Le semestre européen 2018-2019 coordonnant chaque année les politiques économiques des États membres vient d’être lancé. C’est l’occasion de questionner la contribution des politiques monétaires et budgétaires à la transition écologique. Paradoxalement, il apparaît que c’est la Banque centrale européenne (BCE) qui a le plus avancé dans cette réflexion. Un discours récent de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, rapporte en effet une révolution discrète dans la conduite de la politique monétaire. Olliver Bodin, économiste, et Michael Vincent, expert en régulation financière, font le point dans cette tribune en partenariat avec Euractiv et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).
Selon Benoît Cœuré, la politique monétaire serait affectée par le réchauffement climatique de trois façons. Premièrement, des chocs sur l’économie de nature nouvelle et dont l’identification et la compréhension posent de sérieux problèmes font leur apparition. En outre, les incertitudes existent sur les effets économiques des réglementations adoptées pour mitiger le dérèglement climatique et s’y adapter. Deuxièmement, ce dérèglement accroît la fréquence d’événements naturels catastrophiques dont l’impact pourra nécessiter des politiques monétaires hors norme. Troisièmement, le changement climatique conduit à des modifications durables et majeures des conditions matérielles et humaines, notamment des flux migratoires, dont les effets sur l’activité économique et les prix seront difficiles à cerner.
La Banque centrale a pour mandat premier la stabilité monétaire. Elle n’est pas en première ligne pour lutter contre le réchauffement climatique ; Benoît Cœuré suggère cependant que la Banque centrale tout en poursuivant son objectif principal peut y apporter une contribution non marginale en orientant par sa politique certains financements vers des investissements « verts ». En identifiant le dérèglement climatique comme un risque majeur pour la zone euro, Benoît Cœuré dessine pour la BCE une nouvelle responsabilité dont le caractère politique est patent. La prise en compte de cette question par la BCE est salutaire. Mais, comme souligné dans ce discours, cette nouvelle responsabilité sans nouvelle obligation de rendre compte peut susciter la critique. À qui, par exemple, la Banque rend-elle compte lorsqu’elle décide de privilégier la lutte contre le changement climatique contre la sauvegarde de l’emploi dans l’industrie automobile ? À l’heure où le rôle politique de la BCE dans la résolution de crises est salué par certains, mais est régulièrement contesté par d’autres, que ce soit en Allemagne ou en Italie, la démarche du banquier central sur la question écologique ne manquera pas d’être questionnée.
Avec son discours, Benoît Cœuré renvoie surtout la responsabilité aux politiques qui disposent de l’arme budgétaire et réglementaire. En l’absence de budget européen conséquent, la combinaison des politiques budgétaires nationales sont décisives. La Commission vient d’adopter le Rapport annuel sur la croissance qui fixe des priorités générales pour l’ensemble de l’Union européenne et une Recommandation pour la zone euro. L’urgence climatique est cette année bien mieux prise en compte dans le Rapport annuel sur croissance que les années précédentes. Il faut espérer que ceci se reflétera en fin de parcours dans les recommandations spécifiques par pays. Elle est en revanche absente de la recommandation pour la zone euro. Cette dernière reste dominée par les procédures dites de déficit budgétaire excessif et de déséquilibres macroéconomiques excessifs. Ces procédures codifiées après les crises de 2008 et du début de la décennie focalisent sur des indicateurs financiers et d’endettement, et ignorent totalement l’impact des risques que fait peser le réchauffement climatique sur la stabilité économique et financière.
La procédure « déséquilibres macroéconomiques excessifs » est déclenchée en cas de déséquilibres financiers ou de prix relatifs externes (comptes courants, compétitivité) ou internes (endettement privé et public, prix de certains actifs). L’analyse « tient compte » de la situation de l’emploi, mais elle ignore les progrès à réaliser vers la transition énergétique. Ceci est d’autant plus préjudiciable que l’ensemble des politiques publiques, y compris celles qui peuvent avoir directement ou indirectement un impact sur la transition énergétique, est susceptible d’être appelé à la rescousse en cas de déséquilibres excessifs. Or, par exemple, l’évaluation d’un pays avec un excédent courant supérieur à 6% du PIB (un des seuls seuils d’alerte) et un budget équilibré – et, partant, les recommandations de politique économique qui lui sont adressées – ne devraient pas être les mêmes selon qu’il connaît des inégalités salariales grandissantes et/ou qu’il observe une trajectoire qui lui permettra de réaliser les objectifs Carbone 2030, ou pas. Ou l’évaluation d’une croissance des crédits au secteur privé dépassant le seuil d’alerte ainsi que les recommandations ne devraient pas être les mêmes selon qu’il s’agit de crédits à la consommation, ou de financement d’investissements dans l’efficacité énergétique de logements associés à une aide publique dans un pays en retard sur les objectifs de transition énergétique. Le rapport quinquennal sur la mise en œuvre de cette procédure dû en 2019 sera une opportunité pour engager une réflexion sur l’intégration de l’urgence climatique dans cette procédure.
La procédure « déficits budgétaires excessifs » ne prend pas non plus en compte les défis de la transition énergétique. Ne sont en question ici que les grands agrégats budgétaires. Or, dans le long terme, une meilleure résilience face aux chocs climatiques réduit les risques qui seraient liés au niveau d’endettement. En focalisant exclusivement sur le désendettement, la procédure n’incite pas à arbitrer dans le court terme en faveur d’un soutien à l’investissement public ou privé qui renforcerait cette résilience et aurait un effet bénéfique sur les finances publiques dans le long terme. Dans le cadre de la procédure, des marges de flexibilité existent certes qui permettent de déduire certains investissements avant de comparer le déficit à la norme. Mais la définition de ces marges devrait être revue pour privilégier les investissements et dépenses ayant un impact vérifiable sur le verdissement de l’économie.
Les procédures mises en place après la crise financière pour coordonner les politiques économiques des États membres de l’Union européenne ne sont plus adaptées à l’urgence du défi du changement climatique. Il est urgent d’en revoir le mode opératoire. Le débat avant de devenir technique devra être politique et porté pendant la campagne électorale pour être repris par le prochain Parlement et la prochaine Commission.