Alors que l’épidémie due au coronavirus questionne notre modèle économique et sociétal, cette crise et ces épreuves doivent être l’occasion de transformer notre société pour préserver notre humanité et rétablir l’équilibre de notre planète. Pour y parvenir, l’Agenda 2030 est un outil à exploiter, par la concertation et par une prise de conscience collective. C’est ce que proposent Jennifer De Temmerman et Alain Dubois en s’appuyant sur les expertises d’une vingtaine de personnalités ; celles-ci sont à retrouver dans quatre rapports dont le deuxième, présenté ici, porte sur les enjeux d’économie et de finances durables.
Retrouvez:
- le premier rapport Gouvernance et développement durable (6 novembre 2020)
- le troisième rapport Regards sociétaux pour un avenir durable (19 novembre 2020)
- le quatrième rapport Préservation durable de notre patrimoine naturel (27 novembre 2020)
Table des matières
Préface
Impulser une économie durable en Europe : la finance autrement
Lucie Pinson, Michael Vincent
La finance privée à l’heure de la transition écologique et solidaire
La régulation financière pour une économie verte
En bref, les propositions
Les finances publiques : clés de voûte d’une transformation durable
Céline Charveriat, Sébastien Treyer
Aligner les budgets publics avec l’Agenda 2030
Financement public et transition écologique en Europe
En bref, les propositions
Activités et investissements économiques : quels modèles à construire ?
Christophe Revelli, Alain Mamou-Mani
La transition écologique : un sujet qui a traversé des siècles
Un modèle de finance durable à mettre en place à grande échelle
En bref, les propositions
Conclusion
Les coordinateurs :
Jennifer De Temmerman est députée du Nord – 15ème circonscription, membre de la commission des finances à l’Assemblée nationale et de la commission des affaires sociales, de la santé et du développement durable à l’Assemblée, parlementaire du Conseil de l’Europe.
Alain Dubois est président des Acteurs régionaux du développement durable et membre du Comité 21. Il a été secrétaire national des Amis de la Terre (1983-1992), chargé de mission au ministère du Développement durable (1992-2006), conseiller développement durable au cabinet du maire de Valenciennes (2006-2010) et délégué RSE Orange Nord-de-France (2010-2017).
Les intervenants :
Lucie Pinson : Fondatrice de Reclaim Finance après plusieurs années de campagne sur la responsabilité des acteurs financiers dans les injustices sociales, environnementales et climatiques. De 2013 à 2017, elle a travaillé en tant que chargée de campagne pour Les Amis de la Terre. En 2018, elle a rejoint Sunrise Project en tant que coordinatrice européenne d’une campagne internationale tout en poursuivant bénévolement son engagement auprès des Amis de la Terre-France. Elle est membre du conseil d’administration français du think tank 2°C Investing Initiative.
Michael Vincent : Il travaille sur les questions de stabilité financière en tant qu’expert de l’économie et de la finance pour les institutions européennes à Bruxelles. Il enseigne également la régulation financière et l’histoire des crises à l’université Sorbonne / École polytechnique. Ingénieur de formation, il a commencé sa carrière à la City de Londres pendant plusieurs années, ce qu’il raconte dans son livre Le banquier et le citoyen. L’Europe face aux crises financières, Paris, Fondation Jean-Jaurès, 2019. Il est président de l’ONG Greentervention pour la transition écologique et solidaire.
Céline Charveriat : Chercheuse experte et fervente militante, elle influence depuis plus de quinze ans les débats, les politiques et les pratiques dans le domaine du développement durable et du changement climatique. Elle a débuté sa carrière à Washington en tant que chercheuse à l’Institut Peterson et à la Banque interaméricaine de développement. Elle a travaillé pendant plus de dix ans auprès d’Oxfam International. Elle a récemment été désignée par Euractiv comme la 30e personne la plus influente sur la politique d’union de l’énergie de l’Union européenne.
Sébastien Treyer : Ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, et docteur en gestion de l’environnement, il est spécialiste de la prospective au service des politiques publiques et des négociations internationales sur le développement durable. Chargé de la prospective au ministère français de l’Environnement, il a notamment coordonné l’exercice de prospective Agrimonde11 avant de rejoindre l’IDDRI comme directeur des programmes en 2010 puis directeur général de l’institut depuis 2018. Il est actuellement président du comité scientifique et technique du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) et membre de la Lead Faculty du réseau Earth System Governance.
