Santé mondiale : pourquoi la France doit investir davantage

Baisse du nombre de dépistage, résistance aux médicaments, vulnérabilité des services de santé… Alors qu’une grande partie des ressources allouées à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont été réaffectées à la lutte contre le Covid-19, il est essentiel de continuer le combat. C’est le rôle du Fonds mondial qui appelle à une levée de fonds de 18 milliards de dollars afin de sauver 20 millions de personnes supplémentaires et de répondre aux objectifs de développement durable (ODD), ainsi que l’explique cette note conjointe de ONE et de la Fondation Jean-Jaurès.

La pandémie de Covid-19 a aboli les frontières et démontré l’interconnexion de nos sociétés. Apparu à Wuhan en Chine, le Covid-19 s’est rapidement exporté dans tous les pays de la planète, et a eu des conséquences sociales et économiques majeures. Ce qui se passe chez les uns impacte de manière systématique les autres. Les cas de variole du singe ne sont qu’un autre exemple pour illustrer cette réalité que nous ne pouvons plus nier. C’est face à ce constat que la notion de santé mondiale revêt une importance nouvelle : investir dans la santé mondiale représente une nécessité pour la stabilité et la sécurité mondiale. 

Parmi les menaces sanitaires auxquelles le monde doit faire face depuis de nombreuses années se trouvent le sida, la tuberculose et le paludisme. Depuis sa création il y a vingt ans, le Fonds mondial a contribué aux progrès immenses effectués en matière de prévention et traitements contre ces trois pandémies. L’idée de la création du Fonds mondial a été évoquée pour la première fois lors d’un sommet de l’Union africaine à Abuja au Nigeria en 2001 par l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan. Porteur d’un acte de solidarité et d’engagement politique mondial, le Fonds mondial a permis de sauver 50 millions de vies et a réduit chaque année de plus de la moitié le taux de mortalité combiné de ces trois maladies.

Malgré les résultats positifs observés, des barrières demeurent pour l’accès au soin. On estime que 10 millions de personnes vivant avec le VIH n’ont pas accès aux traitements antirétroviraux dont ils ont besoin et on compte 1,5 million de personnes infectées pour la seule année 2021. Par ailleurs, les infections de malaria et de tuberculose progressent et la résistance aux antibiotiques demeure un obstacle majeur aux combats contre ces maladies.

Alors que notre environnement naturel va devenir de moins en moins vivable, les dangers que représentent l’aggravation, la résurgence et l’apparition de virus dévastateurs fragilisent notre capacité à éradiquer le sida, le paludisme et la tuberculose, comme nos engagements pour 2030 le prévoient. Loin d’être des phénomènes dissociables, les catastrophes naturelles de plus en plus violentes, conséquence directe du changement climatique, vont favoriser l’émergence et accentuer la propagation de maladies auprès de populations vulnérables.

Du 19 au 21 septembre 2022, se tiendra la septième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial. L’organisation appelle à une levée de fonds de 18 milliards de dollars pour les trois prochaines années, soit une augmentation de 30% par rapport au cycle précédent, afin de sauver 20 millions de vies supplémentaires entre 2023 et 2026, de rattraper le retard dû au Covid-19 et d’intensifier les progrès dans la lutte pour l’éradication du sida, de la tuberculose et du paludisme d’ici 2030. Pour aider le Fonds mondial à atteindre ces objectifs, la France, leader historique de la santé mondiale, et deuxième contributrice historique au Fonds mondial, devrait prendre toute sa part dans ce combat et annoncer une contribution financière de 1,685 milliard d’euros pour la période 2023-2025.

Selon les objectifs de développement durable (ODD), il faut d’ici 2030 mettre fin à l’épidémie de sida, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies tropicales. Respecter cet engagement implique d’en augmenter le financement.

Les conséquences de l’urgence climatique sur la santé mondiale 

La dimension globale du Fonds mondial résonne différemment aujourd’hui d’il y a vingt ans. Pourquoi parler de « santé mondiale » en 2022 ? Parce qu’au regard de la mondialisation qui régit le monde, les virus ne connaissent non seulement aucune frontière, mais se propagent avec une rapidité foudroyante. En quelques heures, un microbe peut faire le tour du monde.

