Relations Europe-Maghreb : quel avenir ?

Dans le contexte des changements passés et en cours au Maghreb et au-delà (Algérie, Libye, Tunisie), l’ancien ministre Smaïl Goumeziane rappelle, pour l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation, l’évolution historique des relations entre l’Europe et le Maghreb de ces cinquante dernières années, établit un bilan pour le moins contrasté et négatif de cette coopération, et ses conséquences, mais s’interroge également sur les perspectives de ces relations.

Le partenariat entre l’Europe et le Maghreb a cinquante ans d’existence. Dès l’origine, il avait pour ambition de construire, en Méditerranée, un espace de paix et de progrès partagé. Au bout d’un demi-siècle, cet objectif a-t-il été atteint ? Pour le savoir, retour sur les principales étapes du partenariat euromaghrébin.

L’évolution du partenariat euromaghrébin

Les relations euromaghrébines1Pour plus de détails sur ces étapes, voir Jean François Drevet, « Le Maghreb et l’Union européenne (UE) », Diploweb, 4 mai 2016. stricto sensu sont passées par plusieurs étapes.

Les premiers accords d’association

Le premier accord commercial fut signé avec le Maroc en mars 1969, suivi au cours des années 1970 par des accords avec les autres pays du Maghreb. Au cours de cette période, trois pays maghrébins (Mauritanie, Maroc et Tunisie) avaient rejoint l’OMC (Organisation mondiale du commerce), alors que les deux autres pays (Algérie et Libye) ne sont, à ce jour, que des observateurs.

Ces premiers accords ont été marqués par le protectionnisme (préférence communautaire) de la Politique agricole commune (PAC) et une gestion restrictive des protocoles financiers (faibles montants, complexité des procédures d’accès, faible capacité d’absorption). Cela a rapidement suscité des frictions entre les partenaires.

Barcelone et Euromed

Au début des années 1990, la chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’URSS créent une situation nouvelle. Les ex-pays socialistes d’Europe centrale et orientale (PECO) multiplient les demandes d’adhésion à l’Union. Dans ce cadre, ceux-ci vont engager de véritables transitions économiques et politiques d’un système socialiste autoritaire vers un système de marché démocratique. Face à cette nouvelle concurrence, les pays du sud et de l’est méditerranéens (PSEM) se mobilisent pour exiger une relance de la coopération euro-méditerranéenne.

Le partenariat euro-méditerranéen (Euromed) est approuvé par la Commission européenne, à Barcelone, en novembre 1995. Il inclut une coopération économique (appui aux réformes et désarmement douanier), élargie aux nouveaux domaines de compétence de l’Union européenne (environnement, transports, coopération transfrontalière) et un dialogue politique. Il a par ailleurs donné lieu à plusieurs accords d’association (ou de libre-échange) de l’Union européenne avec chacun des pays, notamment avec la Tunisie (1995), le Maroc (1996) et plus tard l’Algérie (2005). Le fonctionnement du partenariat repose sur un cadre institutionnel complexe dans lequel cohabitent deux dispositifs : bilatéral – matérialisé par la conclusion d’accords d’association – et multilatéral.

Dans ce cadre, quelques progrès ont été réalisés, en matière de transport et d’environnement. Cependant, la logique commerciale et sécuritaire, souvent bilatérale (d’État à État), ayant prévalu, les résultats furent loin de répondre aux attentes des pays concernés. D’autant que le dialogue politique ne s’est jamais instauré – les partenaires européens se contentant au mieux de fermer les yeux sur l’évolution politique des PSEM et au pire d’y soutenir, pour des raisons économiques et de stabilité, les régimes autoritaires en place.

La politique européenne de voisinage (PEV)

À la fin de 2002, l’adhésion de 10 pays candidats à l’Union (8 ex-pays socialistes, Malte et Chypre) est finalisée. Aussitôt, le problème des relations à développer avec ceux qui n’ont pas vocation, au moins à court terme, à rejoindre l’Union se pose. Face aux pressions, l’Union finit par proposer à ces pays (6 ex-républiques soviétiques et 10 PSEM) une nouvelle politique européenne dite de voisinage (PEV) qui vise à soutenir et à favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans les pays les plus proches de ses frontières. Mais avec trois restrictions essentielles : aucune perspective d’adhésion ; aucune liberté de circulation des personnes ; un volume d’aides financières très inférieur à celui offert aux pays candidats à l’adhésion.

L’Union pour la Méditerranée (UPM)2À cela, il conviendrait d’ajouter le Groupe « informel » des 5+5 (France, Italie, Espagne, Malte et Portugal d’un côté, et les cinq pays du Maghreb de l’autre), initié dès 1990, et redynamisé à partir de 2011. Depuis plusieurs années, les travaux du groupe sont dominés par les questions sécuritaires.

