% des infirmiers estiment que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de l’épidémie de Covid-19 ;
  • 42% indiquent ressentir un syndrome d’épuisement professionnel (« burn-out ») ;
  • 70% des internes déclarent travailler plus de quarante-huit heures par semaine ;
  • un étudiant en médecine sur quatre déclare avoir subi une forme de harcèlement.

Comment expliquer une gestion excessivement comptable de l’hôpital public et une telle fuite des personnels, double phénomène constitutif de la crise actuelle ?

Devant la dureté intrinsèque aux métiers du soin (charge émotionnelle intense, travail dans l’urgence, confrontation à la mort régulière, etc.), un Observatoire national de la qualité de vie au travail et des risques psycho-sociaux des professionnels de santé (ONQVT) a été créé en juillet 2018. Mais, devant l’absence de portage politique de leurs propositions, ses trois experts ont démissionné en début d’année 2022.

Il faut pourtant prendre conscience de la perte d’attractivité terrible des métiers du soin. 

Les personnels médicaux et paramédicaux français sont ainsi structurellement moins bien payés que ceux d’autres pays de l’OCDE : leurs homologues allemands, néerlandais, belges et italiens bénéficient d’une rémunération de 6 à 15% plus élevée. Exprimé en parité de pouvoir d’achat, le salaire d’un infirmier français est inférieur à celui d’un infirmier mexicain. 

Il faut ensuite prendre conscience de l’inadaptation du mode de financement public de l’hôpital.

Au niveau national, les financements des hôpitaux sont déterminés par le chapitre « Établissements de santé » de l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM). 

Or cet ONDAM, voté chaque automne lors de l’examen du PLFSS par le Parlement, n’est pas fixé en fonction des besoins de santé de la population, mais selon une logique essentiellement budgétaire. En outre, il ne dit rien de la charge de travail des soignants, de l’évolution de l’offre de soins dans les territoires, de la trajectoire de leur rémunération ou des niveaux d’investissement nécessaires.

Au niveau de chaque hôpital, une grande partie des recettes provient de la tarification à l’activité, dite « T2A ». Ce mode de tarification attribue un prix à chaque activité médicale. Celui-ci ne tient pas compte de la complexité de la prise en charge de patients touchés par une maladie chronique ou une polypathologie, ou plus largement des situations nécessitant l’entrée dans un parcours de soins en coordination avec plusieurs professionnels de santé, dans et en dehors de l’hôpital. Il occupe pourtant une place prépondérante dans les financements de l’assurance-maladie attribués aux hôpitaux : en 2020, il atteignait 71%.

En réponse à cette crise et à la suite de la mobilisation exceptionnelle de l’hôpital public pendant les vagues épidémiques de Covid-19, le gouvernement a lancé le « Ségur de la santé ». Les mesures annoncées à cette occasion vont dans le bon sens, mais demeurent à la fois insuffisantes dans leur ampleur et trop tardives. En outre, les décrets d’application d’une expérimentation de la tarification en dotation globale n’ont jamais été pris.

Il n’y a pas de réponse miracle pour résoudre cette crise. 

Mais des solutions d’urgence peuvent être prises, ce que n’a pas fait le gouvernement.

Celles-ci devront être suivies par une réforme de profondeur, qui devra être menée en concertation avec les acteurs de santé.

C’est dans cette optique que le groupe des députés « Socialistes et apparentés » met ici 19 propositions sur la table. 

Elles s’articulent autour d’une stratégie politique claire : mettre fin au pilotage comptable des hôpitaux pour faire le choix politique de répondre aux besoins de santé  des Français.

Ces propositions sont structurées en 4 chantiers : 

  • chantier 1 : lutter contre la pénurie de médecins et de personnels soignants en redonnant envie de soigner ;
  • chantier 2 : faire passer le patient avant l’argent ;
  • chantier 3 : financer les soins en fonction des besoins médicaux, en passant au niveau national par le vote d’une loi de programmation en santé ;
  • chantier 4 : mettre à contribution l’ensemble de ses acteurs pour repenser le système de santé.

