Six mots pour défendre une vaccination obligatoire contre la grippe chez les soignants

La Fondation s’associe à Place de la santé, un site lançé par la Mutualité francaise qui vise à installer la santé et la protection sociale dans les débats de la prochaine élection présidentielle, en publiant plusieurs tribunes pour explorer ces thématiques au cœur des préoccupations des Français. Pour la troisième contribution de la Fondation, Cyril Goulenok, médecin réanimateur, évoque l’enjeu méconnu et quelque peu controversé de la vaccination contre la grippe des personnels soignants.

Soigner son prochain est indéniablement l’une des valeurs fondamentales qui structure notre société. Si d’immenses progrès ont été réalisés dans le domaine du curatif, on ne peut négliger l’apport de la vaccination dans celui de la prévention. On observe depuis quelques années une défiance face à cette stratégie de prévention. Il existe, chez les professionnels de santé, des vaccins obligatoires et d’autres recommandés. La vaccination contre la grippe est passée du statut d’obligatoire à recommandée en 2006. La diffusion du virus en milieu hospitalier, particulièrement médiatisée cette année, a relancé le débat d’une modification de son statut. Pourquoi devrait-on la rendre obligatoire chez les professionnels de santé au contact des patients ?

Efficacité

Pour poser l’indication d’une vaccination obligatoire chez les professionnels de santé, les prérequis sont les éléments suivants : prévention d’une maladie grave, risque élevé d’exposition pour le professionnel de santé, risque élevé de transmission soignant-soigné, existence d’un vaccin efficace et bien toléré, dont la balance bénéfice-risque est largement en faveur du vaccin. L’inconstance d’efficacité du vaccin contre la grippe serait l’une des raisons pour laquelle la vaccination n’est pas obligatoire mais uniquement « fortement recommandée ». Paradoxalement, c’est pour cette même raison, car elle n’est pas efficace à 100%, qu’il faut la rendre obligatoire chez les soignants. La réponse vaccinale dépend de nombreux facteurs, notamment de l’âge et du statut immunitaire de l’individu. Dans le cadre de la grippe, les patients hospitalisés, souvent âgés et porteurs de comorbidités, sont considérés comme faiblement répondeurs à cette vaccination. Or la vaccination apporte un bénéfice individuel mais aussi collectif en limitant la transmission du virus. Les soignants sont des vecteurs potentiels du virus. Nombreuses sont les études qui montrent cette transmission. La faible efficacité de la vaccination chez les patients rend d’autant plus pertinente la vaccination des soignants, habituellement en bonne santé et donc considérés comme de bons répondeurs. Même si le respect des mesures d’hygiènes (lavage des mains, port du masque, isolement des patients infectés) est indispensable, on sait que l’on peut être porteur du virus et asymptomatique et, donc, vecteur potentiel. La vaccination des soignants est donc une des clés de la diffusion de l’infection grippale et de ses conséquences en termes de morbi-mortalité.

Non nocere

Il est intéressant de revenir à la source d’un des fondements du soin – primum non nocere. En étant non-vacciné, le risque de nuire est loin d’être négligeable. Du point de vue des patients et du grand public, l’avis est clair : selon un très récent sondage Odoxa de janvier 2017, 66% des sondés préconisent cette obligation vaccinale. À l’heure où chacun est en droit d’exiger une médecine de qualité sur l’ensemble du territoire, où l’on lutte contre les inégalités d’accès aux soins, où l’on se bat contre la pollution environnementale, peut-on accepter d’être exposé à un risque infectieux potentiellement grave par des professionnels censés nous protéger et nous soigner ?

Devoir

Ma liberté individuelle a t-elle plus de valeur qu’un devoir collectif ? L’épidémie de grippe qui touche actuellement la France ainsi que les drames récents survenant dans les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) nous rappellent à quel point nous avons failli dans la prévention. L’obligation de vaccination du personnel de santé contre la grippe avait été retirée en 2006 (décret 2006-1260 du 14 octobre 2006) et remplacée par une « forte recommandation » (Haut Conseil de la santé publique, 27 septembre et 7 octobre 2016). La possibilité d’une obligation, en cas de crise, a été conservée mais la rapidité d’installation d’une épidémie vient de nous montrer les limites de cette stratégie. Si la couverture vaccinale des soignants est insuffisante à ce jour, alors il faut accepter qu’on la rende obligatoire. L’introduction d’une obligation de vaccination pour le personnel soignant dans certains hôpitaux aux États-Unis a permis d’obtenir une couverture vaccinale des soignants de l’ordre de 98%. Jamais de tels chiffres n’ont pu être obtenus par le biais d’une simple recommandation. Ces résultats légitiment l’obligation vaccinale.

Responsabilité

On peut s’interroger sur les responsabilités d’un établissement au sein duquel des patients hospitalisés auraient contracté la grippe. Cela rentre dans le cadre d’une infection nosocomiale. Si les actions juridiques restent rares dans cette circonstance, il n’est pas improbable qu’à l’avenir, les patients ou les proches puissent, de façon licite, se questionner sur les actions entreprises par l’établissement pour prévenir ce type de complications.

Exemplarité

L’une des raisons évoquées par le grand public pour justifier la non-vaccination est la faible adhésion du personnel soignant à ce geste de prévention. Les soignants ont-ils un devoir d’exemplarité ? Il semble difficile d’inciter les patients à se faire vacciner, comme le préconisent les recommandations, et ne pas s’appliquer à soi ces mêmes recommandations. Dans d’autres pays, cette vaccination est valorisée par un badge porté par le personnel et permet de mettre en avant cette exemplarité en favorisant, certainement, l’adhésion des patients à cette méthode de prévention. Nul doute que ce badge contribuerait à plus de confiance et de reconnaissance.

Altruisme

Donner un peu de soi sans en tirer un avantage – est-ce l’altruisme ? À l’heure où tout se monétise, faire un sacrifice – fût-il minime – pour protéger ceux qui nous témoignent de leur confiance dans cette relation si spécifique « soignants-soignés » : c’est cette valeur qui doit encore avoir du sens, aujourd’hui, dans notre société.

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