Afin d’accompagner la PEV en direction de la Méditerranée, à défaut d’une grande communauté méditerranéenne, une Union pour la Méditerranée (UPM) est mise en œuvre à compter du 13 juillet 2008, suite à une initiative du président français d’alors (Nicolas Sarkozy), recadrée par l’Union européenne (notamment par l’Allemagne). L’UPM développe une approche globale, pacifique et à dominante économique au niveau de toute l’Europe et de toute la région sud et est méditerranéenne. Fondée sur le dialogue entre les États membres (28 pays de l’UE et 15 PSEM), l’UPM privilégie « l’approche projets » de dimension régionale et favorise les partenariats entre pays membres. Dans la configuration actuelle de l’UPM, le Maghreb occupe une place relativement marginale parmi les 16 pays éligibles à la politique de voisinage (PEV).

L’UPM, focalisée sur « l’approche projets », reste cependant, elle aussi, fondée sur la logique réductrice de « l’Europe des marchés et de la sécurité », contrairement à ce qui s’est fait avec les pays de l’Est, pour lesquels la logique de la transition économique et politique, plutôt pacifique, s’est imposée.

Pour autant, il faut noter qu’une telle approche se démarque sur bien des aspects du projet américain du « Grand Moyen-Orient » (de la Turquie jusqu’au Maroc, et plus largement de l’Afghanistan jusqu’en Mauritanie), promu dès 2004 par le président Bush, visant à l’exportation de la démocratie dans toute la région, fut-ce par recours à la violence. On connaît les résultats de ce « remodelage » du Moyen-Orient que cette stratégie américaine a tenté d’imposer en Irak, en Syrie, en Égypte, en Libye…

Ni paix, ni progrès partagé

Dès lors, et malgré l’UPM, le partenariat euromaghrébin n’a pas connu le succès escompté. Globalement, lorsqu’on fait le bilan de ce partenariat, on en tire, peu ou prou, les premiers enseignements suivants.

Au Maghreb comme ailleurs, la PEV a tout juste débouché sur une diversification de la coopération. Elle n’a pas entraîné de modification en profondeur des relations économiques (faible progression du libre-échange et refus de l’ouverture du marché à des produits dits « sensibles ») ni de forte croissance des flux budgétaires et financiers. Il n’y a pas eu d’afflux de capitaux européens, comme cela a été le cas dans les pays candidats d’Europe centrale, et l’aide publique européenne, verrouillée par le cadre budgétaire pluriannuel, n’a pas connu d’augmentation significative de ses montants. Résultat : au niveau économique, les effets attendus de l’ouverture des marchés et de la libéralisation n’ont pas été au rendez-vous. Ni en termes d’emploi, ni en termes de croissance, encore moins de développement.

De plus, malgré l’affichage de timides réformes, la bonne gouvernance n’est toujours pas la règle au Maghreb. Les pénuries, la spéculation et la corruption ont continué d’obscurcir l’espace économique maghrébin. Les phénomènes de prédation qu’on croyait liés aux seuls secteurs publics, aux grands contrats et à leurs clientèles nationales et internationales, se sont « démocratisés », continuant de profiter de l’absence ou de l’insuffisance de l’État de droit dans la région.

Sur les questions migratoires, du fait de la situation centrale du Maghreb en termes de flux (zone de transit entre l’Afrique et l’Europe) et de l’irruption du terrorisme, la gestion de la PEV, plutôt restrictive et soumise à la logique sécuritaire, a tourné au marchandage : l’UE a, par exemple, accepté de libéraliser le régime de visas en échange d’accords de réadmission des immigrants illégaux.

Enfin, en l’absence de réelles perspectives démocratiques, sur lesquelles elle n’a guère influé, l’Europe a continué de coopérer avec les régimes autoritaires, même si, parfois, une violation flagrante des droits de l’homme a conduit de façon provisoire à un refroidissement temporaire des relations.

Dans ces conditions, les relations entre le Maghreb et l’Europe ont continué d’être dominées par les relations bilatérales, souvent traditionnelles, et parfois opaques, d’État à État. Mais, au-delà de ces premiers enseignements, lorsqu’on examine la situation de plus près, l’état des lieux met au jour des déséquilibres plus structurels et des fractures beaucoup plus significatives entre les deux rives de la Méditerranée.

Une Europe s’ouvrant à l’Est et se fermant au Sud

Depuis l’instauration de la monnaie unique, la chute du Mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et l’élargissement à l’Est, l’Europe économique et politique s’est rapidement élargie à 28 pays membres. Grâce à cela, l’Europe, libérale et démocratique, est devenue une grande puissance économique : l’UE représente 22% du PIB mondial contre 27% pour les États-Unis.

Face à cette dynamique à l’Est, l’ouverture de l’Europe sur le Maghreb est restée plus que prudente. Le Maghreb ne représente qu’une faible fraction des échanges de l’Union européenne (3,6%), ce qui le situe au niveau de la Turquie (3,8%) et de la Norvège (4%). Pis, les exportations de l’Europe vers le Maghreb ne représentent que 2% de ses exportations totales quand, à l’inverse, les échanges du Maghreb avec l’Europe représentent près de 65% de ses échanges. Malgré la percée chinoise, l’Europe est toujours le premier partenaire commercial d’un Maghreb peuplé de 100 millions d’âmes, et l’espace maghrébin constitue sa première zone d’excédent commercial.

