Rapport Libault : sur le chemin de la confiance retrouvée

Les conclusions de la concertation « Grand âge et autonomie », pilotée par Dominique Libault, ont été rendues publiques le 28 mars 2019. Pour Sébastien Podevyn, expert pour les questions de vieillissement pour la Fondation Jean-Jaurès et membre de son Observatoire de l’économie, ce rapport est un élément convaincant pour restaurer la confiance des Français en l’avenir, même si trois thèmes devront désormais être développés : les disparités territoriales, la question des complémentaires santé et celle du financement.

Le rapport Libault, préfiguration du projet de loi qui devrait être déposé à l’automne prochain, intervient dans un contexte que l’on peut dessiner en trois axes.

Premier axe, la révolution démographique constitue un enjeu majeur pour les sociétés occidentales au XXIe siècle. En 2050, en France, une personne sur trois aura plus de 60 ans et 4,8 millions plus de 85 ans. Cela pose un double sujet de gestion du coût de l’arrivée dans le grand âge de la génération issue du baby-boom et d’adaptation des sociétés à une présence accrue et constante de seniors. Cette révolution suscite une profonde angoisse chez de nombreux Français qui craignent de ne pas être en mesure d’assumer une éventuelle perte d’autonomie, voire de faire peser le coût de celle-ci sur leurs proches. 

Deuxième axe, la France a développé des spécificités qui rendent délicat cet exercice d’adaptation : son système est efficace mais principalement axé sur une vision sanitaire et curative et un recours plus important aux Ehpad. Par conséquent, des difficultés à repérer les fragilités potentielles – fragilités pouvant être réversibles –, faisant de notre pays l’un des mauvais élèves de l’Europe en ce qui concerne l’espérance de vie en bonne santé. À cela doit s’ajouter la question du reste à charge de la prise en compte de la dépendance, sujet particulièrement sensible dans un moment de retour violent des questions économiques et sociales.

Troisième axe, le sujet n’était pas primitivement inscrit à l’agenda politique de l’actuelle majorité, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de décembre 2015, dite loi ASV, constituant le dernier véritable acte politique relatif à la séniorité au sein de notre société. C’est donc par le prisme de la crise survenue dans certains Ehpad au début de 2018 (mouvement de contestation d’une partie du personnel évoquant un taux d’encadrement des résidents trop faible et une faible qualité des soins) que le sujet est remonté, avec un risque de ne le prendre que par un seul angle forcément réducteur. Si l’introduction de divers éléments relatifs au grand âge via divers canaux législatifs – loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (novembre 2018), loi d’orientation des mobilités (en cours d’examen), loi santé (en cours d’examen), récente initiative parlementaire de reconnaissance des aidants (en cours d’examen) – était de nature à nous rassurer, c’est bien ce rapport qui constitue le point d’orgue de la préparation du prochain texte. 

À la lecture de ces éléments contextuels, ce rapport se devait donc de remplir un impératif essentiel : restaurer la confiance. Celle des citoyens, afin qu’ils puissent envisager la question de la perte d’autonomie le plus sereinement possible. Celles des acteurs, afin qu’ils puissent mettre en œuvre un modèle qui corresponde davantage aux paradigmes de vie actuels. Celle de la société enfin, afin qu’elle chemine plus assurément vers une société au sein de laquelle les seniors sont considérés en vertu de ce qu’ils apportent et non de ce qu’ils coûtent. 

C’est donc à l’aune de la capacité du futur projet de loi à recréer de la confiance que nous avons analysé ce rapport, en nous arrêtant plus particulièrement sur la méthode employée, le constat dressé, les propositions émises, avant de conclure sur les suites à donner à celui-ci.

Une méthode qui a répondu aux attentes des acteurs et mobilisé les citoyens

Dix ateliers restituant une vision panoramique de la question du vieillissement et réunissant 150 acteurs venus d’horizons divers, plus de cent rencontres bilatérales, cinq forums décentralisés regroupant plus de 500 intervenants, une consultation citoyenne ayant permis à 414 000 participants de proposer près de 18 000 propositions, des focus groups et des entretiens individuels pour donner la parole aux personnes âgées en perte d’autonomie, aux aidants et aux professionnels : du point de vue de la méthode, ce travail revêt un caractère inédit. 

Il s’agit d’une réelle et heureuse surprise pour une initiative qui n’était pas au cœur d’un projet politique et qui est née d’un discours du président de la République le 14 juin 2018 au congrès de la Mutualité française à Montpellier, qui avait essentiellement évoqué la question du financement. En élargissant radicalement le champ de la réflexion, le gouvernement a opté pour une réflexion plus en profondeur, incluant la question du modèle, et très horizontale. Cette méthodologie ne peut qu’être saluée, mais il faut ajouter une mise en garde : les attentes relatives au prochain projet de loi seront à la hauteur des espoirs suscités par une concertation qui n’a mis de côté aucun des aspects de la question. La méthodologie de construction dudit projet devra donc s’inscrire dans la même dynamique.

