Quel est l’état des droits économiques et sociaux au Maroc, en matière de protection sociale ? Quelles sont les mesures existantes ? Latifa Bouchoua, présidente de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF) au Maroc, nous éclaire sur les discriminations et les inégalités que les femmes marocaines rencontrent, en raison de la persistance d’un modèle inégalitaire qu’il faudrait réformer pour favoriser l’autonomisation politique, économique et sociale des femmes.
L’éradication des discriminations de genre passe essentiellement à travers un modèle de développement sociétal où l’on arrivera clairement à répondre aux questions suivantes : qui détient les pouvoirs ? Et qui détient les ressources et les richesses ?
Le Maroc a ratifié la plupart des pactes et conventions internationales dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) ainsi que certaines conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT)…
Sur le plan national, la Constitution de 2011 reconnaît l’égalité des droits et, bien avant cela, un code de travail interdit les discriminations dans les lieux du travail et les définit comme faute grave et un code de la fonction publique où l’égalité salariale est obligatoire (du moins dans la fonction publique). Cependant, ce code normatif reste insuffisant, fragile et limité en matière d’égalité, de parité et de protection sociale.
Le système de sécurité sociale pour le secteur privé, introduit en 1959 et entré en vigueur en avril 1961, favorise en quelque sorte la protection dans le milieu de travail dans le secteur privé (allocations familiales, allocations en cas de maladie, de maternité, d’invalidité et de vieillesse) qui est gérée par une institution publique, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Le système d’assurance obligatoire pour le secteur public est géré par la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) et a été créé en 1950 en tant que fédération de coopératives du secteur public. Il est responsable de la gestion de ce système grâce auquel les services sont fournis aux employés et aux assistants du secteur public.
Le système de la retraite civile, introduit par la loi en décembre 1971, prévoit l’adhésion automatique des fonctionnaires de l’État, des agents de l’État et des collectivités territoriales et des institutions publiques afin de leur permettre de bénéficier des pensions d’invalidité et de vieillesse.
Sur le plan des politiques publiques, certains acquis sont enregistrés comme par exemple la budgétisation sensible au genre, mais qui, malheureusement, reste une expérience non officiellement déclinée et adoptée dans le budget annuel de l’État. De plus, les plans d’action nationaux pour l’égalité et le genre restent dispersés, peu efficients et non inclusifs surtout en matière d’autonomisation économique, de travail et de protection sociale.
Les discriminations persistent encore, voire de plus en plus, alors que les dernières statistiques du Haut-Commissariat au plan (HCP) publiées à l’occasion du 8 mars 2019 confirment que l’effectif des femmes représente un peu plus de la moitié de la population du Maroc (50,1%). Leur taux d’activité reste le plus bas, d’à peine 22,2%, contre 70,9% pour les hommes, avec une très grande régression remarquée ces dernières années nous inscrivant ainsi parmi les taux les plus faibles à l’échelle mondiale. Quant à l’écart salarial structurel, il est de 17%.
Respectivement, le taux de chômage le plus élevé est enregistré parmi les femmes (14% contre seulement 8,4% parmi les hommes). L’activité féminine se caractérise aussi par sa précarité : en 2017, près de 40,5% des femmes actives sont des aides-familiales qui ne touchent aucune rémunération. Cette précarité se vérifie aussi dans les secteurs où les femmes sont les plus présentes : les secteurs agricole essentiellement et industriel. De plus, les femmes consacrent sept fois plus de temps que les hommes aux activités domestiques qui, il faut le rappeler, ne sont pas reconnues comme un travail.
En matière de couverture médicale, la quasi-totalité des femmes actives – 98,8% en zone rurale et 53,3% soit plus de la moitié en milieu urbain – n’en dispose pas contre 94% en zone rurale et 69,2% en milieu urbain pour les hommes.
En termes de couverture sociale, les écarts sont énormes : le taux de personnes âgées bénéficiant d’une retraite est de 30,4% pour les hommes, contre 3% pour les femmes. De même, en matière d’assurance maladie, cette proportion est de 18,5% pour les hommes contre 8,5% pour les femmes.
Que cela soit au niveau des discriminations dans l’accès à la formation et à l’emploi, des inégalités salariales et du plafond de verre, des manques, voire de la quasi-absence de la sécurité sociale, de la précarité et de la vulnérabilité, de la féminisation de la pauvreté, des inégalités pour l’accès à la propriété et dans le régime successoral, les aspects du système patriarcal se vérifient à tous les niveaux. Avec un taux de prévalence de la violence à l’encontre des femmes, tous contextes confondus, qui atteint les 62,8%.
Alternatives et propositions
Ces indicateurs confirment les discriminations femmes-hommes. Certes, la réduction de ces inégalités est principalement envisagée en vue de soutenir la croissance économique, en améliorant notamment le niveau de productivité des femmes, mais l’enjeu reste le changement de perspective concernant les relations entre les femmes et les hommes dans la société.
Il ne s’agirait pas alors de mener une simple réforme du système économique existant mais d’instaurer d’une nouvelle économie féministe qui enregistrerait l’économique dans le combat pour l’égalité et l’éradication des discriminations et qui prendrait en considération l’aspect intersectionnel du genre.
Il s’agit concrètement de focaliser le combat pour une parité non seulement quantitative mais surtout qualitative éliminant les ségrégations verticales et horizontales – conduisant ainsi à la représentativité dans des postes de responsabilité dans les domaines influents, tels que l’ingénierie économique et l’industrie technologique, ainsi que le renforcement des réseaux favorisant l’autonomisation des femmes.
Au niveau national, les priorités doivent s’articuler autour de différentes mesures :
- harmoniser le cadre législatif ;
- ratifier les conventions de l’OIT (156) ;
- faire des principes de l’égalité et de la parité des fondements des politiques publiques ;
- refonder le système de l’héritage ;
- inclure le potentiel des soulaliyates dans les stratégies de développement économique ;
- valoriser, quantifier et rémunérer le travail domestique ;
- adopter le congé paternel ;
- conceptualiser et recadrer l’économie sociale et solidaire ;
- renforcer l’entreprenariat féminin ;
- favoriser l’accès des femmes aux droits à la propriété immobilière ;
- généraliser la sécurité sociale ;
- impliquer les régions et les communes dans l’application des droits économiques et sociaux des femmes.
Bien d’autres revendications et alternatives font partie de la plateforme citoyenne élaborée par la Fédération des ligues des droits des femmes depuis 2007 comme continuité d’un combat de longue haleine mené depuis 1993 pour la réforme du code du travail et à travers lequel nous avons pu atteindre quelques acquis (congé maternité, lutte contre le harcèlement sexuel …). Il nous reste encore beaucoup à faire.
Cette note est tirée de l’intervention de Latifa Bouchoua, présidente de la Fédération des ligues des droits des femmes au Maroc (FLDF) lors du parallel event sur « Quelle protection sociale dans une économie féministe? » qui s’est tenu le 15 mars 2019 dans le cadre de la Commission de la condition de la femme à l’ONU à New York, en partenariat avec l’Assemblée des femmes de Paris-Île-de-France et la FEPS.