Il faut aussi noter la faiblesse des investissements de l’Europe au Maghreb. Ceux-ci représentent moins de 2% des investissements de l’Union dans le monde. De même, la coopération financière de l’Europe est plutôt maigre. À titre d’exemple, les flux financiers, prévus entre 1995 et 1999 pour toute la région sud-méditerranéenne, ont été de cinq milliards de dollars ou encore un milliard de dollars par an, c’est-à-dire en moyenne 90 millions de dollars par pays3Il en est de même du programme 2007-2013 de la PEV : un montant global de 12 milliards de dollars, soit en moyenne 100 millions de dollars par pays et par an..

Cette frilosité de l’Europe en matière d’investissements et de capitaux se double depuis plusieurs années maintenant d’une politique très restrictive en termes de flux migratoires en provenance du Maghreb.

Un Maghreb éclaté, conflictuel et sans libertés réelles

Face à cette Europe démocratique, puissante, unie, pacifiée, orientée vers l’Est et frileuse à l’égard de son flanc sud, le Maghreb apparaît d’autant plus fragile que celui-ci, depuis les indépendances, est composé d’États sans grandes relations entre eux. Atomisé, marqué par l’exiguïté des marchés nationaux et bien que largement ouvert sur l’extérieur (à plus de 35%, en moyenne), le Maghreb s’est complu dans les règles de fonctionnement autoritaires et administrées, agissant le plus souvent en ordre dispersé, et au coup par coup, sur la scène économique mondiale et européenne, les yeux fixés sur le Nord. Résultat, les objectifs maintes fois réitérés de construction d’une union douanière, d’un marché maghrébin, puis d’un véritable ensemble maghrébin n’ont pas été atteints.

Sans cohésion, ayant raté toutes ses tentatives d’unification, le Maghreb n’a toujours pas réalisé cet espoir que la création de l’UMA (Union du Maghreb arabe) en 1989 laissait entrevoir aux populations des cinq pays. Après plusieurs décennies d’indépendances, les pays du Maghreb, malgré de nombreux atouts, restent marqués par toutes sortes de rivalités attisées à la fois par la politique du « diviser pour mieux régner » mise en œuvre par les pays du Nord, par le conflit au Sahara Occidental (depuis 1975) et par l’émergence brutale de l’islamisme politique et du terrorisme dans toute la région.

Pour ces raisons, mais aussi à cause du mal-développement qu’ont connu ces pays et des programmes d’ajustement structurel qui leur ont été imposés, les populations du Maghreb ont subi toutes sortes de violences. En Algérie, le pays le plus frappé par ces vagues de violences, la radicalisation a conduit, tout au long des années 1990, à un affrontement brutal entre des groupes islamistes armés plus ou moins bien identifiés et un pouvoir autoritaire symbole du refus de toute transition démocratique et pacifique. Les révoltes et les conflits se sont étendus à toute la rive sud méditerranéenne avec l’éclosion des « printemps arabes » provoquant à la fois des révoltes contre les pouvoirs autoritaires en place (Tunisie, Égypte, Libye, Syrie…), et l’expansion brutale du terrorisme islamiste, notamment après l’irruption de Daech en Irak et en Syrie. Ces conflits, pour la seule Syrie, ont fait plus de 450 000 morts, des millions de disparus, de déplacés et de réfugiés.

Dans ces conditions, autant dire que la question des libertés a souvent pris le pas sur les revendications économiques immédiates, pour devenir centrale dans tous les pays du Maghreb. C’est pourquoi les fractures entre les deux rives de la Méditerranée ne cessent de s’approfondir.

L’exploitation des ressources énergétiques

La région méditerranéenne est à la fois une grande région consommatrice d’énergie, notamment fossile, une grande région de production d’hydrocarbures, voisine du Moyen-Orient et de la Mer Caspienne, et une région essentielle du transport de cette énergie (navires, oléoducs et gazoducs terrestres et sous-marins). Aussi, la Méditerranée est la principale, la plus féroce et la plus violente zone de compétition énergétique au monde.

Dans ces conditions, la fracture énergétique entre la rive nord et la rive sud est énorme. Au niveau mondial, les besoins énergétiques sont satisfaits à plus des deux tiers par le pétrole (40%) et le gaz (25%). Or, toute la production méditerranéenne de pétrole est le fait de la rive sud, à l’exception d’une production marginale de l’Italie. Cette production équivaut environ à un quart de la production des pays du Moyen-Orient.

En termes de balance énergétique (production-consommation), la fracture est encore plus significative : les pays déficitaires sont tous dans la rive sud (exceptés le Maroc, la Turquie et Israël). Le déficit, particulièrement élevé pour la France, l’Italie et l’Espagne, est satisfait par les importations. L’importance de cette énergie pétrolière et gazière est telle que la vente mondiale annuelle de produits pétroliers, évaluée en moyenne à 3 000 milliards de dollars dans les années 2000, crée un surplus financier (hors frais de production, de transport, stockage et distribution) de l’ordre de 2 200 milliards de dollars dont les deux tiers sont prélevés par… les pays du nord, notamment en Union européenne.