Des constats partagés par tous les acteurs

Au regard de la méthode adoptée, il aurait été particulièrement décevant d’aboutir à un constat qui ne soit pas celui partagé par les acteurs œuvrant au quotidien pour faire de notre société un espace de vie pour tous les citoyens, y compris les plus âgés. Le rapport Libault établit cinq constats qui posent un regard lucide sur les origines des angoisses précédemment évoquées : 

– une demande forte de transformation en profondeur. À travers ce constat, c’est l’attente à la fois des citoyens ayant participé à la grande consultation et des acteurs de terrain qui est exprimée : la priorité donnée au maintien à domicile. Rester chez soi le plus longtemps possible, pouvoir se sentir chez soi même en établissement, voir ses démarches simplifiées et bénéficier du même traitement quel que soit le territoire, voilà les aspirations de Français qui veulent pouvoir maintenir le plus longtemps possible leurs repères. Mais ces aspirations portent en elles un changement de modèle puisque centrer les efforts sur le maintien à domicile implique de progresser dans de nombreux domaines : santé de prévention, adaptation de l’habitat, mobilité des seniors, inclusion sociale… ; 

– un système complexe et peu lisible. Bien que le rapport souligne les efforts budgétaires réalisés ou les innovations, la dichotomie entre le modèle actuel et le modèle souhaité montre un fonctionnement en silos et un manque de coordination à tous les échelons. Ce constat est totalement logique au regard des choix qui ont été opérés en France mais rappelle l’ampleur du travail à réaliser pour les faire évoluer ;

– un investissement fort et urgent dans l’attractivité des métiers et les compétences. Les mouvements des personnels d’Ehpad de 2018, même s’ils ne doivent absolument pas être généralisés, ont démontré que les métiers de l’accompagnement des seniors étaient à la fois pénibles et peu reconnus. Alors que les besoins vont mécaniquement augmenter dans les années à venir – dans les structures autant qu’à domicile –, la question des métiers doit devenir centrale pour assurer une évolution efficace du modèle, qu’il s’agisse de la formation, initiale comme continue, ou des perspectives de carrière ;

– l’attente d’une meilleure prise en compte des ressources dans l’attribution des aides et les choix d’une couverture publique. Bien que le niveau de vie des seniors en France soit élevé, et ce encore pour les prochaines années, nous nous trouvons au cœur de l’angoisse exprimée par nos concitoyens. Il n’est donc pas illogique que ce soit la solidarité nationale qui soit convoquée pour y remédier. Mais il est important de rappeler un sondage qui n’est pas abordé dans le rapport. Réalisée en juin 2018 à l’occasion des quarante-cinq ans de la Mutualité française, une enquête de Harris Interactive mettait en avant toute l’ambiguïté des Français face au risque de dépendance. Tout en souhaitant que la Sécurité sociale contribue en priorité au financement de la prise en charge de la dépendance (57%), les sondés indiquaient qu’ils opteraient en priorité pour leur épargne personnelle s’ils devaient financer une éventuelle situation de dépendance pour eux ou pour leurs proches (41%). La confiance doit donc être rétablie pour que l’idéal et la réalité puissent se rejoindre dans ce moment de la vie que beaucoup abordent avec inquiétude ;

– un manque de coordination autour de la personne. Dans la droite ligne des éléments déjà évoqués, le manque de coordination confirme les orientations prises par notre société vers un système sanitaire et curatif et, de fait, le faible soutien aux politiques de prévention, les difficultés de continuité des parcours et une faible reconnaissance des proches aidants. 

De notre point de vue, le rapport aurait pu insister plus encore sur l’impact des disparités territoriales sur la vie quotidienne des seniors, chaque territoire ayant des spécificités propres rendant difficile un égal traitement, et imposant de penser les solutions suivant une typologie mêlant éléments économiques et sociaux et spécificités territoriales. La volonté affichée de partir de la personne et de tenir compte de ses ressources ne peut être exonérée de cette approche complémentaire. 

Néanmoins, le constat posé n’élude pas les problématiques et intègre toutes les dimensions d’un sujet dont la complexité est proportionnelle à son horizontalité. De ce point de vue, il est un élément convaincant pour restaurer la confiance des Français en partant d’une réalité partagée. 

