Conserver la « culture rugby » ne peut se résoudre par la seule règlementation punitive les problèmes qui peuvent apparaître lors de matchs internationaux ou amateurs. Dans une note présentée par Richard Bouigue, co-directeur de l’Observatoire du sport de la Fondation, François Rauch, président de la commission affaires publiques de la Fédération française de rugby, prône des solutions durables comme augmenter la base de licenciés et le nombre de clubs ou intégrer ceux et celles qui ont été tenus trop longtemps à l’écart des terrains de sport. Outre les victoires des équipes de France, c’est aussi par l’éducation et par l’inclusion que le rugby saura maintenir cette culture unique faite de respect et de fête.
Avant-propos, par Richard Bouigue
Quel bilan tirer de la Coupe du monde de rugby ? C’est l’exercice, toujours difficile, auquel se livre François Rauch, président de la commission affaires publiques de la Fédération française de rugby, dans sa dernière note pour la Fondation Jean-Jaurès. Les chiffres pourtant parlent d’eux-mêmes : 95% de taux de remplissage dans les stades, 230 millions de téléspectateurs cumulés, 600 000 visiteurs étrangers… What else ?
Le premier intérêt de la note de François Rauch réside dans le fait qu’elle n’en tire aucun triomphalisme mais des enseignements pour affirmer ou ajuster la politique de la Fédération française de rugby (FFR). Il aborde le sujet avec humilité et se souvient probablement des problèmes de filtrage qui ont émaillé le début de la compétition, empêchant des centaines de spectateurs de voir le début du match opposant l’Angleterre à l’Argentine le 10 septembre 2023 au Stade vélodrome à Marseille. Ou encore, le même jour, un peu plus tôt, quand d’autres spectateurs ont rencontré des difficultés pour rejoindre le stade de Bordeaux pour voir Irlande-Roumanie en raison de la saturation des capacités de prise en charge dans les transports en commun. Dans les deux cas, il faut saluer la réaction rapide et efficace de toute la chaîne d’organisation qui a admis le problème et mis en œuvre très vite des solutions pour y remédier. C’est un exemple de la force du collectif France 2023, de haut en bas, auquel François Rauch rend justement hommage pour sa contribution essentielle au bon déroulement de cette Coupe du monde. Pour autant, l’honnêteté commande de dire que ce collectif aurait gagné à associer davantage les clubs amateurs. Sur ce type d’événements, il faudra penser à embarquer toute l’« ovalie ».
La fête a été belle, mais reconnaissons qu’elle n’a pas été celle que tout un peuple espérait. L’élimination du XV de France par l’Afrique du Sud en quart de finale de la compétition a douché l’ambiance, comme on dit. Il faut reconnaître à François Rauch d’avoir ici la bonne distance pour ne jamais faire de l’arbitre l’unique responsable de la déconvenue des Bleus face aux Springboks. Contre la tentation facile de désigner un coupable, il rappelle avec raison que les décisions de l’arbitre, aussi maladroites soient-elles, constituent des faits de jeu et doivent demeurer incontestables. Elles ne sauraient surtout jamais autoriser le torrent de violences et de haine à l’endroit de l’« homme en noir » qu’elles ont suscité dès la fin du match. La déception ne permet pas tout et ne justifie aucune menace. L’action à long terme de la FFR présentée dans la note va dans le bon sens en conciliant information, formation, éducation et sanction sans méconnaître que le rugby n’évolue pas en vase clos et qu’il est traversé par les violences qui parcourent la société.
Le deuxième intérêt de cette note réside dans le fait que François Rauch pose avec beaucoup de pertinence les défis auxquels le rugby est confronté à ce moment de son développement et de son histoire. Comment préserver « l’esprit rugby » à l’heure de sa financiarisation et éviter les dérives du sport-business comme cela a affecté le football ? Comment préserver la culture rugby qui est la marque et l’ADN de ce sport ? Comment affirmer le caractère inclusif du rugby, développer le rugby à l’école pour renforcer l’école de rugby ? L’auteur esquisse des réponses mais surtout il a l’excellente idée de faire un détour par le rugby amateur pour l’engager dans la bataille.