Cette fracture entraîne un triple déséquilibre : les pays consommateurs du nord dépendent pour leurs approvisionnements des pays producteurs du sud, mais ils perçoivent l’essentiel des surplus pétroliers ; les pays producteurs du sud dépendent pour leur développement des recettes tirées des exportations énergétiques ; enfin, les pays non producteurs du sud supportent à la fois une lourde facture énergétique (7% du PIB pour le Maroc) et un déficit commercial chronique.

On comprend aisément la position géostratégique de la Méditerranée, sur fond de rivalités aiguës, de jeux diplomatiques plus ou moins visibles, allant de négociations secrètes et autres marchandages jusqu’à la mise en œuvre directe ou indirecte de la politique de la canonnière, en réponse ou en prélude à des actions terroristes ou aux conflits qui se déroulent dans la région. Pour ces raisons, l’énergie tirée des hydrocarbures n’a de réel impact que sur les grands pays consommateurs du nord. Ainsi, les pays qui consomment le plus d’hydrocarbures (France, Italie, Espagne) réalisent à eux trois près de 80% du PIB de toute la zone méditerranéenne, quand les quatre pays producteurs du sud (Algérie, Libye, Egypte et Syrie) représentent moins de 5% du PIB méditerranéen.

Les inégalités économiques et sociales

Entre les deux rives, l’écart de richesse ne cesse de s’élargir. En 2018, le PIB de la seule Belgique (529 milliards de dollars) est largement supérieur à celui du Maghreb (380 milliards de dollars). Depuis de nombreuses années, en termes de revenu par tête d’habitant, le fossé entre les deux rives continue de se creuser. Ainsi, comparé au PIB/h/PPA (PIB par habitant à parité du pouvoir d’achat) de la France, l’écart qui était, en 1990, respectivement de 10 950 dollars (Algérie), de 13 937 dollars (Tunisie) et de 15 038 dollars (Maroc) passe, en 2017, toujours respectivement, à 27 504 dollars, 30 368 dollars et 34 562 dollars. Ce faisant, par rapport à 1990, l’écart moyen du PIB/h/PPA en 2017 a presque triplé !

Cette « dérive économique des continents » montre combien la thèse de la convergence, sous-jacente au processus de libre-échange, est contredite par la réalité. Une telle évolution conduit partout à la persistance de la pauvreté.

À l’intérieur de l’Union européenne, la persistance du chômage, la précarisation et l’exclusion de franges de plus en plus larges des populations, y compris celles qui sont au travail, sont sources d’inquiétudes. Déjà en 2011, selon Eurostat, 84 millions de personnes, soit 16,9% des Européens, vivaient sous le seuil de pauvreté. La pauvreté, la violence et l’insécurité se développent particulièrement dans les zones les plus fragiles des villes et des campagnes, conduisant à une marginalisation de plus en plus forte des populations les plus démunies, parmi elles les « travailleurs pauvres » – une des raisons de l’irruption et de la persistance, en France, du mouvement contestataire des « Gilets jaunes ».

Au Maghreb, les inégalités n’en sont pas moins larges. Les écarts de richesses entre pays maghrébins sont aussi importants qu’entre l’Europe et le Maghreb, soit des PIB globaux allant de 1 à 37 et des PIB/h/PPA allant de 1 à 5. Ainsi, en 2017, la Mauritanie dispose d’un revenu moyen (PPA) par habitant de 3 598 $, le Maroc de 8 217 $, l’Algérie de 15 275 $, la Tunisie de 11 911 $ et la Libye de 17 882 $. Malgré cela, dans tout le Maghreb, la pauvreté atteint des niveaux insoupçonnés. Le chômage y touche près de 16% de la population active en Libye, 15,3% en Tunisie, 12% (25% chez les jeunes) en Algérie et 9,3% au Maroc.

D’autres fractures dans la région sud-méditerranéenne, bien qu’extérieures au Maghreb, viennent compliquer cette situation. Le « vieux » conflit colonial israélo-palestinien, avec son cortège de drames et de douleurs, est aggravé par le déséquilibre économique qui s’est créé entre Israël et ses voisins. Celui-ci dispose d’un PIB/PPA par habitant 5 fois supérieur à celui du Maroc, et 8 fois supérieur à celui de la Palestine ! Pis, en 2017, le PIB global des 7 millions d’Israéliens, soit 350 milliards de dollars, équivaut à celui des 100 millions de Maghrébins, et à une fois et demi celui des 100 millions d’Égyptiens !

Enfin, la situation qui prévaut au Moyen-Orient (Irak-Syrie), suite aux « printemps arabes », continue également d’irriter les populations maghrébines. Celles-ci ne comprennent pas qu’un conflit, faisant des millions de victimes parmi les populations civiles et les enfants, s’achève par le maintien en place des pouvoirs autoritaires dans toute la région (à l’exception de la Tunisie) avec une certaine bénédiction de l’Europe, ou à tout le moins une certaine indifférence.