Chantier 1 : lutter contre la pénurie de médecins et de personnels soignants en redonnant envie de soigner

Des mesures doivent être prises pour stopper la fuite des métiers du soin, faire revenir les professionnels démissionnaires et faire baisser le taux d’abandon en formation initiale.

Si le « Ségur de la santé » a augmenté les rémunérations de certains personnels de l’hôpital public, celles-ci atteindront tout juste à son issue la moyenne de l’OCDE. En outre, l’inflation a été « oubliée » par le gouvernement : les gains de rémunération obtenus en 2020 sont déjà en partie effacés à cause de l’inflation enregistrée en 2021 et 2022. Surtout, le Ségur a exclu de ces mesures les personnels administratifs et techniques (agents d’entretien, agents de services hospitaliers (ASH), secrétaires médicaux, etc.), ce qui déstabilise les équipes.

Pour 2023, les perspectives sont tout aussi sombres : l’ONDAM hospitalier baissera de 1,8% en 2023, une fois l’inflation prise en compte. C’est une première depuis la mise en place de l’ONDAM. Cela représente ni plus ni moins qu’une baisse du budget alloué à l’hôpital public. 

Pire : le gouvernement prévoit une baisse similaire du budget net de l’hôpital public en 2024, puis une hausse de moins de 1% en 2025 et en 2026. 

L’ONDAM global baisserait lui de 1,2% en 2023 soit, une fois retiré l’effet de l’inflation à 4,3%, une baisse nette de 5,5% du budget de la santé, pour une coupe totale de 2,9 milliards d’euros. Le gouvernement prétend faire plus. En réalité, il fait moins.

En outre, le gouvernement n’a pas prévu d’indexation automatique du point d’indice des fonctionnaires sur l’inflation – et donc des agents de la fonction publique hospitalière –, qui vont ainsi subir de plein fouet la hausse des prix. Qu’il s’agisse de leur rémunération ou de leur retraite, c’est bien la question de leur paupérisation qui est posée.

Proposition 1 : 
– transformer la « prime » du Ségur de la santé en réelle augmentation de salaire ;
– en faire bénéficier l’ensemble des personnels administratifs et techniques qui ont été les grands « oubliés » du Ségur ;
– indexer automatiquement le point d’indice des personnels du soin sur l’inflation.

 Au-delà de la rémunération, c’est également la compensation de la pénibilité des métiers du soin qui est aujourd’hui largement insuffisante. Le ministre de la Santé dit avoir doublé l’indemnité de travail de nuit. C’est vrai : elle est passée de 1 euro brut par heure à 2 euros… et risque d’être à nouveau réduite dans le cadre de la fin des mesures de sécurisation des services d’urgence.

20% des infirmiers et 30% des aides-soignants partent aujourd’hui à la retraite avec une invalidité. De fait, le secteur du soin est désormais davantage exposé aux troubles musculo-squelettiques que toutes les autres activités professionnelles. Nous proposons de faciliter les départs anticipés à la retraite pour les personnels exposés, notamment par une compensation améliorée de la pénibilité et des carrières longues. 

Afin de donner des perspectives d’évolution aux personnels, c’est aussi la progression de carrière qui doit être améliorée, avec un droit à la formation continue renforcé.

Proposition 2 : 
– doubler l’indemnisation du travail de nuit et le weekend ;
– mieux prévenir et compenser la pénibilité, notamment en ajoutant les 4 critères de pénibilité supprimés en 2017 dont le port de charges lourdes et les postures pénibles, en augmentant la valeur des points de pénibilité obtenus tout au long de la vie pour la conversion en trimestres de retraite, en augmentant le nombre maximal de trimestres de retraite validés sur le compte professionnel de prévention (C2P), et en augmentant les crédits alloués au compte personnel de formation (CPF) à ceux qui ont une carrière pénible pour favoriser les transitions professionnelles ;
– acter le retour à la catégorie active pour les infirmiers et les aides-soignants ;
– mieux prendre en compte les écarts territoriaux du coût de la vie avec une prime de vie chère et d’aide au logement ;
– mettre fin aux ratios promus/promouvables pour promouvoir en fonction des besoins des services ;
– engager une nouvelle refonte de la grille des praticiens hospitaliers permettant la revalorisation des praticiens nommés avant 2020 ;
– comptabiliser pour la retraite les salaires hospitaliers des PU-PH.

