Suite au dernier congrès du Parti des travailleurs tenu à Brasilia début juin 2017, Jean-Jacques Kourliandsky revient sur la situation politique très instable au Brésil et analyse l’attitude très politique de nombreux et importants médias vis-à-vis de la formation de l’ancien président Lula.
Brasilia accueillait le sixième congrès du Parti des travailleurs (PT), les 1er, 2 et 3 juin 2017. Le PT est une formation d’audience nationale, créée sur une base syndicale à la fin de la dictature militaire. Il a exercé le pouvoir présidentiel de 2003 à 2016. Le PT n’est plus au pouvoir depuis la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, pour « crime contre la Constitution », votée par une majorité de parlementaires hostiles. Il est depuis plusieurs mois la cible d’attaques médiatiques. La presse met en exergue certains de ses responsables, condamnés pour corruption, et accompagne au jour le jour la pression de la justice qui a multiplié les convocations et auditions de l’ancien président Lula.
Le Parti des travailleurs est en dépit de tout cela le seul parti brésilien ayant une assise nationale. Il revendique 400 000 adhérents, répartis sur toute la géographie du territoire. Avec un point fort, la région la plus pauvre du Brésil, le Nord-Est. Que ce soit à droite ou à gauche, aucune formation ne dispose d’une telle assise sociale et géographique. Historiquement, les bases ouvrières sont à Sao Paulo, où Lula, avec d’autres, a fondé le syndicat, la CUT (Centrale unique des travailleurs), puis le PT. Mais les grandes décisions en démocratie supposent un débat permanent, de la société, des syndicats, avec les élus et le gouvernement. Brasilia est le cœur politique symbolique de la nation. Un cœur bien relié au reste du pays, par nécessité institutionnelle. C’est là que se trouvent non seulement le gouvernement, le pouvoir judiciaire, mais aussi les deux chambres du Parlement. Il y a quelques années, le PT a délocalisé de Sao Paulo à Brasilia, la capitale fédérale, une partie appréciable de son siège national où il a logiquement tenu congrès, les premiers jours de juin 2017.
Le silence des médias a été absolu. La presse de Brasilia n’a pas fait exception. Elle a, par exemple, choisi d’accorder une place centrale à l’élection de Miss Brésil-Globo, qui se tenait la même semaine. Ce silence médiatique est quelque part révélateur d’un contexte. Celui d’une volonté de mettre durablement à l’écart une formation politique considérée socialement laxiste, et nationaliste à l’excès en économie. Les seules entorses à cette omerta des bien dotés, sans évoquer pour autant le congrès, a été de signaler le caractère incongru à leurs yeux, d’un éventuel regain de popularité du PT. « On pensait avoir renvoyé le PT aux livres d’histoire », se plaint ainsi dans une tribune libre un responsable du parti de droite, DEM (Démocrates). Tandis qu’un hebdomadaire publiait un dossier avec ce titre vengeur : « Voulez-vous que ces gens-là reviennent ? ».
Il est vrai que la mise à l’écart de Dilma Rousseff, en dépit d’un habillage médiatique sur mesure, est de plus en plus apparue comme arbitraire, répondant à une intentionnalité politique n’ayant pas grand-chose à voir avec la justice et le crime constitutionnel. D’autant plus que la « grosse Bertha » judiciaire mise en chantier pour abattre le PT est devenue une machine folle. Elle abat en effet l’une après l’autre toutes les grandes figures de l’opposition qui s’étaient présentées en 2016 pour écarter Dilma Rousseff, drapées dans de vertueux discours républicains. Eduardo Cunha, président du Congrès, membre du PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien), et l’un des artisans de la destitution, est aujourd’hui détenu et condamné à quinze ans de prison pour corruption et fraude fiscale. Aecio Neves, président du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne), qui avait perdu l’élection présidentielle de 2014 face à Dilma Rousseff, avait en 2016 voté la destitution de sa rivale de 2014, pour crime contre la Constitution. Le TSF, le Tribunal supérieur de la fédération, l’a en 2017 écarté du Sénat, le contraignant à abandonner la présidence du PSDB. Sa sœur, l’un de ses cousins et l’un de ses collaborateurs ont été incarcérés, tous convaincus de corruption. Michel Temer, vice-président de Dilma Rousseff, membre également du PMDB, était resté solidement accroché à son poste en 2016 alors que ses collègues de parti occupant une charge ministérielle avaient démissionné. Il avait pu ainsi hériter de la charge exécutive après la destitution de la présidente. Trois de ses collaborateurs convaincus de corruption ont été mis en examen et emprisonnés en 2017.