Le stress hydrique

Les conditions climatiques qui prévalent dans la rive sud et leur gestion sont à l’origine d’une fracture parfois sous-estimée, quand elle n’est pas ignorée : la fracture hydrique. Le bassin méditerranéen est un « hot spot » du changement climatique : d’ici à 2100, les températures devraient y augmenter de 4°C et la pluviométrie y baisser de 20%. Bien évidemment, chaque pays met en place des solutions nationales, mais l’eau ne connaît pas de frontières. Elle voyage. Aussi, l’un des enjeux est une pleine et entière interaction entre les pays durement frappés par cette raréfaction de l’eau.

Dès le milieu des années 1990, un rapport de la Banque mondiale signalait que le volume d’eau disponible par habitant au Maghreb (et au Moyen-Orient) était tombé de 3 300 mètres cubes en 1960, à 1 250 en 1996 et que, à ce rythme, on serait à 650 mètres cubes en 2025. Et de prévoir qu’à cet horizon, ce seront plus de 200 millions d’habitants qui n’auront pas accès à l’eau potable dans la rive sud-méditerranéenne.

D’autant qu’en matière hydraulique, comme dans bien des domaines, les politiques maghrébines ne sont pas davantage coordonnées. Les Marocains ont plutôt investi dans la petite et moyenne hydraulique, les Algériens dans une politique de grands barrages, et les Libyens dans d’énormes forages dans l’immense nappe albienne qui traverse le sous-sol du Sahara.

Ce stress hydrique chronique, dont les experts estiment qu’il sera encore plus intense dans les années à venir, fait resurgir des maladies et des épidémies (choléra, diphtérie, etc.) qu’on croyait avoir vaincues. Malgré cela, la prise de conscience du stress hydrique, comme celle du réchauffement climatique, reste bien en deçà des exigences. Or, si l’on n’y prend garde, cette situation peut conduire, au-delà des conséquences immédiates et visibles, à une véritable guerre de l’eau, comme on en perçoit déjà les signes précurseurs au Moyen-Orient (Golan, Jourdain, Gaza), qui sonnerait le glas de la stabilité dans toute la région.

Les pays du sud, accélérateurs de la mondialisation

Ces fractures montrent l’échec du partenariat euromaghrébin dans son ambition de faire de la région méditerranéenne une zone de paix et de prospérité partagée. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, mais aussi parce qu’il s’est inscrit dans le cadre plus général d’un bouleversement planétaire qui ne l’a guère épargné – la mondialisation –, le partenariat n’a eu que peu de marges de manœuvre pour mener la région méditerranéenne à bon port. En effet, avec la mondialisation triomphante, on assiste à une domination sans partage de la régulation par les marchés qui entraîne, partout, un recul de la régulation publique et la marginalisation de la régulation citoyenne4Pour plus de détails sur cette question, voir Smaïl Goumeziane, Pour une régulation économique démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 18 janvier 2019..

Avec d’autant plus d’acuité que les pays du sud et de l’est méditerranéens ont servi, en quelque sorte, d’accélérateur du mouvement. S’inscrivant dans la nouvelle division internationale du travail, ils sont restés cantonnés dans leur rôle de fournisseurs de matières premières à bon marché, de bassins d’emploi à faible coût du travail, d’espaces à forte rentabilité des investissements productifs et financiers, de marchés ouverts aux quatre vents. Un rôle assumé « bon gré, mal gré » par les différents États à travers les plans d’ajustement, les programmes de coopération et les instruments financiers qui leur sont plus ou moins imposés. Sous condition d’assurer, quel qu’en soit le prix économique, social et politique, la stabilité nécessaire au déploiement durable des stratégies des transnationales. On comprend mieux le choix de soutenir les régimes autoritaires au détriment aussi bien de toute aventure extrémiste (islamisme radical) que d’un réel appui aux sociétés civiles et à leur désir de liberté.

Résultat, en termes politiques et géostratégiques, on assiste à un triple processus. D’abord, au recul de la démocratie (nationale et locale) et à une brutale montée des nationalismes, des populismes, des autoritarismes et des mouvements identitaires, qui se nourrissent de l’aggravation des inégalités pour favoriser le repli sur soi, les haines sociales et les tensions intercommunautaires. Ensuite, à l’absence de pouvoir politique national et supranational (notamment en Europe) en mesure d’accompagner et de réguler la mondialisation économique, particulièrement en termes sociaux et environnementaux. Enfin, l’heureuse disparition de la guerre froide, loin de signifier la fin des affrontements, se poursuit, sur fond de rivalités énergétiques, par l’expansion du marché de l’armement et la montée des conflits (guerres, terrorisme) partout dans le monde, avec un épicentre dans le monde musulman .

Tout cela se traduit, in fine, par une fracture politique fondamentale : celle qui empêche les pays du sud de la Méditerranée d’entrer dans une véritable transition démocratique.

Relations Europe-Maghreb : quelles perspectives ?