Les taux d’abandon en formation initiale ont bondi depuis l’introduction de Parcoursup. Dans certains instituts de formation d’infirmiers et d’aides-soignants, le taux d’abandon peut atteindre 30 à 40%. Nous proposons de prendre des mesures fortes pour y faire face. La sélection par un algorithme n’est tout simplement pas capable de vérifier si le candidat a les compétences – notamment comportementales – pour réussir de telles formations. Ces étudiants aujourd’hui en situation d’abandon sont autant de personnels soignants en moins demain. Il nous semble donc prioritaire de revoir les modalités de la sélection dans ces formations, mais également d’investir dans la formation pour y réduire le taux d’abandon.

Proposition 3 : 
– supprimer Parcoursup pour les métiers du soin ;
– réintroduire de l’humain dans la sélection pour identifier les candidats les plus à même de réussir leur formation ;
– améliorer la qualité de la formation et de l’encadrement en stage ;
– revaloriser le statut des étudiants.

À long terme, nous proposons de reconstruire l’attractivité des métiers du soin pour redonner aux soignants l’envie d’exercer leur métier et d’accomplir leur mission.

Retrouver l’attractivité des métiers du soin ne suppose pas seulement un effort salarial, mais également un travail en profondeur sur la qualité de vie au travail et le sens à s’engager dans une carrière du soin.

Nous proposons donc de revoir de fond en comble l’organisation des équipes de l’hôpital, aujourd’hui désolidarisées, avec des personnels soignants, « trimbalés » de service en service, selon les besoins commandés par l’urgence.

Proposition 4 : 
– penser les équipes de soin comme stables, soudées, multi-professionnelles, en démocratiser le management en intégrant les aides-soignants et les ASH dans les réunions de coordination et en revoyant la construction des projets de service ; 
– former davantage au management dès la formation initiale ; 
– à plus grande échelle, nous proposons que le service soit davantage autonome, dans un principe de subsidiarité avec la direction de l’hôpital, en expérimentant par exemple l’attribution de crédits d’investissement, de formation, etc.  

Cette proposition permettra de faire baisser l’absentéisme, et redonnera donc rapidement des marges de manœuvre à l’hôpital public.

En parallèle de cette amélioration du travail en équipe, la reconstruction de l’attractivité suppose de garantir que ces équipes soient suffisamment dotées en personnel.

Le nombre de places en facultés de médecine, en instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), en instituts de formation d’aides-soignants (IFAS) n’a aucun lien avec les besoins de santé du territoire. Au contraire, il est actuellement uniquement lié aux capacités d’accueil en étudiants. Nous proposons de désormais former en fonction des besoins de santé du territoire, de manière à atteindre des ratios de personnels par spécialité. Une nouvelle gouvernance territoriale doit se faire jour : elle réunira les facultés, les ARS, l’assurance-maladie, les professionnels, et les associations de patients.

Proposition 5 : 
– pour répondre aux besoins de santé des territoires, former 15 000 médecins par an ;
– créer des postes d’universitaires ;
– ouvrir davantage de lits pour faire des mises en situation et des stages ;
– augmenter les capacités de formation des IFSI et des IFAS pour atteindre des ratios patients/soignants établis par la Haute Autorité de santé et définir ces ratios en fonction des spécialités, des populations accueillies, et des types d’activité ; 
– former enfin suffisamment d’infirmiers de bloc opératoire diplômé d’État (IBODE) pour sécuriser les soins.

Avec des équipes suffisamment dotées, les personnels médicaux et paramédicaux pourront exercer leur art dans le respect de la dignité des patients, et ainsi retrouver la vocation première du soin. Mettre en place des ratios suffisants de personnels soignants, c’est en outre rentable financièrement : les expériences menées en Californie et dans l’État de Victoria, en Australie, le démontrent.

Une fois ces seuils atteints, nous proposons dans un second temps que les effectifs représentent 120% des ratios, de manière à ce que ces derniers soient toujours respectés lors des congés, maladies, formations, congés-maternité, etc.