Si certaines épidémies concernent des maladies connues depuis longtemps – grippe, fièvre jaune, peste, choléra ou encore rougeole -, beaucoup sont provoquées par des agents pathogènes « récents » : parmi ceux identifiés depuis les années 1970, on peut citer les virus du sida, du SRAS, de l’hépatite C, du MERS-CoV, ou Ebola. Et d’autres virus émergents inquiètent depuis peu les scientifiques, comme le virus Nipah en Asie ou celui de la variole du singe en Afrique. L’Institut Pasteur en témoigne : « ces cinquante dernières années, nous avons pu constater une croissance alarmante de l’émergence de nouveaux agents infectieux au sein des populations humaines. »

À l’époque du dérèglement climatique et de l’apogée du marché de libre-échange, les scientifiques alertent sur le « siècle des virus » dans lequel nous nous trouvons. Certes, les pandémies ne sont pas un phénomène nouveau. Mais les scientifiques observent une corrélation entre le temps de domestication et le nombre de maladies partagées entre les animaux et l’être humain. Ces maladies sont appelées « zoonoses »1Une zoonose est une maladie infectieuse des animaux vertébrés transmissible à l’être humain.. Notre surconsommation de viande qui se traduit par l’élevage intensif, mais aussi l’industrialisation et l’urbanisation dérégulées qui se manifestent par la déforestation d’espaces sauvages et la mise à mal de nombreux écosystèmes ont pour conséquence le rapprochement d’humains et d’animaux sauvages vecteurs de nouveaux pathogènes (selon l’OMS, 60% des virus émergents chez l’Homme proviennent d’animaux). Un virus grippal vis-à-vis duquel personne n’aurait d’immunité pourrait toucher 20 à 50% de la population mondiale. « Le risque permanent d’un nouveau virus de la grippe transmis des animaux aux humains potentiellement à l’origine d’une pandémie est réel. La question n’est pas de savoir si une autre pandémie va survenir, mais quand », soulignait récemment le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).  

Ces phénomènes favorisent l’apparition et la transmission de virus qui mutent ensuite pour se propager entre les êtres humains. L’accroissement des déplacements globaux (le trafic aérien a été multiplié par 7 ces quarante dernières années) et la concentration d’une population de plus en plus nombreuse dans des mégapoles favorisent les contaminations. Par ailleurs, les variations des conditions climatiques, comme la température, le régime des précipitations et l’humidité, ont par exemple un effet important sur la durée de vie du moustique, sur le développement des parasites du paludisme dans le moustique et, ensuite, sur la transmission de la maladie. L’Institut Pasteur le précise : « Certains vecteurs de ces maladies, tels que le moustique Aedes, sont désormais implantés dans les régions tropicales et tempérées du globe, favorisant la propagation des arbovirus ».

Le lien entre le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et la santé mondiale est inextricable.

Pourquoi il est essentiel d’investir dans la santé mondiale

La lutte contre le Covid-19 a freiné la lutte contre les autres maladies infectieuses comme la tuberculose, le paludisme et sida : une grande partie des ressources mobilisées pour lutter contre ces maladies ont été réaffectées à la lutte contre le Covid-19 et de nombreux soins n’ont pas pu être dispensés pendant les périodes de confinement et de surcharge des hôpitaux.

Alors que des traitements existent pour éviter la propagation du sida, de la tuberculose et du paludisme, ces maladies infectieuses font encore des millions de victimes chaque année, en particulier chez les plus pauvres.

En dépit des avancées colossales effectuées dans la lutte contre le paludisme ces deux dernières décennies, la pandémie de Covid-19 a fortement impacté cette lutte. Depuis 2018, les financements stagnent, la résistance aux médicaments et aux insecticides progresse et le changement climatique menace de propager le paludisme dans de nouvelles régions.

Nombreux sont les services de dépistage ayant été contraints de fermer entre 2019 et 2020. De fait, les dépistages du VIH ont baissé de 22%, le taux de décès lié au paludisme a augmenté de 12% et le nombre de personnes traitées pour une tuberculose résistante a diminué de 19%. Cela s’explique à la fois par la crainte d’attraper le Covid, mais aussi à cause des perturbations dans les services de transport ou les ordonnances de confinement.

Bien que le nombre de personnes recevant le traitement du VIH ait augmenté en 2020, le nombre de personnes dépisté à, quant à lui, chuté de 40% en Asie et en Afrique. Avec la diminution des services de prévention de la transmission de la mère à l’enfant, un plus grand nombre de bébés naîtront avec le VIH, ce que pourrait anéantir des années de progrès dans la prévention du VIH à la naissance.

La tuberculose et le Covid ayant des symptômes similaires, comme la toux, la fièvre et les difficultés respiratoires, les deux maladies peuvent être confondues : le rejet social et la peur entourant le nouveau virus dissuadent certains patients de consulter. Une personne atteinte de la tuberculose active non traitée peut transmettre la maladie à 15 personnes par an.