Au vu de tous ces résultats, pour le moins inquiétants, faut-il mettre un terme au partenariat euromaghrébin ? Pas si sûr. Car, malgré tout, il reste deux certitudes : l’avenir de l’Europe et du Maghreb, et au-delà de l’ensemble méditerranéen, sera démocratique ou ne sera pas ; il sera collectif ou ne sera pas. Dès lors, il n’y a guère d’autre choix que de donner sa chance à un partenariat euromaghrébin totalement renouvelé : dans ses principes, ses objectifs et ses moyens. En effet, si la région méditerranéenne doit devenir une zone de paix et de prospérité partagée, à l’évidence, le marché et la stabilité n’en sont pas les véritables ressorts. Pour faire advenir une telle ambition, il faut que toute la région engage et réussisse une transition économique et politique démocratique.

En s’inspirant des transitions déjà réalisées, avec plus ou moins de succès, par plusieurs pays de l’est (PSEM), la démarche pourrait se référer à quelques principes essentiels.

La dialectique de la liberté économique et de la liberté politique

Les régimes autoritaires du sud ont, depuis longtemps, montré leur incapacité « congénitale » à mener de telles transitions. Le couplage plus ou moins fort entre l’autoritarisme politique et des systèmes économiques, apparemment libres, mais davantage soumis à une logique rentière et de spéculation – quand elle n’est pas tout simplement informelle –, n’ont guère favorisé la croissance et le développement. En ce sens, la liberté de circulation des biens et services, à la base du partenariat euromaghrébin, ne sert à rien si elle ne favorise pas, dans un cadre formel et de juste concurrence, la production de richesses et leur juste répartition, dans les pays concernés. L’évolution des PIB au Maghreb, ou celle des indices de développement humain (IDH), sont aujourd’hui encore la traduction chiffrée des limites politiques du partenariat engagé depuis des décennies. Or, pendant la même période, dans d’autres régions du monde, notamment en Asie, des pays aussi pauvres que ceux du Maghreb au début des années 1960 ont suivi d’autres stratégies et engagé d’autres partenariats avec des résultats élogieux : ils caracolent désormais en tête des classements internationaux (Corée du sud) tout en s’écartant, progressivement, de l’autoritarisme politique. Aussi, à la lumière de ces « réussites », dans le cadre d’un partenariat rénové, des mécanismes devraient être identifiés et mis en œuvre progressivement de sorte à rendre « consubstantielles » liberté économique et liberté politique. On l’aura compris, ce à quoi les Maghrébins aspirent, c’est à un espace méditerranéen de liberté et d’échanges et non à une simple zone de libre-échange.

Construire un système de régulation démocratique

Depuis la chute du mur de Berlin et la reprise en mains de l’ex-Tiers monde et des pays de l’est par le biais de l’endettement et de l’ajustement structurel, on l’a vu, une seule issue est proposée pour sortir du mal-développement ou entrer « en transition » : l’économie de marché et la régulation par le marché. C’est un credo universel qui parcourt, depuis trente ans, par vagues successives et comme une onde de choc, tout ce que la planète connaît de pays anciennement et nouvellement pauvres. Dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples pour tous ces candidats à un nouveau développement, car le recul de la régulation publique, on l’a vu, a creusé les inégalités sociales et territoriales, multiplié les injustices de toutes natures et fait vaciller la démocratie. Il est donc urgent de trouver de nouveaux ressorts pour construire collectivement un nouveau système de régulation.

Au nord et au sud de la Méditerranée, l’économie moderne à laquelle doivent aspirer tous les pays est une économie où la liberté d’entreprendre est reconnue, et où la production et la consommation sont orga­nisées par la loi, sur la base du droit économique, social et environnemental, et du contrat librement consenti. La sanction économique doit y être assu­rée, en toute transparence, sur un marché sans contrainte. Mais, c’est aussi une économie où les revenus distribués, résultat d’une activité productive réelle, sont licites et principalement constitués de salaires et de profits et non de rentes et autres revenus de la spéculation ou de la corruption.

Par ailleurs, au côté du marché, l’État, loin de se désengager, comme c’est le cas avec la mondialisation libérale, doit au contraire jouer pleinement son rôle régulateur. Un rôle essentiel pour lever les contraintes au libre jeu des acteurs productifs sur le marché (lutte contre les rentes et les monopoles) :

  • pour protéger les entreprises soumises à une concurrence déloyale (dumping économique ou social, pratiques informelles) ;
  • pour améliorer leur compétitivité (incitations fis­cales et lutte contre le dumping fiscal, aides à la modernisation et à l’innovation, travaux d’infrastructures, adaptation des droits de douane, etc.)
  • pour contrôler des activités stratégiques (défense, sécurité, énergie, haute technologie) ;
  • et pour assurer la juste redistribution des richesses produites et la régulation sociale et environnementale (transition énergétique et écologique, justice sociale et solidarité nationale).

Pour autant, on le sait, l’État pos­sède ses propres faiblesses, particulièrement au Maghreb, notamment en termes d’organisation et de ressources. Il est donc indispensable de le restaurer et de conjuguer son action avec celle de la société civile, dont les pratiques politiques, économiques, sociales et environnementales solidaires, les potentialités régulatrices et la volonté de participer de façon directe et responsable, sont insoupçon­nées. Pour cela, l’État restauré doit favoriser l’émergence de la société civile, son expression libre, le dialogue avec ses organisations représentatives et ses élites, dans leur diversité, et engager, sans arrières pensées, les négociations qui s’imposent afin de conclure les compromis, y compris institutionnels, qui consacrent l’avancée des libertés démocratiques.