Proposition 6 : 
– atteindre dans un deuxième temps 120% d’effectifs pour chaque ratio, de manière à les respecter en cas de congés, maladie, formation, maternité, etc.


La mise en œuvre de cette proposition suppose un véritable outil de pilotage des besoins de santé, d’une part, et, d’autre part, de la démographie médicale et paramédicale – un outil qui est aujourd’hui inexistant.

Pour valoriser spécifiquement les carrières des infirmiers et infirmières, nous proposons de répondre favorablement à une demande ancienne de la profession : si nous ne souhaitons pas aller jusqu’à autoriser la réalisation d’actes, nous proposons de reconnaître leurs compétences, ce qui valorisera leur développement et donc leur épanouissement au travail.

Proposition 7 : 
– abroger le décret d’acte des infirmiers ;
– prendre un décret énumérant les compétences mobilisables de la profession.

Une fois l’ensemble de ces propositions mises en œuvre, l’intérim médical aura perdu de son intérêt : en effet, dès lors que la rémunération atteindra un niveau digne, que les conditions de travail auront été améliorées et que le fonctionnement en équipe aura été reconstruit, l’intérêt personnel à faire de l’intérim s’effacera. La loi encadrant la rémunération des intérimaires pourra alors être appliquée avec des plafonds de rémunération réduits par rapport à ceux appliqués aujourd’hui.

Proposition 8 : 
– une fois les professions du soin revalorisées, appliquer la loi Rist d’encadrement des rémunérations des intérimaires médicaux et paramédicaux, mais avec des plafonds revus à la baisse ; 
– un taux maximal de temps de travail réalisé en intérim médical, fixé en fonction des professions, est également proposé.

Total du coût des propositions du chantier 1 : 7 milliards d’euros par an.

Chantier 2 : faire passer le patient avant l’argent

Plutôt que de restreindre l’accès à l’hôpital, des mesures doivent être prises dès le PLFSS 2023 pour être en mesure de soigner chaque Français.

L’accès à l’hôpital n’est pas seulement inégalitaire d‘un point de vue géographique, il l’est également à l’échelle sociale et financière : depuis la mise en place du « forfait patients urgences », tout passage aux urgences non suivi d’une nuit d’hospitalisation est facturé 19 euros. C’est une double peine pour ceux qui n’ont pas de médecin disponible près de chez eux.  

Plus largement, le reste à charge des patients est inégalitaire car chacun ne dispose pas d’une assurance maladie complémentaire couvrant l’ensemble des soins à l’hôpital. Le gouvernement en 2023 va aggraver cette iniquité en réduisant les dépenses d’assurance-maladie obligatoire de 150 millions d’euros au profit des assurances complémentaires.  

Cette politique de « responsabilisation » du patient n’a jamais démontré son efficacité : pire, à force de vouloir limiter l’accès aux soins, on ne fait que le retarder et empirer l’état de santé du patient, qui nécessite in fine une hospitalisation plus lourde et donc plus onéreuse pour la société.

Proposition 9 : 
– abroger le « forfait patients urgences » pour qu’aucun passage aux urgences ne soit facturé ;
– aller vers le « 100% Sécu » à l’hôpital, c’est-à-dire la prise en charge de l’ensemble des frais d’hospitalisation – y compris la chambre particulière – par l’assurance-maladie obligatoire.

Cette proposition serait de nature à simplifier le recouvrement des frais aujourd’hui réalisé par les hôpitaux et à libérer du personnel actuellement mobilisé sur la double facturation entre assurance-maladie obligatoire et assurance-maladie complémentaire.

Face au manque de personnel, le gouvernement fait aujourd’hui le choix de restreindre l’accès aux soins plutôt que d’agir pour redonner envie aux soignants de travailler à l’hôpital. 

À l’été 2022, ce sont ainsi des équipes paramédicales qui étaient chargées de trier les patients arrivant aux urgences. À long terme, l’accès aux services d’urgence de l’hôpital public ne peut être régulé.

Nous proposons naturellement de revenir sur cette décision et de garantir l’accueil de tout patient en urgence par un personnel médical, suffisamment doté, en cohérence avec notre proposition 5.

