Self Data à Lyon : partager le pouvoir des données personnelles

Alors que se clôture, le 21 juin 2018 au Musée des Confluences de Lyon, l’Open Conference MesInfos – une journée co-organisée par la Fing et la Métropole de Lyon autour du Self Data –, David Kimelfeld, président de la Métropole de Lyon, Jacques-François Marchandise, délégué général de la Fing, et Manon Molins, chef de projet MesInfos, analysent, pour l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locale de la Fondation, leur enjeu principal : partager le pouvoir des données personnelles avec ceux qu’elles concernent. Ancrer cet événement à Lyon n’est pas anodin : la Métropole est l’un des acteurs clefs du pilote MesInfos, living lab de ce projet unique au monde.

Depuis plusieurs années, le projet MesInfos explore le potentiel du Self Data : partager le pouvoir des données pour rééquilibrer un monde où l’asymétrie informationnelle règne. Et si les individus devenaient réellement maîtres de leurs données ? En 2016, un cap est franchi avec le pilote MesInfos, réunissant acteurs privés et publics, parmi lesquels une grande collectivité locale, la Métropole de Lyon, pour mettre en œuvre concrètement cette idée.

La question des données personnelles devient aujourd’hui plus qu’un simple sujet sensible, c’est un véritable enjeu de société, attirant défiance et scandales – Facebook/Cambridge Analytica n’étant que le dernier en date. Le baromètre de la confiance numérique de 2017 établit que « la principale cause d’inquiétude des Français est incontestablement l’utilisation qui peut être faite de leurs données personnelles. 80% des internautes se déclarent gênés par l’utilisation commerciale de ces données par les réseaux sociaux ; 45% redoutent que leurs données personnelles soient consultées par quelqu’un d’autre ».

Alors qu’ils sont confrontés à la multiplication des acteurs « disrupteurs » de la ville – qui font des données personnelles leur commerce –, les territoires font face à l’urgence de la question du partage du pouvoir sur ces dernières, particulièrement s’ils mettent en œuvre des logiques de Smart City qui en génèrent de plus en plus. La place des acteurs publics, en particulier locaux, est primordiale pour construire une relation de confiance avec les citoyens et être en capacité, au travers de partenariats d’acteurs privés et publics, d’inventer de nouveaux services respectueux de la vie privée sur la base des données personnelles.

L’engagement du Grand Lyon dans la dynamique Self Data va dans ce sens. Le Self Data, soit « la production, l’exploitation et le partage de données personnelles par les individus, sous leur contrôle et à leurs propres fins », signifie que les individus doivent pouvoir être maîtres de leurs données. Ils doivent pouvoir les collecter, depuis le système d’information des organisations avec lesquelles ils sont en relation ; les stocker et les administrer de manière sécurisée grâce à des plateformes personnelles, sorte de « domicile numérique » ; et surtout les réutiliser, en tirer des valeurs et usages pour eux, via des services tiers innovants pour se faciliter la vie, prendre de meilleures décisions, vivre selon leurs valeurs… Tout l’intérêt du Self Data réside dans cet écosystème de confiance : qui mieux que l’individu pour casser les silos de données et permettre la naissance de services qui les croiseront dans son propre environnement, sous son contrôle ? 

Le pilote MesInfos, lancé en 2016, incarne la dynamique du Self Data. Des milliers d’individus-testeurs reprennent le contrôle sur leurs données personnelles grâce aux organisations pionnières qui les leur partagent, à un écosystème d’innovation, et à un Living Lab lyonnais.

Cela fait plus de deux ans que les conditions pour que ce pilote réussisse sont en construction. Il a fallu mener plusieurs chantiers de front, sur le cadre juridique d’une telle démarche, sur la question des canaux de transmission des données, sur le recrutement des testeurs, sur l’expérience utilisateur de la plateforme, sur la question des services tiers innovants…. Les enjeux sont nombreux et ont dû être traités au fil de l’eau en impliquant différents métiers chez les partenaires : DSI, juridique, UX, marketing… Le projet est ouvert et toutes les productions sont en licence creative commons. À titre d’exemple, la question de la responsabilité juridique des organisations sur le transfert des données a été la première à être adressée et, grâce à l’appui de la Cnil, une réponse claire a pu être fournie : une fois que les données sont entre les mains des individus, sur leur cloud personnel, les testeurs peuvent théoriquement en faire ce qu’ils veulent – les détenteurs ne sont plus responsables.

Aujourd’hui, plus de 2000 testeurs (les « MesInfosnautes ») ont été recrutés, sur toute la France, par la MAIF pour disposer de leur propre plateforme de cloud personnel fournie par Cozy Cloud afin de récupérer leurs données Enedis, GRDF, MAIF, Orange, etc., et pour en faire… ce qui a du sens pour eux !