C’est en effet le troisième intérêt de cette note que de rappeler la solidité du continuum entre le rugby de l’élite, celui du Top 14 et de l’équipe de France, et le rugby des champs, celui des petites villes du monde rural et des quartiers au pied des immeubles. À l’heure où certains envisagent de scinder les deux, de créer deux championnats distincts, François Rauch affirme que l’un ne va pas sans l’autre, qu’ils sont solidairement et intimement liés en dépit des différences de niveaux. Antoine Dupont et Romain Ntamack, comme Manae Feleu. C’est salvateur, le divorce ne présente aucun intérêt pour la famille rugby. Au contraire, le moment est probablement venu d’affermir ce lien et d’encourager la responsabilité sociale et sportive des clubs de l’élite envers les clubs amateurs de leurs territoires.
Le rugby amateur fait vivre les valeurs du rugby et l’esprit rugby à travers ces milliers de bénévoles investis dans l’ombre tout au long de l’année sur les bords du terrain. Ils font battre le rugby au cœur des territoires mais leurs dirigeantes et dirigeants sont en mal d’aide sur le plan pratique et logistique – le coût des déplacements, le coût des arbitres… – et surtout, en mal de reconnaissance pour leur engagement qui contribue pourtant à renforcer la convivialité, la solidarité… Ce « halo » sociétal gagnerait à être davantage pris en compte dans les aides financières aux clubs.
La nouvelle équipe à la tête de la FFR semble prête à s’engager dans cette voie, François Rauch et Florian Grill en tête. C’est une très bonne nouvelle et l’un des enseignements post-Coupe du monde les plus précieux.
Introduction. La Coupe du monde de rugby : un succès populaire
La Coupe du monde de rugby qui s’est disputée en France du 8 septembre au 28 octobre 2023 a été une incontestable réussite. Les tribunes étaient pleines, y compris pour des rencontres concernant des pays « émergents » tels que le Portugal ou le Chili. Et l’ambiance était à la fête dans les stades, aux abords de ceux-ci, ainsi que dans les Villages-Rugby. Quelques chiffres illustrent cela : un taux de remplissage des stades à 95% ; 2,4 millions de spectateurs (1,7 million au Japon en 2019) ; plus de 230 millions de téléspectateurs cumulés en France ; 18,4 millions de téléspectateurs pour France / Afrique du Sud ; 600 000 visiteurs étrangers représentant 45% des acheteurs de billets ; 1,6 million de visiteurs dans les dix Villages-Rugby (1,1 million au Japon en 2019)1Sources : France 2023 et World Rugby..
Ce succès s’explique d’abord par le travail remarquable des équipes de France 20232« France 2023 » ou « Comité d’Organisation de la Coupe du monde de rugby 2023 » était le Groupement d’intérêt public réunissant la FFR, l’État français et le CNOSF, chargé d’assurer la livraison et l’héritage de l’événement. en relation avec la Fédération française de rugby (FFR) et les pouvoirs publics, que ce soit le ministère des Sports, des Jeux olympiques et paralympiques ou le ministère de l’Intérieur et leurs personnels sur le terrain. Les dispositifs d’accueil et de sécurité mis en œuvre pour l’occasion ont fait preuve de robustesse, sans aucun incident à déplorer, en dépit d’un contexte particulièrement exigeant (risques terroristes y compris avant le 7-Octobre). Sont également à remercier les collectivités publiques qui ont été le théâtre des 48 rencontres de cette épreuve et qui ontaccueilli les équipes internationales. Sans oublier les ligues régionales, les comités départementaux et les clubs amateurs qui, partout en France, ont organisé des après-midis ou des soirées de fête pour leurs licenciés à l’occasion des rencontres.
Il faut aussi mettre le succès de cette édition au crédit d’une « culture rugby » universellement partagée dans le monde des supporters de l’ovalie. Ceci tient au fait que le public qui assiste aux rencontres de rugby est, pour beaucoup, constitué de familiers de ce sport : joueuses et joueurs, bénévoles, anciens pratiquants, parents de joueuses et de joueurs ou plus largement passionnés de longue date de ce sport. Ce public a en partageune culture rugby qui repose sur le respect de l’adversaire, du jeu, des règles – mais aussi et surtout sur le sens de la fête, quel que soit le résultat, quel que soit l’adversaire. La chanson Dans les yeux d’Émilie3Dans les yeux d’Émilie est une chanson de Joe Dassin, écrite par Pierre Delanoë et Claude Lemesle, composée par Yvon Ouazana et Vivien Vallay, issue de l’album Les Femmes de ma vie (CBS Disques, 1978). est devenue, pour l’occasion, un tube planétaire, après avoir été un refrain de troisièmes mi-temps chanté sous toutes nos latitudes.