Au-delà de cette mesure immédiate, c’est plus largement au phénomène de désertification médicale – à l’origine de la croissance de la fréquentation des services d’urgence – auquel il faut s’attaquer. Cela devra  passer par des mesures de régulation de l’installation des médecins et des professionnels de santé.

Proposition 10 : 
– garantir l’accueil de tout patient en urgence par un personnel médical, suffisamment doté.

Avec des équipes suffisamment dotées, il sera possible et justifié de rouvrir les lits d’hôpitaux fermés. De même, il sera également possible d’ouvrir des lits dans les structures d’aval, de soins de suite et de réadaptation (SSR), de psychiatrie, etc. en fonction des besoins des patients.

Proposition 11 : 
– rouvrir les lits fermés et ouvrir des lits dans les structures d’aval, de SSR, de psychiatrie, etc. en fonction des besoins des patients.  

Total du coût des propositions du chantier 2 : 8,3 milliards d’euros par an.

Chantier 3 : financer les soins en fonction des besoins médicaux, en passant au niveau national par le vote d’une loi de programmation en santé

À cause notamment de la tarification à l’activité (T2A), le financement de l’hôpital public est aujourd’hui une triple aberration : l’hôpital est une entreprise, qui ne fixe pas ses tarifs, et qui travaille à perte.

Au niveau national, le financement de notre système de santé – notamment via l’ONDAM – est tout aussi aberrant : il se fait avant tout sur une logique comptable, sans répondre à des besoins de santé  identifiés au préalable. Chaque année, le Parlement vote ainsi cette enveloppe de plus de 230 milliards d’euros, et ce sans savoir combien de lits d’hôpitaux, de personnels, de médecins elle finance.

À l’opposé de cette logique absurde, nous proposons d’engager une réforme profonde du financement de la santé. 

Elle suivra une méthode claire : fixer démocratiquement des objectifs de santé publique, déterminer les actions nécessaires à leur atteinte, et seulement ensuite leur attribuer des financements.

Cette réforme profonde nécessite de se doter d’un outil déjà utilisé pour d’autres politiques publiques qui, à l’image de la défense ou de la sécurité  intérieure, ont besoin de visibilité sur plusieurs années : la loi de programmation.

Proposition 12 : 
– adopter en début de quinquennat une loi de programmation sanitaire et médico-sociale ;
– cette loi fixerait démocratiquement les objectifs de santé publique en fonction des changements démographiques, des nouveaux phénomènes épidémiologiques, des évolutions des modes de prise en charge et des innovations médicales ;
– ces objectifs seront traduits en actions territorialisées nécessaires à leur atteinte, en concertation avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les associations de patients et les collectivités territoriales, qui se verraient attribuer les financements pluriannuels nécessaires ; 
– cette loi de programmation serait ensuite affinée chaque année dans le PLFSS, avec des Objectifs nationaux de santé publique (ONSP) remplaçant l’ONDAM.

Cette réforme donnerait de la visibilité sur l’investissement pluriannuel dans l’hôpital public. 

Aujourd’hui, c’est l’excédent du fonctionnement courant qui finance l’investissement, ce qui en fait donc une variable d’ajustement. Cette aberration a accru la vétusté des hôpitaux publics et de leurs équipements. Nous proposons d’identifier une ligne dédiée à l’investissement dans la loi de programmation sanitaire et médico-sociale mentionnée supra.

Proposition 13 :  
– créer un programme national d’investissements structurants pluriannuels, donnant de la visibilité aux hôpitaux, leur permettant de rattraper leur retard en équipements et d’investir dans leur transition écologique.

Au niveau de chaque hôpital, cette réforme d’ampleur maintiendrait la T2A uniquement pour les séjours prévisibles et standardisés, si et seulement si les tarifs se rapprochent des coûts réels, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

Elle créerait un financement populationnel pour les activités non programmées non routinières. L’hôpital aurait ainsi des cohortes de patients à qui serait rattaché du financement, pondéré selon des critères démographiques, sanitaires et sociaux. Cette part de financement populationnel pourrait évoluer selon l’atteinte d’indicateurs de santé, constituant là un « intéressement collectif ».

