Alors que le Sénat brésilien doit d’ici peu voter pour ou contre la destitution définitive de Dilma Rousseff, l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès, par la voix de son animateur Jean-Jacques Kourliandsky, a reçu João Paulo Rodrigues, un responsable du Mouvement des paysans sans terre (MST), sur la situation au Brésil.
Jean-Jacques Kourliandsky : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre mouvement, le MST (Mouvement des paysans sans terre) ?
João Paulo Rodrigues : Je m’appelle João Paulo Rodrigues, je travaille à la coordination nationale du MST et suis responsable du secrétariat général du MST. J’imagine que vous connaissez déjà le MST, c’est un mouvement populaire luttant pour l’accès à la terre, la démocratisation de l’accès à la terre, pour la réforme agraire et pour le droit des paysans. Nous travaillons aussi sur les questions liées à la production agricole, mais aussi sur le thème de l’égalité sociale.
Jean-Jacques Kourliandsky : Etes-vous en France pour parler des problèmes agricoles et sociaux ou pour parler aussi des problèmes politiques difficiles que traverse le Brésil aujourd’hui ?
João Paulo Rodrigues : L’objectif principal de ce voyage en France, mais aussi dans d’autres pays d’Europe, est justement de parler de la crise politique et économique au Brésil, mais surtout des conséquences de la crise politique pour les travailleurs, pour les paysans, et pour l’agriculture mais aussi pour ce qui concerne la fin d’une réforme agraire si jamais ce coup d’Etat se consolide au Brésil.
Jean-Jacques Kourliandsky : Rentrons dans le vif du sujet : quelle est l’analyse du MST sur les conditions dans lesquelles le gouvernement actuel du président Temer est arrivé au pouvoir, et de son programme politique, économique et social ?
João Paulo Rodrigues : Nous vivons aujourd’hui une situation de coup d’Etat au Brésil. Nous savons très bien qu’il s’agit d’un coup d’Etat coordoné par le Parlement, mais aussi par des membres de la justice brésilienne. Ce coup d’Etat a été préparé dès 2014 suite à l’élection présidentielle qui a été très disputée. Mais Dilma Rousseff a gagné, élue avec 54 millions de voix, et nous croyons que derrière cette destitution, c’est une droite et un secteur conservateur au Brésil qui cherchent à changer un modèle économique dont le but était de réorganiser les politiques publiques au profit des couches les plus pauvres au Brésil.
Jean-Jacques Kourliandsky : Pensez-vous que les sénateurs peuvent laisser Dilma Rousseff à la présidence du Brésil ? Quelle est la stratégie du MST pour essayer de changer le rapport de force politique actuel au Brésil ?
João Paulo Rodrigues : En ce moment nous devons faire pression sur les sénateurs pour trouver les voix permettant à Dilma Rousseff de revenir au pouvoir. Nous avons besoin de 25 voix, nous en avons 20. Il faut donc convaincre 5 sénateurs parmi les 13 ou 14 sénateurs qui sont indécis. Si jamais elle revient au pouvoir, la situation sera encore difficile, mais au moins sera-t-elle encore présidente. Le rôle du MST en ce moment est tout d’abord de dénoncer le gouvernement Temer et de mettre la pression sur les sénateurs pour qu’ils ne légitiment pas cette situation terrible pour le Brésil. Dilma et son gouvernement avaient certes des problèmes, mais ce n’est pas pour autant une raison très sérieuse et honnête.
Jean-Jacques Kourliandsky : A supposer que Dilma Rousseff récupère le pouvoir et revienne à la présidence, il faudra alors gouverner et peu de temps après il y aura des élections. Comment se situe le MST dans ce contexte de prochaines élections ? Quels types d’alliances ? Quelle est l’évaluation que fait le MST des politiques qui ont été suivies en termes de réformes agraires sous les présidences Lula et Dilma Rousseff ?
João Paulo Rodrigues : Ce que nous voulons tout d’abord, c’est que Dilma récupère le pouvoir. Ensuite, nous pourrons commencer à réfléchir aux élections de 2018. Le rapport de force est très défavorable à la gauche et la situation est extrêmement difficile. Tout d’abord, il faut essayer de réorganiser la base politique, qui a complètement éclaté, et réfléchir à un programme politique qui puisse inclure les réformes structurelles nécessaires pour faire une alliance avec le centre, qui a presque disparu pendant la crise. La situation est difficile aussi parce que les travailleurs se sont éloignés du gouvernement de Dilma à cause de choix économiques qui étaient contraires aux besoins des travailleurs. L’idée est de pouvoir réfléchir à une alliance avec un centre qui a été éclaté entre certaines personnes qui ont décidé d’appuyer la droite et d’autres qui luttent contre ce coup d’Etat, mais aussi de réfléchir à une possibilité de travailler avec le capital productif, et pour cela il faut une personne comme Lula qui peut rassembler toutes ces forces.
Jean-Jacques Kourliandsky : Ne pensez-vous pas que, indépendamment de la recherche d’alliés et indépendamment de la candidature éventuelle de Lula, le Brésil, pour durer démocratiquement, aurait besoin d’une réforme politique ? Quelle est la position du MST dans ce débat sur la réforme politique ?
João Paulo Rodrigues : Le MST défend une réforme politique du système. Mais ce que l’on sait, c’est que le Congrès, le Parlement brésilien, n’a pas les conditions morales et politiques nécessaires pour organiser cette réforme. Nous défendons une Constituante qui doit inclure la population dans un débat sur une réforme politique. Ce peut être par exemple : la nécessité d’un Sénat, l’instauration du référendum (qui n’existe pas au Brésil), et la question de la représentation. Au Brésil, nous avons aujourd’hui 33 partis, parmi lesquels seulement 3 ou 4 ont une vraie idéologie. Nous sommes très favorables à une réforme politique, sachant que le Congrès, le Parlement est aujourd’hui très conservateur et ne peut pas mettre en avant le type de réformes que nous demandons.
Jean-Jacques Kourliandsky : Pour conclure, quel est le message que vous voudriez transmettre à tous les Français, et plus particulièrement à ceux qui sont de gauche, concernant la situation du Brésil et ce que vous attendez des Français ?
João Paulo Rodrigues : Tout d’abord, il faut travailler pour mettre fin au gouvernement Temer. Le Brésil est dans une situation politique et sociale très difficile qui a besoin de solidarité au niveau international afin de faire pression sur ces sénateurs qui peuvent encore avoir un poids et changer la votation qui aura lieu le 27 août au Brésil. Ensuite, il faut penser à une solidarité envers les travailleurs brésiliens qui vont faire pression et lutter contre la suppression de certains droits déjà inscrite dans l’agenda du gouvernement Temer. Trois points donc : une solidarité d’abord contre le coup d’Etat, une solidarité pour faire pression sur les sénateurs et une solidarité envers les travailleurs brésiliens qui vont lutter contre la suppression des droits.