Des propositions à la hauteur

Avec la méthode mise en œuvre et le constat posé, il aurait été particulièrement étonnant de déboucher sur des propositions ne prenant pas en compte les besoins des citoyens et les attentes des acteurs. Le rapport propose donc à la fois une ligne directrice, axée sur une nouvelle offre d’accompagnement centrée sur le maintien à domicile, et un chiffrage de 9 milliards d’euros d’ici 2025. Le rapport ose également évoquer un « nouveau risque de protection sociale » qui devra donc être débattu lors du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, tout en évitant de parler d’une cinquième branche. Le rapport Libault évoque cette ligne directrice en la déclinant en cinq axes, 175 propositions au total dont 10 propositions clés, dont nous rappelons ici les principales : 

  • la création d’un guichet unique pour les personnes âgées dans chaque département, avec la mise en place de Maisons des aînés et des aidants ;
  • un plan national pour les métiers du grand âge ;
  • un soutien financier de 550 millions d’euros pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile ;
  • une hausse de 25% (par rapport à 2015) du taux d’encadrement des Ehpad d’ici à 2024 ;
  • un plan de rénovation des locaux de 3 milliards d’euros sur dix ans pour les Ehpad et les résidences autonomie ;
  • l’amélioration de la qualité de l’accompagnement et l’amorce d’une restructuration de l’offre, en y consacrant 300 millions d’euros par an ;
  • une baisse du reste à charge mensuel de 300 euros en établissement pour les personnes modestes (gagnant de 1000 à 1600 euros par mois) ;
  • une mobilisation nationale pour la prévention de la perte d’autonomie ;
  • l’indemnisation du congé du proche aidant et la négociation obligatoire dans les branches professionnelles.

Une ligne directrice, une nouvelle offre, un chiffrage courageux, là encore, le rapport Libault a globalement rempli son contrat et mis sur les rails une base de débat de nature à apporter une véritable réponse au sujet protéiforme de la révolution démographique.

Trois points à approfondir

Néanmoins, trois sujets nous semblent demeurer en attente d’une réponse plus développée. 

Dans la droite ligne de notre analyse concernant le constat établi par le rapport, et tout en rappelant que ce dernier n’est pas muet sur le sujet, il nous apparaît qu’un travail encore plus approfondi pourrait être proposé afin de répondre à la question des différences territoriales, différences qui immanquablement empêcheront la mise en place d’un modèle plancher réel. Vieillir au cœur d’une métropole, en zone rurale ou en montagne, ce n’est pas la même chose. L’accès aux services, à la mobilité, l’offre de structures d’accueil, le coût d’hébergement diffèrent selon les territoires et cette différence devra être intégrée dans les réponses au sein d’une réflexion qui tiendra forcément plus de l’équité que de l’égalité territoriale. 

Nous remarquons également l’absence de référence à la question de la complémentaire. Si nous sommes partisans d’un rôle central dévolu à la solidarité nationale, il nous semble que la question de la complémentaire doit être posée pour, notamment, amplifier certaines propositions. Ainsi, l’objectif de baisse du reste à charge de 300 euros nous semble assez limité quand le reste à charge moyen, après aides et réduction d’impôt pour une personne âgée en perte d’autonomie vivant en Ehpad, est de 1850 euros par mois et que le montant de la retraite moyenne en France est de 1389 euros bruts. Nous comprenons bien que cette question doit amener l’ensemble des acteurs des secteurs assurantiel ou mutualiste à engager un échange pour s’accorder, mais ce sujet ne peut rester en dehors des débats, d’autant plus dans une période où des décisions aux conséquences budgétaires importantes sont annoncées par le président de la République afin de répondre aux problématiques soulevées par la crise des « gilets jaunes ».

Enfin, la question de la dichotomie entre les annonces et les financements dévolus devra également être abordée. Si le modèle basé sur le maintien à domicile est mis en avant – ce à quoi nous souscrivons –, il apparaît que les propositions budgétaires sont plus principalement fléchées en direction du soutien aux structures d’accueil. Si nous voulons éviter une forte déception, le financement de l’évolution du modèle devra être à la mesure du changement de paradigme annoncé.

Conclusion

Ce rapport – par l’ampleur de la concertation l’ayant accompagné, la justesse du constat posé et l’intérêt des propositions émises – nous semble de nature à engager un débat public sur des bases susceptibles de restaurer la confiance des citoyens et des acteurs. Le développement d’une société française capable de faire des seniors des citoyens comme les autres ne semble plus hors de portée, et c’est un élément structurant pour les décennies à venir. Mais un rapport, aussi pertinent soit-il, ne fait pas une loi. C’est maintenant qu’il va falloir défendre ce qui nous semble essentiel afin de s’assurer que le futur projet est à la hauteur des espoirs suscités par ce document et d’engager ce qui peut l’être sans intervention législative. 

Et après ? 

Afin de participer à la priorisation des propositions et pour défendre une vision du futur incluant à la fois la question territoriale et celle du financement complémentaire, la Fondation Jean-Jaurès engagera un travail préparatoire qui s’organisera autour de deux axes :

  • une série d’auditions d’acteurs (notamment de collectivités locales et du financement) afin d’aller plus loin sur les propositions qu’il nous semble primordial d’intégrer dans le futur texte ;
  • l’organisation de débats décentralisés, semblables à ceux organisés dans le cadre de la prochaine réforme des retraites, dans des territoires représentatifs de la diversité des situations, afin de mettre en discussion les propositions issues des auditions. 

Sur le même thème