Ce financement mixte (T2A / populationnel) garantit d’une part la fin de la course malsaine à l’activité et, d’autre part, la réalisation d’actes de prévention secondaire, diminuant ainsi les hospitalisations évitables grâce à un suivi médical et paramédical. Ce suivi est rendu particulièrement nécessaire par la croissance des affections longue durée (ALD) au sein de la population française, face à laquelle la T2A n’est pas adaptée.

Le financement populationnel pourrait également s’envisager pour des soins spécifiques tels que les soins palliatifs ou les soins psychiatriques.

L’indexation sur l’inflation de la compensation du surcoût des soins dans les DROM reste aujourd’hui à la discrétion du gouvernement, ce qui pénalise les établissements dans ces territoires. Nous proposons une indexation automatique sur l’inflation.

Proposition 14 : 
– financer l’hôpital selon un mode mixte : à l’activité pour les actes prévisibles et standardisés, avec des tarifs correspondants aux coûts réels, et avec une dotation populationnelle pour les autres actes, en incluant une partie d’intéressement collectif liée à des objectifs de santé publique ; 
– indexer le coefficient correcteur géographique avec l’inflation.

Cette réforme du financement de l’hôpital ne peut se faire de manière isolée : elle doit englober également la médecine de ville, qui est essentiellement rémunérée à l’acte. Il est ici possible de s’inspirer du modèle des centres de santé espagnols à trois couches de financement : une couche de financement individuel sur les pratiques cliniques, une couche liée à la performance d’équipe, une couche liée à la performance du centre de santé.

Proposition 15 : 
– développer massivement le financement populationnel de la médecine de ville, avec un intéressement collectif lié également à l’évolution de l’état de santé du bassin de vie. 

Les coûts des propositions du chantier 3 sont intégrés dans ceux du chantier 2.

Chantier 4 : mettre à contribution l’ensemble de ses acteurs pour repenser le système de santé

Alors que la désertification médicale est une réalité pour 6 millions de Français, la reconstruction de l’hôpital public ne pourra s’inscrire que dans une réforme impliquant l’ensemble des acteurs de santé.

La désertification médicale, mais aussi paramédicale et médico-sociale, crée un effet de report sur l’hôpital : tous les besoins de santé de premier recours non satisfaits s’y retrouvent et s’y accumulent ultérieurement, qui plus est avec une gravité accentuée.

Prendre des mesures pour rétablir l’accès aux soins et soulager l’hôpital est donc urgent.

Pour soulager l’hôpital, plusieurs propositions peuvent être mises sur la table des négociations conventionnelles. On peut penser au retour de l’obligation de la permanence des soins applicable en ville, mais aussi pour les praticiens exerçant en cliniques privées. On peut également concevoir une méthode de régulation de l’installation des professionnels de santé. On peut ensuite imaginer un conventionnement sélectif dans les zones sur-denses. On peut encore décider de l’obligation de pratiquer un temps partiel dans les déserts médicaux, ou à tout le moins de réaliser des téléconsultations pour des patients s’y situant. On peut enfin réfléchir à l’interdiction du secteur 2 dans les zones sur-denses. 

Proposition 16 : 
– engager des négociations conventionnelles pour prendre des mesures d’urgence de régulation de l’installation des professionnels en ville : permanence des soins obligatoire, partage des lignes de garde entre l’hôpital public et les cliniques privées dans les territoires où cela est nécessaire, régulation de l’installation, interdiction des dépassements d’honoraires dans les zones sur-denses, etc. 

Les facultés de médecine, les IFSI, et les IFAS sont toujours plus installés dans des métropoles éloignées des déserts médicaux. Nous proposons également de créer dans ces dernières des antennes de formation (zones rurales, QPV, etc.). Cette mesure vise à créer du lien entre le futur médecin et le territoire dès sa formation initiale, et donc à y favoriser l’installation.

Proposition 17 : 
– ouvrir des antennes de formation des facultés de médecine, des IFSI, des IFAS, etc. dans les déserts médicaux (zones rurales, QPV, etc.).