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Abonnez-vousQuelques nuages dans un ciel bleu
Mais il est un nuage lourd dans ce ciel bleu : le quart de finale opposant la France à l’Afrique du Sud4Le 15 octobre 2023 au Stade de France, victoire de l’Afrique du Sud sur la France : 29-28.. Non pour le résultat de cette confrontation car il est certain que le XV de France se relèvera de cette défaite. L’inquiétude vient de la contestation de l’arbitrage à cette occasion ; une contestation inédite par son ampleur et par sa violence, dans la presse et sur les réseaux sociaux, provenant du grand public comme de nombre d’initiés. Il a fallu l’intervention de Florian Grill, président de la FFR, du sélectionneur comme de certains cadres de l’équipe de France pour calmer les esprits et rappeler une loi d’airain : l’arbitre est humain, donc faillible, mais il doit demeurer incontestable. Comme pour les joueurs, l’erreur fait partie du jeu.
Pour les dirigeants de la FFR, une ligne rouge a été franchie à cette occasion et cet épisode a agi comme un révélateur d’une « atmosphère » faite d’incivilités, voire de violences, qui, si l’on n’y prend garde, pourrait gagner peu à peu le rugby, ses stades, ses terrains, ses vestiaires, essentiellement dans le monde amateur, au risque de perdre ce qui fonde l’âme et la culture rugby.
Même si ces violences restent encore marginales, notamment dans les championnats professionnels et le rugby féminin, la presse révèle parfois, dans le rugby amateur masculin, un nombre croissant d’agressions aux relents racistes, homophobes, entre joueurs, dans les tribunes, envers le corps arbitral. Évidemment, comme d’autres sports, le rugby reflète les tensions qui traversent notre société y compris pour ce qui est de la consommation des drogues avec la cocaïne toujours plus accessible et répandue. Comme d’autres sports, le rugby subit les contrecoups d’une financiarisation excessive, tout particulièrement dans les divisions qui forment la charnière entre le monde amateur et le monde professionnel. Et comme dans d’autres disciplines, les principaux éléments déclencheurs des faits de violences se trouvent derrière les mains courantes, sur les bancs de touche et à l’ombre des réseaux sociaux. Derrière les mains courantes – les rambardes qui séparent le terrain des spectateurs et ne peuvent être franchies – avec certains parents qui pensent que leur enfant est la future pépite du XV de France. Sur les bancs de touche où certains entraîneurs font passer l’enjeu sportif avant l’esprit sportif, pensant jouer à chaque match une finale du Top 14. À l’ombre des réseaux sociaux où les passions se déversent sans limites et sans filtres. Et ceci avec toujours les mêmes boucs émissaires, dont le corps arbitral. La FFR a donc décidé d’agir tout particulièrement au sein du rugby amateur. D’abord, sur le court terme, en mettant en place un plan national de lutte contre toutes les violences. Ensuite, sur le moyen terme, en augmentant sa base de licenciés afin d’ouvrir les stades à de nouveaux publics et parce qu’une joueuse ou un joueur de rugby, plus qu’un simple supporter, intègre les codes du rugby. Le pari est que les licenciés plus que tous les autres seront capables d’entraîner leur environnement amical et familial dans les stades, avec les codes et la culture rugby qui supposent l’apprentissage du respect.