Ainsi comprise, une telle vision de l’économie (et au-delà, de la société tout entière) à triple régulation (marché-État-citoyens) est beaucoup plus enthousiasmante et se démarque des trois principales utopies régulationnistes des XIXe et XXe siècles : le rêve communiste d’une société régulée sans aucune action du marché ; le mythe ultra-libéral d’une société régulée par le seul marché, notamment financier, sans aucune intervention de l’État ; le fantasme plus récent d’une régulation hybride combinant l’autoritarisme politique, un ersatz de marché libre et une économie informelle florissante dans les pays pauvres. En fait, aujourd’hui plus que jamais, l’économie moderne dans les pays du sud, dont le Maghreb, comme dans les pays « riches », n’a d’avenir que dans une société soumise à un système de régulation qui combine, librement et pacifiquement, les forces du marché, les institutions démocratiques de l’État et les pratiques solidaires des citoyens. Une société libre où chacune des économies et des régulations occuperaient, dans la concurrence ou la coopération, l’espace nécessaire à la poursuite d’un développement humain et solidaire.

Favoriser la transition économique au sud

Dès lors, au-delà des libertés relatives à la circulation des biens, des services et des capitaux sous-jacentes au partenariat euromaghrébin, il faudrait désormais s’atteler à promouvoir, par divers moyens juridiques, organisationnels et financiers, une véritable transition5Une véritable transition signifie « le passage d’un système économique (ou politique) inefficace vers un nouveau système plus efficace ». Cette transition peut être plus ou moins longue, toujours incertaine, parfois violente et marquée par la possibilité d’une réversibilité du processus (ce fut le cas en Algérie en 1988-1991). Elle peut être l’objet de négociations plus ou moins difficiles entre les partisans du nouveau système et ceux de l’ancien. Pour ces raisons, elle ne peut être confondue avec la période d’intérim couvrant, pour diverses raisons, l’espace entre le départ d’un président et l’élection du suivant. D’autant que celle-ci peut être hors de la période de transition (quand elle est pilotée par l’ancien pouvoir) ou en faire partie (lorsque le pilotage est dévolu aux nouvelles instances de la transition). économique des systèmes actuels, dominés par l’inefficacité, la bureaucratie, la spéculation, le clientélisme et les rentes de toutes natures, vers des systèmes productifs libres et et démocratiques. En lieu et place de simples programmes et mesures de soutien à de supposées réformes, qui tardent à se mettre en place et qui n’arrivent jamais à enclencher un véritable développement.

En rupture progressive avec les « modèles » économiques rentiers mis en œuvre au Maghreb, le système productif démocratique favoriserait en premier lieu l’émergence d’un nouveau modèle énergétique (production et consommation) dans tout le bassin méditerranéen, qui mettrait à l’honneur les énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.), leurs projets et leurs modes de coopération.

Bien entendu, une telle transition ferait la part belle aux entreprises privées et publiques, locales et étrangères, qui s’engageraient, seules ou en partenariat, dans cet objectif avec le souci de l’efficacité, de la rentabilité et de la compétitivité, afin d’élargir les sources de richesses (économie numérique, environnementale, etc.) de création d’emplois, d’équilibre des territoires et de respect de l’environnement, à l’échelle locale, nationale ou régionale. C’est là une occasion concrète de transformer les comportements rentiers en comportements productifs.

Une telle transition bouleverserait la logique commerciale et sécuritaire actuelle, dont on a vu qu’elle était asymétrique et source de dépendance pour les pays du Maghreb. En conséquence, le commerce maghrébin, soumis à la sacro-sainte loi « des avantages comparatifs acquis » en vogue au niveau international, devrait être réorganisé pour répondre à une quadruple stratégie commerciale : celle de l’export-substitution ; celle de l’import-substitution ; celle de la libre et juste concurrence ; celle de la construction des avantages comparatifs et compétitifs. Avec un objectif fondamental : celui de garantir une régulation économique et sociale fondée sur le droit, la liberté et la justice. De sorte à mettre progressivement un terme à l’économie administrée et à son pendant, l’économie informelle, et à protéger la libre concurrence et le libre et juste accès des populations aux biens et services fondamentaux.

Appuyer la transition politique, démocratique et pacifique

Pour autant, une telle transition économique n’a de chance de réussir que si elle s’accompagne d’un profond changement politique. Car la liberté économique ne peut se réaliser pleinement que dans un cadre démocratique : la liberté économique et la liberté politique sont indissociables. Elles constituent ensemble le fondement de toute transition démocratique. En matière politique, il faut donc se départir de la frilosité qui a caractérisé le partenariat euromaghrébin. Celui-ci a trop longtemps relégué à l’accessoire cette question fondamentale pour mieux se focaliser sur la liberté de commerce et la sécurité dans la région. En vain, puisqu’au bout du compte cela n’a permis ni le développement de la région, ni sa stabilité au vu des conflits et tensions qui s’y sont multipliés. Peut-être a-t-il manqué à l’Europe, pendant toutes ces années, d’être à l’écoute des sociétés civiles du Maghreb, se contentant des rencontres avec les officiels des régimes ou leurs représentants. Il est vrai que lorsque les intérêts sont en jeu, il ne reste que peu de place au courage politique !