La presse face à ce désastre moral et politique a choisi de salir le monde politique dans sa totalité. Les pages de politique intérieure des quotidiens ne parlent que de « ça », de la corruption, de la convocation par un juge ou de la détention de tel ou tel sénateur ou député. Le tout sur fond de crise économique comme sociale. L’objectif réel de la destitution de Dilma Rousseff était de relancer l’économie qui était effectivement au plus mal en 2016. Le budget, en particulier celui du social et des investissements publics, a bien été gelé pour une durée de vingt ans au niveau atteint en 2016. Le capital étranger a bien été sollicité. La destitution de Dilma Rousseff a nécessité l’ébranlement des grandes multinationales brésiliennes. La fragilisation des entreprises de travaux publics – comme Odebrecht et OAS –, du pétrolier Petrobras, a facilité l’appel aux sociétés extérieures, en particulier pétrolières. Mais en dépit de ces changements de cap, le pays s’est enfoncé un peu plus : inflation, chômage, insécurité, tous les indices sont au rouge. La croissance seule est à fleur d’eau grâce à la dévaluation du real, la monnaie brésilienne, qui a bonifié les exportations agricoles, de soja plus particulièrement.
Le résultat politique de la manœuvre est à droite un immense gâchis. Le pays est économiquement et socialement au plus bas. Il a perdu à l’extérieur toute considération internationale et capacité d’influence. Le système de partis politiques s’est effondré. La presse et une partie du patronat sont en première ligne contre le PT, faute d’acteur partisan crédible. Lula, et plus discrètement le PT, ont retrouvé des couleurs. Le souvenir des années Lula, années de croissance et de politiques sociales actives, ont porté l’ex-président à 40 % des intentions de vote pour le scrutin présidentiel de 2018.
Les responsables du PT ont saisi l’opportunité de ce regain pour remobiliser adhérents et au-delà électeurs. Telle était l’ambition du sixième congrès. Les ratés des années de gouvernement, marquées comme pour toute formation accédant aux responsabilités par un repli des cadres vers l’appareil d’État, les manquements de quelques-uns à la morale, auraient pu favoriser la montée des mécontents. Mais en dépit d’une montée en puissance de la gauche du parti, qui a réuni 39 % des mandats, c’est la motion et la candidate appuyées par Lula, Gleisi Hoffmann, qui l’ont emporté. Il est vrai que Lula est un dénominateur commun, commun à tous les militants et à tous les électeurs du PT, et même bien au-delà. Ce Congrès a permis une nouvelle fois de vérifier que, en dépit de son âge, le vieux leader gardait sa force de conviction, ses qualités d’orateur, et son désir d’en découdre pour préserver la vieille maison, le PT. C’est un Congrès survolté qui l’a écouté dénoncer les politiques socialement régressives de la droite, le démantèlement de l’industrie nationale, en particulier les chantiers navals, et le harcèlement judiciaire dont il s’estime victime.
Une course avec le temps est désormais ouverte entre le PT, le patronat et la presse. La justice en est quelque part l’ultime arbitre. Le TSF a refusé d’écarter le président Michel Temer, dont l’élection en 2014, alors qu’il était l’allié de Dilma Rousseff, était contestée sur plainte de Aecio Neves (PSDB). Le tribunal a considéré qu’il ne revenait pas à la justice d’arbitrer une crise politique. La justice brésilienne aura-t-elle les mêmes états d’âme concernant l’ex-président Lula ?