La lutte contre toutes les violences sur et en dehors des terrains de rugby n’est pas une option. C’est une mission qui s’impose à la FFR comme à toute fédération sportive. Le code du sport l’oblige5Article L. 100-2 : « Avec l’État et les collectivités territoriales, les fédérations sportives veillent d’une part à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l’ensemble du territoire et à prévenir et à lutter contre toutes formes de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et sportives ». L’article L. 131-8 précise les moyens : « le contrat d’engagement républicain signé par la FFR inclut deux engagements : 1° Veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs, vis-à-vis, notamment, des violences sexistes et sexuelles ; 2° Participer à la promotion et à la diffusion, auprès des acteurs et publics de leur discipline sportive, des principes du contrat d’engagement républicain et d’organiser une formation spécifique des acteurs du sport pour qu’ils disposent des compétences permettant de mieux détecter, signaler et prévenir les comportements contrevenant à ces principes »., tout comme sa charte d’éthique et de déontologie6La charte d’éthique et de déontologie du rugby français prévoit que tous les acteurs du rugby ont comme responsabilité de garantir le bon déroulement et le plaisir du jeu, le dépassement de soi et la convivialité..
À ce titre et au vu d’incidents répétés, il s’avère essentiel de renforcer l’implication des autorités publiques comme la FFR pour préserver l’essence festive et éducative du rugby.
Un plan de lutte contre toutes les violences
Le plan de lutte contre les violences que la FFR met actuellement en place repose sur quatre axes graduels et complémentaires : sensibilisation, formation, prévention et sanction, avec pour chaque axe un dispositif humain et des outils adaptés permettant de faire face à toutes les situations. Comme un symbole de cette lutte, la FFR déploie en ce moment une application7E-arbitre est une application d’ores et déjà déployée en Ligue Île-de-France. destinée aux quelque 2900 arbitres qui, chaque week-end, s’emploient sur tous les terrains de France et font face, parfois, à des comportements inappropriés de la part des bancs de touche ou des tribunes, et plus rarement des joueurs. Afin de renforcer ce qui fait le caractère unique du rugby, à savoir le respect des règles et de l’arbitrage, et afin de faire de l’arbitre non seulement un acteur essentiel d’une rencontre mais aussi le baromètre évaluant l’atmosphère générale qui entoure une rencontre, cette application vise à modifier la relation entre l’arbitre et son environnement. Concrètement, au lieu de se concentrer sur les seuls joueurs, l’arbitre pourra avec cette application noter le comportement des entraîneurs sur les bancs de touche, comme celui des spectateurs avant, pendant et après le match. En fonction de ces notes, des actions de prévention ou de formation pourront être engagées de la part de la ligue compétente ou de la Fédération. Et la Fédération aura une cartographie documentée du climat régnant dans des clubs, des villes ou des régions. Pour protéger les arbitres, pour préparer les rencontres orageuses et pour apaiser les tensions.
Ce plan de lutte contre les violences comme cette application sont des dispositifs indispensables pour agir à court terme. À plus long terme, la FFR compte également agir en enrichissant le nombre et la qualité des licenciés et donc, in fine, des supporters en tribune. Car au rugby, les licenciés et leurs proches sont des spectateurs en puissance. Cet enrichissement passe par l’augmentation du nombre de femmes licenciées, non seulement parmi les joueuses, mais aussi parmi les bénévoles et les dirigeantes. Au sein d’un club, la mixité des genres comme la mixité sociale permettent de mieux intégrer les règles du « vivre-ensemble » sur le terrain comme dans les tribunes. Et, sauf de très rares exceptions, les rencontres féminines sont exemplaires. Les agressions verbales ou physiques de l’adversaire sont des épiphénomènes, les décisions arbitrales et les arbitres sont respectés et les troisièmes mi-temps avec l’équipe adverse sont festives.
Rugby féminin : objectif 100 000 licenciées
Le rugby féminin en France est d’ores et déjà une réalité. Dans les travées des stades de rugby, le nombre de femmes est important. Durant la Coupe du monde, 25% des billets ont été achetés par des femmes8Source : Bilan France 2023 et World Rugby à l’issue de la Coupe du monde..
Les matchs féminins sont attractifs. En mars de cette année, des matchs « élite 1 » du championnat de France féminin (l’équivalent du Top 14 chez les hommes) ont été joués devant plus de 6000 spectateurs : UBB/Romagnat ASM au stade Marcel-Michelin de Clermont-Ferrand et Stade toulousain/Blagnac au stade Ernest-Wallon à Toulouse avec un record à 6300 spectateurs.
