Quelle majorité pour le Pacte industriel vert européen ? 

Quel avenir pour le Pacte vert dans l’agenda européen ? La nouvelle Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen, prépare sa suite industrielle. Mais pourra-t-il être à la hauteur des ambitions ? Ce sera tout l’objet des auditions à venir des commissaires européens dans un contexte de fragmentation du Parlement européen et de montée des extrêmes droites. Neil Makaroff, directeur de Strategic Perspectives et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, décrypte ici le jeu d’équilibriste qui se joue sur la scène européenne.

Alors que certains prédisaient la mort du Pacte vert au lendemain des élections européennes, c’est pourtant sa suite industrielle qui se prépare au sein de la nouvelle Commission européenne. En juillet dernier, Ursula von der Leyen, réélue à la tête de l’exécutif européen, a promis de lancer un Pacte industriel vert ( « Clean Industrial Deal »), mettant la décarbonation de l’Union européenne (UE) au cœur de son second mandat. En septembre, elle a présenté son équipe pour le faire aboutir. Certaines personnalités seront au premier plan de sa mise en œuvre comme l’Espagnole Teresa Ribera ou le Français Stéphane Séjourné. À présent, c’est au tour des députés européens de se prononcer lors des auditions des membres de l’exécutif au Parlement européen. Ces auditions sont loin d’être une formalité pour les commissaires nouvellement nommés. Durant plusieurs heures, ils doivent répondre à des questions acérées, préciser leurs intentions, donner des gages aux principales forces politiques sans s’aliéner les petits groupes qui pourraient invalider leur nomination. Un jeu d’équilibriste d’autant plus difficile que le Parlement européen est extrêmement fragmenté et que les extrêmes droites y représentent près d’un tiers des sièges. 

Dans ce contexte, trouver un chemin pour faire émerger un Pacte industriel vert, qui amplifie la transition écologique engagée par le Pacte vert lors du précédent mandat, est important, même si périlleux. Quatre éléments clés seront à observer dans les prochaines semaines. 

Quel Pacte industriel vert pour quelle majorité ? 

Ursula von der Leyen a été largement reconduite à la tête de la Commission européenne le 18 juillet dernier autour de la promesse d’un Pacte industriel vert1Ursula von der Leyen, Europe’s choice, les lignes directrices pour 2024-2029, 18 juillet 2024.. Ce dernier serait la suite industrielle du Pacte vert européen et viserait à renforcer l’industrie européenne tout en accélérant la décarbonation de l’économie. 401 députés venant des rangs de la droite européenne du Parti Populaire européen (PPE), des Socialistes et démocrates (S&D), de Renew Europe et des Verts se sont réunis autour de cette proposition. De quoi forger, sur le papier, une majorité confortable (361 voix étaient nécessaires) en faveur d’une véritable stratégie industrielle européenne2Neil Makaroff, Bâtir un Pacte industriel vert pour l’Europe, Fondation Jean-Jaurès, 27 mai 2024.. qui débloque l’investissement, construit les chaînes de valeur des technologies de la transition en Europe et soutient la décarbonation de l’industrie. 

Une bonne nouvelle, alors qu’il y a urgence à agir pour faire face à la puissance industrielle chinoise et à la domination technologique américaine. Selon un rapport de Strategic Perspectives3Neil Makaroff, The global net-zero industrial race is on, Strategic Perspectives, 14 octobre 2024., l’Union européenne reste bien positionnée dans la course mondiale à l’industrie verte en étant la deuxième économie à investir le plus dans la transition écologique après la Chine. En revanche, les Américains réussissent à prendre un avantage considérable sur l’innovation verte grâce à des conditions de financement plus avantageuses. Ils attirent ainsi de nombreuses start-ups européennes qui peinent à obtenir des financements sur le Vieux Continent. De même, la situation de quasi-monopole de la Chine pour la production de technologies vertes, que ce soit les batteries, les panneaux photovoltaïques ou encore les éoliennes, menace directement l’industrie européenne. Un Pacte industriel propre qui lie la réindustrialisation de l’économie européenne à la décarbonation de son économie est donc un choix stratégique et un impératif de sécurité pour les Européens. En faisant de ce Pacte la pièce centrale de son nouveau mandat, la présidente von der Leyen tente de rassembler les principaux partis politiques pro-européens dans une coalition solide. 