Si les efforts mondiaux de lutte contre les maladies infectieuses stagnent ou s’arrêtent, ces maladies rebondiront rapidement et les progrès seront perdus. D’où l’importance évidente d’augmenter le financement du Fonds mondial pour permettre de rattraper ce retard, ainsi que de créer des systèmes de santé plus robustes afin de faire face aux futures pandémies.

La pandémie de Covid-19 a permis de mettre en exergue la vulnérabilité de certains services de santé, l’inégalité vis-à-vis de l’accès au soin, ainsi que notre manque de préparation face aux risques sanitaires.  Ainsi, l’anticipation des prochaines épidémies passe par le renforcement des systèmes de santé.

L’apparition de nouveaux virus ajoutée à la pauvreté endémique et aux catastrophes naturelles rencontrées par certains pays d’Asie et d’Afrique aura pour conséquence d’augmenter la vulnérabilité des personnes vivant dans des environnements où le sida, la tuberculose et la malaria sont le plus présents.

Lutter contre ces trois pandémies, c’est lutter pour une plus grande sécurité sanitaire mondiale. Pour le Fonds mondial, cette lutte implique d’investir dans des systèmes de santé inclusifs et résilients. Cela passe par la formation, la rémunération convenable et la protection d’agents de santé communautaires : des médecins, infirmiers, techniciens de laboratoire, etc. Mais, également, le renforcement des stratégies anticipatives.

La pandémie de Covid a creusé un peu plus les inégalités d’accès aux soins entre les pays développés et les pays en voie de développement. Comme souvent, la première réponse apportée est l’aide humanitaire, notamment aux pays qui éprouvent des difficultés à vacciner leur population et à distribuer des masques. Il est pourtant important de sortir de la logique humanitaire pour développer des systèmes de santé publique solides et autonomes dans les pays en voie de développement.

Le coût de l’inaction

Les milliards nécessaires pour prévenir les crises sanitaires ne sont rien à côté des milliers de milliards dépensés à cause des faillites, des pertes d’emplois et des plans de relance, coût que l’économie mondiale a dû et doit payer en cas d’urgence sanitaire comme celle liée à la pandémie de Covid-19. Une contribution financière de la France de 1,685 milliard d’euros pour les trois prochaines années, soit 562 millions d’euros par an, ne représente à titre de comparaison que 3,4% des bénéfices de Total en 2021.

Par ailleurs, investir dans la santé mondiale permet d’assurer notre sécurité à tous. Mettre fin à ces trois pandémies le plus vite possible, c’est aussi garantir que les pays du monde entier, et notamment les pays en développement qui en sont les principales victimes, seront mieux préparés et plus à même d’affronter la prochaine crise sanitaire mondiale et d’assurer notre sécurité à tous.

Certains pays comme les États-Unis, le Japon et l’Allemagne ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à remettre la lutte au cœur des préoccupations en s’engageant très tôt à verser des contributions importantes au Fonds mondial pour la période 2023-2026. On craint cependant que d’autres grands donateurs ne soient pas au rendez-vous, ce qui aurait de profondes répercussions sur le plan humain. La France, quant à elle, doit encore se prononcer sur sa contribution.

Tableau 1.  Des milliards dans la balance : un examen plus approfondi des 10 principaux donateurs du Fonds mondial en fonction des contributions cumulées à compter de 2021

Conclusion

La santé mondiale revêt des enjeux humanitaires, économiques, politiques et sociaux. Elle représente un investissement d’avenir dont la nécessité a été soulignée par la crise du Covid-19. À l’ère de la mondialisation, les menaces sanitaires sont d’envergure internationale. Les progrès effectués en matière de prévention et de soins ces vingt dernières années ont démontré leur efficacité lorsqu’un engagement politique et des financements cohérents et pérennes sont concentrés sur les menaces sanitaires mondiales auxquelles nous faisons face. Au regard de l’urgence climatique et de l’interconnexion croissante de nos sociétés, l’incertitude n’est plus de mise et nous savons qu’il nous incombe de nous préparer aux défis à relever dans le domaine de la santé. Investir dans la santé publique mondiale, c’est investir pour un monde en meilleure santé et donc plus stable. Le Fonds mondial est l’un des organismes les mieux placés pour affronter ces défis.


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    Une zoonose est une maladie infectieuse des animaux vertébrés transmissible à l’être humain.

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