Enfin, la récente Coupe du monde, masculine, a eu un effet « booster » sur le nombre de licenciées dans les clubs avec une augmentation de près de 18%9Source FFR (février 2024), voir annexe. pour les femmes contre 10,6% pour les hommes, ce qui est une excellente nouvelle.
Mais la FFR compte accélérer ce mouvement pour atteindre, sous quatre ans, le nombre de 100 000 licenciées sans délaisser bien sûr la promotion du rugby auprès des garçons et des hommes, ainsi que leur fidélisation.
Pour cela, la FFR met en avant deux des piliers qui fondent ses ambitions de fédération à mission : le pilier éducatif et le pilier sociétal.
Né et propagé à l’école au XIXe siècle, reconnu pour ses valeurs éducatives, le rugby peut naturellement revenir dans les cours d’école en France. Et ceci notamment grâce à la mise en place des « 30 minutes d’activité physique quotidienne » instaurées par les pouvoirs publics. Le rugby à cinq, une nouvelle pratique qui connaît un succès grandissant dans les clubs, se prête parfaitement à l’exercice en ceci qu’il se joue en mixité (a minima deux filles par équipe), sans contact et sans placage, à l’aide d’une balle en mousse. Facile à mettre en œuvre, inclusif, il permet de « dégenrer » la cour d’école tout en révélant les qualités des filles pour ce jeu. Il permet aussi de changer le regard et les habitudes des garçons quant à la pratique des jeux de ballon. La FFR distribue en ce moment 35 000 ballons aux écoles partout en France et propose aux pouvoirs publics la systématisation d’une formation des professeurs des écoles, actuels et futurs (en INSPÉ et sur site). Cette pratique permettra aux jeunes filles de découvrir un sport où chacune peut trouver sa place, quelles que soient ses caractéristiques physiologiques, et où chaque personnalité peut se construire dans le cadre d’un collectif. C’est aussi dans cette logique d’inclusion que la FFR déploie des opérations de sensibilisation au rugby dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Mises en œuvre depuis quelques années dans la Ligue Île-de-France, les opérations « Rugby pieds d’immeubles10Opérations de sensibilisation à la pratique du rugby menées par les clubs au bas des immeubles des QPV. » permettent à chaque fois d’intéresser un nombre impressionnant de jeunes filles. Avec ces opérations, la Ligue Île-de-France a reçu de la part de jeunes femmes des demandes de licence dans les clubs les plus proches allant parfois jusqu’à 40% du total enregistré, alors que la moyenne des licenciées est de 13% en France.
Pour ces jeunes femmes, le rugby est vécu comme un outil d’émancipation, d’ouverture, d’affirmation d’une identité à la fois individuelle et collective. Avec le rugby, elles vivent un destin singulier et s’attirent le respect de leur environnement. Le rugby transforme ces jeunes filles et ces jeunes filles transforment à leur tour non seulement leur quartier mais aussi les terrains et les tribunes de leurs clubs d’élection. Pour paraphraser le célèbre roman d’Hemingway, avec ces jeunes femmes, « le rugby est une fête ». C’est pour cette raison que ces opérations sont étendues à toute la France grâce aux 280 clubs situés en QPV.
Pour autant, il est aujourd’hui difficile de fidéliser cet afflux de nouvelles licenciées et de leur transmettre des valeurs de respect quand beaucoup de clubs n’ont pas de vestiaires adaptés. C’est pourquoi la FFR et les pouvoirs publics, à travers l’Agence nationale du sport (ANS), ont décidé d’injecter chacun cinq millions d’euros pour financer des projets de construction ou de réfection de vestiaires plus particulièrement destinés aux femmes.
Œuvrer pour l’inclusion des « extraordinaires »
L’amélioration du climat entourant les matchs de rugby dans le monde amateur passe aussi par l’inclusion de personnes « extraordinaires » avec des sections de rugby adapté ou de rugby-santé dans les clubs perpétuant ainsi la culture inclusive du rugby. Ces « extraordinaires » sont toutes ces joueuses et tous ces joueurs en situation de handicap ou affectés par un mal chronique. Leur présence dans un club, dans une équipe, dans une tribune conduit les « ordinaires », en compétition, bénévoles, dirigeants ou spectateurs, à modifier leur regard et leur comportement.