Mais l’équilibre sera délicat. Chaque chantier de ce Pacte pourrait être l’occasion de batailles politiques, et donc de divisions entre les principales forces du Parlement européen. Proposer un paquet de réformes qui permettrait de construire un équilibre entre les forces politiques européennes sera une des clés du succès du Pacte industriel vert.  

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Une équipe solide pour faire avancer la transition

Les personnalités nommées au sein de la nouvelle Commission ainsi que leurs portefeuilles pourraient y contribuer. C’est notamment le cas de Teresa Ribera, poids lourd du gouvernement socialiste espagnol et nommée vice-présidente exécutive de la Commission européenne supervisant la transition écologique et en charge de la politique de la concurrence. En Espagne, elle a conduit avec succès la stratégie énergétique du pays, négociant avec les syndicats la sortie du charbon et donnant un coup d’accélérateur sans précédent aux énergies renouvelables4Ember, Spain’s power mix, 9 octobre 2024.. À la tête de la Direction générale de la concurrence, elle devra travailler main dans la main avec Stéphane Séjourné, vice-président exécutif en charge d’élaborer une stratégie industrielle européenne, pour faire aboutir le Pacte industriel vert. En effet, le commissaire français est chargé de mettre en place toutes les mesures pour soutenir l’industrie européenne, que ce soit une clause « Made in Europe » dans la commande publique, le soutien à l’installation d’usines de technologies stratégiques sur le sol européen ou encore la définition de standards de circularité et d’empreinte carbone sur les produits vendus sur le marché unique. Néanmoins, ces mesures ne seront effectives que si la politique de concurrence le permet. Il ne pourra y avoir de filières européennes intégrées dans l’éolien, la batterie ou les pompes à chaleur s’il n’y a pas d’alliances industrielles en Europe alliant public et privé. 

Néanmoins, avant même d’être officialisée, Teresa Ribera est d’ores et déjà la cible de la droite européenne, accusée d’être trop ambitieuse sur la transition écologique. La présence de Wopke Hoekstra, issu des rangs du PPE, en tant que commissaire à l’action pour le climat sous la houlette de Ribera pourrait néanmoins rassurer. Fervent défenseur d’un nouvel objectif climatique de -90% d’émission de gaz à effet de serre pour 2040, il pourrait jouer un rôle décisif pour rallier la droite à une accélération de la transition écologique grâce à des mesures d’accompagnement, notamment de l’industrie. De même Dan Jørgensen, venant du groupe S&D, commissaire en charge de l’énergie, est vivement attaqué pour ses positions opposées au classement du nucléaire comme énergie verte. Il devra démontrer que sa priorité n’est pas de démanteler les centrales nucléaires en Europe, mais bien de définir comment électrifier l’économie européenne et sortir des énergies fossiles. Ici Stéphane Séjourné et Wopke Hoekstra peuvent contribuer à donner des gages aux partisans de l’atome dans leurs portefeuilles respectifs. Les importations de gaz, pétrole et charbon coûtent très cher aux ménages comme aux entreprises européennes. Le jeu de rôle entre Teresa Ribera, Stéphane Séjourné, Dan Jorgensen et Wopke Hoekstra sera ainsi crucial pour garantir des majorités. 

La stratégie de la droite européenne : être bâtisseur ou destructeur ? 

Tout semble donc aligné pour poursuivre une politique européenne ambitieuse en faveur de la transition écologique. Mais cela serait sans compter sur le jeu politique. 

Aucune majorité ne peut se dégager sans le PPE. La droite européenne va bâtir des majorités « à la carte », parfois avec les Socialistes et démocrates et Renew Europe, parfois avec les groupes d’extrême droite, notamment les Patriotes pour l’Europe, groupe présidé par Jordan Bardella et au sein duquel siègent le parti de Viktor Orbán et les Conservateurs et réformistes de Giorgia Meloni. Ce qui n’était qu’une possibilité mathématique en raison du nombre de sièges pour obtenir la majorité devient maintenant un outil de pression que la droite n’hésite pas à utiliser pour imposer son agenda. 

Source : Parlement européen, résultats des élections européennes 2024.

