Qui déteste qui ?

S’appuyant sur les résultats de la vague 6 de l’enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde, Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, propose des enseignements originaux sur les sentiments et l’affection des Français et des Françaises vis-à-vis de certains groupes d’individus.

Nous avons l’habitude d’interroger les Français sur une échelle de 0 à 10 concernant leur positionnement politique : 0 vous êtes très à gauche, 10 vous êtes très à droite. Nous avons également l’habitude de leur demander de se positionner sur une échelle de satisfaction concernant la vie qu’ils mènent : 0 vous êtes très insatisfait de votre vie, 10 vous êtes très satisfait de votre vie. On leur demande en quelque sorte de s’autonoter, de s’autoévaluer.

Dans cette nouvelle vague, il s’agissait pour la première fois pour eux d’autoévaluer l’amour et l’affection qu’ils portent pour tel ou tel groupe, de leur demander sur une échelle de 0 à 10 s’ils n’aiment pas du tout ou s’ils aiment beaucoup tel ou tel groupe d’individus (0 vous ne les aimez pas du tout, 10 vous éprouvez un sentiment très chaleureux envers ce groupe). C’est en somme une façon d’objectiver – quelque peu – l’état de détestation qui peut exister en France et qui s’exprime régulièrement dans le débat public et médiatique ainsi que sur les réseaux sociaux entre différentes communautés, qu’elles soient politiques, territoriales ou religieuses.

Politiquement, qui déteste qui ?

En pleine campagne électorale, il est intéressant de regarder dans un premier temps quels sont les groupes de votants que les Français aiment le moins. Pour poser la question autrement, qui sont ceux pour qui l’annonce d’un vote pour tel ou tel candidat risque de susciter le plus d’indignation, de dégout ou de rejet lors d’un dîner en famille ou entre amis ?

D’abord, les plus mal-aimés sont les électeurs qui votent pour les deux pôles les plus radicaux de l’échiquier politique.

D’une part, les gens qui votent pour le Rassemblement national (RN) : sur une échelle de l’amour allant de 0 à 10, les Français aiment ce groupe d’électeurs à un niveau 4. Encore plus impressionnant, une part importante de Français – 32% – « n’aime pas du tout ces électeurs » (en les notant en effet entre 0 et 2 sur 10).

D’autre part, les plus mal-aimés se trouvent du côté de celles et ceux qui votent pour La France insoumise (LFI), avec une note moyenne de 4,2 sur 10 sur l’échelle de l’amour. Dans le détail, 21,5% des Français indiquent ne pas les aimer « du tout » (soit des Français qui placent leur sympathie envers ces électeurs entre 0 et 2 sur 10).

Intéressons-nous un instant sur le cas de l’amour ou du désamour vis-à-vis de La France insoumise. Car si le désamour est grand, il est néanmoins différent en fonction de quelques catégories. Quand 15,5% des 18-24 ans disent ne pas aimer du tout les électeurs de La France insoumise, c’est le cas de 30% des 70 ans et plus (+8,5 par rapport à la moyenne nationale). Et quand 18% de ceux qui habitent dans un foyer dont le revenu mensuel net est de 1250 euros disent ne pas les aimer du tout, c’est le cas de 27% pour les foyers dont le revenu mensuel est de 5000 euros et plus. En outre, quand 16% des locataires du secteur HLM disent ne pas les aimer du tout, c’est le cas de 27% des propriétaires sans emprunt immobilier. Ainsi l’amour pour les votants de La France insoumise varie selon que vous soyez jeune ou vieux, et selon que vous soyez pauvre ou aisé.

Enfin, politiquement, l’amour n’est évidemment pas le même : 54% des personnes certaines d’aller voter pour Éric Zemmour disent ne pas aimer du tout les votants de La France Insoumise, 31% des électeurs de Marine Le Pen, 36% des électeurs de Valérie Pécresse et 30% des électeurs d’Emmanuel Macron.

À la troisième place du classement des moins aimés, on retrouve les électeurs de La République en marche (LREM), avec une note moyenne de 4,6 sur 10. Dans le détail, 19% des Français n’aiment pas du tout ces électeurs, soit des taux de détestation qui restent inférieurs aux taux enregistrés pour les votants du Rassemblement national et de La France insoumise. Cela s’explique notamment par les faibles taux de détestation de la part des électeurs de Yannick Jadot (11%), Anne Hidalgo (16%) et Valérie Pécresse (14%) vis-à-vis de ce groupe d’individus. À l’inverse, les niveaux de détestation vis-à-vis de ceux qui votent pour LREM sont très importants du côté des électeurs de Jean-Luc Mélenchon (41%), Marine Le Pen (45%) et Éric Zemmour (49%).