Pour combler les manques en médecin, nous proposons également que les patients présentant une pathologie courante « bénigne » puissent bénéficier d’un « accès direct » à un infirmier de pratique avancée (IPA), de manière plus développée que ne le prévoit la loi Rist II du 19 mai 2023.

Une liste des pathologies courantes « bénignes » éligibles à cet « accès direct » aux IPA serait déterminée par un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé.

La réorientation du patient se ferait après un appel à un service d’accès aux soins (SAS), par une maison de santé ou un centre de santé. 

Proposition 18 : 
– élargir l’accès direct aux infirmiers de pratique avancée (IPA) créé par la loi Rist II aux structures d’exercice coordonné, former massivement des IPA.

À long terme, il faut réorienter notre modèle de santé vers la prévention.

Notre pays consacre à peine 1,5% de ses dépenses de santé à la prévention. C’est moins que la plupart de nos voisins européens. Au-delà du chiffre, nos médecins sont uniquement formés à la logique « un symptôme = un médicament ». 

Notre pays a pourtant devant lui des défis sanitaires et médico-sociaux immenses : le vieillissement démographique, la multiplication des affections longue durée, la sédentarisation croissante de la population, les cancers provoqués par la pollution et les dégâts sanitaires engendrés par la dérèglement climatique menaceront à terme de submerger notre système de soins sous une demande médicale impossible à satisfaire.

Ce constat nous oblige à préparer dès aujourd’hui le grand pivot de notre système de santé vers la prévention, afin d’en faire une porte d’entrée majeure – et précoce – dans le parcours de soins. La contribution des collectivités territoriales à la prévention doit donc être reconnue et encouragée.

Proposition 19 : 
– lancer un plan de prévention en santé à hauteur de 4% de nos dépenses de santé ;
– y associer les collectivités territoriales, avec des objectifs pluriannuels ;
– reconvertir et former les trop nombreux personnels hospitaliers déclarés en inaptitude à la prévention primaire et secondaire (à l’école, en médecine du travail, etc.) ;
– transformer les facultés de médecine en facultés de santé intégrant la prévention et la santé environnementale ;
– former des unités mobiles de prévention fonctionnant dans une logique « d’aller vers » à destination des publics fragiles : personnes âgées, isolées, aux revenus les plus faibles, les plus sujets aux ALD, etc.

Total du coût des propositions du chantier 4 : 1,5 milliard d’euros par an.

Financement des propositions

Après une montée en charge estimée à trois ans, l’ensemble des propositions aurait un coût total de 16,8 milliards d’euros par an. 

Ce montant n’estime pas les économies qui, via la baisse des hospitalisations lourdes et l’amélioration de l’état de santé global de la population, pourraient être générées.

ChantiersCoût annuel (en milliards d’euros)
Chantier 1 : lutter contre la pénurie de médecins et de personnels soignants en redonnant envie de soigner7
Chantier 2 : faire passer le patient avant l’argent8,3
Chantier 3 : financer les soins en fonction des besoins médicaux, en passant au niveau national par le vote d’une loi de programmation en santéIntégré au chantier 2
Chantier 4 : mettre à contribution l’ensemble de ses acteurs pour repenser le système de santé1,5
TOTAL16,8

Ces nouvelles dépenses pourraient être financées par les recettes suivantes : 

ChantiersMontant
Créer une nouvelle taxe sur les super-profits des laboratoires pharmaceutiques0,5
Conditionner les exonérations de cotisations sociales au respect de critères de qualité sociale et environnementale de l’entreprise12,3
Rendre la CSG plus progressive4
TOTAL16,8

Les auteurs :

  • Joël Aviragnet est député de la Haute-Garonne, 
  • Élie Califer est député de la Guadeloupe,
  • Arthur Delaporte est député du Calvados,
  • Jérôme Guedj est député de l’Essonne,
  • tous siégeant à la Commission des affaires sociales, et appartenant au groupe Socialistes et apparentés – membre de l’intergroupe Nupes,
  • et Simon Rumel-Sixdenier, conseiller en charge des affaires sociales au groupe Socialistes et apparentés – membre de l’intergroupe Nupes.

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