Pire, Manfred Weber, patron du PPE, a mis à exécution cette menace en négociant directement avec les extrêmes droites le calendrier des auditions des commissaires européens, entaillant du même coup le « cordon sanitaire » qui prévalait vis-à-vis des nationalistes. Cela a des conséquences : les deux vice-présidents exécutifs Socialistes et Renew, Teresa Ribera et Stéphane Séjourné, passeront derniers lors des auditions, les rendant plus vulnérables. Leur sort ne dépendra pas du jeu de dissuasion que leurs partis peuvent exercer en menaçant de retoquer les commissaires du PPE. Il dépendra des gages qu’ils seront en mesure de concéder à la droite européenne sur les deux portefeuilles les plus puissants de la nouvelle Commission européenne : la stratégie industrielle et la transition écologique. Teresa Ribera, par exemple, devra convaincre qu’elle mettra en place des mesures d’accompagnement à la décarbonation de l’industrie et qu’elle ne s’attaquera pas au nucléaire. Une alliance à la droite du Parlement pourrait même dépasser les auditions et tenter de s’attaquer à certains piliers de la transition écologique. C’est le cas de la fin vente des voitures thermiques neuves en 2035 qui subit l’attaque frontale d’une partie de la droite européenne et des extrêmes droites. Pourtant, le tournant vers le véhicule électrique constitue l’unique moyen de préserver la compétitivité de l’industrie automobile européenne. 

Il sera difficile de construire des politiques européennes de long terme si la droite européenne se dirige vers des alliances « à la carte ». Pour éviter un tel scénario, Socialistes, Renew et les Verts devraient rester unis pour protéger les acquis du Pacte vert et essayer de ramener une partie du PPE à une position plus constructive. Comment les Polonais de la Plateforme civique de tendance libérale ou la droite portugaise pourraient-ils se retrouver aux côtés des ultra-conservateurs du parti polonais Droit et Justice (PiS) ou du parti d’extrême droite portugais Chega pour torpiller le programme en faveur de l’industrie verte ? 

Quel consensus entre États membres ? 

Enfin, on l’oublie souvent, mais le rapport de force se joue également au Conseil où siègent les États membres. Ici aussi la recomposition est en cours. L’affaiblissement d’Olaf Scholz et d’Emmanuel Macron sur la scène nationale réduit la capacité du couple franco-allemand à influencer l’agenda européen. Ce vide de leadership est comblé par d’autres. Giorgia Meloni a, par exemple, réussi à imposer la question de l’immigration à l’agenda européen et s’attaque frontalement à la transition écologique européenne. Elle souhaite voir rouvrir le dossier de la fin de vente de la voiture thermique ou encore celui des normes minimales de rénovation du bâtiment et s’oppose à tout objectif climatique européen pour 2040.

Mais d’autres responsables politiques émergent toutefois pour défendre le Pacte industriel vert. C’est le cas de Pedro Sanchez, Premier ministre espagnol, sorti gagnant des élections européennes et à la tête d’un pays qui a créé 115 000 emplois dans l’éolien et le solaire5Neil Makaroff, The global net-zero industrial race is on, Strategic Perspectives, 14 octobre 2024.. C’est également le cas de Donald Tusk, Premier ministre polonais, qui prendra les rênes de la présidence du Conseil de l’Union européenne le 1er janvier 2025. Second producteur mondial de batteries après la Chine, leader européen des emplois dans le solaire, pôle des pompes à chaleur, la Pologne est devenue le bastion industriel de la transition écologique européenne. Ce leadership est néanmoins fortement menacé par la concurrence chinoise et américaine. Sans le déploiement rapide d’un Pacte industriel vert à la mesure des enjeux, la Pologne pourrait perdre son industrie verte dans les prochaines années. De quoi convaincre de passer à l’action. 

Un des noeuds reste en effet la question de l’investissement. Le lancement d’un Fonds pour la compétitivité, composante du Pacte, pourrait soutenir la décarbonation de l’industrie européenne. Mais surmonter le débat entre frugaux et partisans de la dette commune européenne ne sera pas facile. La Pologne tout comme le Danemark – pays faisant partie des frugaux –, qui lui succédera à la tête de la présidence du Conseil, y ont intérêt pour préserver l’industrie verte européenne. 

En d’autres termes, la capacité des forces politiques pro-européennes à s’allier sera déterminante pour faire aboutir un Pacte industriel vert à la hauteur des enjeux. Sans cela, l’économie européenne pourrait bien être condamnée à une « lente agonie », comme le souligne le rapport de Mario Draghi6Mario Draghi, The Future of European competitiveness, 9 septembre 2024..

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