C’est, parmi d’autres, une des raisons pour lesquelles la FFR vise à la création de 100 sections de « rugby adapté » et 100 sections de « rugby-santé » en France contre environ 30 actuellement. Concernant le « rugby adapté », l’objectif que se fixe la FFR n’est pas réductible au seul volet sociétal ou éducatif. La Coupe du monde 2023 et, demain, les Jeux olympiques et paralympiques témoignent également d’une ambition sportive et festive. Durant la Coupe du monde, 12 000 personnes en situation de handicap ont été invitées gratuitement et dotées d’une place au prix le plus faible pour leur accompagnant. Et la Coupe internationale de rugby fauteuil qui s’est déroulée entre les quarts de finale et les demi-finales de la Coupe du monde de rugby a recueilli un véritable succès. D’ailleurs, la France peut nourrir de belles ambitions pour les prochains Jeux olympiques et paralympiques puisque son équipe a terminé cette compétition à une brillante quatrième place.
- 20 matchs opposant 8 équipes et 144 athlètes devant près de 18 000 spectateurs
- 2,8 millions de téléspectateurs sur les deux derniers jours de compétition
Conclusion
Pour conserver la « culture rugby », l’erreur serait aujourd’hui de tenter de résoudre par la seule règlementation punitive les problèmes qui peuvent apparaître lors de matchs internationaux ou amateurs. Ce sport étant une éducation en soi, un art de vivre, il faut non seulement augmenter la base de licenciés et le nombre de clubs qui proposent du rugby, mais aussi agir lors des années d’apprentissage dans les clubs. Et il est aussi impératif d’intégrer toute une part de notre société trop longtemps tenue à l’écart des terrains de sport, une exclusion qui fait violence à notre humanité et à notre corps social. Outre les victoires des équipes de France, c’est aussi par l’éducation et par l’inclusion que le rugby saura maintenir cette culture unique faite de respect et de fête.
Annexe
Nombre de licenciés au 01/02/2023 | Nombre de licenciés au 01/02/2024 | Variation | |
Féminin | 39 649 | 46 664 | 17,69% |
Masculin | 273 506 | 302 651 | 10,66% |
Total | 313 155 | 349 315 | 11,55% |
- 1Sources : France 2023 et World Rugby.
- 2« France 2023 » ou « Comité d’Organisation de la Coupe du monde de rugby 2023 » était le Groupement d’intérêt public réunissant la FFR, l’État français et le CNOSF, chargé d’assurer la livraison et l’héritage de l’événement.
- 3Dans les yeux d’Émilie est une chanson de Joe Dassin, écrite par Pierre Delanoë et Claude Lemesle, composée par Yvon Ouazana et Vivien Vallay, issue de l’album Les Femmes de ma vie (CBS Disques, 1978).
- 4Le 15 octobre 2023 au Stade de France, victoire de l’Afrique du Sud sur la France : 29-28.
- 5Article L. 100-2 : « Avec l’État et les collectivités territoriales, les fédérations sportives veillent d’une part à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l’ensemble du territoire et à prévenir et à lutter contre toutes formes de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et sportives ». L’article L. 131-8 précise les moyens : « le contrat d’engagement républicain signé par la FFR inclut deux engagements : 1° Veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs, vis-à-vis, notamment, des violences sexistes et sexuelles ; 2° Participer à la promotion et à la diffusion, auprès des acteurs et publics de leur discipline sportive, des principes du contrat d’engagement républicain et d’organiser une formation spécifique des acteurs du sport pour qu’ils disposent des compétences permettant de mieux détecter, signaler et prévenir les comportements contrevenant à ces principes ».
- 6La charte d’éthique et de déontologie du rugby français prévoit que tous les acteurs du rugby ont comme responsabilité de garantir le bon déroulement et le plaisir du jeu, le dépassement de soi et la convivialité.
- 7E-arbitre est une application d’ores et déjà déployée en Ligue Île-de-France.
- 8Source : Bilan France 2023 et World Rugby à l’issue de la Coupe du monde.
- 9Source FFR (février 2024), voir annexe.
- 10Opérations de sensibilisation à la pratique du rugby menées par les clubs au bas des immeubles des QPV.