Une fois l’indépendance formelle et juridique acquise, les pays d’Afrique centrale se sont posés la question de la construction de la nation, comme partout ailleurs en Afrique. Où en sont-ils aujourd’hui ? Quelles sont les interactions entre ces tentatives de construction de l’Etat-nation et la nécessaire démocratisation ?
Synthèse
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« L’Afrique centrale souffre, de tout », écrit Martin Ziguélé. Et l’échec des processus de démocratisation en est sans doute l’une des causes. Non sans plusieurs tentatives, ces échecs peuvent être analysés au prisme de la problématique de la construction de l’Etat-nation qui a structuré l’ensemble des discours politiques des dix Etats de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) au lendemain de leur indépendance. De fait, il s’agissait de juxtaposer un Etat, en tant qu’organisation politique et juridique, à une nation, c’est-à-dire des individus qui se considèrent comme appartenant à un même groupe. Fidèles à la conception française de l’Etat (République une et indivisible, Etat jacobin centralisateur, et surtout Etat-nation), les pays d’Afrique centrale se trouvait alors face au défi de parvenir à créer à l’intérieur d’Etats récents à population pluriethnique (Tchad, Cameroun, République centrafricaine…) des Etats-nations.
Après cinquante ans d’indépendance, il s’avère que les moyens mis en œuvre pour créer ce sentiment de « vivre-ensemble », de « bien commun » au sein des territoires hérités de la colonisation – et donc par essence pluriethniques – ont finalement considérablement contribué à l’échec de toute tentative de démocratisation en Afrique centrale. Hormis l’école de la République, que les jeunes Etats ont développée et généralisée à la suite de la décolonisation, ainsi que l’armée dans une moindre mesure, qui a permis de développer un esprit national dans certains cas (notamment par un recrutement pluriethnique), les différents moyens utilisés pour l’instauration d’Etats-nations sont apparus à contre-courant de tout processus démocratique : l’administration d’Etat, créée après l’indépendance, apparaît aujourd’hui comme un instrument pour assurer la conservation du pouvoir ; l’instauration de partis uniques a empêché le développement économique, le renforcement du sentiment national et l’apprentissage de la démocratie ; la création des médias publics, présentés au départ comme des moyens d’éducation populaire et de renforcement du sentiment national, sont devenus des instruments privilégiés au service de la conservation du pouvoir et de la propagande d’Etat. De fait, aucun pays d’Afrique centrale (contrairement aux anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest où ont été mises en place des « Conférences nationales souveraines ») n’a accepté de manière totale ou sincère le multipartisme, présenté par les pouvoirs en place comme facteur de guerres interethniques. Les semblants de concession (Congo Brazzaville, RDC, Tchad, Gabon) se sont révélés in fine comme un maintien subtilement déguisé des partis uniques.
D’autres facteurs peuvent expliquer l’échec de la transition démocratique. Ainsi, les faibles échanges entre les Etats d’Afrique centrale font que le niveau d’intégration régionale de cet ensemble territorial reste faible.
Néanmoins, à l’image d’autres sous-régions d’Afrique, plusieurs actions politiques pourraient favoriser une réelle démocratisation en Afrique centrale. Les partis devraient élargir leur base et mieux garantir la représentativité des différents territoires et populations du pays et aussi assurer un réel renouvellement périodique des dirigeants. Il en irait différemment de leur crédibilité démocratique. De même faudrait-il favoriser le regroupement des forces politiques dans de plus larges alliances, gage d’efficacité.
« L’Afrique centrale souffre, de tout ». Néanmoins, nombre d’exemples sur le continent montrent que cette situation n’est pas irréversible.