Enfin, celles et ceux qui votent pour Europe Écologie-Les Verts (EELV) sont notés à 4,8 sur 10 sur l’échelle de l’amour, tandis que celles et ceux qui votent pour Les Républicains (LR) obtiennent une note moyenne de 4,9 sur 10.

Pour terminer sur cette partie politique, il est intéressant de noter que la cote d’amour reflète assez bien la droitisation que l’on note en France depuis plusieurs années, maintes et maintes fois documentée : quand on demande aux Français s’ils apprécient « les gens de gauche », ils placent leur niveau d’amour à 4,9 sur 10. A contrario, quand on leur demande s’ils apprécient « les gens de droite », la note d’amour remonte à 5,3 sur 10.

En outre, alors que l’abstention qui se dessine pour le premier tour de l’élection présidentielle s’avèrerait plus importante que par le passé, est-ce que les individus qui annonceront dans les prochains jours à leurs proches, à leurs amis ou à leurs collègues qu’ils n’iront pas voter doivent s’attendre à ce qu’on les regarde avec les yeux de Chimène ? A priori, non : les Français autoévaluent leur sympathie vis-à-vis de ceux qui ne votent pas à 3,1 sur 10, et 36% indiquent en sus ne pas les aimer du tout (entre 0 et 2).

Les non-votants et les non-vaccinés en mal d’amour

Sortons un peu de la politique (quoique) pour parler de la société d’une façon générale. Beaucoup de réactions indignées ont vu le jour après que le président de la République a indiqué dans Le Parisien qu’il souhaitait « emmerder » les antivax. Ce qui est intéressant, c’est que l’on voit à quel point cela résonnait par rapport aux sentiments ressentis par les Français à l’égard des non-vaccinés. Quand on demande aux Français s’ils aiment ou non les personnes qui acceptent de se faire vacciner contre la Covid-10, ils autoévaluent leur amour vis-à-vis de ces individus à 7,1 sur 10, soit un très bon niveau de sympathie. En outre, 33% éprouvent même un sentiment très chaleureux à leur égard (entre 9 et 10 sur une échelle de 0 à 10). A contrario, les Français évaluent leur niveau d’amour vis-à-vis des personnes qui refusent de se faire vacciner contre la Covid-19 à 4 sur 10. Les notes d’amour les plus hautes vis-à-vis de ce groupe d’individus se retrouvent chez les électeurs d’Éric Zemmour (5,3 sur 10), chez les électeurs de Marine Le Pen (4,8) et chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (5,4).

À la vue de ces différentiels en matière d’amour et de sympathie, on comprend alors (en partie) les prises de position plus que bienveillantes vis-à-vis des non-vaccinés chez Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour tout au long de la crise sanitaire.

L’amour pour les ruraux et pour les athées

Nouvelle illustration de la vision romantique qu’exerce la campagne chez les Français au moment où vient de disparaître Jean-Pierre Pernaut, les gens qui vivent à la campagne sont plus aimés que les gens qui habitent en ville : 7,1 sur 10 de niveau d’amour pour les personnes qui habitent à la campagne (et même 27% des Français qui éprouvent un sentiment très chaleureux à leur égard), contre 6,3 sur 10 pour les personnes qui habitent en ville (14% qui éprouvent un sentiment très chaleureux à leur égard).

On retrouve cette différence sentimentale dans le clivage Paris-province : les provinciaux sont plus aimés que les Parisiens (6,9 sur 10 pour les provinciaux, contre 5,1 sur 10 pour les Parisiens). Dans le détail, 23% des Français éprouvent un sentiment très chaleureux envers les provinciaux, contre 9% pour les Parisiens.

Enfin, la différence sentimentale est très importante selon les groupes de croyants ou de non-croyants. Ainsi, le niveau d’amour vis-à-vis des musulmans se trouve à 4,6 sur 10, tandis que la cote d’amour pour les athées se situe à 6,5 sur 10.

Ainsi, et pour conclure, si l’on tente de dresser le portrait-robot d’une personne qui a toutes les chances d’être aimée par son prochain, nous pouvons dire que celle-ci doit être politiquement plutôt de droite modérée, qu’elle doit voter et être vaccinée. Elle doit par ailleurs vivre à la campagne, a minima en dehors de Paris, et demeurer athée.

Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire.

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