Robert Kennedy, 50 ans après

À l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Robert Kennedy, Guillaume Gonin, auteur de Robert Kennedy (Fayard, 2017), et Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), rappellent à quel point les progressistes peuvent se tourner vers lui pour puiser leur inspiration dans ses combats contre les racismes et les injustices, et pour l’exemplarité politique.

Longtemps méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique, Robert Kennedy revient enfin dans la lumière à l’aune du cinquantenaire de son assassinat. Il était grand temps. En France, il convient de rappeler qu’il était le frère du président Kennedy avant de le présenter. Mais, aux États-Unis – et ailleurs dans le monde –, il suffit de dire « Bobby » pour savoir de qui l’on parle : une figure à part dans le paysage politique, respectée tant par les démocrates que par les républicains ; une source d’inspiration pour Nelson Mandela, Barack Obama et tant d’autres leaders du monde ; un espoir et un regret, surtout, pour des millions d’Américains.

Car, il y a cinquante ans jour pour jour, disparaissait effectivement Robert Francis Kennedy (RFK), fauché à quarante-deux ans en pleine campagne présidentielle. Abattu le soir de sa victoire aux primaires de Californie, il semblait prendre la route de la Maison blanche, promettant de mettre fin à la guerre du Vietnam et de s’attaquer aux inégalités qui défiguraient son pays. C’était le 6 juin 1968. Deux mois à peine après Martin Luther King Jr., l’Amérique progressiste perdait ainsi son dernier espoir, au terme d’une décennie politique cruellement mortelle – où succombèrent aussi Medgar Evers, John F. Kennedy et Malcolm X.

En ce 6 juin 2018, tandis que planent encore les ombres de ces géants disparus sur nos démocraties fatiguées, il convient d’honorer la mémoire de Robert Kennedy et de Martin Luther King – non pas en les confinant dans une nostalgie dépassée des années 1960, mais plutôt en mettant en lumière ce que leurs itinéraires nous révèlent sur le monde d’aujourd’hui. Et en poursuivant leurs combats, dont le plus élémentaire est la construction d’une société pacifique, démocratique et fraternelle. « Dompter la sauvagerie de l’homme », disait Robert Kennedy au soir de l’assassinat du pasteur noir, en référence à la sagesse de la Grèce antique. 

Ce fut l’intime conviction d’un homme forgé par les tragédies personnelles et publiques, inextricablement liées quand on s’appelle Kennedy. En effet, conservateur, rigide, dogmatique, le jeune Bobby s’est d’abord attaqué à la corruption des syndicats et la mafia, avant d’être aspiré dans le sillon politique de JFK – comme directeur de campagne et ministre de la Justice. D’une main de fer, il a ainsi protégé les intérêts du président et de son pays. Puis, quand son monde s’est écroulé à Dallas, le 22 novembre 1963, Robert Kennedy a engagé une transformation personnelle et politique d’une profondeur et d’une sincérité rarement égalées en politique. 

À tel point que ce fils de milliardaire est devenu le héraut des laissés pour compte de l’Amérique, la voix de ceux qui n’en avaient pas – jusqu’aux Indiens d’Amérique, éternels oubliés de l’histoire. Tout comme ce « faucon », qui appuyait avec vigueur la guerre au Vietnam comme ministre, s’est mué en porte-parole de la paix durant la présidentielle de 1968. Une telle évolution a de quoi inspirer. Après 1963, quand on lui demande pourquoi il ne soutient plus la peine de mort, il répond simplement : « parce que je n’avais pas encore lu Camus. »

Sans cesse bousculer nos préjugés, toujours refuser l’inacceptable et ne jamais craindre d’inventer de nouveaux outils : voilà les pistes que sa trajectoire brisée nous laisse en guise d’héritage, pour que nous puissions, nous aussi, combattre les inégalités qui rongent nos sociétés – et rendre toute vie digne. Au crépuscule de sa vie, Bobby Kennedy aimait citer le poète George Bernard Shaw : « Certains voient le monde tel qu’il est et demandent : pourquoi ? Je regarde le monde tel qu’il pourrait être, et je demande : pourquoi pas ? ». Cinquante ans après sa disparition tragique, qui continue de nous hanter, ce mélange de courageuse lucidité, d’ambition réformatrice, d’audace sincère et de volonté de transformer nos sociétés constitue une voie pour tous les progressistes du XXIe siècle. À nous de l’emprunter.

 

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