En tout état de cause, du côté de l’Europe comme du côté du Maghreb, le temps n’est plus aux tergiversations ou aux esquives, encore moins aux jeux troubles : il n’y a d’autre voie que de répondre à toutes les exigences démocratiques et pacifiques des populations et de les accompagner, franchement et sans arrière-pensées, dans leurs démarches pacifiques vers un avenir de liberté. L’Europe a su accompagner les pays de l’est dans ce sens avec les succès qu’on connaît. La plupart d’entre eux s’inscrivent aujourd’hui dans des régimes démocratiques et la vie politique y est régulée de façon pacifique. Dès lors, qu’attend-on pour appliquer les mêmes règles (adaptées à l’histoire de chaque pays) au Maghreb, selon un principe clairement exprimé ces dernières semaines par la population algérienne : « sans ingérence et sans indifférence » ?

Construire un Maghreb libre et démocratique

Enfin, s’il est vrai que l’évolution économique et politique dans la région maghrébine est d’abord l’affaire de chaque pays et de chaque peuple, il n’en demeure pas moins que la situation régionale peut être un frein, comme c’est le cas depuis 1989, ou au contraire un accélérateur des transitions démocratiques dans chacun des pays. D’autant qu’au niveau des populations l’idée d’un « Maghreb des peuples » est un vieux rêve et une revendication ancienne toujours d’actualité. À l’image de ce qui s’est réalisé en Europe, les Maghrébins sont prêts à s’unir dans leur espace naturel et historique. C’est pourquoi les peuples maghrébins inscrivent toujours l’objectif d’un Maghreb uni dans leurs projets de transition démocratique.

Bien entendu, dans cette perspective, l’UPM pourrait jouer un rôle majeur, même s’il fallait revoir ses priorités et son mode d’organisation. Les projets prioritaires d’aujourd’hui, bien qu’importants, n’ont de chance d’aboutir qu’à condition d’être en phase avec les exigences de l’heure en termes de transitions économique et politique, mais aussi d’intégration régionale.

Pour mieux coller aux réalités et exigences du Maghreb d’aujourd’hui, l’UPM devrait donc, elle aussi, se transformer, à un terme le plus proche possible, en une véritable communauté méditerranéenne régie, comme au sein de l’Union européenne, par des normes démocratiques, sociales et environnementales, sans que soient dénaturées les spécificités culturelles et cultuelles des différents peuples de la Méditerranée. Dans ce cadre, ce qui pourrait prendre le nom d’« Union démocratique méditerranéenne » créerait les conditions les plus favorables pour un rééquilibrage à la fois géographique (moins vers l’est et plus vers le sud), politique, économique, social et environnemental – la transition démocratique – du partenariat euromaghrébin. Pour que le partenariat euromaghrébin soit enfin en mesure d’étancher la soif de paix, de liberté, de progrès et de justice sociale qu’expriment chaque jour davantage les populations. Alors, « d’un torrent de larmes, les peuples de la Méditerranée pourront faire un lac de paix ». Sinon, prenons garde : à vouloir réduire la question à la construction d’un énième partenariat entre l’Europe et le Maghreb, à forte odeur de pétrole, à visée commerciale et à relents sécuritaires, certains prennent le risque d’un échec renouvelé et douloureux.

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    Pour plus de détails sur ces étapes, voir Jean François Drevet, « Le Maghreb et l’Union européenne (UE) », Diploweb, 4 mai 2016.
  • 2
    À cela, il conviendrait d’ajouter le Groupe « informel » des 5+5 (France, Italie, Espagne, Malte et Portugal d’un côté, et les cinq pays du Maghreb de l’autre), initié dès 1990, et redynamisé à partir de 2011. Depuis plusieurs années, les travaux du groupe sont dominés par les questions sécuritaires.
  • 3
    Il en est de même du programme 2007-2013 de la PEV : un montant global de 12 milliards de dollars, soit en moyenne 100 millions de dollars par pays et par an.
  • 4
    Pour plus de détails sur cette question, voir Smaïl Goumeziane, Pour une régulation économique démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 18 janvier 2019.
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    Une véritable transition signifie « le passage d’un système économique (ou politique) inefficace vers un nouveau système plus efficace ». Cette transition peut être plus ou moins longue, toujours incertaine, parfois violente et marquée par la possibilité d’une réversibilité du processus (ce fut le cas en Algérie en 1988-1991). Elle peut être l’objet de négociations plus ou moins difficiles entre les partisans du nouveau système et ceux de l’ancien. Pour ces raisons, elle ne peut être confondue avec la période d’intérim couvrant, pour diverses raisons, l’espace entre le départ d’un président et l’élection du suivant. D’autant que celle-ci peut être hors de la période de transition (quand elle est pilotée par l’ancien pouvoir) ou en faire partie (lorsque le pilotage est dévolu aux nouvelles instances de la transition).

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