Alain Mamou-Mani : Titulaire d’une maîtrise en informatique de la faculté des sciences Paris-VI de Jussieu en 1967, il devient ingénieur informaticien et délégué CFDT à la Banque nationale de Paris pendant neuf ans. En 1979, il crée une des premières startups françaises, Go International, avant de devenir, en 1989, directeur général du groupe Nova Press. En 1992, il fonde le magazine Décision-Environnement qui fusionne en 2000 avec Environnement Magazine. En 1993, il fonde l’association Orée qu’il préside jusqu’en 1996. Entre 2014 et 2015, il devient le secrétaire général de l’association Énergies pour l’Afrique, présidée par Jean-Louis Borloo, agissant pour l’accès à l’électricité à tous les Africains. Il est également producteur, scénariste et écrivain.
Christophe Revelli : Titulaire d’un doctorat de l’université de Montpellier, il est professeur associé de Finance durable et fondateur du MSc Sustainable Finance de Kedge Business School qu’il gère depuis 2016 (premier master exclusivement dédié aux enjeux de la finance responsable en France et en Europe). Il est également titulaire de la chaire de recherche CANDRIAM/KEDGE « Finance Reconsidered Adressing Substainable Economic Developpement », membre actif des réseaux Post- Crisis Finance Network (POCFIN) et SDSN (Substainable Developpement Solutions Network) France et membre du conseil d’administration du Forum pour l’investissement responsable (FIR).
Préface : Remettons ensemble notre monde en question pour mieux construire demain
Jennifer De Temmerman et Alain Dubois
Depuis plusieurs mois, la France, comme la plupart des pays, est soumise au rythme du coronavirus.
La pandémie qui frappe le monde depuis la fin 2019 a bouleversé nos quotidiens. Nos frontières ne sont que constructions chimériques et personne n’est réellement épargné. Partout, les soignants, les forces de l’ordre et de sécurité, toute sorte de personnels auxiliaires souvent « invisibles » sont en première ligne. Les producteurs, les artisans, les transporteurs et les commerçants assurent la continuité de l’approvisionnement. Mais dans quelles conditions ?
Des premières alertes lancées par la Chine en décembre 2019 à la déclaration de pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) début mars 2020, notre société a été ébranlée par l’émergence de cette menace invisible, jusqu’à l’état de confinement comme une parenthèse improbable de nos certitudes. Ce confinement pourrait d’ailleurs être une nouvelle fois imposé, comme en Israël.
Alors que chacun a tenté, depuis, de s’adapter à sa manière, le coronavirus a mis en lumière nos fragilités autant que nos forces. Nous voyons encore aujourd’hui des réseaux d’entraide se créer et l’humanité révéler le meilleur d’elle-même. Mais nous constatons aussi, malheureusement, une fois encore le manque de résilience de notre organisation sociétale et la fragilité de nos modèles économiques et financiers. Nous ne savons pas quand nous en aurons fini avec cette crise.
Pourtant, ce n’est pas la première épidémie à portée internationale. Ces dernières décennies ont été marquées par les virus H1N1, Ebola et Zika, mais la propagation est demeurée relativement restreinte à certains continents et les autorités sanitaires ont souvent réussi à les circonscrire à certaines espèces animales avant la transmission (possible toutefois) à l’homme sur nos territoires. D’autres épidémies nous sont tellement familières qu’elles ne sont plus perçues comme telles (grippe ou sida).
Aussi ces menaces n’ont-elles peut-être pas suffisamment été prises au sérieux comme le suggérait pourtant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2016 à travers la voix de Sílvia Eloïsa Bonet, rapporteure, parlementaire de la principauté d’Andorre : « Certains experts sont convaincus que la prochaine menace de contamination à l’échelle internationale proviendra d’un autre virus, très probablement transmis par voie respiratoire ou aérienne comme le SRAS, et susceptible de se propager sur de grandes distances et plus rapidement, à l’image de la flambée épidémique survenue en République de Corée en mai 2015, avec un schéma comportemental totalement différent de l’épidémie d’Ebola. »
Cet extrait aux accents prophétiques souligne malheureusement une fois encore le manque de crédit accordé par les autorités politiques, et parfois l’opinion publique, à la parole des experts et scientifiques. Il en est de même pour les alertes lancées depuis des décennies au sujet de l’urgence climatique ou, plus récemment, sur la perte de biodiversité.
