Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt ont publié un rapport intitulé « Sahel : repenser l’aide publique au développement », désormais disponible en ligne sur le site du Sénat. Ils ont répondu aux questions de la presse
Pourquoi le Sahel semble-t-il être aujourd’hui au centre des attentions de la communauté internationale?
Henri de Raincourt : Nous aurions dû nous y intéresser davantage et bien avant ! Le Sahel est cette immense région assez hétérogène, enclavée entre le Maghreb au Nord et la zone tropicale bordant le golfe de Guinée au Sud et composée de pays francophones. La partie méridionale concentre un certain nombre d’atouts, en particulier un bon potentiel agricole, une urbanisation qui constitue un creuset pour accélérer la croissance et une jeunesse nombreuse. En revanche, le nord souffre d’une conflictualité croissante depuis les années 2000, avec de nombreux trafics et bien entendu les groupes terroristes qui ont été à l’origine de la crise malienne en 2012-2013 et qui sont toujours présents malgré l’opération Barkhane de l’armée française. En toile de fond, on observe une très forte croissance démographique qui paraît difficilement compatible avec le développement.
Les enjeux de la stabilité et du développement du Sahel pour l’Europe et pour la France en particulier sont évidents. Il y a d’abord pour nous un enjeu, très médiatisé actuellement, de sécurité : trafic de personnes, trafic de drogue, terrorisme… Mais nous avons aussi des intérêts économiques et stratégiques dans cette région qui deviendra peut-être un réservoir de croissance. Il y a également les enjeux migratoires : l’immigration d’origine subsaharienne, auparavant assez modérée, a beaucoup augmenté ces dernières années. Enfin, plus globalement, nous savons maintenant que la stabilité et le développement sont des biens communs que nous avons tous intérêt à préserver, d’autant que le Sahel n’est pas loin de l’Europe !
Quel est le bilan de l’aide au développement dans cette région ?
Hélène Conway-Mouret : Ce bilan est pour le moins mitigé. L’effort financier des bailleurs bilatéraux et multilatéraux au cours des dernières années est pourtant bien réel. À titre d’exemple, avant la crise, le Mali recevait des montants de l’ordre de 850 millions d’euros d’aide publique au développement par an. Les régions du nord n’étaient pas non plus délaissées.
Il est indéniable que cet apport significatif n’a pas eu les résultats escomptés. En fait, l’aide publique a été ponctuellement très utile avec de nombreuses réalisations dans le domaine de la santé, des infrastructures, du renforcement de certaines institutions, etc. Malheureusement, ces progrès réels n’ont pas permis d’enclencher un processus global de développement, créateur de richesses et d’emplois. En outre, une fois les bailleurs partis, les réalisations sont fragiles, surtout dans le nord du Sahel où un conflit peut ruiner en quelques jours les efforts de développement de plusieurs années.
Henri de Raincourt : Les raisons de ce relatif échec sont d’ailleurs bien identifiées. C’est d’abord un manque de stratégie globale de développement. Les bailleurs ont bien une telle stratégie, mais chaque bailleur a la sienne ! Surtout, les États du Sahel ne parviennent pas à faire rentrer l’aide publique au développement dans leur propre stratégie, leur propre vision du développement de leur pays. Malgré des progrès réels, notamment le fait que les bailleurs de coordonnent mieux entre eux, ce qui facilité beaucoup la tâche des pays aidés, l’application des principes de la déclaration de Paris de 2005 sur l’efficacité de l’aide reste souvent superficielle. Ensuite, certains secteurs ont été un peu négligés. L’agriculture n’a pas eu la place qui lui revenait logiquement s’agissant d’un secteur qui est le premier employeur du Sahel et qui dispose d’un potentiel productif important. Enfin, le concept d’approche globale sécurité/développement, très en vogue, n’est pas encore pleinement opérationnel, les acteurs ayant du mal à se coordonner.
La maîtrise de la démographie n’est pas non plus traitée directement, car c’est un sujet difficile qui exige à la fois beaucoup de courage politique et une grande finesse d’approche pour ne pas heurter de front les représentations. Il faut néanmoins reprendre la main dans ce domaine car le développement est très difficile avec une croissance démographique supérieure à 3% par an.
Quelles sont les principales propositions de votre rapport ?
Hèlène Conway-Mouret : Compte tenu des enjeux, nous pensons d’abord qu’il faut remettre le Sahel au cœur de notre aide au développement, avec une stratégie si possible unique et partagée entre tous les bailleurs, que nous discuterons ensuite avec les États partenaires. Ensuite, il faut des moyens financiers à la hauteur, notamment en subventions pour pouvoir intervenir en prévention des crises crise ou en stabilisation juste après. C’est pourquoi nous préconisons notamment la création d’une facilité dédiée de gestion des crises logée à l’Agence française de développement (AFD).
Un autre axe essentiel de nos recommandations est de prendre l’habitude de travailler davantage avec la société civile et avec la jeunesse et de mettre l’accent sur la bonne gouvernance. Une partie significative de la société de ces pays considère la justice et la lutte contre la corruption comme une priorité absolue et nous devons l’entendre. Je citerai enfin la création d’un Observatoire indépendant de l’évaluation, regroupant des services pour le moment épars au sein de notre administration, qui seule permettra de conférer aux évaluations des projets et des programmes d’aide au développement l’indépendance dont nous avons besoin pour réorienter notre aide, voire pour mettre fin à ce qui ne fonctionne pas.