Le Grand Lyon est le living lab de ce pilote. Territoire pionnier en matière d’Open Data et de participation citoyenne à la fabrique de la ville, c’est également l’un des premiers espaces de mise en place des compteurs intelligents (Linky pour Enedis, Gazpar pour GRDF). Autant de raisons qui en font le lieu privilégié pour les actions du pilote MesInfos, en articulation avec le Tubà – tube à expérimentation urbaine, qui a permis de créer une dynamique d’animation d’un petit groupe de « super testeurs » sur le territoire et de soutenir un effort de stimulation de l’écosystème d’innovation via des meetups, hackathons, un travail avec des écoles de développeurs et des ateliers de co-conception et de test de services.

Mais le Grand Lyon n’est pas simplement la terre d’accueil du pilote : la Métropole et Veolia travaillent à partager avec les testeurs leurs données de consommation d’eau. Les villes et acteurs locaux détiennent – en propre ou via leurs prestataires – de nombreuses données, la création d’un cadre de confiance sur la question des données personnelles les concerne donc tout autant que les organisations privées. Le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) consacre un nouveau droit : le droit à la portabilité, qui permet à tout individu de demander une copie de ses données à un détenteur dans un format lisible par des machines, voire le transfert direct à un autre détenteur. Un grand levier pour le Self Data, si les choses sont bien faites. Les collectivités peuvent se mettre en ordre de marche pour aller un cran plus loin que la conformité juridique et technique au droit mais également mettre les citoyens en capacité de se réapproprier leurs données ! Or une telle mise en capacité permettrait de répondre à des enjeux territoriaux précis, propres à chaque acteur et partie prenante de la collectivité : on peut imaginer le Self Data au service de la transition énergétique du territoire, de la création de services de mobilité, d’habitat, de services aux citoyens…

Le pilote MesInfos réunit des acteurs très divers : entreprises privées, du secteur mutualiste, avec mission de service public, collectivité locale… Expérimenter seul et sans ancrage local n’a en effet que peu de sens : les données personnelles sectorielles n’ont qu’un intérêt limité pour les individus, toute la valeur d’usage réside dans leurs croisements (par exemple un relevé bancaire intelligent, où chaque ligne est contextualisée par ses autres données d’assurance, de consommation, etc.). S’il est possible d’angler les défis auxquels le Self Data peut répondre, se limiter sur le périmètre des données à partager aux individus ne fera que fermer le potentiel d’usages et de création de services. De même, Open Data et Self Data peuvent s’enrichir mutuellement. Les données personnelles sont souvent produites sur un territoire (commerce de proximité, services urbains de mobilité privés et publics, etc.), les services tiers de confiance qui les recontextualisent localement et les croisent avec les données ouvertes pourront ouvrir des opportunités nouvelles (par exemple un service qui croiserait ses données de consommation avec un référentiel pour mesurer son empreinte carbone). Les stratégies territoriales doivent donc se penser sur ces deux tableaux.

Le Self Data reste une piste encore trop iconoclaste et le sujet des données personnelles, s’il commence à être embrassé par les acteurs et les citoyens inquiets, n’est pas facile d’accès. La médiation, expérimentée au Tubà pendant le pilote avec les « super testeurs » lyonnais pour les acculturer au sujet et aux outils, reste essentielle et doit être pensée à une échelle plus large. Cette appropriation passera par la coconception, pour imaginer avec les citoyens des scénarios Self Data qui leur parlent, des cas d’usage utiles qui correspondent à leurs besoins. En jouant le jeu du multiacteur et en créant des dispositifs ouverts à l’image de MesInfos, le Self Data peut être le vecteur de nouvelles opportunités et de bénéfices multiples pour les collectivités, depuis l’instauration de cadres de confiance, de création de nouveaux services, de positionnement vis-à-vis du RGPD et bien sûr de mise en capacité des citoyens. Et pourquoi s’arrêter là ? Pourquoi ne pas imaginer de nouvelles formes de gouvernance grâce au Self Data ? Si les individus disposent de leurs données, pourraient-ils contribuer au pilotage du territoire lui-même en les partageant de façon anonymisée pour un service qu’ils jugent d’intérêt général ou en les mettant en commun, pour décider collectivement de ce qu’ils souhaitent en faire ? C’est l’un des aspects que la Fing explorera avec le projet Self Data territorial à partir de septembre 2018.

Pour en savoir plus, retrouvez les livrables du Grand Lyon et de la Fing : 

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