Le temps semble suspendu, mais il ne s’agit pas de refaire le passé et de s’étendre sur ce qui n’a pas été fait, même si l’on peut le regretter. Il s’agit au contraire de tirer des leçons de ces échecs et de mettre à profit cette situation inédite pour réfléchir au monde de demain.
Si nous ne devions avoir qu’une certitude, ce serait qu’il ne faut surtout pas reprendre la course antérieure. Les scientifiques alertent. Les associations, les organisations syndicales, de nombreuses personnalités multiplient les interventions en ce sens. Nous devons faire bloc face à l’ennemi invisible. Le confinement et son après doivent être mis au profit de la réflexion. Aucune épidémie ne nous prendra notre liberté de penser. Refusons les théories de l’effondrement et du désespoir. Remettons ensemble notre monde en question pour mieux construire demain.
Ce qui est sûr, c’est que cette épidémie met en lumière nos faiblesses : inégalités sociales, territoriales, fragilité de notre système de santé en raison du manque de moyens, fracture numérique, dépendance énergétique ou sanitaire, interdépendance de nos systèmes économiques et de nos appareils de productions, conséquences néfastes de la désindustrialisation.
Elle met aussi en valeur la solidarité des populations au niveau local avec la mise en place de réseaux de couturières pour produire des masques en tissu, ou encore l’organisation autour des sans-abri qui n’ont plus eu de lieu pour s’approvisionner en eau durant le confinement. Au niveau international, on peut noter le don par Taiwan de 10 millions de masques aux pays les plus touchés par la Covid-19.
Cette épidémie questionne notre modèle économique et sociétal. Une fois encore, comme lors de la crise de 2008, nos gouvernements sont obligés de prendre des mesures économiques fortes afin de préserver l’emploi et les entreprises. Pour la première fois, les ministres européens des Finances ont décidé d’activer la clause dérogatoire générale prévue par le Pacte de stabilité et de croissance et qui permet de déroger pendant un temps limité à la célèbre règle de 3% de déficit public et de 60 % de dette publique. Ce qui n’avait jamais été envisagé pour l’urgence écologique alors que les conditions climatiques, les bouleversements de la biodiversité ou encore la déforestation sont identifiés depuis des années comme des facteurs pouvant favoriser l’apparition et accélérer la propagation de potentielles épidémies, capables de mettre à mal l’économie.
Le coronavirus marque une crise dans notre société. L’histoire est jalonnée de crises qui ont accompagné des tournants et qui ont permis l’émergence du pire comme du meilleur. La Révolution française, avec sa part d’horreurs et de vicissitudes, a construit en partie notre modèle démocratique. La Première Guerre mondiale a conduit à une seconde guerre, bien pire. Mais celle-là a donné naissance à de grandes institutions internationales, comme le Conseil de l’Europe, gardien des droits humains sur notre continent, et l’ONU.
Cette crise et ces épreuves doivent être l’occasion pacifique de transformer notre société pour préserver notre humanité et rétablir l’équilibre de notre planète. Pour y parvenir, nous devons profiter de cet outil fabuleux qu’est l’Agenda 2030.
Cela se fera par la concertation et par une prise de conscience collective. De nombreux spécialistes et chercheurs ont déjà commencé à explorer les pistes et à élaborer des plans. De nombreux citoyens, individuellement ou réunis en associations, portent leurs propres propositions et actions quotidiennes. Nous avons souhaité, au travers des « Rendez-vous de la transition », en recueillir quelques-unes pour les rassembler et les mettre en lumière afin qu’elles puissent éclairer nos décideurs et chaque acteur qui voudra bien construire l’avenir.
Les paroles d’experts que nous vous proposons ne traitent pas les sujets de la transformation nécessaire dans son entièreté, mais ils cherchent à éclairer sur des questions essentielles. Puissent-elles vous éclairer et enrichir vos propres retours d’expériences et d’opinion.